Pour citer : J. Matringe, “Le confinement des droits étatiques en matière de gestion des relations économiques internationales”, https://droitsafricainsonline.com/themes/afriques-et-developpement/le-droit-face-a-la-nouvelle-donne-de-leconomie-mondiale/1-le-confinement-des-droits-classiques/le-confinement-des-droits-etatiques/, à jour au 24/09/2023.
Plan
- 3. L’internationalisation de la réglementation de l’économie comme projet de confinement de l’Etat
- Le mouvement de confinement des droits étatiques est la manifestation d’un effacement des Etats[1] et résulte de plusieurs phénomènes qui sont largement le fait, direct ou indirect, de l’adhésion de ceux-ci à la pensée libérale puis néolibérale[2].
[1] Sur celui-ci, entre autres, P. Hugon, « Le « consensus de Washington » en questions », in Le libéralisme en question – Revue Tiers Monde, t. XL, n° 157, janvier-mars 1999, pp. 11-36, 11-12. ; J.-B. Auby, « Globalisation et droit compare », European Journal of Law Reform, Vol. 8, No. 1, 2006, pp. 43-52 qui parle de « désétatisation du droit » et d’un « déclin de l’emprise des Etats sur le droit ».
[2] Voir, entre autres, Y. Nouvel, « L’Etat néo-libéral au cœur de la mondialisation économique », in SFDI, L’Etat dans la mondialisation, Paris, Pedone, 2012, pp. 133-149.
- Les Etats se sont progressivement privé d’un grand nombre de leviers nécessaires pour réglementer l’économie et le développement et prévenir ainsi que faire face à des crises comme le changement climatique, la crise énergétique actuelle, la crise financière de 2007 ou encore celle du SRAS-Cov 2[1]. En effet, ces crises et leurs effets peuvent être en partie expliqués par un sous-investissement financier et normatif chronique, délibérément voulu par certains Etats et/ou imposé par des agents extérieurs au nom d’une idéologie économique au service de laquelle on a mis le droit. Ainsi, s’agissant de la dernière, les pénuries de personnel soignant, de masques, de tests de dépistage ou de lits de réanimation équipés ne sont que l’aspect le plus visible d’une impuissance développée depuis des années à force de démantèlements des systèmes de santé et de protection sociale ainsi que des politiques contre la pauvreté et les inégalités qui auraient sans doute permis de contenir l’ampleur de la tragédie. Ont également été trop largement délaissées les questions environnementales, de la qualité de vie, de l’éducation, de l’alimentation ainsi que de la santé[2], non seulement dans le cadre des politiques publiques étatiques, mais également au niveau international. La crise climatique révèle ainsi la totale impréparation des droits étatiques tant en matière d’atténuation du réchauffement climatique que d’adaptation à celui-ci alors que les alertes sont lancées depuis des dizaines d’années[3]. Cet effacement peut résulter de plusieurs causes.
[1] « [La] révolution technologique et économique modifie les rapports de force qui avaient permis l’établissement et favorisé le développement de l’Etat social. Dans ce cadre, les Etats pouvaient imposer un certain nombre de contraintes aux pouvoirs privés économiques en leur prescrivant des règles d’ordre public. Ils avaient également, ainsi que l’Union européenne, la capacité de faire jouer les pouvoirs privés économiques les uns contre les autres dans l’intérêt général, par le moyen du droit de la concurrence, comme l’a souligné Patrice Reis. Enfin, le système de l’Etat social permettait un prélèvement sur les ressources générées par les acteurs économiques afin de financer les services publics, ainsi qu’un système de protection sociale plus ou moins développé selon les pays », B. Frydman, « Rapport de synthèse : La fragilisation de l’ordre public économique et le contrôle des acteurs privés dans un environnement globalisé », Revue internationale de droit économique, 2019/1, t. XXXIII, pp. 123-130, 124.
[2] J. Fontanel, « La globalisation atteinte du coronavirus : Inégalités, égoïsme, ploutocrate, insécurité », ThucyBlog n° 30, 23 avril 2020, http://www.afri-ct.org/2020/thucyblog-n-30-la-globalisation-atteinte-du-coronavirus-inegalites-egoisme-ploutocratie-insecurite/ : « Les autorités publiques ont oublié que les produits et services essentiels à la survie des hommes doivent toujours être disponibles à l’intérieur du pays, soit en stocks, soit en capacité immédiate de production. Il en va ainsi des produits alimentaires, des médicaments, des instruments de protection collectifs et individuels, des équipements sanitaires, des règles concernant les qualités de l’air et de l’eau fixées « a minima » par les organismes internationaux ».
[3] Voir notamment N. Rich, Perdre la terre. Une histoire de notre temps, Paris, Seuil, éditions du sous-sol, 2019, 281 p.
1. L’agenda (néo)libéral
- D’une manière générale, le monde est gouverné par une idéologie économique qui a façonné son organisation juridique, laquelle ne paraît pas compatible avec le développement humain et social[1], notamment en ce qu’elle fragilise l’Etat. En effet, le droit international économique et les droits étatiques prônaient, jusqu’à ces dernières crises qui semblent avoir réveillé les consciences de leurs dirigeants, l’effacement des Etats au profit des opérateurs économiques alors que le développement a toujours exigé un interventionnisme de l’Etat. Tel fut le cas pour l’Europe ; tel fut le cas également pour l’Asie[2].
[1] Y. Daudet, « Le cadre juridique international ouvre-t-il de nouvelles voies de développement pour l’Afrique ? », Revue africaine de droit international et comparé, Vol. 10, 1998, pp. 660-673, 662 : « Il apparaît avec clarté que l’idéologie du marché n’est pas suffisante pour assurer de manière durable et définitive le développement ou même la survie de la population et qu’elle ne peut faire l’économie de modèles sociaux et de règles de solidarité. / Qu’en déduire pour l’Afrique ? Que, certes, il est exclu pour elle d’échapper à la mondialisation puisque, pour l’heure, elle est le chemin obligé de l’insertion dans le commerce mondial. Mais en même temps, il faut être prudent à l’égard du marché et de la mondialisation. Si cette idéologie constitue, comme on l’a dit, un paramètre apparemment inévitable de l’avenir des Etats, il convient cependant de se garder de tout excès de zèle. Autrement dit, il n’est sans doute pas souhaitable pour les pays africains de se lancer à corps perdu dans les privatisations et les dérégulations de nature à assurer des profits accrus à certains entrepreneurs mais à laisser au bord du chemin une population qui espère en des règles de solidarité. Que l’Afrique se garde donc de contribuer à précipiter un mouvement dont il y a fort à parier que, demain, il conduise à une impasse et qu’elle se garde donc d’aller trop vite vers le marché, la dérégulation et les privatisations qui pourraient être pour elle la gueule du loup ! ».
[2] Voir notamment L. Marechal, « Le secteur minier est-il porteur de développement en Afrique ? », Politique étrangère, 2, 2013, pp. 85 et s., spéc. p. 90.
- Selon la pensée néolibérale, en effet, l’Etat ne doit pas fixer d’orientation aux activités économiques sans quoi il est qualifié d’arbitraire par des auteurs tels que F. Hayek pour qui les règles étatiques ne doivent poursuivre aucun objectif autre que de laisser les opérateurs économiques jouer de manière spontanée dans un marché efficace sous peine d’être discriminatoires[1]. En réalité, il ne doit pas se contenter de « laisser faire » les marchés, mais se mettre à leur service en organisant les conditions de leur fonctionnement et développement optimaux. On peut en effet distinguer ici très schématiquement la vision libérale, qui consiste à laisser opérer les opérateurs et marchés de la vision néolibérale qui exige de l’Etat qu’il prenne toutes les mesures nécessaires au bon fonctionnement et au développement optimal des opérations économiques, les marchés ne pouvant pas seuls se réguler de manière à assurer la meilleure allocation des facteurs de production et des richesses.
