Pour citer : J. Matringe, « Le confinement du droit international économique en matière de gestion des relations économiques internationales », http://droitsafricainsonline.com/themes/droits-africains-et-pluralisme-juridique-en-afrique/1-introduction-aux-droits-africains-et-au-pluralisme-juridique-en-afrique/, à jour au 23/09/2023
Plan
- L’absence ab initio de réglementation interétatique
- L’abandon commun par les Etats d’une réglementation existante. Le cas du secteur monétaire
- La remise en cause d’une réglementation existante. Le cas du domaine des échanges
Si on part de la définition classique du droit international public selon laquelle celui-ci est ce qui est produit par la volonté des Etats, la seule raison pour laquelle une chose peut échapper à une réglementation par ce droit est que les Etats ne veulent pas ou plus la réglementer. Ce confinement peut également résulter du non exercice par les Etats de leur pouvoir de produire ou mettre en œuvre eux-mêmes du droit international mais également dans la non utilisation par les organisations internationales dont ils sont membres de leur pouvoir de décision. Ainsi, l’OCDE utilise très peu son pouvoir de décision, préférant utiliser la voie de recommandations, principes directeurs, projet, modèles de traités ou de lois, etc.
Il peut se manifester de différentes manières qu’on distinguera ici schématiquement à des fins didactiques bien qu’elles ne se distinguent que très difficilement dans la pratique.
1. L’absence ab initio de réglementation interétatique
Les Etats ont refusé de soumettre à l’empire du droit international économique certains domaines de l’économie.
1.1. Le secteur financier
- Le développement exponentiel des systèmes financiers aurait pu conduire à un développement du droit international en la matière. C’est toutefois largement le contraire qui s’est produit[1]. Ces systèmes se sont en partie développés au-delà ou à côté du droit international.
- On songe par exemple à la shadow banking industry dans laquelle des institutions financières non bancaires agissent sans avoir à obéir à la réglementation bancaire.
- On songe également au développement et à la diversification de nouveaux instruments de titrisation et vecteurs financiers échappant à la réglementation classique et au regard des contrôleurs.
[1] « Competition-driven deregulation and the pursuit of hyperglobalisation in finance had led to the development of a chasm between the reach of global financial markets and the scope of their governance [note omitted] », M. Waibel, “Financial Crises and International Law” (June 1, 2019), University of Cambridge Faculty of Law Research Paper No. 18/2019, The Legal Implications of Global Financial Crises/Les implications juridiques des crises financières de caractère Mondial, Brill, 2020, SSRN: https://ssrn.com/abstract=3407483 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3407483, § 16. Voir également Section 3, § 1: “International financial law (“IFL”) is an amorphous and ill-defined field. At first sight, IFL is thriving. Transnational lawyers have been essential drivers of rapid growth of global capital markets over the last several decades. They were innovators, drafting the legal documentation for Eurobonds, collateralized debt obligations and credit default swaps. They have advised on cross-border mergers, foreign investment and the purchases of securities abroad. In contrast, public international lawyers have, for the most part, been observers rather than active participants in important developments in international finance over this period, such as the formation of single currency areas, exchange rate pegs, the maintenance of international financial stability and the build-up of pronounced global imbalances through gradual shifts in creditor-debtor relationships”.
- De même, ont toujours échappé, pour une grande part, au droit international public les engagements financiers des Etats[1] que ceux-ci préfèrent abandonner à des contrats, à un droit étranger ou à un droit « transnational » créé sur mesure.
[1] Sur ce point, voir G. Burdeau, « La mondialisation et les Etats en faillite économique », in SFDI, L’Etat dans la mondialisation, Paris, Pedone, 2012, pp. 115-132, 122 : « Les engagements financiers des Etats ne sont qu’exceptionnellement régis par des instruments de droit international public. […] pour l’essentiel les engagements financiers des Etats sont régis par des contrats soumis selon les cas soit au droit national de l’Etat [Voir CPJI, affaires des emprunts], soit à un droit étranger. Ainsi, ces relations financières extérieures des Etats relèvent essentiellement du droit transnational, plus que du droit international public ».
D’une manière générale, le secteur financier n’a jamais fait l’objet d’un véritable encadrement de droit international au niveau universel et ne connaît pas d’organisation internationale dédiée pouvant commander aux Etats leurs politiques, chaque Etat agissant unilatéralement[1].
[1] Voir, entre autres, H. Ascensio, « Les activités internationales des banques : liberté ou contrôle ? », Journal du droit international, 1993, pp. 255-197, 267. ; P. Behrens, « L’établissement des règles du marché mondial : De l’ouverture des marchés territoriaux aux règles communes des marchés globalisés », Revue internationale de droit économique, 2003/3 t. XVII, p. 339-356. DOI : 10.3917/ride.173.0339, pp. 350-351.
- Certes, une certaine prise en main de ce secteur est à l’œuvre depuis la crise financière de 2007. C’est cependant essentiellement sur l’impulsion et la supervision du G-20 qui n’est pas une organisation internationale (voir infra). Ce qu’il produit n’est pas du droit international stricto sensu et la manière dont il procède sort des mécanismes ordinaires du droit international, faisant appel simultanément, pour la réorganisation de la finance internationale, à des organisations internationales comme le FMI ainsi qu’à des institutions étrangères, comme lui, au droit international comme le Forum de stabilité financière devenu Conseil de stabilité financière en 2009, ainsi qu’à des autorités de régulation étatiques, voire même à des opérateurs privés[1].
[1] Voir notamment J.-M. Thouvenin, « Les objectifs du « système monétaire et financier international » », in R. Chemain (dir.), La refondation du système monétaire et financier international. Evolutions réglementaires et institutionnelles, Paris, Pedone, coll. Cahiers internationaux, 2011, pp. 15-32.
- De leur côté, l’appel de l’Assemblée générale des Nations Unies à ériger cette organisation (qui n’a jamais joué de rôle véritable en la matière) en pivot de la nouvelle gouvernance[1] et ceux pour l’établissement d’un « Conseil de sécurité économique » n’ont pas été entendus[2].
