3 Techniques de garantie du droit international humanitaire et du droit international pénal – Aperçu

Pour citer: J. Matringe, « Techniques de garantie du droit international humanitaire et du droit international pénal – Aperçu », https://droitsafricainsonline.com/themes/droit-international-penal-et-humanitaire/2-techniques-de-garantie-des-droits-apercu/, mis à jour le 16/02/2023

  1. Le développement des énoncés proclamant les droits de l’homme s’est accompagné de celui de nombreux mécanismes internationaux de mise en œuvre contre les Etats. Beaucoup de traités de protection des droits de l’homme ont en effet établi un organe international chargé de contrôler leur respect par les Etats parties. Certains prévoient même la faculté pour les personnes victimes de violations de leurs dispositions de saisir cet organe de leurs plaintes de violations. On pense bien sûr aux cours régionales et aux comités attachés aux traités onusiens.
  2. Le développement du droit humanitaire n’a pas obéi à un tel schéma, ne connaissant pas de véritable mécanisme international de garantie avec pouvoir de décision, hormis l’intervention possible du Conseil de sécurité de l’ONU dont le rôle n’est cependant pas tant de contrôler le respect des engagements internationaux des Etats que d’assurer la paix et la sécurité internationales. La garantie du respect du droit international humanitaire est encore essentiellement mise en oeuvre par des techniques qui échappent à la logique de la responsabilité. Face à l’insuffisance de ces mécanismes, deux logiques de responsabilité ont été développées : d’une part, dans le cadre — rarement utilisé — du contentieux interétatique classique ; d’autre part, dans le cadre de juridictions pénales, toutes cependant compétentes seulement pour les violations les plus graves du droit international humanitaire commises seulement par des individus et non par d’autres entités corporatives. Les avancées les plus importantes en la matière ne vinrent donc pas des droits de Genève et de La Haye, c’est-à-dire du droit international humanitaire lui-même, mais du droit international général et de l’ONU avec le développement de la justice pénale internationale[1]. On change cependant dans ce dernier cas de paradigme : ce ne sont plus les Parties au conflit qui sont visées, mais des individus.

[1] Sur ces points, L. Condorelli, « Conclusions », in J.-F. Flauss, Les nouvelles frontières du droit international humanitaire, Bruxelles, Bruylant, Editions Nemesis, Coll. Droit et justice, vol. 52, 2003, 218 p., 177-188, 185.

1. Les mécanismes de garantie échappant à la logique de responsabilité

1.1. Le contrôle par un tiers

1.2. Les mécanismes d’enquête et d’établissement des faits

1.3. Protection et assistance humanitaire

1.4. Les interventions de l’ONU

1.5. La « responsabilité de protéger »

2. Responsabilité étatique v. responsabilité individuelle

2.1. La responsabilité classique de l’Etat

2.2. L’avènement de la responsabilité individuelle

2.2.1. L’individu sujet du droit international humanitaire et auteur possible de crimes internationaux

2.2.2. Indifférence de sa qualité officielle

2.3. Rapports entre responsabilité individuelle et responsabilité étatique

3. Logique de la réparation v. logique de la punition

3.1. La dichotomie

3.1.1. Caractère réparatoire de la responsabilité de l’Etat

3.1.2. Caractère punitif de la responsabilité de l’individu

3.2. Amenuisement des différences

3.2.1. L’entremêlement des contentieux de la réparation et de la punition

3.2.2. La double dimension réparatrice et punitive du droit international humanitaire et du droit international pénal

3.2.2.1. La « pénalisation » du droit international humanitaire

3.2.2.2. La « civilisation » du droit international pénal

1. Les mécanismes de garantie échappant à la logique de responsabilité

  1. Les premiers traités de droit international humanitaire ne contenaient pas de dispositions relatives à leur mise en œuvre dans l’ordre international. Celle-ci relevait en conséquence essentiellement du droit commun des traités et de la responsabilité des Etats. Les Conventions de Genève de 1949 et les protocoles de 1977 ne prévoient pas non plus de mécanisme efficace de mise en œuvre du droit international humanitaire et n’apportent donc pas d’évolution notable.
  2. Plus précisément, les Etats ont traditionnellement rechigné à mettre en place des mécanismes contraignants de mise en œuvre d’une responsabilité des Etats pour violation du droit international humanitaire, cette question se résolvant souvent de manière ad hoc dans les traités de paix. Les traités de droit international humanitaire énoncent ainsi rarement que les victimes ont un droit de demander réparation contre les Etats parties même quand ils énoncent l’obligation de ces derniers de réparer les dommages causés par les violations qu’ils ont commises. Et quand ils le font, ce ne semble pas être de manière générale, mais dans des hypothèses limitées[1].

[1] Voir toutefois, dans le monde de la soft law, A/RES/60/147, 16 décembre 2005, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, principe 15 : « […]. Conformément à sa législation interne et à ses obligations juridiques internationales, l’Etat assure aux victimes la réparation des actes ou omissions qui peuvent lui être imputés et qui constituent des violations flagrantes du droit international des droits de l’homme ou des violations graves du droit international humanitaire. Dans les cas où la responsabilité de la réparation incombe à une personne physique, à une personne morale ou à une autre entité, la personne ou l’entité devrait assurer réparation à la victime ou indemniser l’Etat lorsque celui-ci a déjà assuré réparation à la victime ».

  1. D’une manière générale, le droit international humanitaire manque de mécanismes de mise en œuvre et de contrôle pérennes et réellement contraignants et repose sur quelques techniques rudimentaires qui relèvent essentiellement d’une logique d’assistance humanitaire — par les Puissances protectrices, le CICR, l’ONU et les ONG — et d’enquête — par l’ONU, le CICR, les ONG, les Etats eux-mêmes et, en principe, la Commission internationale d’établissement des faits —.

1.1. Le contrôle par un tiers

  1. Les conventions de Genève (articles 8 des Conventions I, II et III ; article 9 de la Convention IV) prévoient qu’elles seront appliquées avec le concours d’Etats tiers aux conflits — appelés Puissances protectrices — qui sont chargées de « sauvegarder les intérêts des parties au conflit » et de contrôler le respect des quatre Conventions. Cependant, les délégués de ces puissances doivent être soumis à l’agrément de la puissance auprès de laquelle ils exercent leur mission. On préserve donc le principe de non-ingérence et de non-intervention au profit des puissances au conflit, sans aller plus loin que la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 27 juillet 1929 qui prévoyait déjà le régime des Puissances protectrices (art. 85), lesquelles pouvaient prêter leurs bons offices pour régler les différends susceptibles de survenir entre les belligérants sur l’application de la Convention (art. 87).
  2. Il est encore prévu (art. 10 des Conventions I, II et III ; art. 11 de la Convention IV) des substituts des puissances protectrices. En effet, et sans entrer dans les détails, disons que les Hautes parties contractantes peuvent en tout temps s’entendre pour confier à un organisme présentant toutes garanties d’impartialité et d’efficacité les tâches dévolues aux puissances protectrices et, à défaut d’une puissance protectrice ou d’un tel organisme, recourir à un Etat neutre.
  3. Ce système est conservé par le Protocole I de 1977 (art. 5).
  4. Cependant, aucun de ces mécanismes, qui reposent on le voit sur une logique purement interétatique, ne fonctionne véritablement dans la pratique. En effet, ces puissances protectrices, comme le CICR, ne peuvent intervenir dans un conflit armé que sur consentement des parties au conflit, même si, dans certaines hypothèses, une partie au conflit doit accepter les « offres de services » d’un organisme de substitution comme le CICR qui doit rester conscient de sa responsabilité envers la partie au conflit dont relèvent les personnes protégées. On notera seulement un rôle plus important et intrusif dans le cadre des des Conventions III et IV sur les prisonniers de guerre.
  5. Ne peut donc éventuellement jouer qu’un contrôle postérieur aux actions armées. Il s’agit notamment d’enquêtes qui doivent permettre d’établir les violations du droit humanitaire sur demande d’une partie au conflit.

1.2. Les mécanismes d’enquête et d’établissement des faits

Des mécanismes d’enquête sont prévus par plusieurs traités relevant du droit international humanitaire.

  1. Il en est ainsi notamment des Conventions I, III et IV de Genève de 1949[1]. Toutefois, la mise en place d’une enquête sur toute violation alléguée des Conventions doit nécessiter la demande d’une des parties et l’enquête est ouverte selon un mode à fixer entre les parties intéressées. A défaut, d’un tel accord, les parties doivent s’entendre pour choisir un arbitre qui décidera de la procédure à suivre. On le voit, nécessitant un accord des parties, ce mécanisme est, lui également, non contraignant.

[1] Ainsi, selon l’article 52 de la Convention I : « A la demande d’une Partie au conflit, une enquête devra être ouverte, selon le mode à fixer entre les Parties intéressées, au sujet de toute violation alléguée de la Convention. / Si un accord sur la procédure d’enquête n’est pas réalisé, les Parties s’entendront pour choisir un arbitre, qui décidera de la procédure à suivre. / Une fois la violation constatée, les Parties au conflit y mettront fin et la réprimeront le plus rapidement possible » ; selon l’article 53 de la Convention II et l’article 132 de la Convention III : « A la demande d’une Partie au conflit, une enquête devra être ouverte, selon le mode à fixer entre les Parties intéressées, au sujet de toute violation alléguée de la Convention. / Si un accord sur la procédure d’enquête n’est pas réalisé, les Parties s’entendront pour choisir un arbitre, qui décidera de la procédure à suivre. / Une fois la violation constatée, les parties au conflit y mettront fin et la réprimeront le plus rapidement possible ». Voir encore l’article 149 de la Convention IV : « A la demande d’une Partie au conflit, une enquête devra être ouverte, selon le mode à fixer entre les parties intéressées, au sujet de toute violation alléguée de la Convention. / Si un accord sur la procédure d’enquête n’est pas réalisé, les Parties s’entendent pour choisir un arbitre, qui décidera de la procédure à suivre. / Une fois la violation constatée, les Parties au conflit y mettront fin et la réprimeront le plus rapidement possible ».