[1] F.A. Hayek, La route de la servitude [1943], Paris, PUF, coll. Quadrige, 4e éd., 2007, 176 p., 59 [texte également in Enquête] : « La distinction entre une armature permanente de lois soumettant l’activité productrice aux initiatives individuelles et la direction de l’activité économique confiée à une autorité centrale ne représente qu’un cas d’espèce de la distinction plus générale entre la règle de la loi the rule of law et le système de gouvernement arbitraire. Dans le premier cas, le gouvernement se borne à fixer des conditions dans lesquelles les ressources existantes peuvent être exploitées. C’est aux individus de décider à quelle fin ils veulent les employer. Dans le second cas, c’est le gouvernement qui ordonne l’emploi des moyens de production à des fins déterminées » ; p. 158 : « toutes les variantes du planisme, conçues séparément ou sur une échelle nationale, produisent nécessairement, dans leur ensemble, des effets désastreux même sur le plan purement économique, outre les conflits internationaux qu’elles provoquent ». Voir également en ce sens P. Behrens, « L’établissement des règles du marché mondial : De l’ouverture des marchés territoriaux aux règles communes des marchés globalisés », op. cit., p. 349 : « La mondialisation économique n’implique évidemment pas dans ce contexte l’établissement d’un protectionnisme universel, mais bien au contraire, l’ouverture des marchés territoriaux et leur intégration dans un marché global. La condition préalable pour un tel développement est l’élimination ou du moins la limitation des interventions protectionnistes dans les transactions économiques internationales. Les effets de telles interventions constituent des restrictions significatives des droits de propriété et de la liberté contractuelle des participants individuels au marché mondial. Par conséquent, l’élimination de ces effets sert à l’affermissement de la liberté individuelle en tant que fondement des transactions économiques internationales. Il y a de nouveau deux stratégies différentes qui peuvent aboutir à l’établissement d’un système de libre-échange : ou bien des négociations et des conventions internationales qui harmonisent les politiques commerciales nationales favorisant le libre-échange, ou bien une dérégulation unilatérale mais parallèle dans les Etats nationaux provoquée par une concurrence des systèmes ». Sur la pensée de Hayek, voir notamment A. Orford, « Hammarskjöld, la pensée économique et l’Organisation des Nations Unies », in A. Orford, Pensée critique et pratique du droit international, Paris, Pedone, coll. Doctrine(s), 2020, pp. 327-364.
- Il y a en ce sens depuis plusieurs dizaines d’années une vraie volonté politique (néo)libérale de dérégulation de pans entiers de l’économie qui a conduit le monde et les Etats dans la situation de faiblesse qui est la leur. On songe notamment à l’abrogation aux Etats-Unis de la loi Gall-Steagall qui interdisait aux banques commerciales recevant des dépôts de procéder à des activités de banques d’investissement[1] (idée mise en œuvre également dans des Etats comme la France).
- On l’a dit, l’ampleur de la pandémie de la COVID-19 et de ses effets peut être analysée comme un révélateur de failles préexistantes d’ordre économique, politique et social que la multiplication des mouvements de contestation dans le monde en 2019-2020 avaient pourtant mis (avec plus ou moins de discernement) en évidence, mais que la doxa n’a pas voulu remettre en cause[2]. Progressivement, quand n’est pas en cause une « mauvaise gouvernance interne » des Etats à base de corruption, d’incompétence, de clientélisme et autres malfaçons[3], les politiques publiques ont sacrifié (dans une mesure évidemment différente selon les Etats) leur dimension humaine et sociale au profit de la recherche de la croissance économique. Cette crise a révélé une dépendance sanitaire de tous les Etats à l’égard d’autres institutions, publiques comme privées, qui a empêché une réaction appropriée, dépendance elle-même née de deux grandes formes de désengagement des Etats.
[1] Voir notamment M. Waibel, “Financial Crises and International Law” (June 1, 2019), University of Cambridge Faculty of Law Research Paper No. 18/2019, The Legal Implications of Global Financial Crises/Les implications juridiques des crises financières de caractère Mondial, Brill, 2020, SSRN: https://ssrn.com/abstract=3407483 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3407483, § 11.
[2] Voir ainsi le document de l’ONU Shared Responsibility, Global Solidarity: Responding to the socio-economic impacts of COVID-19, March 2020, p. 14 : “This is the moment to dismantle trade barriers, maintain open trade, and re-establish supply chains. Tariff and non-tariff measures as well as export bans, especially those imposed on medicinal and related products, would slow countries’ action to contain the virus”; pp. 15-16: “The free flow of goods and services within and across all regions is essential”.
[3] Voir le réquisitoire contre les Etats africains et l’organisation du monde in « Covid-19 : 88 intellectuels africains interpellent les dirigeants du continent », 14 avril 2020, https://africanshapers.com/covid-19-88-intellectuelless-africaines-interpellent-les-dirigeants-africaines/
- C’est d’une part une privatisation de la gestion des questions sanitaires comme, d’une manière générale, de l’ensemble des aspects du développement avec
- un financement accru des personnes privées que l’investissement ou aide publique n’aurait plus comme tâche que de catalyser (effet de levier de l’intervention publique pour attirer les financements privés) ;
- le développement des PPP en matière médicale ;
- la protection accrue des droits individuels de propriété intellectuelle attachés aux médicaments et le coût parfois prohibitif de certains médicaments protégés par des brevets ;
- la gestion d’une partie de la protection sanitaire, de la fourniture de services médicaux et de la production du matériel médical par des personnes privées qui poursuivent des logiques de profit et sur lesquelles l’Etat a, par principe (néo)libéral, moins de prise.
Cette privatisation de la santé qui consiste entre autres à soumettre un service public à la logique du marché[1], peut avoir été voulue par les Etats eux-mêmes, en particulier les Etats « occidentaux ». Elle peut avoir été faite sous pression exogène pour les pays dits en développement, notamment dans le cadre des plans d’ajustement structurel et l’extension du New Public Management aux politiques publiques de santé qui consiste à transposer les pratiques de gestion du secteur privé vers le secteur public[2]. Or, il est documenté que cette privatisation ne permet pas l’allocation optimale de ressources en faveur du développement[3]. Notons que cette privatisation ne joue pas que vers les sociétés commerciales, mais également vers certaines ONG qui sont conduites à assurer des services, prérogative en principe dévolue à l’Etat dans le schéma de l’Etat providence.
[1] Voir notamment C. Baxerres, F. Eboko, “Politiques, acteurs et dynamiques à l’ère de la Global Health”, Politique africaine, 2019/4, n° 156, pp. 5-20, 19.
[2] Ibidem.
[3] Voir, entre autres, PNUD/UNDP, Rapport sur le développement humain 2014. Pérenniser le progrès humain : réduire les vulnérabilités et renforcer la résilience, p. 10 : « Les règles et les normes internationales reflètent souvent les intérêts privés plutôt que de fournir des biens publics, et donner la priorité aux intérêts sociaux. Les biens publics mondiaux et les biens communs universels qui pourraient rectifier ou compléter les marchés pour garantir une croissance plus inclusive et durable sont, en grande partie, insuffisants » ; B. Boidin, « Libéralisation et accès des pays pauvres à la santé. Quelle responsabilité des droits de propriété intellectuelle et des firmes ? », Mondes en développement, n°120, 2002, pp. 63-74, 72 : « Nous avons ainsi pu mettre en valeur que le rôle des firmes semble être appelé à s’accroître au sein des différents axes stratégiques retenus. Cependant, les différentes actions évoquées et les outils utilisés (partenariats, subventions aux recherches, prix différenciés) ne pourront prendre en charge l’ensemble des maladies touchant les pays pauvres. En effet, ces différents axes d’action cherchent avant tout à viabiliser des activités marchandes, ou à inciter les firmes à se porter sur le marché. En conséquence, le problème de l’insolvabilité de la demande en provenance des PED n’est pas solutionné, et donc avec lui celui des maladies les plus négligées ».
- C’est d’autre part l’inscription de la production des médicaments et plus généralement du matériel et de la fourniture des services sanitaires dans les chaînes internationales de valeur, rendant les Etats dépendants les uns des autres et des aléas des échanges et fermetures de frontières[1]. Il en résulte que face à une épidémie brutale, l’Etat n’a plus les ressources nécessaires et dépend d’un grand nombre d’acteurs pour être en mesure de réagir.
[1] Le monde a ainsi réalisé au printemps 2020 que 90% de la pénicilline utilisée dans le monde est produit dans un seul Etat, la Chine. D’une manière générale, une grande part de la production et de la distribution des médicaments dans le monde dépend de ce seul Etat.
- C’est encore une conception libérale et managériale de la chose publique qui proscrit les stocks pour une politique de flux tendus censée être plus flexible mais qui ne peut pas amortir les effets d’une crise soudaine ou de trop grande ampleur.
2. Un effacement commandé par la mise en concurrence économique des droits étatiques
- L’effacement des droits étatiques résulte également d’un phénomène de mise en concurrence de ceux-ci par les opérateurs économiques qui conduit à l’assouplissement voire à l’élimination de certaines réglementations étatiques qui pourraient affaiblir leur compétitivité et dissuader les opérateurs d’agir dans leur ressort au profit d’autres Etats moins regardants[1]. Cette compétition des droits étatiques conduisit à une « course vers le bas » des réglementations de l’économie qui toucha autant les Etats en développement que les Etats développés.