[1] Voir notamment A/RES/63/303, 13 juillet 2009, Document final de la Conférence sur la crise financière et économique mondiale et son incidence sur le développement, § 2 : « Du fait de sa participation et de sa légitimité universelles l’Organisation des Nations Unies est bien placée pour prendre part à différentes réformes qui visent à améliorer le fonctionnement du système financier international et à le rendre plus efficace. La présente Conférence des Nations Unies […] met également en lumière l’importance du rôle de l’Organisation des Nations Unies vis-à-vis des questions économiques internationales » ; § 11 : « Nous nous engageons à travailler solidairement à une réponse mondiale coordonnée et détaillée à la crise et à prendre notamment à cet effet les mesures visant à […] Renforcer le rôle du système des Nations Unies face à la crise économique et à son impact sur le développement » ; § 16 : « Tout en reconnaissant la décision prise par le G-20, nous sommes résolus à renforcer le rôle de l’Organisation des Nations Unies et de ses Etats membres dans les affaires économiques et sociale, notamment son rôle de coordination ». Voir encore § 22-23 et 52.
[2] Voir notamment M. Forteau, « Faut-il un Conseil de sécurité économique sur le modèle onusien ? », in R. Chemain (dir.), La refondation du système monétaire et financier international. Evolutions réglementaires et institutionnelles, Paris, Pedone, coll. Cahiers internationaux, 2011, 358 p., 299-315.
- Bien sûr des tentatives de réglementation des activités financières et bancaires et de leurs opérateurs ont bien eu lieu et furent (sont encore) très nombreuses, mais dans un cadre qui n’est pas de droit international public entendu strictement. Règne en effet en la matière, principalement, la logique de la régulation[1] et de l’autorégulation où les limites à la liberté des banques et autres opérateurs financiers font l’objet de textes non contraignants, qui plus est édictés pour une large part par ces opérateurs ou les banques centrales. On songe notamment à la normalisation par l’IASB (International Accounting Standard Board) avec notamment la norme comptable internationale IAS 32 ; on songe également au Comité de Bâle en matière d’exigences en fonds propres ou encore au Comité européen des superviseurs bancaires et, on l’a dit, au G-20 et au Conseil de stabilité financière[2].
[1] Voir notamment H. Causse, « Réguler les excès de la finance. Art du droit et théorie politique de la régulation », in Chemain R. (dir.), La refondation du système monétaire et financier international. Evolutions réglementaires et institutionnelles, Paris, Pedone, coll. Cahiers internationaux, 2011, 358 p., 161 et s.
[2] « La crise financière majeure que nous avons connue a conduit à une intervention sans précédent et salutaire des Etats et des Banques Centrales. En corollaire, voire en réaction, a surgi la volonté de « re-réguler » ou mieux réguler les banques. Les orientations du G20 de Pittsburgh, en donnant ses orientations à l’IASB dans le domaine de la normalisation comptable, ou au Comité de Bale et au Forum de stabilité financière, en matière d’exigences en fonds propres ou d’équilibre des bilans, sont une parfaite illustration de cette nouvelle façon de réguler », J.-L. Bancel, « Mondialisation et régulation bancaire : enjeux et impacts pour les banques coopératives », in Chemain R. (dir.), La refondation du système monétaire et financier international. Evolutions réglementaires et institutionnelles, Paris, Pedone, coll. Cahiers internationaux, 2011, 358 p., 225-231, 225.
- Et encore cette « régulation » – car il ne s’agit pas véritablement d’une « réglementation » (voir infra) – est-elle très lacunaire. Tout le monde s’accorde pour dire que la crise financière de 2007 résulta de profondes lacunes et de très nombreux dysfonctionnements dans la réglementation juridique et la police d’un certain nombre d’opérateurs (notamment les hedge funds, les fonds souverains et les agences de notation, mais également les banques et assurances) tout comme elle révéla que les marchés bancaires, assurantiels et financiers (à l’instar des autres marchés) ne peuvent pas s’autoréguler. Or, on ne voit pas de progrès significatif depuis lors, qu’il s’agisse, entre autres, des questions de la responsabilité des fonds d’investissements et des banques, de la réglementation des fonds souverains, de celle des agences de notation et d’un grand nombre d’activités ni réglementées ni même régulées[1].
[1] De même, ainsi que remarqué par G. Burdeau[1], il semble que tant que la faillite d’un Etat ne menace pas d’autres Etats et que, se muant en une crise financière, elle n’affecte pas des créanciers étrangers ou ne risque pas de se propager, cette faillite, au sens où celui-ci ne parvient pas à assurer les « bases économiques de l’existence de sa population », n’intéresse pas le droit international public : cela « sera considéré comme relevant de la seule responsabilité de l’Etat concerné dans les autres cas. […] les pénuries, la pauvreté, l’absence de perspectives économiques sont considérés, quelles qu’en soient les causes, comme des situations relevant de la souveraineté des Etats si ceux-ci sont relativement développés et de l’aide au développement dans le cas des Etats du Tiers monde », G. Burdeau, « La mondialisation et les Etats en faillite économique », in SFDI, L’Etat dans la mondialisation, Paris, Pedone, 2012, pp. 115-132, 118 et s., spéc. 121. Voir également sur les CDS M. Audit, « Les Credit Default SWAPS comme miroir des dérives de l’endettement public », in Gherari H. (dir.), Les dérèglements économiques internationaux : Crise du droit ou droit des crises?, Paris, Pedone, 2014, 284 p., 81 et s.
- Certains engagements relèvent toutefois incontestablement du droit international public. Il s’agit notamment des accords de prêt entre les Etats et la BIRD qu’on s’accorde à qualifier de traités internationaux. Il s’agit également des accords de confirmation du FMI quand il accepte de vendre à un Etat sa monnaie ou des DTS ou lorsqu’il accorde des prêts, bien que les analyses divergent quant à la nature de ces actes. On peut citer également certains protocoles financiers interétatiques comme le règlement du différend relatif aux emprunts russes entre la France et la Russie, les derniers traités européens adoptés dans le cadre de la crise des dettes souveraines ou encore les dispositions des accords d’investissement relatives au transfert des capitaux des investisseurs étrangers.
1.2. Les entreprises transnationales
- Une très grande partie des échanges économiques se font au sein de sociétés transnationales ou multinationales et relèvent donc du droit produit par celles-ci, qui sont devenues de facto les autorités les plus importantes en la matière en contrôlant les chaînes de valeurs économiques. Le droit le plus pertinent est ainsi le droit interne de ces entreprises et le droit qu’elles produisent avec leurs partenaires contractuels.