  1. De même, l’article 90 du Protocole 1 de 1977 prévoit l’établissement d’une Commission internationale d’établissement des faits. Cependant, celle-ci ne se voit pas accorder une compétence obligatoire, sa compétence étant subordonnée à une acceptation séparée par les deux parties. En effet, en vertu du § 2 a) : « Les Hautes parties contractantes peuvent au moment de la signature, de la ratification ou de l’adhésion au Protocole, ou ultérieurement à tout autre moment, déclarer reconnaître de plein droit et sans accord spécial, à l’égard de toute autre Haute partie contractante qui accepte la même obligation, la compétence de la Commission pour enquêter sur les allégations d’une telle autre Partie […] », étant précisé au d) que dans d’autres situations, la commission n’ouvre une enquête à la demande d’une Partie au conflit qu’avec le consentement de l’autre ou des autres Parties intéressées ».

En ce sens, cette disposition semble en recul par rapport à l’article 30 de la Convention du 27 juillet 1929 pour l’amélioration du sort des blessés et malades dans les armées en campagne qui semblait se contenter de l’acceptation d’une seule partie au différend même si son mode de fonctionnement devrait être accepté par les deux parties : « A la demande d’un belligérant, une enquête devra être ouverte, selon le mode à fixer entre les parties intéressées, au sujet de toute violation alléguée de la Convention ; une fois la violation constatée, les belligérants y mettront fin et la réprimeront le plus promptement possible ».

Elle ne dispose en outre pas du pouvoir d’édicter des résolutions contraignantes. En effet (§ 2 c), elle a compétence pour enquêter sur les allégations d’infractions graves au sens des Conventions de 1949 et du Protocole I ou sur toute autre violation grave des Conventions ou du Protocole et pour faciliter, en prêtant ses bons offices, le retour à l’observation des dispositions de ces instruments. De même (§ 5 a), la Commission ne peut que présenter aux Parties concernées « un rapport sur les résultats de l’enquête de la chambre avec les recommandations qu’elle jugerait appropriées ».

En tout état de cause, bien qu’établie en 1991 et que sa compétence ait été reconnue par plus de 76 Etats, elle n’a jamais fonctionné. Ainsi, elle ne semble pas avoir été sollicitée au sujet de la guerre en Ukraine qui a pourtant donné lieu à l’institution d’un grand nombre de missions d’établissement des faits et d’enquête, tant internes qu’internationales.

  1. Face aux défaillances de ces mécanismes, l’ONU a développé différents types de mécanismes d’enquête bien plus efficaces et aux fonctions très variées. Elles sont parfois établies à l’initiative du Conseil de sécurité comme dans les conflits en ex-Yougoslavie, au Rwanda, au Burundi[1] ou au Darfour, parfois du Secrétaire général invité en ce sens par l’Assemblée générale, parfois encore du Conseil des droits de l’homme, notamment au sujet des opérations militaires israéliennes à Gaza de décembre 2008 à janvier 2009 ou de l’attaque de la flotille de Gaza du 31 mai 2010 précités. On peut également citer les enquêtes de différents rapporteurs spéciaux de l’ONU ou menées sous l’égide du Haut-Commissariat des droits de l’homme de l’ONU (notamment, parmi de multiples autres rapports sur la République démocratique du Congo le célèbre rapport Mapping[2]). De même, les opérations de maintien de la paix font leurs propres enquêtes. Cependant, presque paradoxalement, nous assistons peut-être aujourd’hui à un trop plein d’enquêtes dans la mesure où, au sein même de l’ONU, plusieurs mécanismes sont mis en œuvre simultanément qui se contredisent parfois.

[1] Par exemple Nations Unies, « Rapport de l’enquête indépendante des Nations Unies sur le Burundi (EINUB) établie conformément à la résolution S-24/1 du Conseil des droits de l’homme », A/HRC/33/37, traduction non officielle, 20 septembre 2016 ayant mandat pour évaluer la responsabilité de l’État pour les violations des DH, mais également les responsabilités individuelles.

[2] Nations Unies, Haut-Commissariat aux droits de l’homme, République démocratique du Congo, 1993-2003. Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo, août 2010, https://www.ohchr.org/Documents/Countries/CD/DRC_MAPPING_REPORT_FINAL_FR.pdf

  1. A cela il faut ajouter le fait que certaines organisations internationales, comme l’Union africaine[1], procèdent également à de telles enquêtes et que d’autres mécanismes peuvent être établis simultanément de manière ad hoc. Ainsi, au sujet de la guerre en Ukraine, l’OSCE a très vite annoncé qu’elle allait mettre en place une mission d’experts indépendants pour enquêter sur les violations du droit international perpétrées par la Russie. Parallèlement, le Secrétaire général de l’ONU déclarait qu’il était « essentiel qu’une enquête indépendante permette de faire rendre des comptes » aux responsables des massacres causé à Boutcha[2]. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a également très vite décidé de créer une commission d’enquête internationale dirigée par un ancien Président du TPIR sur les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire commises en Ukraine après l’intervention russe[3]. De même, outre l’Ukraine, plusieurs Etats ont décidé de mettre en place des mécanismes internes en vue, notamment, de l’exercice éventuel de leur compétence personnelle, voire de leur compétence universelle.

[1] Voir par exemple le Rapport de la délégation de la Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples sur la mission d’établissement des faits au Burundi, 7 au 13 décembre 2015.

[2] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/03/massacre-de-boutcha-la-communaute-internationale-denonce-les-atrocites-commises-par-l-armee-russe-et-reclame-des-sanctions_6120378_3210.html?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1648988750

[3] : « Les enquêteurs [sont] chargés de « recueillir, rassembler et analyser les éléments de preuve attestant de […] violations » des droits humains et du droit international humanitaire résultant de l’invasion russe en Ukraine, en vue de futurs procès, et d’identifier les responsables de ces violations « afin qu’ils aient à répondre de leurs actes », https://news.un.org/fr/story/2022/03/1115652

1.3. Protection et assistance humanitaire

  1. C’est, dans la pratique, cette technique de mise en œuvre qui est la plus utilisée, mais qui ne s’accompagne pas d’un contrôle à proprement parler du respect du droit international humanitaire sauf, dans une certaine mesure, quand il s’agit de l’ONU.
  1. Malgré le fait que les parties au conflit ont une obligation de secours en faveur des civils, on devine que l’assistance humanitaire n’est pas toujours compatible avec la logique de l’affrontement armé. S’est ainsi développé un profond mouvement d’assistance de la part d’entités extérieures au conflit. Cependant, laissé à la discrétion des belligérants, ce schéma est peu efficace.

Les Conventions de Genève de 1949 (art. 9 des Conventions I, II et III ; art. 10 de la Convention IV), comme, antérieurement, la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 27 juillet 1929, précisent ainsi qu’elles ne font pas obstacle aux activités humanitaires que le CICR, ainsi que tout autre organisme humanitaire impartial, entreprendra pour la protection des blessés, malades, naufragés, prisonniers de guerre ainsi que des membres du personnel sanitaire et religieux, et pour les secours à leur apporter. Toutefois, le CICIR, qui a une position privilégiée dans l’architecture de l’assistance, de la protection et de l’action humanitaire et a fortiori ces organismes ne peuvent agir que moyennant l’agrément des parties au conflit intéressées. Certes, certaines ONG comme Médecins sans frontières ont invoqué un droit – voire un devoir – d’ingérence humanitaire, mais celui-ci n’a jamais été accepté par les Etats (voir infra au sujet de la responsabilité de protéger).

1.4. Les interventions de l’ONU

L’ONU intervient de son côté très régulièrement pour protéger les populations victimes des conflits armés.

  1. D’une part, elle intervient dans le cadre d’opérations de maintien de la paix dont les compétences et pouvoirs ne cessent de s’élargir pour embrasser notamment le respect du droit international humanitaire[1]. Si, à l’origine, ces opérations, établies par l’Assemblée générale, nécessitaient l’accord de l’Etat sur le territoire duquel elles devaient être déployées[2], il n’en va plus de même des nouvelles opérations de maintien établies par le Conseil de sécurité, celui-ci pouvant intervenir de manière contraignante et autoriser les nouvelles opérations de recourir à la force, non seulement pour se défendre, mais également pour protéger les populations civiles et l’assistance humanitaire[3]. Le Conseil de sécurité a ainsi décidé d’utiliser son pouvoir de commandement dans ce cadre. Les résultats sont toutefois mitigés.

[1] Voir notamment S/RES/2427 (2018), 9 juillet 2018, Le sort des enfants en temps de conflit armé : « 33. Salue le rôle que jouent les opérations de maintien de la paix et les missions politiques des Nations Unies dans le domaine de la protection des enfants, en particulier le rôle crucial que jouent les conseillers pour la protection de l’enfance en faisant en sorte que la protection des enfants soit systématiquement prise en compte et en conduisant l’action de surveillance, de prévention et de communication de l’information dans les missions, et, à cet égard, réaffirme sa décision de continuer à inclure des dispositions précises concernant la protection des enfants dans les mandats de toutes les opérations de maintien de la paix et missions politiques des Nations Unies, encourage le déploiement de conseillers pour la protection de l’enfance auprès de ces missions, et demande au Secrétaire général de veiller à ce que le besoin de ces conseillers ainsi que leur nombre et leur rôle soient systématiquement évalués lors de la préparation et du renouvellement de chaque opération de maintien de la paix et de chaque mission politique des Nations Unies, et à ce que ces conseillers soient recrutés rapidement, déployés dans les meilleurs délais et dotés de ressources suffisantes là où ils sont nommés, en toute transparence, et encourage le Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, notamment le Département des opérations de maintien de la paix et le Département des affaires politiques, à rendre compte de la question de la protection de l’enfance lors des exposés qu’il fait au Conseil sur la situation dans tel ou tel pays » ; S/RES/2601(2021) 29 octobre 2021, Le sort des enfants en temps de conflit armé, § 22.

[2] Voir notamment P. Manin, L’Organisation des Nations Unies et le maintien de la paix : le respect du consentement de l’Etat, Paris, LGDJ, 1971, 343 p.

[3] Voir notamment A/50/60 – S/1995/1, 25 janvier 1995, Supplément à l’Agenda pour la paix : Rapport de situation présenté par le Secrétaire général à l’occasion du cinquantenaire de l’Organisation des Nations Unies, §§ 18-19, 34 et s.