[1] Voir notamment P. Behrens, « L’établissement des règles du marché mondial : De l’ouverture des marchés territoriaux aux règles communes des marchés globalisés », Revue internationale de droit économique, 2003/3 t. XVII, p. 339-356, pp. 353-354 : « la concurrence, émergeant au cours des années 1960 entre les marchés financiers à Londres et à New York, a occasionné l’élimination des réglementations restrictives sans l’établissement d’une réglementation internationale ou d’une organisation mondiale. A l’heure actuelle, c’est la pression concurrentielle internationale qui sauvegarde le libre-échange à travers les marchés financiers et les marchés des capitaux. Le problème qui en résulte relève de l’établissement d’un ordre mondial des règles nécessaires pour la protection de la stabilité du système financier mondial » ; B. Frydman, « Rapport de synthèse : La fragilisation de l’ordre public économique et le contrôle des acteurs privés dans un environnement globalisé », Revue internationale de droit économique, 2019/1, t. XXXIII, pp. 123-130, 124 : « Sur le plan de la concurrence, la dynamique s’est également inversée à la faveur de la globalisation qui, en mettant l’investisseur et l’entreprise privée en position de choix de l’Etat d’accueil ou du système juridique à adopter, crée une concurrence réglementaire entre les États qui provoque une course vers le bas dont les effets délétères, y compris sur les États européens, sont désormais clairement établis (B. Frydman, « Mesurer l’impact de la mondialisation sur les droits nationaux. Rapport général sur la mondialisation et sources du droit », in La mondialisation, Journées allemandes de l’Association Capitant, vol. 66, Bruxelles, Larcier, 2017). En d’autres termes, la concurrence ne met plus en compétition les acteurs privés les uns contre les autres au bénéfice de l’intérêt général, mais bien les États les uns contre les autres au bénéfice des détenteurs de capitaux et des opérateurs économiques. Cette concurrence opère au détriment de l’intérêt général par la déconstruction progressive des règles et des contraintes imposées aux acteurs privés ».
2.1. La mondialisation comme « marché global des droits étatiques » pour les sociétés multinationales
« la mondialisation correspond à une nouvelle phase d’évolution du capitalisme et plus largement de la société mondiale, dans laquelle certains acteurs […] au nombre desquels on compte bien sûr certaines grandes entreprises […] déterminent et coordonnent désormais leurs stratégies d’actions directement à l’échelle planétaire, et non plus par référence à un ou plusieurs pays ou régions déterminés. […] notre acteur transnational [est] dans une situation nouvelle. Il n’est plus désormais le sujet d’un ordre juridique prédéterminé dont il subit la contrainte et le cas échéant les sanctions. Mais il se trouve au contraire placé devant un paysage fragmenté, une mosaïque d’ordres juridiques, qui correspond en gros à la carte politique du monde, divisée en Etats. […]. L’acteur transnational se trouve en effet, à l’égard de cette mosaïque d’ordres juridiques, dans une situation de « forum shopping » […], c’est-à-dire en situation de faire son marché entre les différents ordres juridiques nationaux. / La mondialisation ainsi comprise […] conduit […] à la création d’un marché global des droits nationaux par la mise en concurrence de ces ordres juridiques entre eux »[1].
[1] B. Frydman, « Comment penser le droit global ? », Working Papers du Centre Perelman de Philosophie du Droit, 2012/1, http://www.philodroit.be, p. 13. Voir également S. Laghmani, « Le nouvel ordre politique international et son impact sur le droit international », in Regards d’une génération sur le droit international, E. Jouannet, H. Ruiz Fabri, J.-M. Sorel (dir.), Paris, Pedone, 2008, 462 p., 232 : « Au plan économique, le monde est marqué par « un mouvement complexe d’ouverture des frontières économiques et de déréglementation, qui permet aux activités économiques capitalistes d’étendre leur champ d’action à l’ensemble de la planète » (Jean Luc Ferrandery, Le point sur la mondialisation, Paris, PUF, 2e éd., 1998, p. 3). Il faut noter à ce propos que la mondialisation correspond à un processus et non à un événement. […]. Ce qui est nouveau, et ce que l’implosion du bloc soviétique a permis, c’est, d’une part, la planétarisation du marché par l’incorporation d’espaces auparavant soumis à une économie planifiée et étatisée [note omise] et c’est, d’autre part, le renforcement remarquable de l’efficacité de la mondialisation du fait des progrès technologiques en matière de communication et d’information ».
- Les Etats s’efforcent donc d’augmenter l’attractivité de leur territoire, en particulier en limitant le plus possible toute rigidité normative ou institutionnelle qui gênerait les opérations économiques, que ce soit en matière fiscale, sociale, environnementale[1], commerciale, contentieuse, en droit des contrats, de la consommation, de la concurrence, des marchés publics, etc. Toutefois, ce faisant, ils perdent le contrôle de ces opérateurs, s’étant privés de leurs pouvoirs de police économique classiques.
[1] V. Alves de Carvalho, “The Clash between the Public Interest in Environmental Protection and the Self-Interest of International Investors: Evidence from the Nigerian Oil Spills”, op. cit., note 8, p. 31 : “the international investor will only have legal responsibility to avoid environmental damage if dictated to do so by the national laws of the host State. As a further consequence, in order to attract as much foreign direct investment as possible, countries, especially developing ones, may start competing with each other by decreasing environment standards [note omitted]. Some have controversially argued that this could lead to a race to the bottom by MNEs in search for the so-called ‘pollution havens’ in order to keep environmental costs down to a minimum (P. Muchlinski, Multinational Enterprises and the Law, Oxford University Press, 2nd ed., 2007, 543; OECD ‘Working Party on Global and Structural Policies: Environmental Issues in Policy-Based Competition for Investment: A Literature Review’ (2001) ENV/EPOC/GSP11/FINAL, 6-9.)”.
Cela vaut également au sein de l’Union européenne, notamment en matière fiscale et sociale, ainsi qu’en droit des sociétés[1].
[1] B. Frydman, « Rapport de synthèse : La fragilisation de l’ordre public économique et le contrôle des acteurs privés dans un environnement globalisé », Revue internationale de droit économique, 2019/1, t. XXXIII, pp. 123-130, 127.
2.2. Une mise en concurrence attisée par les régulateurs de l’économie internationale. L’exemple du projet Doing business de la Banque mondiale
- Cette mise en concurrence est en outre attisée par des organisations internationales, en particulier une pourtant destinée à l’origine au développement et non à la libéralisation de l’économie mondiale, la Banque mondiale.
- Celle-ci, en effet, mena de 2002 à 2020 le projet Doing Business dont l’objet était de mesurer et comparer la réglementation des affaires et son application effective dans les Etats ainsi qu’à d’autres niveaux, comme le niveau régional comme l’OHADA et la Commission d’Afrique de l’Est ou celui des villes. Tous les ans, pendant cette période, la Banque mondiale publia un rapport qui, notamment, classait les Etats selon leur performance normative dans le champ des opérations économiques. L’idée de ce programme, selon le site du projet, était bien d’encourager la concurrence entre les économies pour la mise en place d’une réglementation efficace des affaires. C’est ainsi qu’il proposait des points de comparaison mesurables pour réformer les cadres réglementaires existant afin de faciliter les affaires. Sur le site du projet, les économies étaient classées à raison de la facilité d’y faire des affaires au regard de 10 indicateurs : la création d’entreprise, l’octroi de permis de construire, le raccordement à l’électricité, l’obtention de prêts, la protection des investisseurs, le paiement des impôts, le commerce transfrontalier, l’exécution des contrats et le règlement de l’insolvabilité.
3. L’internationalisation de la réglementation de l’économie comme projet de confinement de l’Etat
3.1. L’internationalisation de la réglementation de l’économie comme projet d’évitement des contraintes étatiques
- L’internationalisation de la réglementation de l’économie n’est pas un accident de l’histoire. Elle a constitué le projet d’une pensée économiques dont l’objet était précisément de réduire l’empire du pouvoir et du droit étatique et donc la place de l’Etat.
- En effet, celui-ci était considéré comme faisant l’objet d’une capture par certains intérêts et était donc conduit à adopter de mauvaises décisions pour l’économie au détriment d’un bon fonctionnement des marchés. (chercher Orford et autres sous démocratie et sphère de liberté). Si cette pensée a erré en ce sens que la captation s’est déplacée avec le pouvoir et se situe maintenant au plan international, il reste qu’elle avait bien deviné que l’internationalisation de la réglementation et de la police de l’économie aboutirait à un transfert important des mécanismes économiques au niveau international et du pouvoir de décision y relatif. Il était en outre considéré que toute intervention de l’Etat conduit en tout état de cause à faire des choix et donc à opérer des discriminations, ce qui est néfaste à l’économie et à l’Etat de droit[1]. Enfin, il était affirmé que la liberté de chaque Etat conduit aux conflits entre eux et au développement des entraves à la circulation des biens et des personnes[2]. Il fallait donc un régime international qui ne soit pas un nouveau planificateur, mais qui ait le pouvoir de s’opposer aux mesures économiques restrictives[3].