- Du point de vue du droit international public, un regard rapide sur la situation de ces entreprises suggère une certaine particularité de celles-ci ; beaucoup de règles issues d’accords internationaux en matière d’investissement leur accordent des droits qu’elles peuvent opposer aux Etats, mais aucune ne semble leur imposer d’obligations.
- Si ce constat sera nuancé infra, il reste qu’il n’existe à l’heure actuelle aucun encadrement universel de l’activité spécifique des entreprises multinationales, le vieux projet de code de conduite des Nations Unies sur les sociétés transnationales n’ayant pas pu être adopté. Le travail le plus abouti dans ce domaine est sans doute l’ensemble de textes édicté par l’OCDE en 1976 et actualisé en juin 2011 qui se compose, d’une part, de la déclaration sur l’investissement international et les entreprises multinationales ; d’autre part, des principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales ; et enfin des textes intitulés traitement national et stimulants et obstacles à l’investissement international. Il ne s’agit cependant que de recommandations et qui ne jouent que dans les rapports entre Etats du Nord et non au niveau universel. Le Global Compact, certes universel et faisant participer d’autres « parties prenantes » que les Etats, n’est pas plus contraignant que les instruments précités est trop vague pour constituer une réglementation digne de ce nom.
- Certes, se construit péniblement une réglementation universelle des obligations et de la responsabilité de ces entreprises avec la négociation d’un traité en la matière. Cependant, les entreprises restent encore pour l’essentiel, en tant que sujets internes, soumises aux seuls droits étatiques. D’ailleurs les projets successifs du traité en cours de négociation ne sont pas rédigés sous la forme d’énoncés de prescriptions et proscriptions adressées directement aux entreprises transnationales, mais s’inscrivent dans la vieille logique du droit international public par laquelle les Etats s’engageraient à prendre des mesures internes afin de normer et contrôler les comportements de celles-ci.
- Au mieux trouve-t-on dans certains traités – généralement bilatéraux, parfois plurilatéraux – d’investissement des dernières générations quelques dispositions posant des obligations de comportement dans le chef des entreprises et prévoyant d’éventuelles mesures à la disposition des Etats d’accueil contre elles, jusqu’à un pouvoir de sanction toutefois exceptionnel (voir infra). La question des obligations des investisseurs, de leur responsabilité et du contrôle de leurs opérations commence en effet à être régie par des normes contraignantes sans qu’on puisse mesurer précisément aujourd’hui l’impact de ce changement[1].
[1] En ce sens, entre autres, CEDEAO/ECOWAS, Supplementary Act A/SA.3/12/08 Adopting Community Rules on Investment and the Modalities for their Implementation with ECOWAS, 19 December 2008, Article 4 (3): “This Supplementary Act does not create retroactive obligations or responsibilities for investors. However investors who are not in compliance with ongoing obligations and responsibilities shall seek to comply with them within twenty four months of the entry into force of this Supplementary Act”; Chapter III – Obligations and duties of Investors and investments, Article 11 – General Obligations: “(1) Investors and investments are subject to the laws and regulations of the host State. (2) Investors and investments must comply with the host State measures prescribing the formalities of establishing an investment, and accept host State jurisdiction with respect to the investment. (3) Investors shall strive through their management policies and practices, to contribute to the development objectives of the Host States and the local levels of government where the investment is located. (4) An investor shall provide such information to a potential host State Party to this Supplementary Act, as that Party may require, concerning the investment in question for purposes of decision-making in relation to that investment or solely for statistical purposes. The host State shall protect any confidential business information from any disclosure that would prejudice the competitive position of the investor or the investment. Nothing in this paragraph shall be construed to prevent any Member State of the Community from otherwise obtaining or disclosing information in connection with the equitable and good faith application of its domestic law”; Article 12 – Pre-establishment impact assessment: “(1) Investors and Investments shall conduct an environmental and social impact assessment of the potential investment. Investors or the investments shall comply with environmental assessment screening criteria and assessment processes applicable to their proposed investments prior to their establishment, as required by the laws of the host Member State for such an investment or the laws of the home State for such an investment. The investor shall comply with the minimum standards on environmental and socio-cultural impact assessment and screening that the Member States shall adopt at the first meeting of the Parties, to the extent that these are applicable to the investment in question. (2) Investors or the investments shall make the environmental and social impact assessments accessible in the local community and to affected interests in the host State where the investment is intended to be made prior to the completion of the host State measures prescribing the formalities for establishing such investment. (3) Investors, their investments and host State authorities shall apply the precautionary principle to their environmental and social impact assessment. The application of the precautionary principle by investors and investments shall be described in the environmental and social impact assessment they undertake”; Article 13 – Anti-Corruption: “(1) Investors and their investments shall prior to the establishment of an investment or afterwards, refrain from involving themselves in corrupt practices as defines in Article 30 of this Supplementary Act. (2) Investors and their investments shall not be complicit in any act described in Paragraph (1) of this article, including incitement, aiding and abetting, and conspiracy to commit or authorization of such acts. (3) The acts referred to Paragraph 1 and 2 shall be punishable in conformity with the provisions of Article 30 of this Supplementary Act”; Article 14 – Post-Establishment obligations: “(1) Investors or investments shall, in keeping with best practice requirements relating to their activities the size of their investments, strive to comply with hygiene, security, health and social welfare rules in force on the host country. (2) Investors shall uphold human rights in the workplace and the community in which they are located. Investors shall not undertake or cause to be undertaken, acts that breach such human rights. Investors shall not manage or operate the investment in a manner that circumvent human rights obligations, labour standards as well as regional environmental and social obligations, to which the host State and/or home State are Parties. (3) Investors shall not by complicity with, or in assistance with others, including public authorities, violate human rights in times of peace or during socio-political upheavals. (4) Investors and investments shall act in accordance with fundamental labour standards as stipulated in the ILO Declaration on Fundamental Principles and Rights of Work, 1998”; Article 15 – Corporate Governance and Practices: “In accordance with the size and nature of an investment, (1) Investments shall comply with and maintain national and internationally accepted standards of corporate governance for the sector involved, in particular for transparency and accounting practices. (2) Investors and relevant public authorities of the host State(s) shall make available to the public, any investment contract or agreement with the host State government(s), subject to the law governing the release of confidential business information. (3) Investors shall, where appropriate, establish and maintain with the local community, liaison processes in accordance with regionally accepted standards. (4) Where relevant regionally accepted standards of the type described in this Article are not available or have been developed without the participation of member countries, the community shall establish such standards”; Article 30 – Offences and Sanctions: “(1) Member States shall consider as criminal the following offences and investigate, prosecute and punish the said offences with appropriate sanctions. (a) the offering, solicitation or acceptance of an offer, promise or gift or any pecuniary or other nature, whether directly or through intermediaries, to any public official of the host State, for that official or for a third party, in order that the official or third party act or refrain from acting in relation to the performance of official duties to achieve any favour in relation to a proposed investment or any licenses, permits, contracts or other rights in relation to an investment; and (b) any acts constituting any of the acts described in Paragraph (A) including incitement, aiding and abetting, conspiracy to commit or authorization of such acts; shall be made criminal offences in the host Member State and subject to appropriate criminal enforcement and sanctions. (2) All home States shall ensure that any money or other forms of benefits encompassed in Paragraph (1) shall not be recoverable or deductible in any fiscal or tax policies. (3) Home States shall, when possible, provided all available information that might assist a dispute settlement tribunal under this Supplementary Act in determining whether there has been a breach of an anti-corruption obligation”. Voir également, de manière bien plus souple, Agreement between the Government of Hungary and the Government of the Republic of Cabo Verde for the Promotion and Reciprocal Protection of Investments March 2019, not in force: “Aiming to secure an overall balance of rights and obligations between investors and the host State”.