  1. En outre, le Conseil de sécurité déclare régulièrement depuis son activation à la fin de la guerre froide que des violations graves du droit international humanitaire, comme du droit international des droits de l’homme, peuvent constituer en elles-mêmes des menaces à la paix ou ruptures de celle-ci justifiant le déclenchement de son pouvoir de coercition[1].

[1] Voir ainsi S/RES/1296 du 19 avril 2000, Protection des civils en période de conflit armé : « 5. Note que les pratiques consistant à prendre délibérément pour cible des civils ou autres personnes protégées et à commettre des violations systématiques, flagrantes et généralisées du droit international humanitaire et du droit relatif aux droits de l’homme dans des situations de conflit armé peuvent constituer une menace contre la paix et la sécurité internationales, et à cet égard, réaffirme qu’il est prêt à examiner de telles situations et, le cas échéant, à adopter les mesures appropriées » ; S/RES/1738 (2006), 23 décembre 2006, Protection des civils dans les conflits armés : « 9. Rappelle que le fait de prendre délibérément pour cible des civils et d’autres personnes protégées et de commettre des violations systématiques, flagrantes et généralisées du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme en période de conflit armé peut constituer une menace contre la paix et la sécurité internationales, et se dit une fois de plus disposé à examiner les situations de ce type et à prendre, le cas échéant, des mesures appropriées ».

C’est ainsi sur ce fondement, on l’a vu, qu’il a créé les TPI et qu’il a renvoyé à la CPI les situations au Soudan et en Libye.

Il peut également autoriser des Etats et organisations internationales à recourir à la force armée pour protéger le personnel de l’ONU, le personnel humanitaire et les populations civiles et permettre le déroulement d’opérations de secours humanitaires comme en Somalie ou au Rwanda[1]. Parfois, l’envoi de forces multinationales a pour objet même d’acheminer l’assistance humanitaire, comme l’ONUSOM en Somalie ou la FORPRONU en ex-Yougoslavie. Parfois, il a pour objet de garantir de nouvelles institutions juridiques de protection comme les corridors humanitaires établis en Iraq pour acheminer l’aide aux Kurdes en 1991 ou des zones dites protégées comme en Ex-Yougoslavie, en Côte d’Ivoire ou au Rwanda, voire des zones d’exclusion aérienne comme en Irak ou en Libye en 2011[2].


[1] Voir A/50/60 – S/1995/1, 25 janvier 1995, Supplément à l’Agenda pour la paix : Rapport de situation présenté par le Secrétaire général à l’occasion du cinquantenaire de l’Organisation des Nations Unies, § 78.

[2] Voir, sur un autre plan, S/RES/1738 (2006), 23 décembre 2006, Protection des civils dans les conflits armés, § 4 : « se déclare disposé, lorsqu’il autorise le déploiement d’une mission, d’envisager, le cas échéant, des mesures à prendre à l’égard des médias qui incitent au génocide, à des crimes contre l’humanité et à des violations graves du droit international humanitaire ».

Le souci de la protection des personnes et des personnels d’assistance a ainsi conduit à un phénomène paradoxal : c’est parfois essentiellement pour protéger les populations de l’usage de la force que des forces armées sont envoyées sur le territoire d’un Etat.

De manière générale, les résolutions du Conseil de sécurité sont légion qui appellent les parties à un conflit à respecter le droit international humanitaire (dont il rappelle et précise régulièrement le contenu au sujet de personnes particulières comme les femmes, les enfants, les personnes handicapées, les journalistes)[1] et condamnent celles qui ne le respectent pas[2], le Conseil estimant pouvoir exercer son pouvoir de « sanction » individuelle contre les responsables de certaines violations du droit international humanitaire[3].


[1] S/RES/1973 (2011), 17 mars 2011, La situation en Jamahiriya arabe libyenne : « 3. Exige des autorités libyennes qu’elles respectent les obligations qui leur incombent en vertu du droit international, y compris le droit international humanitaire, du droit des droits de l’homme et du droit des réfugiés, et prennent toutes les mesures pour protéger les civils et satisfaire leurs besoins élémentaires, et pour garantir l’acheminement sans obstacle ni contretemps de l’aide humanitaire ».

[2] Par exemple : S/RES/1973 (2011), 17 mars 2011, La situation en Jamahiriya arabe libyenne : « Condamnant également les actes de violence et d’intimidation que les autorités libyennes commettent contre les journalistes, les professionnels des médias et le personnel associé et engageant vivement celles-ci  à respecter les obligations mises à leur charge par le droit international humanitaire, comme indiqué dans la résolution 1738 (2006), Considérant que les attaques généralisées et systématiques actuellement commises en Jamahiriya arabe libyenne contre la population civile peuvent constituer des crimes contre l’humanité » ; S/RES/2427 (2018) 9 juillet 2018, Le sort des enfants en temps de conflit armé : « Réaffirmant qu’il a la responsabilité  principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et, à cet égard, qu’il est résolu  à s’attaquer aux effets généralisés des conflits armés sur les enfants et à leurs conséquences à long terme sur la paix, la sécurité et le développement durables, […], Rappelant que toutes les parties à des conflits armés sont tenues de respecter strictement les obligations mises à leur charge par le droit international aux fins de la protection des enfants touchés par des conflits armés, notamment celles résultant de la Convention relative aux droits de l’enfant et de son protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, ainsi que des Conventions de Genève du 12 août 1949 et des Protocoles additionnels de 1977, […], Lançant de nouveau un appel à toutes les parties à des conflits armés pour qu’elles respectent les obligations que leur impose le droit international humanitaire et soulignant qu’il importe que le personnel humanitaire ait accès sans entrave et en toute sécurité aux civils pris dans des conflits armés, et rappelant le rôle qu’il joue dans la promotion de conditions favorables à l’accès des agents humanitaires à ceux qui sont dans le besoin, 1. Condamne fermement toutes violations du droit international applicable concernant le recrutement et l’emploi d’enfants par des parties à un conflit armé ainsi que leur ré-enrôlement, le meurtre et les mutilations d’enfants, les viols et autres formes de violence sexuelle qu’ils subissent, les enlèvements, les attaques contre des écoles ou des hôpitaux et le refus d’un accès humanitaire par les parties à une conflit armé ainsi que toutes autres violations du droit international, y compris le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme et le droit international des réfugiés, commises sur la personne d’enfants en temps de conflit armé, et exige de toutes les parties concernées qu’elles mettent fin immédiatement à de telles pratiques et prennent des mesures spéciales pour protéger les enfants, […]. 13. Exhorte les parties à un conflit armé à permettre et à faciliter l’accès rapide, sans entrave et en toute sécurité des agents humanitaires aux enfants et à respecter le caractère exclusivement humanitaire et impartial de l’aide humanitaire et les activités de tous les organismes humanitaires des Nations Unies et de leurs partenaires humanitaires, sans distinction, et condamne fermement les refus illicites d’accès humanitaire et le fait de priver les civils, en particulier les enfants, des biens indispensables à leur survie, notamment en entravant intentionnellement l’acheminement des secours, […]. 15. Condamne fermement les attaques et menaces d’attaque commises ou proférées, en violation du droit international, contre des écoles ou des hôpitaux et les personnes protégées qui sont liées, ainsi que la fermeture d’écoles et d’hôpitaux en temps de conflit armé du fait d’attaques et de menaces d’attaque, et demande instamment à toutes les parties à des conflits armés de s’abstenir de toute action qui entraverait l’accès des enfants à l’éducation et aux services de santé » ainsi que le § 16. Voir également S/RES/2601(2021) 29 octobre 2021, Le sort des enfants en temps de conflit armé, sp. §§1-2 et S/RES/1970 (2011) où il accueille avec satisfaction la condamnation par la Ligue arabe, l’Union africaine et le Secrétaire général de l’Organisation de la Conférence islamique des violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises en Libye.

[3] Voir notamment S/RES/2427 (2018), 9 juillet 2018, Le sort des enfants en temps de conflit armé : « 32. Se déclare de nouveau disposé à adopter des mesures ciblées et graduelles contre quiconque persisterait à commettre des violations et des atteintes contre des enfants, en tenant compte des dispositions de ses résolutions 1539 (2004), 1612 (2005), 1882 (2009), 1998 (2011) et 2968 (2012), et à envisager d’ajouter à tout régime de sanctions qu’il viendrait à établir, modifier ou renouveler des dispositions relatives aux droits et à la protection des enfants en temps de conflit armé s’appliquant aux parties à un conflit armé qui contreviennent au droit international ».

  1. Ce sont certainement ces actions du Conseil de sécurité qui constituent les technique de contrôle du respect du droit international humanitaire les plus contraignantes pour les parties aux différents conflits, tant internationaux que non-internationaux. Elles connaissent cependant, entre autres limites, celle de dépendre de la décision, hautement politique, du Conseil de se saisir de violations du droit international humanitaire en les qualifiant de menaces ou ruptures de la paix et de la sécurité internationales.
  2. En tout état de cause, le Conseil de sécurité ne s’inscrit pas dans une logique de responsabilité à proprement parler puisque son rôle n’est pas celui d’un gardien de la légalité internationale mais celui d’un policier. Et les mesures coercitives qu’il peut décider, qu’on appelle indûment des « sanctions », si elles peuvent pousser une partie à un conflit à respecter ses obligations, n’ont pas pour objet de punir une partie responsable sauf avec la création des 2 TPI et les deux renvois à la CPI des situations au Soudan et en Libye. Elles n’ont pas non plus pour objet d’assurer la réparation des dommages subis par les victimes. Il s’agit principalement de protéger les personnes victimes des conflits armés.

1.5. La « responsabilité de protéger »

  1. Afin de renforcer la protection des populations, certaines ONG avaient tenté de faire consacrer un droit des Etats tiers à un conflit, ONG et organisations internationales à agir pour protéger les populations victimes de leur Etat, le fameux « droit d’ingérence ». Plus encore, elles ont tenté de faire reconnaître de la part de ces tiers un « devoir d’ingérence ». Dans les deux cas, l’Etat qui ne protégerait pas sa population serait obligé d’accepter l’intervention sur son territoire d’autres Etats, d’organisations internationales voire d’ONG qui protégeraient et assisteraient les populations en danger.
  2. Cependant, même si certains Etats ont pu invoquer ces doctrines pour intervenir sur le territoire d’un autre Etat afin de protéger les populations, les Etats n’ont jamais accepté de consacrer un tel droit et un tel devoir d’ingérence[1].