[1] Sur ces deux points, voir A. Orford, « Theorizing Free Trade », in A. Orford, F. Hoffmann et M. Clark, The Oxford Handbook of the Theory of International Law, NY Oxford Univ. Press, Oxford-New York, 2016, xxxi-1045 p., Chapitre 35, pp. 701-737, 726-727. Trad. “Théoriser le libre-échange”, in A. Orford, Pensée critique et pratique du droit international, Paris, Pedone, coll. Doctrine(s), 2020, pp. 365-410, 396-397.
[2] F.A. Hayek, La route de la servitude [1943], Paris, PUF, coll. Quadrige, 4e éd., 2007, 176 p., 158 et s., spéc. : « Il n’est guère nécessaire de souligner qu’il y a peu de chances de créer un ordre international ou une paix durable aussi longtemps que chaque pays se juge libre d’employer tous les moyens qu’il estime utiles à ses intérêts, sans considérer le tort causé par ces procédés à d’autres pays. De nombreuses espèces de planisme économiques ne sont viables que si l’autorité dirigeante peut écarter résolument toute influence extérieure ; le résultat en est évidemment l’accumulation de restrictions de tout ordre entravant la circulation des hommes et des biens ».
[3] F.A. Hayek, La route de la servitude [1943], Paris, PUF, coll. Quadrige, 4e éd., 2007, 176 p., 162 et s., spéc. 165 : « nous n’aurons après cette guerre ni ordre ni paix durable si les Etats, petits ou grands, reprennent leur souveraineté illimitée dans le domaine économique. Mais ceci ne veut pas dire qu’on doive accorder à un nouveau super-Etat les pouvoirs que nous n’avons pas su utiliser judicieusement même à l’échelle nationale, ni qu’une autorité internationale doive disposer de pouvoirs lui permettant de prescrire aux nations l’emploi de re leurs ressources. Il s’agit simplement de créer un pouvoir capable d’empêcher les différentes nations de faire du tort à leurs voisins, d’établir un système de règles définissant ce qu’un Etat peut faire, et une autorité capable de faire respecter ces règles. Le pouvoir de cette autorité serait essentiellement d’un caractère négatif : elle doit pouvoir surtout dire « non » à toutes sortes de mesures restrictives » et p. 166 : « Les pouvoirs qu’une autorité internationale devrait assumer, ce ne sont pas les nouveaux pouvoirs que l’Etat s’octroie depuis peu, mais un minimum de pouvoir sans lequel il est impossible de sauvegarder des relations pacifiques, cas essentiellement les pouvoirs d’un Etat ultra-libéral où règne le laisser-faire ».
- La situation en matière d’échanges et investissements est toutefois un peu différente de la situation en matière financière et monétaire puisque, s’il y a bien libéralisation en matière commerciale, ce n’est pas par déréglementation contrairement à la matière financière et monétaire, mais par translation de la réglementation du niveau étatique au niveau interétatique, laquelle réglementation commande la libéralisation des politiques étatiques[1].
[1] « À l’échelle internationale ou plutôt mondiale, le développement le plus important en vue de l’établissement des règles du marché mondial s’avère être la dérégulation du commerce international des marchandises et des services, d’une part, et la dérégulation des contrôles des opérations de changes et des transactions au sein du marché des capitaux, d’autre part (Voir le traité de D. Carreau et P. Juillard, Droit international économique, 4e éd., Paris, 1998). Le premier développement est fondé sur l’institutionnalisation du système GATT/OMC qui favorise l’ouverture des marchés nationaux vers le commerce international des marchandises et des services. En ce qui concerne le second développement, on peut constater l’absence d’une organisation internationale équivalente en vue de la sauvegarde de l’ouverture des marchés nationaux financiers. Cette divergence paraît paradigmatique concernant les deux stratégies différentes en vue de l’établissement des règles du marché mondial. D’une part, il s’agit clairement d’une stratégie de dérégulation par réglementation, d’autre part il s’agit d’une stratégie de dérégulation par concurrence entre systèmes nationaux », P. Behrens, « L’établissement des règles du marché mondial : De l’ouverture des marchés territoriaux aux règles communes des marchés globalisés », op. cit., pp. 349-350
3.2. L’injonction du droit international économique à l’effacement du pouvoir de réglementation de l’Etat
- En principe, le développement et les choix économiques relèvent des prérogatives de chaque Etat[1]. Au mieux, les autres Etats peuvent-ils aider un de leurs pairs[2], mais pas lui imposer quoi que ce soit[3]. Le pouvoir de réglementer fut une revendication du NOEI[4].
[1] AGNU, Résolution 2542 (XXIV), 11 décembre 1969, Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social, art. 3 : « Sont considérés comme des conditions primordiales du progrès et du développement dans le domaine social : a) L’indépendance nationale fondée sur le droit des peuples à l’autodétermination ; b) Le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des États ; d) La souveraineté permanente de chaque nation sur ses richesses et ressources naturelles ; e) Le droit et la responsabilité d chaque État et, en ce qui les concerne, de chaque nation et de chaque peuple, de déterminer en toute liberté ses propres objectifs de développement social, de fixer ses propres priorités et de choisir, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, les moyens et méthodes permettant de les atteindre, à l’abri de toute ingérence extérieure […] » ; art. 8 : « Chaque gouvernement a le rôle primordial et la responsabilité ultime d’assurer le progrès social et le bien-être de la population, de prévoir des mesures de développement social dans le cadre de plans généraux de développement, d’encourager et de coordonner ou d’intégrer tous les efforts entrepris sur le plan national à cette fin et d’apporter à la structure sociale les transformations nécessaires. […] ».
[2] AGNU, Résolution 2542 (XXIV), 11 décembre 1969, Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social, art. 9 : « La communauté internationale tout entière doit se préoccuper du progrès social et du développement social et doit compléter, par une action internationale concertée, les efforts entrepris sur le plan national pour élever le niveau de vie des populations. […] ».
[3] En ce sens notamment : Résolution AGNU 2626 (XXV) du 25 octobre 1970 portant Stratégie internationale du développement pour la Deuxième décennie des Nations Unies pour le développement, A – Préambule, 11) : « La responsabilité principale d’assurer leur propre développement incombe aux pays en voie de développement eux-mêmes, ainsi qu’il est souligné dans la Charte d’Alger [Actes de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, deuxième session, Vol. I et Corr.1 et 5 et Add.1 et 2 : Rapport et annexes (Publications des Nations Unies, numéro de vente : F.68.II.D.14), p. 473] ; mais, si considérables que soient leur propres efforts, ils ne suffiront pas à leur permettre d’atteindre les objectifs de développement voulus aussi rapidement qu’il le faut si les pays développés ne leur viennent pas en aide en mettant à leur disposition davantage de ressources financières et en adoptant là leur égard des politiques économiques et commerciales plus favorables » ; B – Buts et objectifs, § 13 : « il devrait appartenir à chaque pays en voie de développement de fixer son propre objectif de croissance compte tenu de sa situation » ; § 15 : « chaque pays en voie de développement devrait donc définir ses objectifs démographiques dans le cadre de son plan de développement national ». Voir aussi le B et le C. ; § 65) ; 67). Voir cependant l’ambiguïté du § 73. Voir aussi A/RES/35/56, 5 décembre 1980, Stratégie internationale du développement pour la troisième Décennie des Nations Unies pour le développement, § 8 : « la stratégie internationale du développement devrait pleinement refléter la nécessité d’adopter des politiques adéquates et appropriées qui seraient définies par chaque pays dans le cadre de ses plans et priorités de développement, en vue de la réalisation de cet objectif final du développement » ; 42 : « C’est à chaque pays qu’il appartient de se fixer des objectifs nationaux adéquats de promotion du développement humain et social dans le cadre de ses plans, priorité et ressources de développement et en fonction de ses structures socio-économiques et de la situation dans laquelle il se trouve » ; § 71 : « Il appartient à chaque pays en développement de fixer ses propres objectifs et priorités de développement industriel », §§ 140, 167 ; Déclaration de Copenhague sur le développement social et Programme d’action du Sommet mondial sur le développement social, 12 mars 1995. A/CONF.166/9, § 28
[4] Voir notamment l’article 2 § 2 de la Charte des droits et devoirs économiques des Etats : “L’interdépendance toujours plus grande des économies nationales dans une économie mondialisée et l’émergence de régimes fondés sur des règles dans les relations économiques internationales ont fait que la marge de manœuvre des politiques économiques nationales, en particulier dans le domaine du commerce, de l’investissement et du développement international, est désormais souvent rognée par des règles et des engagements internationaux et par des considérations ayant trait au marché mondial. Nous constatons que ces régimes, disciplines, engagements et considérations font problème pour beaucoup de pays en développement qui cherchent à mettre en œuvre eux-mêmes une réponse nationale à la crise financière et économique. Nous constatons aussi que beaucoup de pays en développement ont demandé à pouvoir exercer une plus grande latitude dans le choix de leur politique économique, dans la limite de ces contraintes, car c’est un élément indispensable du relèvement après la crise et de la solution de problèmes nationaux spécifiques, notamment les effets humains et sociaux de la crise, la nécessité de préserver les gains acquis dans la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement, l’utilisation plus efficace des facilités de crédit et des liquidités, la régulation des marchés financiers locaux, les institutions, instruments et mouvements de capitaux locaux, et le recours à des mesures correctives commerciales contingentes. Il appartient à chaque gouvernement de se demander comment arbitrer au mieux entre les avantages de l’acceptation des règles et engagements internationaux et les inconvénients de la perte de marge de manœuvre dans le choix des politiques », A/RES/63/303, 13 juillet 2009, Document final de la Conférence sur la crise financière et économique mondiale et son incidence sur le développement, § 18.