- Toutefois, le champ d’action des entreprises transnationales étant désormais mondial, l’encadrement et la sanction, essentiellement étatiques, se heurtent à la frontière encore réelle des territoires des Etats[1]. Or, le comportement des entreprises privées peut poser problème[2].
[1] « Les nations contrôlent la liberté des échanges sans pouvoir contrôler l’activité de ceux qui animent ces échanges », C. Ghrénassia, « La Charte et le territoire – libres propos au sujet de la responsabilité des entreprises transnationales dans la protection des droits fondamentaux », RLDA 2012/76, n° 4331, p. 66. Voir également « La globalisation constante et croissante de l’économie mondiale est liée étroitement au fonctionnement des entreprises multinationales. Pour la première fois dans l’histoire, l’économie mondiale est devenue un système unique, et non un conglomérat constitué de plusieurs systèmes partiels, ayant les uns avec les autres des relations incertaines et épisodiques. Cela résulte de plusieurs causes, dont les principales sont la libération des échanges et des investissements, opérée sous différentes formes depuis la seconde guerre mondiale, et l’évolution technologique intervenue dans plusieurs domaines. Les entreprises multinationales ont profité de cette évolution et elles y ont contribué. Elles jouent toujours à l’heure actuelle un rôle moteur dans le processus de globalisation, tandis que d’autres acteurs n’ont pu les suivre dans cette voie que d’une manière limitée. L’espace interne intégré des principales entreprises multinationales couvre aujourd’hui une grande partie de l’économie mondiale. L’importance des autres acteurs, en particulier des organisations syndicales, est restée dans une très large mesure cantonnée dans leurs frontières nationales. Quant aux gouvernements, leur capacité d’influencer les entreprises multinationales et d’établir des limites à leurs activités est de plus en plus limitée », A.A. Fatouros, « Les principes directeurs de l’O.C.D.E. à l’intention des entreprises multinationales : perspectives actuelles et possibilités futures », in Etudes de droit international en l’honneur de Pierre Lalive, Bâle, éditions Helbing & Lichtenhahn, 1993, 790 p., pp. 231-240, 238.
[2] Voir par exemple S/2001/331, 30 mars 2001, Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité sur la protection des civils dans les conflits armés, § 61 : « Etant donné que près de 96 % des entreprises privées produisent des biens et services civils, ce secteur se soucie de la consolidation de la paix et de la stabilité économique, et il est dans son intérêt de promouvoir la complémentarité des efforts humanitaires au lieu d’y faire obstacle. Toutefois, les entreprises ne s’efforcent pas toujours de jouer un rôle constructif ou d’être socialement responsables, comme en témoigne le rôle négatif joué par certaines sociétés étrangères dans l’industrie du diamant en Angola et en Sierra Leone. Les conséquences résultant de la poursuite d’intérêts économiques dans des zones de conflit font l’objet d’un examen de plus en plus critique. Certaines sociétés ont été accusées de complicité dans des cas de violation des droits de l’homme et les redevances d’exploitation ont continué d’alimenter les guerres. Il est maintenant de notoriété publique que la vente de diamants et d’autres minéraux précieux permet aux belligérants de se procurer des armes légères, prolongeant et intensifiant de ce fait les combats et les souffrances des populations civiles affectées. Il est essentiel à ce sujet que nous, à l’Organisation des Nations Unies, continuions de promouvoir la pratique des investissements responsables dans les zones de crise en renforçant et en développant les partenariats établis avec le secteur privé ».
- Si la production normative en matière d’obligations des entreprises est en réalité abondante dans l’ordre international, elle se manifeste essentiellement sous forme de soft law et ne s’est pas accompagnée de l’institution de mécanismes de responsabilité contraignants au niveau international[1]. C’est ici le règne des codes de bonne conduite auxquels les entreprises sont libres de souscrire et qui n’obéissent pas, en tout état de cause, à une logique de contrainte (voir infra). On peut songer notamment au champ de la responsabilité sociale des entreprises où il est proposé par des organisations internationales comme l’OCDE – et désormais l’ONU avec le Pacte mondial – aux entreprises d’adhérer à certains standards de comportement. Ce n’est guère que dans les ordres étatiques que cette responsabilité peut être mise en œuvre et ce encore de manière limitée tant les obstacles sont nombreux.
[1] Voir notamment J. Motte-Baumvol, « Le règlement des différends à l’intention des entreprises multinationales. Quelques réflexions à partir des principes directeurs de l’OCDE », Revue générale de droit international public, 2014/2, pp. 303-330, 305.
1.3. La fiscalité et les finances publiques
- De même, si les Etats ont conclu un très grand nombre de conventions bilatérales en matière fiscale, notamment des conventions en matière de double imposition souvent conclues en parallèle des traités bilatéraux d’investissement et obéissant à des modèles identifiables, il n’existe pas de réglementation universelle de la question ou même de certains éléments de celle-ci hormis, de manière éparse, au sein de l’OMC. On songe notamment à l’obligation de consolider – et l’invitation à diminuer – les barrières tarifaires aux échanges dans le cadre du GATT puis de l’OMC. On songe également à la réglementation des subventions et droits compensateurs ainsi qu’aux droits anti-dumping et de défense commerciale. Il ne s’agit toutefois en aucun cas de réglementer les politiques fiscales et budgétaires des Etats.