[1] Voir ainsi, sur le plan conventionnel, l’article 3 du Protocole additionnel II de 1977 : « 1. Aucune disposition du présent Protocole ne sera invoquée en vue de porter atteinte à la souveraineté d’un Etat ou à la responsabilité du gouvernement de maintenir ou de rétablir l’ordre public dans l’Etat ou de défendre l’unité nationale et l’intégrité territoriale de l’Etat par tous les moyens légitimes. 2. Aucune disposition du présent Protocole ne sera invoquée comme une justification d’une intervention directe ou indirecte, pour quelque raison que ce soit, dans le conflit armé ou dans les affaires intérieures ou extérieures de la Haute Partie contractante sur le territoire de laquelle ce conflit se produit ».

  1. Certes, face au développement de violations massives des droits de la personne humaine par certains Etats, notamment pendant le conflit yougoslave et au Rwanda, l’idée a été relancée au sein de l’ONU de réfléchir à l’affirmation d’un droit d’intervention humanitaire des Etats en cas de violations massives des droits de l’homme et du droit international humanitaire par un de leurs pairs sur sa population. Toutefois, les oppositions étatiques étaient trop fortes, beaucoup craignant — non sans raison — une instrumentalisation d’un tel droit au profit des grandes puissances pour qu’elles interviennent dans les affaires intérieures des autres Etats.
  2. Finalement, les négociations ont abouti à l’affirmation par la résolution 60/I de l’Assemblée générale de l’ONU de 2005 portant déclaration du sommet mondial d’une « Responsabilité de protéger ». Disons sommairement qu’il y est affirmé que tout Etat a la responsabilité première de protéger sa population, ce qui était établi comme corollaire du pouvoir qu’il a sur elle. Il y est également énoncé que si un Etat ne met pas cette obligation en œuvre, il est prévu une réaction. Cependant, loin de consacrer un droit d’intervention des Etats tiers ou d’autres acteurs, la résolution ne fait que prévoir in fine une intervention du Conseil de sécurité au titre du chapitre VII et ce, dans quatre hypothèses seulement : commission de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique ou de génocide.

En somme, si certains ont voulu à l’origine contraindre plus fortement les Etats en faisant reconnaître un droit d’intervention hors autorisation du Conseil de sécurité, on revient au schéma général du droit international relatif à l’utilisation de la force qui n’accepte pas un droit général d’intervention humanitaire : seul le Conseil de sécurité peut prendre — en réalité autoriser — des mesures de contrainte armée contre un Etat, les autres Etats ne disposant que des techniques de réalisation non armées traditionnelles. En outre, le droit international interdisait déjà ces quatre pratiques et le Conseil de sécurité avait déjà considéré celles-ci comme pouvant constituer des atteintes à la paix et à la sécurité internationales et donc justifier une action de coercition de sa part (voir supra).

  1. On doute donc que la consécration de la « responsabilité de protéger » ait apporté quelque chose de fondamentalement nouveau en droit sauf, ce qui n’est tout de même pas rien, l’affirmation explicite que la souveraineté de l’Etat comprend des obligations, notamment celle de protéger sa population et que le recours unilatéral par les autres Etats à la force pour se substituer au premier est interdit. On a également du mal à voir son apport dans la pratique.
  • D’une part, ce système articulé autour du Conseil de sécurité n’avait pas évité ce genre de pratiques qui ont connu leur acmé avec le génocide des Tutsi de 1994 et n’empêche pas la commission, tous les jours, de crimes tels que ceux visés par la résolution 60 (I), faute d’intervention efficace du Conseil de sécurité.
  • D’autre part, on peut être dubitatif quand on voit son utilisation, notamment ce qu’il est advenu d’une de ses premières « applications » dans l’affaire libyenne où, sitôt la résolution 1973 du 18 mars 2011 adoptée, le Royaume-Uni et la France ont allègrement violé l’autorisation donnée par le Conseil de sécurité pour combattre le régime en place au lieu de se concentrer sur la protection de la population civile.
  1. Plus encore, on pourrait y voir un recul du droit international puisque cette responsabilité semble limitée aux crimes les plus graves. En réalité, on ose croire que cette obligation de protéger ne fait que se surajouter et non se substituer aux obligations qui pèsent sur les Etats au titre des traités et coutumes internationales de respecter un vaste ensemble de droits de la personne humaine aux personnes sous leur contrôle.

Disons alors qu’aujourd’hui, ces crimes ne relèvent plus seulement du droit international des droits de l’homme, du droit international humanitaire et du droit international pénal, mais également du chapitre VII de la Charte des Nations Unies qui constituerait un outil de réalisation supplémentaire dans certaines circonstances, mais ce qu’il était déjà du moment que le Conseil estimait que la commission de tels crimes menaçait ou rompait la paix et la sécurité internationales (voir supra) …

2. Responsabilité étatique v. responsabilité individuelle

  1. Le rôle de l’Etat et la place de sa responsabilité sont différents en droit international humanitaire et en droit international des droits de l’homme[1] ainsi qu’en droit international des droits de l’homme et en droit international pénal[2]. Or, depuis les années 1990, on a assisté à un phénomène où, pour de mêmes actes, furent recherchées simultanément la responsabilité d’un Etat et la responsabilité d’individus, y compris le chef de l’Etat, ce qui exige d’analyser l’articulation entre ces deux techniques de mise en œuvre.

[1] En ce sens, TPIY, Procureur c. Dragolub Kunarac et al., chambre de première instance, jugement du 22 février 2001, IT-96-23-T & IT-96-23/1-T, § 470 : “In the human rights context, the State is the ultimate guarantor of the rights protected and has both duties and a responsibility for the observance of those rights. In the event that the State violates those rights or fails in its responsibility to protect the rights, it can be called to account and asked to take appropriate measures to put an end to the infringements. / In the field of international humanitarian law, and in particular in the context of international prosecutions, the role of the State is, when it comes to accountability, peripheral. Individual criminal responsibility for violation of international humanitarian law does not depend on the participation of the State and, conversely, its participation in the commission of the offence is no defence to the perpetrator”.

[2] En ce sens, TPIY, Procureur c. Dragolub Kunarac et al., chambre de première instance, jugement du 22 février 2001, IT-96-23-T & IT-96-23/1-T, § 470 : “that part of international criminal law applied by the Tribunal is a penal law regime. It sets one party, the prosecutor, against another, the defendant. In the field of international human rights, the respondent is the State. Structurally, this has been expressed by the fact that human rights law establishes lists of protected rights whereas international criminal law establishes lists of offences”.

  1. Dans le cadre du droit international des droits de l’homme, seul l’Etat est responsable dans l’ordre juridique international ; il n’existe pas de responsabilité internationale d’autres entités corporatives ni de responsabilité individuelle. Tel fut également le cas pendant très longtemps en droit international humanitaire[1].

[1] Voir ainsi, l’article 3 de la Convention (IV) de 1907 concernant les droits et coutumes de la guerre sur terre affirmait : « La partie belligérante qui violerait les dispositions dudit Règlement (concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la Convention) sera tenue à indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée ».

  1. Au mieux, on y reviendra, les instruments internationaux prescrivaient aux Etats d’assurer des sanctions dans leur ordre interne. Nous étions dans la logique classique du droit international ignorant les actes des personnes physiques à moins qu’ils soient imputables à l’Etat, faisant alors naître la responsabilité de ce dernier. En tout état de cause, était ignorée l’idée d’une responsabilité internationale des individus, qu’ils agissent à titre privé ou comme agents ou organes de l’Etat. Une responsabilité individuelle n’était envisageable qu’en vertu du droit d’un Etat, l’individu, fût-il un haut agent de l’Etat, disparaissant du point de vue du droit international derrière le voile de la personnalité juridique de l’Etat.
  1. Toutefois, avec l’avènement du droit international pénal et le développement des droits étatiques, est apparu un double régime de responsabilité : de l’Etat, être corporatif, mais dans une logique de responsabilité civile, et/ou des individus, dans une logique d’abord seulement pénale puis ensuite également civile.

Il faut dire quelques mots sur la responsabilité classique de l’Etat en droit international humanitaire puis sur l’avènement d’une responsabilité individuelle grâce au DI pénal. On examinera ensuite les rapports entre ces types de responsabilité.

2.1. La responsabilité classique de l’Etat

  1. La responsabilité de l’Etat s’il viole ses engagements internationaux ou permet (voire n’empêche pas) la violation du droit international humanitaire dans des situations relevant de son contrôle ne semble pas poser de difficulté théorique particulière (en évacuant ici le débat qui a animé le droit international pendant des années sur la possibilité que cette responsabilité puisse être pénale et que l’Etat puisse commettre des crimes).
  2. En effet, toute violation par l’Etat du droit international qui lui est opposable engage sa responsabilité internationale. Ce principe du droit international, énoncé notamment par la CPJI dans l’affaire de l’usine de Chorzów et réaffirmé sans cesse depuis, anime la responsabilité internationale pour violation du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire[1].

[1] Voir en ce sens CIJ, 26 février 2007, Affaire de l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c ; Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43,, § 148 : « Les Etats sont tenus de s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu du droit international, notamment du droit international humanitaire, et demeurent responsables des actes contraires au droit international qui leur sont attribuables (voir, par exemple, Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence de la Cour et recevabilité de la requête, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 52-53, par. 127) » ; § 169 : « La responsabilité d’une partie pour génocide ou tout autre acte énuméré à l’article III naît de son manquement aux obligations que lui imposent les autres dispositions de la Convention […]. Les termes particuliers du membre de phrase dans son ensemble confirment que les parties contractantes peuvent être tenues pour responsables d’un génocide ou de tout autre acte énuméré à l’article III de la Convention ».