- Pourtant, l’histoire du droit international économique depuis la fin de Seconde guerre mondiale fut une histoire d’utilisation de celui-ci, appuyée par une doctrine économique dominante[1], pour limiter les pouvoirs de l’Etat afin de favoriser la liberté des opérateurs t opérations économiques.
[1] M. Couret Branco, “Economics Against Democracy”, Review of Radical Political Economics, 2012, Vol. 44 (I), 2012, pp. 23-39, 32 : “Finally by recurrently asking for the removal of barriers to market adjustment, mainstream economics has clearly put economic deregulation at the heart of its program. This deregulation is not merely a situation strategy, in other words an adaptation to modern times; on the contrary the idea of an absence of regulation is deeply embedded in mainstream economic theory since its beginnings. Bernard de Mandeville, a precursor of mainstream economics, argues in his Fable of the Bees that freedom should be taken as the absence of impediments to individual action (Haworth 1994). / In the global economy, this deregulation has primarily affected the ability of governments to make economic policy, be it fiscal, monetary, or international, which means that any government that attempts to implement measures that contradict those of the majority of world governments is threatened by the practical neutralization of its policy (Rachline 1998). Not only is this fact, by itself, sufficiently illustrative of the absence of real choice in defining the course to be followed by nations, but as Robin Archer (1995) puts it, democracy doctrinally demands some authority, in other words obstruction to action. Although in terms of human rights, every economist, even a libertarian, will probably agree that freedom is unconceivable without some restraint on individuals, this same restraint does not seem to be desirable for the economy, the Mandeville interpretation of freedom having apparently become a paradigm in mainstream economics”.
3.2.1. Le pouvoir de réglementation de l’Etat en matière d’échanges internationaux
- Depuis le GATT de 1947, le droit international des échanges s’est ainsi construit à force de limitations des pouvoirs des Etats pour réglementer l’économie. Tout commença autour de l’interdiction des restrictions quantitatives et mesures d’effet équivalent aux échanges de marchandises et du gel des mesures tarifaires sur celles-ci. Puis le mouvement se développa par une multiplication des interdictions de réglementer (ou l’ajout de conditions à l’exercice de ce pouvoir) et par l’extension continuelle de ce régime. La création de l’OMC est considérée comme le point d’orgue de ce mouvement[1].
[1] Voir notamment C. Grangier & J.-M. Siroen, « La clause sociale dans les traités commerciaux », in Daugareilh I. (dir.), Mondialisation, travail et droits fondamentaux, Bruxelles/Paris, Bruylant/LGDJ, 2005, pp. 181 ss., 197. ; P. Behrens, « L’établissement des règles du marché mondial : De l’ouverture des marchés territoriaux aux règles communes des marchés globalisés », op. cit., note 84, p. 350.
- Certes, l’AGCS reconnaît expressément aux Etats parties un pouvoir réglementaire[1]. Cela n’est cependant pas sans limites[2].
[1] UNCTAD Secretariat, “An Overview of the Issues”, in The Development Dimension of FDI: Policy and Rule-Making Perspectives, Proceedings of the Expert Meeting held in Geneva from 6 to 8 November 2002, UNCTAD 2003, pp. 1-25, 17 : “The GATS deals extensively with commercial presence of service providers, and thus its provisions are particularly relevant in the area of investment. GATS in its preamble recognizes “the right of Members to regulate, and to introduce new regulations, on the supply of services within their territories in order to meet national policy objectives and, given asymmetries existing with respect to the degree of development of services regulations in different countries, the particular need of developing countries to exercise this right””.
[2] Ibid., pp. 17-18 : “The services sector is highly regulated in many countries for the purpose of consumer protection, security, protection of public morals and prudential measures. While the GATS recognizes the sovereign right of a country to regulate services for legitimate purposes, Article VI seeks to prevent the use of administrative decisions to disguise protectionist measures. Generally applied measures that affect trade in service sectors for which a country has made commitments must be applied reasonably, objectively and impartially. Applications to supply services under such commitments must receive a decision within a reasonable period of time. The Council for Trade in Services is called on to develop rules to prevent requirements governing qualifications for service suppliers, technical standards or licensing from being unnecessary barriers to trade [note omise]. Until such multilateral rules are ready, Governments are to follow (in sectors in which they have undertaken specific commitments) the same principles in applying their requirements and standards, so that these do not nullify or impair specific commitments (on market access and national treatment) they have made ».
3.2.2. Le pouvoir de réglementation de l’Etat en matière d’investissements internationaux
- De même, en matière d’investissements, le droit international, qu’il s’agisse des traités d’investissement, des contrats et de la jurisprudence arbitrale, n’a cessé jusqu’à récemment de limiter la liberté des Etats d’adopter les mesures et politiques qui avaient pourtant permis aux Etats dits développés d’atteindre le développement.
- Où l’on assiste ainsi à un paradoxe fondamental, tout le monde s’accordant à dire qu’un effet bénéfique des investissements directs étrangers pour le développement (pris dans sa dimension seulement économique ou dans une dimension plus compréhensive, sociale, humaine et durable) exige l’exercice par l’Etat d’accueil d’un véritable pouvoir réglementaire et de coercition afin d’orienter ceux-ci et tout le monde sachant que seuls les Etats interventionnistes se sont développés, le droit international applicable en la matière a longtemps consisté à restreindre la liberté de l’Etat de normer et d’exercer ses pouvoirs.
- Toutefois, la jurisprudence arbitrale a affirmé, dans le cadre de son appréciation des droits des investisseurs, le pouvoir de l’Etat de réglementer dans son ordre interne. Les tribunaux arbitraux se sont en effet mis à prendre en compte les intérêts et prérogatives des Etats face aux intérêts et droits des investisseurs étrangers. Cela se traduit notamment par la reconnaissance d’une certaine liberté de l’Etat hôte pour réglementer et policer l’action des investisseurs étrangers[1]. Cette reconnaissance du pouvoir de l’Etat de réglementer fut opérée principalement au moyen du recours à la théorie des police powers de l’Etat en matière d’appréciation des mesures d’expropriation[2].
[1] S. Robert-Cuendet, « Crise ou renouveau du droit des investissements internationaux ? Réflexions sur l’objet des mécanismes de protection des investisseurs étrangers », Revue générale de droit international public, 2016, pp. 545-578 : « l’impératif de protection de la liberté normative de l’Etat hôte face à la protection particulièrement étendue dont bénéficient les investisseurs étrangers en vertu du droit international s’est imposé comme le véritable paradigme du droit contemporain des investissements internationaux ».