- Au mieux, le droit produit, autre que étatique, est du droit « mou » produit essentiellement par l’OCDE avec ses recommandations, projets et modèles de conventions[1], le GAFI, l’ONU et le FMI (voir également, au niveau africain, le Forum sur l’administration fiscale africaine), le G-20 s’étant également intéressé à la question (consensus de Séoul de 2010, Rapport du groupe de travail chargé du développement de 2011, notamment), laquelle est souvent traitée en lien avec le financement du développement[2] ou avec la question de la dette. La matière est très fortement gouvernée par une logique de modèles de lois ou conventions qui, très souvent repris dans les droits étatiques, se transforment en règles de droit « dur ». On notera toutefois quelques traités internationaux à portée universelle en la matière, tels que la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale du 25 janvier 1988 (amendée par le Protocole du 27 mai 2010) et la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, adoptée en novembre 2016 et entrée en vigueur le premier juillet 2018.
[1] voir notamment, récemment l’initiative BEPS (Basic erosion and profit shifting). D’une manière générale : H. Ascensio & C. Folsché, « L’OCDE et la coopération fiscale internationale », in SFDI, Le pouvoir normatif de l’OCDE, Paris, Pedone, 2014, pp. 79-96.
[2] Voir ainsi, entre autres, le Consensus de Monterrey de 2002.
- Le droit international des investissements n’est pas pour sa part à même d’offrir un cadre juridique aux questions de fiscalité. D’une part, il ne fait pas l’objet d’un traité à vocation universelle, mais au mieux de traités bi ou plurilatéraux et de contrats. D’autre part, il n’a pas vocation à embrasser la matière dans toutes ses dimensions. Au mieux trouvera-t-on quelques allusions aux questions de fiscalité dans certaines sentences arbitrales à l’occasion de contestations de mesures fiscales sur le fondement d’accords d’investissement au titre du traitement juste et équitable ou des règles applicables aux expropriations[1].
[1] Voir ainsi l’affirmation selon laquelle, sauf clause de stabilisation fiscale dans le contrat, le traité applicable ou la loi en vigueur, le traitement juste et équitable n’interdit pas à l’Etat de changer dans une certaine mesure sa réglementation fiscale : ICSID, 31 August 2018, Unión Fenosa Gas, S.A. v. Arab Republic of Egypt, ICSID Case No. ARB/14/4: « 9.151. The revocation of Free Zone licences did not target SEGAS. Such revocation was applied generally to licence holders, following a budgetary decision by the Respondent to increase national wages. SEGAS had no agreement with the Respondent or its agencies for stabilisation of the tax regime. There was no guarantee, under Egyptian law or the Treaty, that the tax regime in the zone would remain forever unchanged during the 25-year term of the SPA”; “As decided by the ICSID tribunal in El Paso v. Argentina (2011) (Tribunal CIRDI, 31 October 2011, El Paso Energy International Company v. Argentine Republic, ARB/03/15, Award, Paragraph 350)’ “Such a standard of behaviour, if strictly applied, is not realistic, nor is it the [Treaty]’s purpose that States guarantee that the economic and legal conditions in which investments take place will remain unaltered ad infinitum.” The UNCITRAL tribunal in Encana Corp. v. Ecuador (2006) came to a similar conclusion: “In the absence of a specific commitment from the host State, the foreign investor has neither the right nor any legitimate expectation that the tax regime will not change, perhaps to its disadvantage, during the period of the investment” (EnCana Corporation v. Republic of Ecuador, LCIA Case n° UN3481, UNCITRAL, Final Award, 3 February 2006)”; “9.153. In the Tribunal’s view, the revocation of SEGAS’ licence was not discriminatory or otherwise a breach of the FET standard in Article 4(1) of the Treaty or of Articles 3(1), 4(2) or 4(5) of the Treaty. The Respondent’s undertaking in regard to the SPA by the Ministry’s letter of 5 August 2015 to the Claimant did not extend to SEGAS’s tax status. That status, subsequently acquired by a licence was independent from the supply of gas to the Damietta Plant under the SPA. In short, there was no “legitimate expectation” by the Respondent, still less SEGAS, that SEGAS’s tax status would not be changed”.
- La fiscalité est en somme, avec le secteur financier, un des domaines de prédilection du choix fait de la « régulation » faisant notamment participer les entités privées[1], au détriment de la réglementation internationale pure et dure.
[1] Voir ainsi l’ITIE (Initiative pour la transparence des industries extractives) et les multiples ONG qui se sont saisies de la question.
1.4. La concurrence
- Là encore, si les droits étatiques sont nombreux à traiter la question, le droit international public, hors droit de l’Union européenne et les traités que celle-ci conclut avec les Etats tiers, est très largement absent[1]. Certes, plusieurs propositions ont été avancées et travaux produits en faveur d’un droit international de la concurrence – qui régirait en particulier les ententes entre entreprises, les abus de position dominante et les concentrations – voire d’une autorité internationale de la concurrence. La matière relève cependant essentiellement du champ de la coopération – généralement non obligatoire – entre les autorités de concurrence et d’instruments – qui ne sont pas de droit international strict – d’instances comme la CNUCED, l’OCDE ou l’InternationalCompetition Network, réseau informel fondé en 2001 par 15 autorités de la concurrence et composé désormais de 177 autorités qui n’a pas pour vocation de produire du droit, mais de faire des recommandations, d’élaborer des standards et projets et d’établir les « meilleures pratiques » que les autorités de concurrence peuvent décider de mettre en œuvre.
[1] Voir toutefois Morocco/USA Free Trade Agreement, signed on June 15, 2004, entered into force on January 1, 2006 suspendant Treaty Between the United States of America and the Kingdom of Morocco Concerning the Encouragement and Reciprocal Protection of Investments, with Protocol, signed at Washington on July 22, 1985, art. 2.10; Free Trade Agreement between the EFTA States and the SACU States, 2006, art. 15 – Competition: “1. The Parties recognise that certain business practices, such as anti-competitive agreements or concerted practices and abuses of dominant positions, may restrict trade between the Parties and thereby hinder the fulfilment of the objectives of this Agreement. 2. A Party which considers that the operation of this Agreement is adversely affected by a practice referred to in paragraph 1 may request the Party or Parties in whose territory such practice originates to co-operate with a view to putting an end to the practice concerned or its adverse effects. Co-operation shall include, to the extent permitted by domestic law, the exchange of information that is available to the Parties in relation to the matter in question. 3. In the event that co-operation between the Parties directly involved according to paragraph 2 does not lead to a solution, the affected Party may request consultations in the Joint Committee with a view to reaching a mutually satisfactory solution.