Or, le droit international humanitaire est applicable aux Etats. Cela est le cas bien sûr des traités auxquels des Etats parties à un conflit sont parties en vertu du droit des traités. C’est également le cas d’un très grand nombre de règles qui ont acquis un caractère coutumier. En ce sens, la CIJ déclara dans son avis sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires du 8 juillet 1996 :

§ 79 : « C’est sans doute parce qu’un grand nombre de règles du droit humanitaire applicable dans les conflits armés sont si fondamentales pour le respect de la personne humaine et pour des « considérations élémentaires d’humanité », selon l’expression utilisée par la Cour dans son arrêt du 9 avril 1949 rendu dans l’affaire du Détroit de Corfou (C.I.J. Recueil 1949, p. 22), que la convention IV de La Haye et les conventions de Genève ont bénéficié d’une large adhésion des Etats. Ces règles fondamentales s’imposent d’ailleurs à tous les Etats, qu’ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui les expriment, parce qu’elles constituent des principes intransgressibles du droit international coutumier ». En effet, précisa-t-elle, § 82 : « La large codification du droit humanitaire et l’étendue de l’adhésion aux traités qui en ont résulté, ainsi que le fait que les clauses de dénonciation contenues dans les instrument de codification n’ont jamais été utilisées, ont permis à la communauté internationale de disposer d’un corps de règles conventionnelles qui étaient déjà devenues coutumières dans leur grande majorité et qui correspondaient aux principes humanitaires les plus universellement reconnus. Ces règles indiquent ce que sont les conduites et comportements normalement attendus des Etats »[1].


[1] En ce sens également, CIJ, avis du 9 juillet 2004, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, § 89 : « Pour ce qui concerne le droit international humanitaire, la Cour relèvera en premier lieu qu’Israël n’est pas partie à la quatrième convention de La Haye de 1907 à laquelle le règlement est annexé. La Cour observera qu’aux termes de la convention ce règlement avait pour objet de « réviser les lois et coutumes générales de la guerre » telles qu’elles existaient à l’époque. Depuis lors cependant, le Tribunal militaire international de Nuremberg a jugé que les « règles définies dans la convention étaient reconnues par toutes les nations civilisées et étaient considérées comme une formulation des lois et coutumes de guerre » (jugement du tribunal militaire international de Nuremberg du 30 septembre et 1er octobre 1946, p. 65). La Cour elle-même a abouti à la même conclusion en examinant les droits et devoirs des belligérants dans la conduite des opérations militaires (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 256, par. 75). La Cour estime que les dispositions du règlement de La Haye de 1907 ont acquis un caractère coutumier […] ». Voir également : Affaire du Détroit de Corfou, Arrêt du 9 avril 1949, C.I.J. Recueil 1949, p. 4, 22 : « Les obligations qui incombaient aux autorités albanaises consistaient à faire connaître, dans l’intérêt de la navigation en général, l’existence d’un champ de mines dans les eaux territoriales albanaises et à avertir les navires de guerre britanniques, au moment où ils s’approchaient, du danger imminent auquel les exposait ce champ de mines. Ces obligations sont fondées non pas sur la Convention VIII de La Haye, de 1907, qui est applicable en temps de guerre, mais sur certains principes généraux et bien reconnus, tels que des considérations élémentaires d’humanité, plus absolues encore en temps de paix qu’en temps de guerre, le principe de la liberté des communications maritimes et l’obligation, pour tout Etat, de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d’actes contraires aux droits d’autres Etats ». Sur le caractère coutumier de l’interdiction du génocide, Réserves à la Convention sur le Génocide, Avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 15, 23 : « Les origines de la Convention révèlent l’intention des Nations Unies de condamner et de réprimer le génocide comme ‘un crime de droit des gens’ impliquant le refus du droit à l’existence de groupes humains entiers, refus qui bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à l’humanité, et qui est contraire à la fois à la loi morale et à l’esprit et aux fins des Nations Unies (résolution 96 (1) de l’Assemblée générale, 11 décembre 1946). Cette conception entraîne une première conséquence : les principes qui sont à la base de la Convention sont des principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les Etats même en dehors de tout lien conventionnel » (rappelé in CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 161).

Cela signifie donc que des violations de ces règles peuvent leur être imputées qui engagent leur responsabilité internationale. Ce principe du droit international est intégré par le droit international humanitaire.

Voir par exemple, l’article 3 de la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe, le Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 18 octobre 1907 : « La Partie belligérante qui violerait les dispositions dudit Règlement sera tenue à indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée »[1].


[1] Voir également, mais en exigeant toutefois une certaine gravité des violations, A/RES/60/147, 16 décembre 2005, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, principe 15 : « […]. Conformément à sa législation interne et à ses obligations juridiques internationales, l’Etat assure aux victimes la réparation des actes ou omissions qui peuvent lui être imputés et qui constituent des violations flagrantes du droit international des droits de l’homme ou des violations graves du droit international humanitaire. […] ».

On dédiera des développements spécifiques à l’engagement et à la mise en œuvre de cette responsabilité (voir « La responsabilité « civile de l’Etat »).

2.2. L’avènement de la responsabilité individuelle


L’affirmation générale de la soumission des individus au droit international humanitaire et la reconnaissance de leur capacité à commettre des crimes internationaux précèdera la précision qu’il en va ainsi même si cet individu agit à titre officiel.

2.2.1. L’individu sujet du droit international humanitaire et auteur possible de crimes internationaux

  1. On l’a dit, le droit international humanitaire fut inventé dans un monde purement interétatique où les individus n’avaient de place. Soit ils étaient des agents d’un Etat et leurs comportements étaient alors attribués à celui-ci ; soit ils étaient des individus privés qui relevaient des seuls ordres étatiques. En conséquence, les premières normes du droit international humanitaire s’adressaient aux seuls Etats quitte à ce que ceux-ci les transposent dans leur ordre interne pour qu’elles produisent des effets dans le patrimoine juridique des individus. Les instruments du droit international humanitaire ne se sont pas départis de cette méthodologie.
  2. Toutefois, on l’a également dit, les Etats ont inventé d’autres règles pour attraire directement les individus dans l’ordre international, celles qu’on regroupe sous la branche du droit international pénal. S’est en effet imposée avec le droit international pénal l’idée que si la norme de droit international humanitaire s’adresse principalement aux Etats, cela n’empêche pas son application directe aux individus.

En ce sens, le Tribunal militaire international de Nuremberg rejeta l’argument de la défense selon lequel le droit international ne vise que les actes des Etats souverains et ne prévoit pas de sanction à l’égard des individus, seuls les Etats étant responsables en vertu du droit international quand l’acte en question est un acte d’Etat[1]. Il affirma qu’il est reconnu depuis longtemps que le droit international impose des devoirs et des responsabilités aux individus aussi bien qu’aux Etats et qu’assez avait été dit pour montrer que les individus peuvent être punis pour des violations du droit international[2] et déclara : « les crimes contre le droit international sont commis par des hommes et non par des entités abstraites, et c’est seulement en punissant les individus qui commettent de tels crimes qu’il est possible de faire respecter les dispositions du droit international »[3].


[1] In « International Military Tribunal (Nuremberg), Judgments and Sentences. October 1, 1946”, Judgment, American Journal of International Law, vol. 41, No. 1, 1947, pp. 220-221.

[2] Ibidem.

[3] Ibid.

  1. Par une sorte de revirement presque complet par rapport à la logique du droit international humanitaire, le droit international pénal va faire de l’individu le seul auteur des infractions qu’il pose et identifie, à l’exclusion de l’Etat et des groupes armés[1]. Les statuts des juridictions pénales internationales sont très clairs sur ce point, énonçant expressément que celles-ci ne sont compétentes qu’à l’égard de personnes physiques.

[1] Voir S. Szurek, « La formation du droit international pénal », in Ascensio H., Decaux E., Pellet A. (dir.), Droit international pénal, Deuxième édition révisée, Paris, Pedone, 2012, pp. 21-35, 32.

Ainsi, les articles 6 du statut du TPIY et 5 du statut du TPIR énoncent que les deux tribunaux ont compétence à l’égard des personnes physiques et les deux TPI ont régulièrement condamné des individus pour crimes de guerre, c’est-à-dire, on l’a vu pour des violations graves du droit international humanitaire, le TPIY déclarant dans l’affaire Galić : « L’article 85 du Protocole additionnel I, s’il s’adresse aux Etats, définit des crimes (et leurs éléments juridiques) qui engagent la responsabilité pénale individuelle de leur auteur »[1]. En ce sens, également, l’article 25 § 1 du Statut de Rome : « La Cour est compétente à l’égard des personnes physiques en vertu du présent Statut » et l’article 25 § 2 : « Quiconque commet un crime relevant de la compétence de la Cour est individuellement responsable et peut être puni conformément au présent Statut »).


[1] TPIY, Chambre de première instance I, 5 décembre 2003, Le procureur c. Stanislav Galić , IT-98-29-T, jugement et opinion, § 128.

2.2.2. Indifférence de sa qualité officielle

  1. Tout individu est donc lié par le droit international humanitaire et peut, sous certaines conditions qu’on verra, engager sa responsabilité pénale individuelle. Tel est le cas, qu’il soit un agent de l’Etat ou une personne privée, un militaire ou un civil.

C’est avec le tribunal de Nuremberg que les Etats ont décidé d’imputer des infractions internationales à des personnes alors même qu’elles agissaient en tant qu’agents d’un Etat.

Ainsi, le Statut du TMI énonce à son article 6 que le Tribunal établi pour le jugement et le châtiment des grands criminels de guerre des pays européens de l’Axe sera compétent pour juger et punir toutes personnes qui, agissant pour le compte des pays européens de l’Axe, auront commis, individuellement ou à titre de membres d’organisations, l’un des crimes énumérés. Voir aussi l’art. 7 : la situation officielle des accusés, soit comme chef d’Etat, soit comme hauts fonctionnaires, ne sera considérée ni comme un excuse absolutoire, ni comme un motif de diminution de la peine).

  1. Jusque-là, on imputait ces comportements à l’Etat au nom duquel et pour le compte duquel ces personnes agissaient et on ne reconnaissait donc la responsabilité internationale que de cet Etat, pas celle individuelle de leurs auteurs. L’idée, révolutionnaire à l’époque même si, on l’a vu, elle était en germes au début du XXe siècle, est en effet que la gravité du crime met à néant l’écran de la personnalité de l’Etat, la responsabilité de l’individu étant directement engagée dans l’ordre international.

