Le confinement des droits classiques en matière d’organisation de l’économie mondiale

  1. Un trait notable de l’économie actuelle est un certain effacement des Etats et le confinement corrélatif des droits étatiques et du droit international dans l’organisation des opérations économiques. Soit les Etats n’agissent plus, soit ils agissent, mais sous des contraintes de plus en plus importantes et conjointement avec de nouveaux acteurs dans des réseaux de régulation, de coopération ou autres types de négociation plus ou moins formels et non plus dans une logique hiérarchique qu’ils domineraient. Dit autrement, les Etats, dont la liberté en termes de confection de politiques économiques, sociales, sanitaires ou encore environnementales s’érode de plus en plus, sont de moins en moins les pivots incontournables du droit applicable aux opérateurs et opérations économiques et à leurs effets. Les domaines touchés sont notamment la monnaie, la finance, le commerce, les investissements, le développement, mais également les dimensions non économiques du développement telles que le travail, les migrations, la santé, l’éducation, les communications ou encore l’environnement. Il en résulte que de plus en plus de relations se déploient désormais hors des réglementations étatiques ou interétatiques existantes ou dans leurs interstices[1].

[1] A. Pellet, “Postface”, in Chemain R. (dir.), La refondation du système monétaire et financier international. Evolutions réglementaires et institutionnelles, Paris, Pedone, coll. Cahiers internationaux, 2011, 358 p., 347-356, 354-355 : « les grandes lignes du système de l’« avant-crise » perdurent. Le décalage demeure entre la globalisation de l’économie et la parcellisation du droit qui, elle-même, facilite l’expansion rampante de la lex mercatoria, ce droit d’origine privée – qui n’a rien de répréhensible en soi, du moins lorsqu’elle est convenablement encadrée, mais dont la prégnance illustre l’importance de l’espace que les Etats laissent à un encadrement purement privé (avec tous les risques que cela implique lorsque l’on pense à la liberté – la licence ? – qui en résulte pour les hedge funds ou les agences de notation ».

  1. D’une part, il peut ne pas y avoir de droit existant au moment où se déploient les nouveaux phénomènes économiques. Soit les droits étatiques et le droit international public n’ont jamais régi ces domaines en raison de leur nouveauté, soit ils ne peuvent pas les réglementer ou adoptent pour cela un temps trop long pendant lequel se déploient de nouvelles activités, relations et institutions (par exemple l’économie numérique et le trading à haute fréquence). Ils n’ont pas non plus toujours les forces pour s’opposer à certains opérateurs économiques trop puissants et plus mobiles, dont le champ d’intervention dépasse les limites des compétences étatiques et dont les interactions peuvent produire des effets systémiques. On a vu ainsi, et on y reviendra, comment les Etats ont été prompts en 2008-2009 à voler au secours, plutôt que de sanctionner, les opérateurs ou le secteur bancaire et financier au nom de l’adage « too big to fail », faute d’avoir institué une réglementation fondée sur un principe peut-être plus sage : « too big to exist ».
  1. D’autre part, du droit existait bien et avait vocation à s’appliquer, mais n’est pourtant pas appliqué ou est même abandonné ou contourné par les Etats. C’est sur ce phénomène plus intéressant qu’il convient de s’arrêter.

Ce phénomène de confinement touche tant le droit international économique, branche du droit international public, que les droits étatiques.