- Si cette question entretient de nombreux liens avec le droit international des échanges et le droit international des investissements, ces deux branches du droit international public ne l’appréhendent que de manière très parcellaire et en se focalisant non sur le comportement des opérateurs privés (hormis la question du dumping dans le cadre de l’OMC), mais sur celui des Etats au titre, par exemple, du traitement de la nation la plus favorisée, du traitement national, des subventions, des aides d’Etat, ou encore des mesures d’investissement liées au commerce.
- Les tentatives initiées au sein de l’OMC d’intégrer les questions de concurrence ont en effet échoué, certains points seulement étant abordés[1]. La Conférence de Singapour ne rompit pas avec cette logique parcellaire[2]. En effet, elle institua, § 20, un groupe de travail avec pour mandat « d’étudier les questions soulevées par les Membres au sujet de l’interaction du commerce et de la politique en matière de concurrence, y compris les pratiques anticoncurrentielles, afin de déterminer les domaines qui pourraient être examinés plus avant dans le cadre de l’OMC ». Il ne s’agissait donc pas d’un programme de travail portant sur l’ensemble du droit de la concurrence. La Conférence de Doha disposa quant à elle que les membres engageront des négociations sur la politique de concurrence après la 5e session de la Conférence, mais sous réserve d’un accord sur les modalités de négociations. En attendant, le groupe de travail devait se concentrer sur « la clarification de ce qui suit : principes fondamentaux, y compris transparence, non-discrimination et équité au plan de la procédure, et dispositions relatives aux ententes injustifiables ; modalités d’une coopération volontaire ; et soutien en faveur du renforcement progressif des institutions chargées de la concurrence dans les pays en développement au moyen du renforcement des capacités. Il sera pleinement tenu compte des besoins des pays en développement et pays les moins avancés participants et une flexibilité appropriée sera prévue pour y répondre[3]. Toutefois, les Etats ne parvinrent pas à un consensus et les négociations furent abandonnées en 2004[4].
[1] voir, selon le recensement de T. Flory, les art. III et XVII du GATT ; la réduction des soutiens dans l’Accord sur agriculture ; l’ATV ; l’Accord antidumping ; l’Accord SMC ; l’Accord sur les sauvegardes ; les art. VIII (relatif aux fournisseurs monopolistiques de services) et IX (relatif aux autres pratiques commerciales qui peuvent limiter la concurrence) de l’AGCS ; l’art. 8.2 et la section 8 (« Contrôle des pratiques anticoncurrentielles dans les licences contractuelles ») composée d’un art. unique ; l’art. 40 de l’Accord ADPIC ; les art. 4.2, 4.3 et 6.1 de l’Accord sur le commerce des aéronefs civils ; ainsi que l’AMP (T. Flory, L’organisation mondiale du commerce. Droit institutionnel et substantiel, Bruxelles, Bruylant, 1999, 241 p., 503.
[2] WTO, Singapore Ministerial Declaration, 13 décembre 1996, WT/MIN.(96).
[3] Déclaration ministérielle adoptée le 14 novembre 2001, WT/MIN(01)/DEC/1, 20 novembre 2001, § 25 concernant programme de travail relatif à l’interaction du commerce et de la politique de la concurrence.
[4] Sur cet échec et les raisons de l’impossibilité d’obtenir un accord universel en matière de concurrence, voir notamment L. Idot, « Mondialisation, liberté et régulation de la concurrence », numéro spécial de la Revue internationale de droit économique (2002/2-3) consacré au thème « Mondialisation et droit économique », pp. 175-205 ; G. Farjat, « Propos critiques et utopiques sur l’évolution du droit économique et de la mondialisation », R.I.D.E. 2003/3, t. XVII, pp. 511-531, 521. ; Yi S. Tang & Leonardo P. Barbosa, “Challenges and perspectives for an international antitrust law”, European competition law review, Vol. 39, No. 8, 2018, pp. 360-365.
- Le droit de la concurrence est également appréhendé de manière très parcellaire par le droit des investissements[1].
[1] Voir notamment le European Yearbook of International Economic Law, Special Issue: International investment law and competition law, 2020.
- En somme, alors que les questions de concurrence sont d’ordre planétaire en raison de la taille sans cesse plus grande des sociétés transnationales qui développent leurs activités dans de très nombreux Etats, les seules réglementations de droit dur restent étatiques (hors cas de l’Union européenne voire d’autres organisations régionales)[1]. Ce fait qui pourrait passer pour une incongruité obéit en réalité à la conception néo-classique de l’économie qui repose sur la croyance en l’auto-régulation des marchés qui corrigent eux-mêmes leurs éventuelles défaillances et ne voient pas nécessairement dans le monopole un problème[2].
[1] P. Behrens, « L’établissement des règles du marché mondial : De l’ouverture des marchés territoriaux aux règles communes des marchés globalisés », Revue internationale de droit économique, 2003/3 t. XVII, p. 339-356. DOI : 10.3917/ride.173.0339, p. 347.
[2] Voir notamment B. Frydman, « Rapport de synthèse : La fragilisation de l’ordre public économique et le contrôle des acteurs privés dans un environnement globalisé », Revue internationale de droit économique, 2019/1, t. XXXIII, pp. 123-130, 125.
2. L’abandon commun par les Etats d’une réglementation existante. Le cas du secteur monétaire
- Nous sommes ici dans une autre hypothèse : du droit international public a bien été produit, même si de manière incomplète, mais a ensuite été abandonné par ses auteurs. Le meilleur exemple est sans doute celui de l’organisation des politiques monétaires.
- Dans une situation où le droit conventionnel était très peu développé et où le droit coutumier reconnaissait une très grande liberté aux Etats en matière monétaire, l’adoption des accords de Bretton-Woods et la création du Fonds monétaire international furent des événements majeurs. Elles constituèrent une tentative d’encadrement conventionnel et institutionnel universel des compétences monétaires des Etats. Cependant, cet encadrement par l’édiction d’un code de bonne conduite relatif aux paiements internationaux ainsi qu’aux pratiques de change des Etats dont le Fonds devait être le garant a été abandonné par les Etats à la suite des Etats-Unis à la fin des années 1970.