Dans ce sens, la chambre d’appel du TPIR, saisie de l’affaire Akayesu déclara : « la protection minimum des victimes énoncée à l’art. 3 commun implique nécessairement la sanction effective des auteurs de violations de celui-ci. Or, cette sanction doit être applicable à toute personne sans distinction, comme le commandent les principes de la responsabilité pénale individuelle établis notamment par le Tribunal du Nuremberg. La Chambre d’appel est donc d’avis que le droit international humanitaire serait déprécié et remis en cause si l’on admettait que certaines personnes puissent être exonérées de la responsabilité pénale individuelle pour violation de l’article 3 commun sous prétexte qu’elles n’appartiendraient pas à une catégorie particulière »[1].


[1] TPIR, Chambre d’appel, 1er juin 2001, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, n° ICTR-96-4-A, arrêt, § 443. De même encore, la chambre du TPY dans l’affaire Kunarac et consorts affirma que le droit international humanitaire incriminait la torture quel que soit son auteur, les traits caractéristiques du crime étant à chercher dans la nature de l’acte commis, et non dans le statut de son auteur, TPIY, Chambre de première instance, 22 février 2001, Le Procureur c. Kunarac et consorts, N° IT-96-23 & IT-96-23/1-T, arrêt, §§ 491-495.

2.3. Rapports entre responsabilité individuelle et responsabilité étatique

  1. Depuis Nuremberg et Tokyo, les deux mécanismes de responsabilité peuvent donc coexister, l’Allemagne et le Japon ayant été déclarés, non judiciairement il est vrai, responsables tandis que des individus ont été poursuivis et certains condamnés individuellement.
  2. Ceci constitue une particularité très importante de la responsabilité internationale engagée en raison de violations graves du droit international humanitaire constitutives, on l’a vu, de crimes de guerre. En effet, dans le cas où ces violations graves du droit international humaniataire seraient commises par des agents de l’Etat — même lorsqu’ils outrepassent leurs compétences et pouvoirs —, s’ajoute à la responsabilité de cet Etat une responsabilité individuelle. Les deux responsabilités sont engagées et peuvent être mises en œuvre devant des entités distinctes, la mise en œuvre de l’une ne faisant pas obstacle à la mise en œuvre, simultanée ou ultérieure, de l’autre ni n’étant exigée pour que la seconde soit actionnée. En effet, ces deux types de responsabilité ne sont pas exclusifs l’un de l’autre

Voir ainsi l’article 29 de la Convention IV de Genève de 1949 : « La Partie au conflit au pouvoir de laquelle se trouvent des personnes protégées est responsable du traitement qui leur est appliqué par ses agents, sans préjudice des responsabilités individuelles qui peuvent être encourues » ;

article 25 § 4 du Statut CPI :  « Aucune disposition du présent Statut relative à la responsabilité pénale des individus n’affecte la responsabilité des Etats en droit international » ;

article 58 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite : « Les présents articles sont sans préjudice de toute question relative à la responsabilité individuelle d’après le droit international de toute personne qui agit pour le compte d’un Etat »[1].


[1] Le Commentaire de la Commission précise, selon CIJ, 26 février 2007, § 173 : « Dans le cas de crimes de droit international commis par des agents de l’Etat, il arrivera souvent que ce soit l’Etat lui-même qui soit responsable pour avoir commis les faits en cause ou pour ne pas les avoir empêchés ou réprimés. Dans certains cas, notamment celui de l’agression, l’Etat sera par définition impliqué. Mais même dans ce cas, la question de la responsabilité individuelle est en principe à distinguer de celle de la responsabilité des Etats. […] » (Rapport de la CDI, 2001, A/56/10, Commentaire de la CDI sur le projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Commentaires sur l’article 58, par. 3).

  1. Le conflit en ex-Yougoslavie a montré que ces deux types de responsabilité peuvent être simultanément mis en œuvre : contre des individus, y compris le Président alors en exercice Slobodan Milosevic, devant le TPIY et contre la Serbie-et-Monténégro devant la CIJ. Celle-ci nota à ce titre que la dualité de devoirs et responsabilités des individus et des Etats en matière de responsabilité « continue à être une constante du droit international »[1], après que le TPIY eut déclaré : « En l’état actuel du droit international humanitaire en vigueur, peut être engagée non seulement la responsabilité pénale individuelle mais également celle de l’Etat, si ses agents se livrent à des actes de torture ou s’il n’empêche pas la perpétration de ces actes ou n’en punit pas les auteurs. Si la torture prend la forme d’une pratique courant d’agents de l’Etat, elle constitue une violation grave et à une large échelle d’une obligation internationale d’une importance essentielle pour la sauvegarde de l’être humain et, par conséquent, un acte illicite particulièrement grave qui engage la responsabilité de l’Etat »[2].

[1] CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 173.

[2] TPIY, Chambre de première instance, 10 décembre 1998, Le Procureur c. Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, jugement, § 142.

  1. Ils sont cependant autonomes.

En ce sens, la CIJ déclara :

« La responsabilité d’un Etat pour le fait de ses organes n’est pas (…) exclue par l’article IV de la Convention (sur la prévention et la répression du crime de génocide), qui envisage la commission d’un acte de génocide par des « gouvernants » ou des « fonctionnaires »[1] et qu’un Etat « peut voir sa responsabilité engagée en vertu de la Convention pour génocide et complicité de génocide, sans qu’un individu ait été reconnu coupable de crime ou d’un crime connexe »[2].


[1] Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Rec. 1996, p. 595, § 32.

[2] CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 182.

La pratique des juridictions pénales internationales montre à l’envi que la réciproque est également vraie.

  1. Notons cependant l’existence de certains liens entre ces deux types de responsabilité.

Par exemple, le fait pour un Etat de ne pas prévenir un crime international qu’il était en mesure de prévenir et de ne pas poursuivre pénalement un individu pourra engager sa responsabilité civile internationale. On y reviendra.

De même, certains droits étatiques peuvent, à l’issue d’un procès fait à un individu, permettre que l’Etat soit également condamné à réparer en tant qu’il est lui-même responsable.

Voir en ce sens RDC, 24 mars 2006, Tribunal militaire de garnison de l’Ituri, Ituri Military Prosecutor v Blaise Bongi Massaba, Criminal trial judgment and accompanying civil action for damages, RP No 018/2006, in OPIL, Oxford Reports on International Law in Domestic Courts, ILDC 387 (CD 2006), observation D. P. Zongwe : « Condamne en conséquence, le sieur Blaise Bongi Massaba in solidum avec la République démocratique du Congo au paiement de l’équivalent en francs congolais, à chacune de ces quatre familles des victimes, de la somme de […] à titre des dommages et intérêts ; tous préjudices confondus […] ».

De même, Cour d’appel de N’Djamena, 25 mars 2015, Ministère public et Ismael Hachim et autres c. Saleh Younous Ali, Warou Fadoul Ali et a., arrêt criminel, Répertoire n° 01/15 : « 7°/ Sur les réparations civiles ; Considérant que dans les différentes plaintes (individuelle ou collective), les victimes se sont constituées parties civiles et ont sollicité la condamnation des accusés ainsi que l’Etat tchadien à leur payer des dommages et intérêts consécutifs aux préjudices par elles subis ; […] ; Qu’en l’espèce, il a été suffisamment démontré que les accusés ont été les auteurs ou complices des sévices et autres traitements dégradants exercés sur les victimes ; Tous ces faits ont été corroborés par des témoignages poignants et les pièces du dossier ; que les parties civiles ont directement ou indirectement souffert des agissements fautifs de ces personnes ; cela appelle inéluctablement réparation ; Considérant que les fautes commises par les accusés sont d’une extrême gravité ; que pour la plupart de[s] cas, ces fautes oint été commises en dehors de toutes fonctions et engagent la responsabilité personnelle de ses auteurs ; Toutefois, cette responsabilité sera partagée avec l’Etat tchadien qui n’est pas exempt de tout reproche ; 8°/ De la responsabilité civile de l’Etat tchadien ; Considérant que les parties civiles sollicitent la condamnation civile exclusive de l’Etat tchadien à réparer les préjudices subis du fait des ex-agents de la DDS, laquelle a été créée par décret n° 005/PR/1983 du 26/01/1983 ; Considérant que les accusés dans leur ensemble affirment avoir travaillé dans un cadre normal des attributions à eux conférées par l’Etat tchadien ; Mais considérant qu’en l’espèce les pièces du dossier et les débats à la barre ont montré que les dommages qu’ont subi les victimes ont été la conjugaison des fautes personnelles commises par les accusés eux-mêmes et celles de service ; l’Etat n’arrivait plus à contrôler les personnes à qui il a confié des responsabilités et les a laissé faire à leur guise ; de ce fait, ce n’est que justice que d’engager la responsabilité civile de l’Etat ; Que les termes de cette responsabilité sont énoncés clairement par l’article 1384 al 1 du code civil qui dit : « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on a la charge, ou des choses qu’on a sous sa garde… » ; Que la DDS qui au début avait des objectifs nobles a fini par devenir un rouleau compresseur ; que la DDS était en réalité une nébuleuse avec un système de fonctionnement tout à fait opaque ; Qu’il est aujourd’hui inadmissible que l’Etat tchadien laisse les accusés seuls face à cette situation ; que les structures, les moyens utilisés par les accusés leur ont été fournis par l’administration publique ; Qu’il y a lieu de régler la contribution finale des uns et des autres à la charge des réparations compte tenu de l’existence et de la gravité des fautes respectives ; Qu’en conséquence, la somme de soixante-quinze milliards F CFA accordée aux parties civiles sera supportée à parts égales par les accusés et l’Etat tchadien, le surplus devant être rejeté ; L’Etat tchadien est ici responsable du fait de ses préposés dans la limite de l’acceptable ».

3. Logique de la réparation v. logique de la punition

On s’intéressera d’abord à l’affirmation de la dichotomie avant de la relativiser.

3.1. La dichotomie

  1. A la première dichotomie entre responsabilité étatique et responsabilité individuelle répondrait assez largement celle des deux types de responsabilité rencontrés en droit international. Le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire resteraient sur une vision de type civiliste de la responsabilité de l’Etat – avènement d’une obligation de cessation du fait illicite et de réparation – tandis que le droit international pénal consacrerait une responsabilité pénale des individus.