[2] Voir notamment Tribunal CIRDI, 29 mai 2003, Técnicas Medioambientales Tecmed, S.A. c/ Etats-Unis du Mexique, ARB(AF)/00/2, sentence (unofficial English Translation), § 119 ; Tribunal CIRDI, 25 mai 2004, MTD Equity Sdn. Bhd. & MTD Chile S.A. c. République du Chili, affaire n° ARB/01/7, §§ 98 et s. ; CPA Arbitration (UNCITRAL), 17 March 2006, Saluka Investments BV v. Czech Republic, Partial Award, §§ 255 et s. ; Philip Morris Brands Sàrl, Philip Morris Products SA and Abal Hermanos SA v Oriental Republic of Uruguay, ICSID Case No ARB/10/7, Award (8 July 2016), §§ 292 et s. ; F. Orrego Vicuna, “Regulatory Authority and Legitimate Expectations: Balancing the Rights of the State and the Individual under International Law in a Global Society”, International Law FORUM du droit international, n° 3, 2003, pp. 188-197. ; S. El Boudouhi, « L’intérêt général et les règles substantielles de protection des investissements », Annuaire français de droit international, 2005, pp. 542-563 ; C. Leben, « La liberté normative de l’Etat et la question de l’expropriation indirecte », in Ch. Leben (dir.), Le contentieux arbitral transnational relatif à l’investissement, L.G.D.J., Anthémis, 2006, p. 168.
- Ce pouvoir de l’Etat ne peut cependant être exercé que sous certaines conditions. Ainsi, “a host state’s regulatory and/or administrative actions must be taken (i) in good faith (ii) for a public purpose, (iii) in a way proportional to that purpose, and (iv) in a non-discriminatory manner [note omitted]”[1].
[1] Tribunal ad hoc (CNUDCI), Les Laboratoires Servier, S.A.A., Biofarma, S.A.S., Arts et Techniques du Progrès S.A.S. c. Pologne, sentence du 14 février 2012, § 569.
- De même, si pendant un moment il semblait ne faire aucun doute pour certains tribunaux que les traités bilatéraux d’investissement avaient pour objet principal de protéger les investisseurs étrangers, ce qui devait justifier une interprétation de ces instruments en faveur de ceux-ci[1], cette position fut rejetée[2]. Les tribunaux arbitraux s’accordèrent à affirmer l’exigence d’assurer un équilibre entre la protection des investisseurs et les intérêts et pouvoirs des Etats[3].
[1] En ce sens Tribunal CIRDI, 29 janvier 2004, SGS Société Générale de Surveillance S.A. c. Philippines, ARB/02/6, décision sur la compétence, 8 ICSID Rep. 518 (2005), § 116.
[2] Voir p. ex. Tribunal CIRDI, 12 octobre 2005, Noble Ventures c. Roumanie, ARB/01/11, sentence, J.D.I. 2006.326, trad. extraits et obs. E. Gaillard, § 52.
[3] En ce sens, entre autres, UNCITRAL (NAFTA) Arbitration, 7 August 2002, Methanex Corporation v. The United States of America, Preliminary Award on Jurisdiction and Admissibility, http://www.state.gov/documents/organization/12613.pdf, § 105 ; CPA Arbitration (UNCITRAL), 17 March 2006, Saluka Investments BV v. Czech Republic, Partial Award, para. 300 : “This is a more subtle and balanced statement of the Treaty’s aims that is sometimes appreciated. The protection of foreign investments is not the sole aim of the treaty, but rather a necessary element alongside the overall aim of encouraging foreign investment and extending and intensifying the parties’ economic relations. That in turn calls for a balanced approach to the interpretation of the treaty’s substantive provisions for the protection of investments, since an interpretation which exaggerates the protection to be accorded to foreign investments may serve to dissuade States from admitting foreign investments and so undermine the overall aim of extending and intensifying the parties’ mutual economic relations” ; para. 305 : “No investor may reasonably expect that the circumstances prevailing at the time the investment is made remain totally unchanged. In order to determine whether frustration of the foreign investor’s expectations was justified and reasonable, the host State’s legitimate right subsequently to regulate domestic matters in the public interest must be taken into consideration as well. As the S.D. Myers tribunal has stated, the determination of a breach of the obligation of ‘fair and equitable treatment” by the host state “must be made in the light of high measure of deference that international law generally extends to the right of domestic authorities to regulate matters within their ow borders” ; para. 306 : “The determination of a breach of Article 3.1 by the Czech Republic therefore requires a weighing if the Claimant’s legitimate and reasonable expectations on the one hand and the Respondent’s legitimate regulatory interests on the other” ; Tribunal CIRDI, 27 avril 2006, El Paso Energy International Company c. République argentine, décision sur la compétence, ARB/03/15, J.D.I. 2007.279, trad. extraits et obs. E. Gaillard, § 70 : “This tribunal considers that a balanced interpretation is needed, taking into account both State sovereignty and the Ste’s responsibility to create an adapted and evolutionary framework for the development of economic activities, and the necessity to protect foreign investment and its continuing flow” ; ICSID Arbitration, 27 juillet 2006, Pan American Energy LLC, and BP Argentina Exploration Company v. The Argentine Republic, ARB/03/13 and BP America Production Company, Pan American Sur SRL, Pan American Fuegina, SRL, and Pan American Continental SRL v. The Argentine Republic, ARB/04/8, Decision on Preliminary Objections, § 99: “This Tribunal considers that a balanced interpretation is needed, taking into account both the State’s sovereignty and its responsibility to create an adapted and evolutionary framework for the development of economic activities, and the necessity to protect foreign investment and its continuing flow” ; Joseph Charles Lemire v. Ukraine, ICSID Case No. ARB/06/18, Award, 28 March 2011, para. 284 : “The FET standard defined in the BIT is an autonomous treaty standard, whose precise meaning must be established on a case-by-case basis. It requires an action or omission by the State which violates a certain threshold of propriety, causing harm to the investor, and with a causal link between action or omission and harm. The threshold must be defined by the Tribunal, on the basis of the wording of Article II.3 of the BIT, and bearing in mind a number of factors, including among others the following: – whether the State has failed to offer a stable and predictable legal framework; – whether the State made specific representations to the investor, – whether due process has been denied to the investor; – whether there is an absence of transparency in the legal procedure or in the actions of the State; – whether there has been harassment, coercion, abuse of power or other bad faith conduct by the host State ; – whether any of the actions of the State can be labelled as arbitrary, discriminatory or inconsistent” ; para. 285 : “The evaluation of the State’s action cannot be performed in the abstract and only with a view of protecting the investor’s rights. The Tribunal must also balance other legally relevant interests, and take into consideration a number of countervailing factors, before it can establish that a violation of the FET standard, which merits compensation, has actually occurred: – the State’s sovereign right to pass legislation and to adopt decisions for the protection of its public interests, especially if they do not provoke a disproportionate impact on foreign investors; – the legitimate expectations of the investor, at the time he made his investment; – the investor’s duty to perform an investigation before affecting his investment; – the investor’s conduct in the host country” ; Tribunal CIRDI, 30 March 2015, Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe S.A. c. Albanie, Aff. n°ARB/11/24, Award, para. 612 : “The standard [of FET] creates the obligation under international law to exercise sovereign power in a way which is not atypical, surprising or specific to the treatment of foreign investors. In fact the policy of the modern State encompasses a general responsibility to provide long-term physical and social infrastructure such as public transport, including sustainable port facilities, in the general interest, as well as to create and maintain public services and a judiciary hat does not deny justice”; para. 613 : “This standard is thereby oriented to predictability of the legal system and to due process. Modern history in general and recent Albanian economic history in particular demonstrate that both inadequate over-regulation and under-regulation may lead to crises that hinder economic development and the creation of common wealth” ; para. 614 : “Policy in the general interest has to take the variety of social and economic interests into account, so that individual interests can be safely pursued. It is in this perspective that the Tribunal story to findings in arbitral awards according to which the obligations of States under investment protection treaties cannot be appraised with only a view to the protection of foreign investors’ rights. The fair and equitable standard brings foreign investors into the normative sphere or rational policy in the general interest. It is not meant to favour the investors’ interest over other economic and social interests. In fact, a one-sided policy of favouring one social group over another may have the opposite effect that the one intended. An exclusive focus on the protection of foreign investment would entail the dangers, as stated by Saluka, that States would be dissuaded from protecting foreign investment and, at the same time, access to public goods and services would be impeded. Both may be detrimental for foreign investors in the long run” ; para. 615 : “The international legal standard of fair and equitable treatment guarantees the investors’ even-handed access to a State’s public services and infrastructure, maintained in the general interest. Sustainability through stability and transparency are part of these services in a broad sense”.
- Dans ce cadre, face au développement des contestations par les investisseurs des normes générales édictées par les Etats d’accueil, les tribunaux considèrent que l’Etat bénéficie d’une certaine marge d’appréciation dans la conduite de ses affaires qu’ils doivent respecter. Dit autrement, dans la balance délicate à faire entre la protection des intérêts légitimes des investisseurs étrangers et la déférence que l’on doit à l’Etat seul juge de l’intérêt général, les tribunaux accordent une attention particulière à la deuxième considération[1].