- D’un point de vue juridique, la rupture date du 1er avril 1978, lors de l’entrée en vigueur du 2e amendement aux Statuts du Fonds qui légalisa un régime de taux de change flottants. Or, la disparition de l’obligation des Etats de maintenir la parité de leur monnaie devait rompre l’équilibre du code et détruire sa logique initiale. Celui-ci régissait en effet à titre principal un régime de parité des monnaies (article IV des Statuts du FMI) et une obligation de convertibilité de celles-ci (article VIII), l’ensemble étant arrimé à l’or comme étalon de mesure. Le premier et le dernier éléments ayant disparu presque entièrement avec la consécration du système de changes flottants, seule l’obligation de convertibilité monétaire a survécu sans modification.
- Le FMI ne mène d’ailleurs plus vraiment de politique globale, mais essentiellement au cas par cas, au titre de sa fonction de surveillance ou à l’occasion des demandes d’aide qui lui sont faites, grâce à la technique de la conditionnalité.
- Il en résulte qu’une grande partie des questions monétaires échappe aujourd’hui à une réglementation universelle de droit international public, laissant le champ à des systèmes régionaux et étatiques mais surtout privés[1]. Et si le FMI semble aujourd’hui retrouver un rôle plus important, notamment en s’intéressant au secteur financier, cela est essentiellement dû, on l’a dit, au G-20, institution extérieure au droit international économique classiquement entendu.
[1] Voir notamment P. Behrens, « L’établissement des règles du marché mondial : De l’ouverture des marchés territoriaux aux règles communes des marchés globalisés », Revue internationale de droit économique, 2003/3 t. XVII, p. 339-356. DOI : 10.3917/ride.173.0339, pp. 350-351 ; J.-M. Sorel, « Système ou non-système monétaire international ? Du système à la tectonique des plaques en passant par la dérive des continents », in Gherari H. (dir.), Les dérèglements économiques internationaux : Crise du droit ou droit des crises?, Paris, Pedone, 2014, 284 p., 43-59.
- Certes le GATT s’intéresse aux questions monétaires, mais de manière très parcellaire (art. XII, XV et XVIII), comme l’AGCS (art. X et XII). La déclaration de Marrakech sur la contribution de l’OMC à une plus grande cohérence dans l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial ne permit pas d’avancée. Il y était indiqué que des questions peuvent être autant monétaires que commerciales et qu’en raison de ce lien il faut que l’Organisation noue des relations de coopération étroites avec le FMI et la Banque mondiale[1]. Cette coopération, cependant, aux termes de la déclaration sur la relation de l’Organisation mondiale du commerce avec le Fonds monétaire international, devait être fondée sur les dispositions qui régissaient les relations entre les Parties Contractantes du GATT de 1947 avec le FMI qui n’étaient pourtant pas idéales[2]. La question n’a même pas pu faire l’objet d’un texte à l’issue de la Conférence de Singapour de 1996 où aucun accord n’a même été obtenu pour la simple création d’un groupe de travail sur les liens entre la libéralisation du commerce et le système monétaire international[3], la Déclaration de Hong Kong de 2005 étant vide de contenu.
[1] Déclaration sur la contribution de l’OMC à une plus grande cohérence dans l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial : « 4. Les Ministres reconnaissent, par ailleurs, que des problèmes qui ont leur origine dans d’autres domaines que le commerce ne peuvent pas être résolus par des mesures prises seulement dans le domaine du commerce. Cela souligne qu’il importe de s’efforcer d’améliorer d’autres éléments de l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial pour compléter la mise en œuvre effective des résultats obtenus dans le cycle d’Uruguay. 5. Etant donné les liens qui existent entre les différents aspects de la politique économique, il est nécessaire que les institutions internationales compétentes dans chacun de ces domaines suivent des politiques cohérentes qui se renforcent mutuellement. En conséquence, l’organisation mondiale du commerce devrait poursuivre et développer sa coopération avec les organisations internationales compétentes dans les domaines monétaire et financier, tout en respectant le mandat, les prescriptions en matière de confidentialité et l’autonomie nécessaire des procédures de prise de décisions de chaque institution, en évitant d’imposer aux gouvernements une conditionnalité croisée ou des conditions additionnelles. Les Ministres invitent le Directeur général de l’OMC à examiner, avec le directeur général du Fonds monétaire international et le Président de la Banque mondiale, les implications des compétences de l’OMC pour la coopération de celle-ci avec les institutions de Bretton-Woods, ainsi que les formes que cette coopération pourrait revêtir, en vue d’arriver à une plus grande cohérence dans l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial ».
[2] Déclaration sur la relation de l’Organisation mondiale du commerce avec le Fonds monétaire international : « Les Ministres, Prenant acte de la relation étroite entre les Parties Contractantes du GATT de 1947 et le FMI, et des dispositions du GATT de 1947 régissant cette relation, en particulier l’article XV du GATT de 1947, […], réaffirment que, sauf disposition contraire de l’Acte final, la relation de l’OMC avec le FMI, pour ce qui est des domaines couverts par les Accords commerciaux multilatéraux figurant à l’Annexe 1A de l’Accord sur l’OMC, sera fondée sur les dispositions qui ont régi la relation des Parties Contractantes du GATT de 1947 avec le FMI ».
[3] T. Flory, L’organisation mondiale du commerce. Droit institutionnel et substantiel, Bruxelles, Bruylant, 1999, 241 p., § 502.
3. La remise en cause d’une réglementation existante. Le cas du domaine des échanges
- S’il n’est pas (encore ?) exact de parler d’abandon par les Etats du droit international public en général ni tout à fait exact de parler d’un abandon de la réglementation universelle des échanges posée d’abord par le GATT puis par l’OMC, il convient toutefois de noter un fort recul de l’emprise de ce droit[1]. Ce recul se manifeste notamment par l’échec du cycle de négociations de Doha, le développement parallèle fulgurant des accords commerciaux régionaux ainsi que par la paralysie de l’organe d’appel de l’ORD, ce dont il résulte que le mécanisme multilatéral est presque complètement grippé au profit d’accords régionaux dont on sait assez mal comment ils fonctionnent au quotidien.