Dit autrement, tandis que les mécanismes de garantie du droit international des droits de l’homme ainsi que du droit international humanitaire seraient articulés sur une logique de la réparation des victimes de violations des droits de l’homme, ceux du second le seraient plutôt sur une logique de punition des responsables d’actes interdits.

3.1.1. Caractère réparatoire de la responsabilité de l’Etat

  1. A l’occasion de la codification du droit de la responsabilité internationale des Etats pour fait internationalement illicite, le rapporteur spécial Roberto Ago tenta d’instituer le concept de crime international de l’Etat correspondant à la commission de violations particulièrement graves du droit international. Cependant, face au refus des Etats, la Commission du droit international a finalement renoncé au concept de « crime de l’Etat » pour lui préférer celui, beaucoup plus neutre, de « fait internationalement illicite ». Elle a cependant retenu le principe d’un régime spécial de responsabilité en cas de violation grave du droit international, mais qui reste particulièrement limité, les Etats ayant réussi à s’opposer aux tentatives d’instauration d’un régime de responsabilité aggravée pour la violation des normes considérées comme les plus importantes qui correspondent plus ou moins aux normes de jus cogens. Ainsi, la violation du jus cogens relève-t-elle encore pour l’essentiel des techniques classiques du droit international dans leur configuration traditionnelle : responsabilité internationale, contre-mesures et autres mesures de coercition.
  2. De même, si la CIJ a fait appel au concept de violation grave du droit international à propos de l’usage de la force entre Etats dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci en 1986 ainsi que dans l’affaire Activités armées sur le territoire du Congo (Congo c. Ouganda) en 2005[1], c’est sans lui attacher un régime spécifique si ce n’est pour exiger un régime de preuve des violations plus strict[2].

[1] CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt du 27 juin 1986, Rec. 1986, para. 191 : « il y aura lieu de distinguer entre les formes les plus graves de l’emploi de la force (celles qui constituent une agression armée) et d’autres modalités moins brutales » ; Activités armées sur le territoire du Congo (Congo c. Ouganda), arrêt du 19 décembre 2005, Rec. 2005, para. 165 : « S’agissant du premier chef de conclusions finales de la RDC, la Cour conclut en conséquence que l’Ouganda a violé la souveraineté ainsi que l’intégrité territoriale de la RDC. Les actes de l’Ouganda ont également constitué une ingérence dans les affaires intérieures de la RDC et dans la guerre civile qui y faisait rage. L’intervention militaire illicite de l’Ouganda a été d’une ampleur et d’une durée telles que la Cour considère comme une violation grave de l’interdiction de l’emploi de la force énoncée au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies ».

[2] CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, §§ 209-210.

Plus encore, elle déclara dans son arrêt du 26 février 2007 dans l’affaire de l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide que la responsabilité internationale d’un Etat « possède une nature tout à fait différente de celle de la responsabilité pénale »[1] ; « les obligations en cause en l’espèce telles qu’elles résultent des termes de la Convention et les responsabilités qui découleraient pour les Etats de la violation de telles obligations sont des obligations et des responsabilités relevant du droit international, et ne sont pas d’ordre pénal »[2].


[1] CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 167.

[2] CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 170.

  1. La responsabilité de l’Etat pour violation du DIH reste donc dans le cadre de la responsabilité classique de l’Etat pour fait internationalement illicite. Ainsi, dans cette affaire raisonna-t-elle en appliquant les règles classiques du droit de la réparation entre Etats, estimant que les violations des obligations de prévention et de répression du crime de Génocide n’appelaient qu’une satisfaction[1]. On notera toutefois que les deux Etats se plaçaient eux-mêmes sur le plan de la responsabilité interétatique classique.

[1] CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, §§ 459 ss.

3.1.2. Caractère punitif de la responsabilité de l’individu

  1. De son côté, le droit international pénal s’est inscrit dans une logique de la punition, les statuts des TMI et TPI ne prévoyant que l’infliction d’une peine au criminel et aucune réparation au profit des victimes par ailleurs absentes du procès pénal international.

L’intitulé de l’accord de Londres – Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l’Axe – est éloquent. Son préambule ne parle que de punition et jamais de réparation. L’article 27 du Statut stipule quant à lui : « Le Tribunal pourra prononcer contre les accusés convaincus de culpabilité la peine de mort ou tout autre châtiment qu’il estimera être juste » et l’article 28 : « En plus de la peine qu’il aura infligée le Tribunal aura le droit d’ordonner à l’encontre du condamné la confiscation de tous biens volés et leur remise au Conseil de Contrôle en Allemagne ». Aucune mesure réparatoire n’était prévue.

De même, le statut du TPIY habilite celui-ci à « juger » les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire. L’article 23 § 1 relatif à la sentence dispose : « La chambre de première instance prononce des sentences et impose des peines et sanctions à l’encontre des personnes convaincues de violations graves du droit international humanitaire » et l’article 24, intitulé « Peines », précise que la chambre de première instance n’impose que des peines d’emprisonnement. Au mieux son paragraphe 3 précise-t-il – et il pourrait y avoir ici trace d’une responsabilité sous forme de restitutio : « Outre l’emprisonnement du condamné, la Chambre de première instance peut ordonner la restitution à leurs propriétaires légitimes de tous biens et ressources acquis par des moyens illicites, y compris par la contrainte ». Les articles 27 et 28 sont respectivement relatifs à l’exécution des peines et à la grâce et à la commutation de peine.

Il en est encore de même du TPIR. Les articles 1 et s. de son statut l’habilite à « poursuivre » ou « juger » les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire, ayant commis un génocide ou un crime contre l’humanité. Son article 22 relatif aux sentences dispose en son § 1 que la Chambre de première instance prononce et impose des peines et sanctions à l’encontre des personnes convaincues de violations graves du droit international humanitaire et l’article 23 relatif aux peines : « 1. La Chambre de première instance n’impose que des peines d’emprisonnement. […]. 3. Outre l’emprisonnement du condamné, la Chambre de première instance peut ordonner la restitution à leurs propriétaires légitimes de tous biens et ressources acquis par des moyens illicites, y compris par la contrainte ».

  1. En effet, le procès pénal, comme son nom l’indique, est en principe fondamentalement tourné sur la question de la peine et la figure du poursuivi et non sur la question de la réparation et la figure de la victime. Il peut toutefois conduire à réparation dans les droits étatiques et, désormais, dans le cadre de la Cour pénale internationale.

3.2. Amenuisement des différences

Ces différences tendent cependant à s’estomper de plus en plus pour deux raisons : les contentieux de la réparation et de la punition s’entremêlent progressivement et chaque branche développe en réalité une double logique.

3.2.1. L’entremêlement des contentieux de la réparation et de la punition

3.2.1.1. L’entremêlement des compétences matérielles des organes de protection

  1. D’abord, les organes internationaux et étatiques de contrôle de chacune de ces branches ainsi que du droit international des droits de l’homme connaissent de plus en plus de questions relevant d’une autre en sorte qu’il n’y a pas d’étanchéité entre celles-ci.

Ainsi, les organes de protection des droits de l’homme sont de plus en plus saisis d’allégations de violations de ceux-ci dans le cadre de conflit armé qui auraient très bien pu être formulées comme des violations graves du droit international humanitaire.

Par exemple, la grande Chambre de la Cour EDH se référa expressément au « droit international humanitaire », notamment l’article 43 du règlement de La Haye et la quatrième convention de Genève pour apprécier la responsabilité du Royaume-Uni occupant l’Irak, dans l’affaires Al-Jedda c. Royaume-Uni, du 7 juillet 2011, sp. § 107 : « il n’est pas établi, aux yeux de la Cour que le droit humanitaire international fasse peser sur les puissances occupants une obligation de recourir à l’internement sans limitation de durée ni procès. L’article 43 du règlement de La Haye impose à l’occupant de prendre « toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d’assurer autant qu’il est possible, l’ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays ». […]. Il semble par ailleurs ressortir des dispositions de la quatrième Convention de Genève telles qu’analysées par la Cour que, d’après le droit humanitaire international, l’internement doit être considéré non pas comme une mesure que la puissance occupante serait tenue de prendre, mais comme une action de dernier ressort ».

Voir également Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, communication du 29 mai 2003, République Démocratique du Congo c. le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda, n° 227/99, § 64 : « Les activités alléguées des rebelles et des forces armées des Etats défendeurs parties à la Charte, qui soutiennent également les rebelles, ne relèvent pas seulement du droit humanitaire mais également du mandat de la Commission. Les dispositions combinées des articles 60 et 61 de la charte imposent cette décision qui est également étayée par l’article 23 de la Charte africaine » ; § 65 : « Dans la communication 74/92, Commission nationale des droits de l’homme et des libertés c. Tchad, la Commission a considéré que la Charte africaine « contrairement aux autres instruments des droits de l’homme, ne permet pas aux Etats parties de ne pas respecter leurs obligations au titre du traité en cas de situations d’urgence. En conséquence, même une situation de […] guerre […] ne peut être invoquée comme une justification par l’Etat violant ou autorisant des violations de la Charte africaine pour justifier de la violation de la Charte africaine ou du fait de permettre sa violation » (voir également la communication 159/96, UNDH & autres c. Angola » ; § 70 : « Les dispositions combinées des articles 60 et 61 de la Charte africaine permettent à la Commission de s’inspirer du droit international sur les droits de l’homme et des peuples, de la Charte des Nations unies, de la Charte de l’Organisation de l’unité africaine et de prendre également en considération, comme mesures subsidiaires pour définir les principes du droit, d’autres conventions internationales générales ou spéciales, en établissant des règles reconnues par les Etats membres de l’Organisation de l’unité africaine, les principes généraux reconnus par les Etats africains ainsi que les précédents juridiques et la doctrine. En vertu des articles 60 et 61, la Commission soutient que les quatre conventions de Genève et les deux Protocoles additionnels relatifs aux conflits armés font partie des principes généraux du droit reconnus par les États africains et qu’elle en tient compte dans l’examen de cette affaire ».

  1. L’organe international appliquera dans ce cas le droit international des droits de l’homme, éventuellement en prenant en considération les règles du droit international humanitaire selon le modèle qu’on a vu (« Le jeu du droit international des droits de l’homme et l’articulation des règles de protection de la personne humaine »)[1].