[1] Voir entre autres S.D. Myers, Inc. v. Government of Canada, Partial Award of November 13, 2000 in a NAFTA Arbitration under the UNCITRAL Arbitration Rules, § 263: “The Tribunal considers that a breach of Article 1105 occurs only when it is shown that an investor has been treated in such an unjust or arbitrary manner that the treatment rises to the level that is unacceptable from the international perspective. That determination must be made in the light of the high measure of deference that international law generally extends to the right of domestic authorities to regulate matters within their own borders”.
- Dans la même veine, de nouveaux traités reviennent sur les déséquilibrent antérieurs pour une meilleure prise en compte des droits et intérêts des Etats face aux investisseurs privés[1], voire aux fins de développement. Il peut s’agir de TBI proprement dits[2], d’accords multilatéraux d’investissements[3] ou de nouveaux types de traités[4]. S’il est toujours difficile de poser des obligations aux investisseurs, en revanche, les Etat entendent récupérer certaines prérogatives : les préambules de traités mentionnent dorénavant que l’Etat a des besoins et dispose de certaines prérogatives pour assurer la satisfaction de l’intérêt général dont il a la charge. En outre, dans le corps des traités (voir aussi dans leur annexe), on voit apparaître des dispositions permettant aux Etats d’agir aux fins d’intérêt public quand bien même cela pourrait nuire aux investisseurs.
[1] Voir par exemple Reciprocal Investment Promotion and Protection Agreement between the Government of the Kingdom of Morocco and the Government of the Federal Republic of Nigeria, 3 December 2016, not in force, preamble: “Seeking an overall balance of the rights and obligations among the State Parties, the investors, and the investments under this Agreement” et “Reaffirming the right of the State Parties to regulate and to introduce new measures relating to investments in their territories in order to meet national policy objectives and taking into account any asymmetries with respect to the measures in place, the particular need of developing countries to exercise this right”.
[2] Voir ainsi, comme TBI auxquels sont parties des Etats africains avec tout de même une soumission des dimensions humaines et sociales du développement à sa dimension économique : Accord entre l’Union belgo-luxembourgeoise et la République démocratique du Congo concernant l’encouragement et la protection réciproque des investissements, 17 février 2005, art. 5 en matière d’environnement (infra) ; Reciprocal Investment Promotion and Protection Agreement between the Government of the Kingdom of Morocco and the Government of the Federal Republic of Nigeria, 3 December 2016, not in force, Art. 23 – Right of State to Regulate : “1) In accordance with customary international law and other general principles of international law, the Host State has the right to take regulatory or other measures to ensure that development in its territory is consistent with the goals and principles of sustainable development, and with other legitimate social and economic policy objectives. 2) Except where the rights of Host State are expressly stated as an exception to the obligation of this Agreement, a Host State’s pursuit of its rights to regulate shall be understood as embodied within a balance of the rights and obligations of Investors and Investments and Host States, as set out in the Agreement. 3) For greater certainly, non-discriminatory measures taken by a State Party to comply with its international obligations under other treaties shall not constitute a breach of this Agreement”; Agreement between the Government of Hungary and the Government of the Republic of Cabo Verde for the Promotion and Reciprocal Protection of Investments, March 2019, not in force, Art. 3 § 1 : “The provisions of this Agreement shall not affect the right of the Parties to regulate within their territories through measures necessary to achieve legitimate policy objectives, such as the protection of public health, safety, environment or public morals, social or consumer protection or promotion and protection of cultural diversity”.
[3] Investment Agreement for the COMESA Common Investment Area, signed on 23 May 2007, not in force, Article 20 § 8 : “Consistent with the right of states to regulate and the customary international law principles on police powers, bona fide regulatory measures taken by a Member State that are designed and applied to protect or enhance legitimate public welfare objectives, such as public health, safety and the environment, shall not constitute an indirect expropriation under this Article”.
[4] SADC Protocol on Finance and Investment, 18 August 2006, entered into force on 16 April 2010, Annex 1 – Co-operation on Investment, art. 14 – Right to Regulate : “Nothing in this Annex shall be construed as preventing a State Party from exercising its right to regulate in the public interest and to adopt, maintain or enforce any measure that it considers appropriate to ensure that investment activity is undertaken in a manner sensitive to health, safety or environmental concerns”.
Voir également l’apparition d’un nouveau type de clause stipulant qu’il ne convient pas d’assouplir les mesures nationales en matière de santé et d’environnement, voire de travail, afin d’encourager les investissements[1].
[1] Voir notamment CEDEAO/ECOWAS, Supplementary Act A/SA.3/12/08 Adopting Community Rules on Investment and the Modalities for their Implementation with ECOWAS, 19 December 2008, Article 20 – Maintenance of Environmental and other Standards: “Member States recognize that it is inappropriate to encourage investment by relaxing domestic labour, public health, safety or environmental measures and thus shall not waive or otherwise derogate from, or offer to waive or otherwise derogate from, such measures as an encouragement for the establishment, acquisition, expansion or retention in their territories, of an investment”; Agreement between the Government of Canada and the Government of the Republic of Benin for the Promotion and Reciprocal Protection of Investments, 9 January 2013, in force 12 May 2014, art. 15 – Health, Safety and Environmental Measures: “The Parties recognize that it is inappropriate to encourage investment by relaxing domestic health, safety or environmental measures. Accordingly, a Contracting Party should not waive or otherwise derogate from, or offer to waive or otherwise derogate from, those measures to encourage the establishment, acquisition, expansion or retention in its territory of an investment of an investor. If a Contracting Party considers that the other Contracting Party has offered such an encouragement, it may request consultations with the other Contracting Party and the two Contracting Parties shall consult with a view to avoiding the encouragement”; Accord entre le Canada et la République du Cameroun concernant la promotion et la protection des investissements, 3 mars 2014, entrée en vigueur le 16 décembre 2016, art. 15 – Mesures relatives à la santé, à la sécurité et à l’environnement et la responsabilité sociale des entreprises : « 1. Les Parties reconnaissent qu’il ne convient pas d’assouplir les mesures nationales en matière de santé, de sécurité ou d’environnement afin d’encourager l’investissement. En conséquence, aucune des Parties ne devrait renoncer ou déroger de quelque autre manière, ni offrir de renoncer ou de déroger de quelque autre manière, à de telles mesures afin d’encourager l’établissement, l’acquisition, l’expansion ou le maintien sur son territoire d’un investissement d’un investisseur. Si une Partie estime que l’autre Partie a offert un tel encouragement, elle peut demander la tenue de consultations avec cette autre Partie, et les deux Parties se consultent en vue d’empêcher l’encouragement » ; Agreement between Canada and Mali for the Promotion and Protection of Investments, 28 November 2014, entered into force on 8 June 2016, Art. 15 – Health, Safety, Environmental Measures and Corporate Social Responsibility : “1. The Parties recognize that it is inappropriate to encourage investment by relaxing domestic health, safety, or environmental measures. Accordingly, a Party should not waive or otherwise derogate from, or offer to waive or otherwise derogate from, those measures to encourage the establishment, acquisition, expansion, or retention in its territory of an investment of an investor”; Agreement between The Government of Canada and the Government of the Republic of Côte d’Ivoire, 30 November 2014, in force on 14 December 2015, Article 15 – Health, Safety and Environmental Measures and Corporate Responsibility Standards: “1. The Parties recognize that it is inappropriate to encourage investment by relaxing domestic health, safety or environmental measures. Accordingly, a Party should not waive or otherwise derogate from, or offer to waive or otherwise derogate from, those measures to encourage the establishment, acquisition, expansion or retention in its territory of an investment of an investor. If a Party considers that the other Party has offered such an encouragement, it may request consultations with the other Party and the two Parties shall consult with a view to avoiding the encouragement”; Agreement between the Government of Canada and the Government of Burkina Faso for the Promotion and Protection of Investments, 20 April 2015, in force: 11 October 2017, art. 15 – Health, Safety and Environment Measures: “The Parties recognize that it is inappropriate to encourage investment by relaxing domestic health, safety or environmental measures. Accordingly, a Party should not waive or otherwise derogate from, or offer to waive or otherwise derogate from, those measures to encourage the establishment, acquisition, expansion or retention in its territory of an investment of an investor. If a Party considers that the other Party has offered such an encouragement, it may request consultations with the other Party and the two Parties shall consult with a view to avoiding the encouragement”; Agreement between the Government of Hungary and the Government of the Republic of Cabo Verde for the Promotion and Reciprocal Protection of Investments March 2019, not in force, Art. 2 § 8: “The Contracting Party shall not encourage investment by lowering domestic environmental, labour or occupational health and safety legislation or by relaxing core labour standards. Where a Contracting Party considers that the other Contracting Party has offered such an encouragement, it may request consultations with the other Contracting Party and the two Contracting Paties shall consult with a view to avoiding any such encouragement”.