[1] Voir notamment J. Wouters, A. Raina, V. Hegde, “The Future of Global Economic Governance: The European Union, the World Trade Organization and the Crisis of Multilateralism”, Working Paper / Leuven Centre for Global Governance Studies No. 219, online resource, February 2020, 33 p.
3.1. L’échec du cycle de négociation de Doha
- Il fallut attendre 2001, à l’occasion de la 4e conférence ministérielle de l’OMC tenue à Doha au Qatar, pour que les Etats membres de l’OMC initient un nouveau cycle de négociations multilatérales appelé « cycle du développement » qui devait couvrir de très nombreux domaines comme l’agriculture, les services, l’accès aux marchés étatiques pour les produits non agricoles, les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, les liens entre commerce et investissement, l’interaction du commerce et de la politique de la concurrence, la transparence des marchés publics, la facilitation des échanges, le commerce et l’environnement, le commerce électronique, les petites économies, les relations entre commerce, dette et finances, le commerce et les transferts de technologie, la coopération technique et le renforcement des capacités, outre l’approfondissement des règles traditionnelles.
- Ce cycle n’est toujours pas conclu malgré l’abandon d’un certain nombre des thèmes qu’il était censé couvrir, faute d’accord envisageable entre les membres. Au mieux les négociations menées au sein de l’OMC ont-elles conduit à l’adoption de certains accords couvrant une très faible partie du programme initial[1].
[1] H. Gherari, « L’avenir du cycle de Doha ? », in Droit international et développement, colloque de la SFDI, Paris, Pedone, 2015, pp. 441-458, 448.
3.2. Le développement des accords commerciaux régionaux
- Le phénomène d’adoption d’accords bilatéraux ou régionaux en parallèle d’accords multilatéraux n’est pas nouveau et existait sous le GATT de 1947. En effet, l’avènement du multilatéralisme avec le GATT de 1947 n’a pas remplacé ce premier type de réglementation internationale des échanges, le GATT reconnaissant lui-même que ce genre d’accord, pourvu qu’il constituât une Union douanière ou une zone de libre-échange, pouvait être bénéfique pour la libéralisation des échanges. De même avait-il admis des accords intrinsèquement incompatibles avec ses règles de base au titre des traitements préférentiels[1].
[1] Pour un aperçu général, J. Matringe, Le droit international des échanges entre unité et pluralité, Paris, Pedone, coll. Cours et travaux de l’Institut des Hautes Etudes Internationales, 2009, 122 p.
- Toutefois, en créant l’OMC et en réaction aux guerres commerciales qui avaient marqué les années 1980, les Etats, même s’ils ont maintenu la tolérance à l’égard des unions douanières et zones de libre-échange (art. XXIV du GATT et art. V de l’AGCS), ont voulu faire de celle-ci l’enceinte unique des futures négociations commerciales dans le dessein de promouvoir une approche multilatérale de la réglementation des échanges.
- Or le processus de régionalisation et bilatéralisation – et avec lui de libéralisation croissante des opérations économiques – s’est accéléré depuis quelques années sous la forme d’accords qui ne correspondent pas à ceux prévus par l’article XXIV du GATT ni aux accords préférentiels (et donc s’y surajoutent), mais obéissent au principe de réciprocité, fruit et cause tout à la fois d’un désenchantement à l’égard du cadre de l’OMC qui peut s’appuyer sur des raisons différentes selon les Etats[1]. Pour les grandes puissances économiques, qui sont les premières promotrices de ces accords, c’est un moyen de contourner le fait qu’elles ne peuvent pas imposer leur volonté aux autres dans le cadre de l’OMC en raison de la règle d’adoption des accords par consensus et de celle de l’engagement unique. Elles obtiennent plus facilement dans ces accords restreints des concessions de la part d’Etats plus faibles, non seulement dans le champ de l’OMC mais également dans d’autres domaines exclus avec le temps de l’agenda du cycle de Doha dans le cadre d’accords appelés « OMC+ »[2].
[1] Voir notamment James T. Gathii, “The Neo-Liberal Turn in Regional Trade Agreements”, Washington University Law Review, Vol. 96, 2011, pp. 421-474, sp. 439 et s.
[2] H. Gherari, « L’avenir du cycle de Doha ? », in Droit international et développement, colloque de la SFDI, Paris, Pedone, 2015, pp. 441-458, 447. Voir également J. Harrison, « The Labour Rights Agenda in Free Trade Agreements”, Journal of World Investment & Trade, Vol. 20, 2019, pp. 705-725, 708 ss.
3.3. La paralysie de l’Organe d’appel de l’ORD
- L’OMC constituait une rupture avec le GATT sous deux aspects fondamentaux ; elle devait, on vient de le dire, constituer l’enceinte des négociations multilatérales dans un vaste domaine d’opérations économiques liées aux échanges internationaux et proposait un mécanisme de règlement des différends contraignant et presque exclusif.
- Pendant que le pilier « négociations » était très affaibli, l’OMC gardait une emprise certaine sur les échanges internationaux grâce au succès de son pilier « contentieux ». Or, celui-ci est aujourd’hui paralysé par l’absence d’accord entre les membres de l’organisation pour pourvoir les postes vacants de l’Organe d’appel, certains Etats membres de l’organisation – au premier chef desquels les Etats-Unis d’Amérique -, ainsi qu’une partie de la doctrine, critiquant les libertés que l’Organe d’appel aurait prises dans l’exercice de son office et les Etats n’arrivant pas à s’entendre sur ce en quoi devrait consister un tel exercice[1].
[1] Pour une présentation, voir, entre autres, A. Hamann, “Living without the WTO Appellate Body: Procedural Developments in International Trade Dispute Settlement”, in The Law & practice of international courts & tribunals, Vol. 20, No. 1, 2021, pp. 166-190. Pour une critique du blocage des nominations par les Etats-Unis d’Amérique, E.-U. Petersmann, WTO ADJUDICATION@me.too : Are Global Public Goods like the World Trade Organization Owned by Governments or by Peoples and Citizens?”, Journal of East Asia and international law ,Vol. 13, No. 1, 2020, pp. 21-52.
- Le risque est donc grand qu’on revienne aux guerres commerciales qui avaient miné le système initial du GATT et contre lesquelles, précisément, le mécanisme de l’ORD avait été créé.