3.2.3. L’injonction des institutions financières internationales à l’effacement des Etats et de leur droit
- Dans la pratique, ces institutions ont largement favorisé l’effacement de l’Etat et de son droit en conditionnant leur assistance économique à l’élaboration par l’Etat demandeur de politiques macroéconomiques prônant la libéralisation de l’économie au détriment des dimensions sociales, humaines et environnementales du développement.
- Il s’agit notamment de ce qu’on appelle le « consensus de Washington »[1], nom donné par John Williamson en 1989 à un « programme » de réformes destiné à aider les pays d’Amérique latine à surmonter la crise de la dette qui sévissait alors, programme qu’il considérait refléter un consensus parmi les institutions financières siégeant à Washington : Banque mondiale, FMI, Banque interaméricaine de développement, Trésor et système fédéral de réserve des Etats-Unis. Ce train de réformes portait sur 10 points : discipline budgétaire, redéfinition des priorités en matière de dépenses publiques, réforme fiscale, libéralisation des taux d’intérêt, taux de change compétitifs, libéralisation du commerce, libéralisation des investissements directs étrangers, privatisation, déréglementation, droits de propriété.
[1] Pour un retour sur ce consensus, J. Williamson, « Un train de réformes. Consensus de Washington : un bref historique et quelques suggestions », Finances et Développement, septembre 2003, pp. 10-13.
Ce consensus prônait un effacement de l’Etat au profit des opérateurs privés à coups de déréglementations, de privatisations de grands champs de l’économie (généralement ceux productifs et donc rentables pour le secteur privé appelé à les récupérer), de contrôle des prix, de gel des salaires et autres mesures de réduction des dépenses publiques notamment en matière de volume de la fonction publique, de santé, de logement, d’éducation ou encore d’aide sociale. Selon ses promoteurs, ce genre de réformes était censé permettre à la fois de faire des économies et d’ouvrir de nouveaux marchés pour les opérateurs privés notamment étrangers. Car il s’agissait d’ouvrir l’économie nationale en favorisant les investissements étrangers et en réduisant les barrières aux échanges. L’instrument juridique privilégié pour procéder à ce démantèlement progressif des politiques sociale et humaines fut le « plan d’ajustement structurel » faisant l’objet d’un accord entre l’institution financière sollicitée et l’Etat bénéficiant de son assistance[1].
[1] Voir également les incitations de la Banque mondiale à l’investissement privé dans le domaine médical par sa politique d’aide à l’investissement, outre sa promotion pour le recours au marché afin de réduire la part du budget des Etats allouée aux dépenses de santé Voir par exemple Banque Mondiale, Rapport sur le développement dans le monde 1993 : Investir dans la santé, 1993, 339 p. qui en appelle sans cesse aux vertus de la concurrence et, 13 : « On peut encore réaliser des gains d’efficacité en laissant une plus grande place au secteur privé dans la fourniture des services cliniques, à la fois ceux qu’un pays inclut au nombre des services essentiels et ceux qui sont discrétionnaires de nature. Le secteur privé sert déjà une clientèle nombreuse et diverse dans les pays en développement et il y dispense souvent des services de meilleure qualité sans les longues files d’attente et le sous-équipement qui caractérisent souvent les centres de santé de l’Etat. Dans beaucoup de pays, médecine et pharmacie privées se heurtent à d’arbitraires barrières juridiques et administratives, et celles-ci doivent disparaître ». Voir également A. Guilbaud, « Que peuvent les organisations internationales face au coronavirus », The Conversation, 11 mars 2020, https://theconversation.com/que-peuvent-les-organisations-internationales-face-au-coronavirus-133273) : « En 2017, la Banque mondiale a initié un nouveau mécanisme financier visant à trouver des financements en cas d’épidémie, sous la forme de « pandemic catastrophe bonds » (des « obligations catastrophes pandémiques ») : des investisseurs prennent le risque de ne plus percevoir d’intérêts ou de perdre une partie de leur capital en cas de déclenchement d’une épidémie, mais touchent un rendement très élevé tant qu’aucune épidémie ne se déclenche »..
En concluant les accords portant ces plans d’ajustement structurel, les Etats ont ainsi accepté que leurs politiques publiques soient dirigées ou au moins co-dirigées par des tiers, les institutions contrôlant leur mise en œuvre et participant à l’élaboration des nouvelles politiques demandées, réduisant d’autant leurs marges de manœuvre pour la maîtrise de leur développement[1].
[1] Voir notamment H. Diata, « Ajustement structurel au Congo », Tiers-Monde, tome 30, n° 117, 1989. Politiques d’ajustement et recompositions sociales en Amérique latine. pp. 187-202, 201 : « la réalité, à l’heure actuelle, est l’exocentrage marqué par le fait que les centres de décision de l’économie du Congo sont entre les mains des bailleurs de fonds (Clubs de Paris et de Londres, FMI), car si les autorités congolaises veulent éviter, ou tout au moins atténuer, les effets pervers de la crise, elles doivent nécessairement agir dans la direction souhaitée par ces bailleurs ».
- Ce genre de politique des institutions financières n’a pas seulement concerné les « Etats en développement ». Elle vise également aujourd’hui les Etats « développés » comme en atteste le régime imposé à la Grèce par la « troïka » composée par le FMI, l’UE et la BCE qui comprenait notamment privatisations, réduction des montants des retraites et salaires, mais également à l’Islande, à l’Irlande ou au Portugal. En ce sens, on peut se demander si les nouvelles interventions menées dans le cadre de la crise des dettes souveraines et « commandées » par les évaluations des agences de notation[1] ne constituent pas un retour au « consensus de Washington » tempéré un temps par les institutions internationales.
[1] Sur celles-ci, voir notamment N. Gaillard, « Les agences de notation : responsabilité, régulation ou laissez-faire ? », in Audit M. (dir.), Insolvabilité des Etats et dettes souveraines, Paris, LGDJ, Lextenso, coll. Droit des affaires, 2011, pp. 165-173. ; C. Maheu, « Le droit international et la réglementation des agences de notation de crédit : vers une réglementation universelle ? », Les Cahiers de Droit, vol. 54, n° 2-3, juin-septembre 2013, pp. 587-608. ; R. Bismuth, « Agences de notation, dette souveraine et liberté d’expression – quelques réflexions sur la légalité (et l’opportunité) d’un contrôle européen des notations souveraines non sollicitées », in Dufour G., Pavot D. (dir.), La crise des dettes souveraines et le droit : approches croisées Canada-Europe, LexisNexis Canada Inc., 2014, pp. 87-111.
- Ainsi, le discours étant toutefois tempéré depuis quelques années, l’Etat modèle dessiné par ces institutions est l’Etat néo-libéral qui se conforme à la « bonne gouvernance économique »[1].
[1] Voir ainsi la position de la Banque mondiale dont le Rapport sur le développement dans le monde de 2002, intitulé Des institutions pour les marchés [sic], explique que « la bonne gouvernance englobe notamment la promulgation, la protection et la mise en application des droits de propriété puisque, sans ceux-ci, la portée des transactions est nécessairement restreinte. Elle suppose aussi l’existence d’un cadre réglementaire qui favorise la concurrence au sein du marché et s’appuie sur de saines politiques macroéconomiques offrant un environnement stable aux entreprises commerciales », BIRD, Rapport sur le développement dans le monde, 2002, p. 115, cité in Y. Nouvel, « L’Etat néo-libéral au cœur de la mondialisation économique », in SFDI, L’Etat dans la mondialisation, Paris, Pedone, 2012, pp. 133-149, 138. Le rapport établit un certain nombre d’indicateurs permettant de déterminer le cadre normatif le plus favorable au développement des affaires. Ce sont par exemple les facilités d’embauche de salariés, de transfert de propriété, de création et de fermeture d’entreprise ; ce sont également les instruments de protection des investissements ou de garantie de l’exécution des contrats.
- C’est également dans l’exercice de son pouvoir de surveillance que le FMI brime le pouvoir de réglementation de l’Etat. Cette surveillance porte non seulement sur les politiques des Etats, mais également sur celles des organisations régionales[1].
[1] Voir L. Boisson De Chazournes, « Les relations entre organisations régionales et organisation universelle », Recueil des cours de l’Académie de droit international, t. 347, 2010, pp. 204 et s.
- Indépendamment donc de toute « conditionnalité », ces organisations internationales ont favorisé la libéralisation de l’économie mondiale en prônant une dérèglementation.