[1] Sur ce point, voir R. Hofmann, “Human Rights Treaty Bodies and Their Potential Role in Monitoring”, in von Heinegg W. H., Epping V. (Eds.), International Humanitarian Law Facing New Challenges. Symposium in Honour of Knut Ipsen, Berlin, Heidelberg, New York, Springer, 2007, pp. 269 ss.; O. Casanovas, “La confluence du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme’, in Droit international et culture juridique. Mélanges offerts à Charles Leben, Paris, Pedone, 2015, pp. 45 ss.

De même, on l’a dit (« Le jeu du droit international des droits de l’homme et l’articulation des règles de protection de la personne humaine »), les organes internationaux de répression des violations graves du droit international humanitaire font appel au droit international des droits de l’homme auquel ils empruntent certains concepts. Cela ne saurait étonner dans la mesure où ces crimes constituent toujours des violations du droit international des droits de l’homme.

  1. En somme, ils sont tous dans une certaine mesure gardiens non seulement du traité qu’ils doivent appliquer mais également des règles coutumières applicables dans les autres branches.

Cela signifie concrètement qu’un organe de réparation des droits de l’homme pourra commander une réparation par un Etat des dommages occasionnés par une violation des droits de l’homme qui constitue également une violation du droit international humanitaire voire un crime international qui aurait fait l’objet devant une autre instance d’une punition d’un ou plusieurs individus. On assiste donc au maintien d’une responsabilité civile de l’Etat même si une responsabilité individuelle aurait pu et pourrait toujours jouer. Réciproquement, une juridiction pénale internationale pourra être amenée à condamner un individu pour un crime constitutif également d’une violation du droit international des droits de l’homme et/ou du droit international humanitaire. Dans ce cas, on assiste à une pénalisation d’une violation de ces deux branches.

3.2.1.2. La réparation comme accessoire d’une déclaration de culpabilité ou violation du droit

  1. En tout état de cause, traditionnellement et tel que cela fut rappelé in A/RES/60/147, 16 décembre 2005, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, principe 15[1], en droit international humanitaire, comme en droit international des droits de l’homme, dans la logique classique du droit de la responsabilité internationale de l’Etat, la réparation est un accessoire de la déclaration d’un fait illicite[2].

[1] « […]. Conformément à sa législation interne et à ses obligations juridiques internationales, l’Etat assure aux victimes la réparation des actes ou omissions qui peuvent lui être imputés et qui constituent des violations flagrantes du droit international des droits de l’homme ou des violations graves du droit international humanitaire. Dans les cas où la responsabilité de la réparation incombe à une personne physique, à une personne morale ou à une autre entité, la personne ou l’entité devrait assurer réparation à la victime ou indemniser l’État lorsque celui-ci a déjà assuré réparation à la victime ».

[2] Voir p. ex., l’article 3 de la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe, le Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 18 octobre 1907 : « La Partie belligérante qui violerait les dispositions dudit Règlement sera tenue à indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée ».

  1. D’une part, la réparation internationale est conditionnée par l’établissement d’un fait illicite international. Cela est également le cas en droit international pénal. En effet, aux termes de l’article 75 § 2 du Statut de la CPI, la condamnation par la Cour de l’individu à réparer est un accessoire de la déclaration de sa culpabilité : « La Cour peut rendre contre une personne condamnée une ordonnance indiquant la réparation qu’il convient d’accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Cette réparation peut prendre notamment la forme de la restitution, de l’indemnisation ou de la réhabilitation. […] »[1].

[1] Voir notamment E. David, « La Cour pénale internationale », RCADI, t. 313, 2005, p. 417.

  1. D’autre part, les développements relatifs à l’obligation des Etats d’offrir des voies internes de réparation ne concernent que les cas d’allégations de violation de la convention visée[1].

Voir ainsi : RDC, tribunal militaire, 2 août 2006, Ituri District, Military Prosecutor v. Kahwa Panga Mandro (Ives), First Instance Decision, RMP No 227/PEN/2006, in OPIL, Oxford Reports on International Law in Domestic Courts, ILDC 524 (CD 2006), observation Phebe Mavungu Clément, où le tribunal, après avoir déclaré l’accusé coupable, condamna le prévenu à payer des sommes à chacune des victimes qui se sont constituées parties civiles.


[1] Voir notamment l’article 2 § 3 du Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966 qui ne parle pas expressément de la réparation et l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 7 mars 1966 : « Les Etats parties assureront à toute personne soumise à leur juridiction une protection et une voie de recours effectives, devant les tribunaux nationaux et autres organismes d’Etat compétentes, contre tous actes de discrimination raciale qui, contrairement à la présente Convention, violeraient ses droits individuels et ses libertés fondamentales, ainsi que le droit de demander à ces tribunaux satisfaction ou réparation juste et adéquate pour tout dommage dont elle pourrait être victime par suite d’une telle discrimination ».

  1. Cela dit, on y reviendra, une réparation peut être octroyée sans déclaration de culpabilité grâce à des mécanismes de type solidariste et/ou assuranciel.
3.2.1.2.1. Corollaire: Le principe de la charge de réparer sur le responsable
  1. Lorsque la réparation est octroyée en conséquence d’une déclaration de culpabilité, l’obligation de réparer pèse généralement sur le coupable quand bien même le versement de la réparation se ferait par l’intermédiaire d’une entité tierce, comme le Fonds au profit des victimes de la CPI établi en 2002 par l’Assemblée des Etats parties et administré par le greffe de la Cour. Ainsi, l’article 75 § 2 du Statut de la CPI précise : « Le cas échéant, la Cour peut décider que l’indemnité accordée à titre de réparation est versée par l’intermédiaire du Fonds visé à l’article 79 ». La charge de la réparation, accessoire d’une déclaration de culpabilité, pèse bien sur l’auteur du crime ayant causé le dommage[1], mais peut être versée par un mécanisme public de réparation, en l’espèce le Fonds au profit des victimes, notamment si une réparation collective paraît plus adéquate.

[1] H. Ascensio, « Les droits des victimes devant les juridictions pénales internationales », in Flauss J.-F. (dir.), La protection internationale des droits de l’homme et les droits des victimes, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 77-109,95-96.

Voir également Règlement de procédure et de preuve de la CPI, Règle 98 – Fonds au profit des victimes : « 1. Les ordonnances accordant réparation à titre individuel sont rendues directement contre la personne reconnue coupable. / 2. La Cour peut ordonner que le montant de la réparation mise à la charge de la personne reconnue coupable soit déposé au Fonds au profit des victimes si, au moment où elle statue, il lui est impossible d’accorder un montant à chaque victime prise individuellement. Le montant de la réparation ainsi déposé est séparé des autres ressources du Fonds et est remis à chaque victime dès que possible. / 3. La Cour peut ordonner que le montant de la réparation mise à la charge de la personne reconnue coupable soit versé par l’intermédiaire du Fonds au profit des victimes lorsqu’en raison du nombre des victimes et de l’ampleur, des formes et des modalités de la réparation, une réparation à titre collectif est plus approprié. / 4. A l’issue de consultations avec les Etats intéressés et le Fonds au profit des victimes, la Cour peut ordonner que la réparation soit versée par l’intermédiaire du Fonds à une organisation intergouvernementale, internationale ou nationale agréée par le Fonds. […] »[1].


[1] Voir E. David, « La Cour pénale internationale », RCADI, t. 313, 2005, p. 416. Voir également : « à la différence des autres fonds internationaux, il n’est pas qu’une structure administrative. Son mandat est intrinsèquement lié à celui de la Cour pénale internationale et, notamment, aux condamnations que rendront les chambres. […]. Il procède de l’idée d’une justice à la fois répressive et réparatrice alors que les autres fonds interviennent auprès des victimes sans que leurs décisions n’emportent de conséquences juridiques en termes de responsabilité », F. Parodi, « Les fonds internationaux en faveur des victimes », op. cit., p. 719. Le même auteur continue, p. 723 : « La participation du fonds institué par la Cour pénale internationale à la promotion de la justice et, plus spécifiquement, à l’exercice de la compétence de la Cour transparaît de plusieurs règles de procédure qui touchent aux deux mandats du fonds. Qu’il répare le préjudice d’un individu, ou qu’il assiste une victime, il reste en effet intrinsèquement lié à la Cour même s’il constitue un organe indépendant. Il ne peut notamment octroyer une réparation à une victime que si la Cour a rendu une ordonnance de réparation contre une personne condamnée (Règlement du Fonds d’affectation spéciale au profit des victimes, ICC-ASP/4/Res.3, décembre 2005, règle 50-b). Il doit donc nécessairement avoir été saisi préalablement par une ordonnance pour pouvoir mettre en œuvre ses activités. L’ordonnance de réparation sert alors de référence au Secrétariat qui prépare un projet de plan de mise en œuvre de l’ordonnance et qui le soumet à l’approbation de la Chambre concernée (règles 54 et 57 du Règlement du Fonds d’affectation spéciale au profit des victimes). De la même façon, lorsque le nombre important de victimes commande une réparation à titre collectif, les méthodes choisies par le fonds pour verser l’indemnité déterminée par la Cour doivent être approuvées par la Cour (règle 69 du Règlement du Fonds d’affectation spéciale au profit des victimes). De façon plus générale, « la Cour établit des principes applicables aux formes de réparation, telles que la restitution, ‘indemnisation ou la réhabilitation, à accorder aux victimes ou à leurs ayants droit » (art 75 § 1 du Statut de Rome). A Cour demeure donc le pilote du volet réparation. / Le fonds entretient une même relation étroite avec la Cour dans le cadre de son mandat d’assistance. […]. Le Conseil de direction ne peut toutefois procéder à cette aide qu’après avoir notifié sa décision à la Cour (règle 50-a-ii). […]. Les activités du fonds sont donc bien liées à l’exercice de la compétence de la Cour, même s’il dispose d’un Conseil de direction et d’un Secrétariat indépendant ».

  1. Un tel mécanisme de mise en œuvre de l’obligation de réparer par la constitution d’un fonds d’indemnisation existe également en droit international des droits de l’homme, l’organe international de contrôle pouvant commander à l’Etat la constitution d’un tel fonds abondé par lui.

Voir ainsi Cour ADHP, 23 juin 2022, Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. République du Kenya, Requête n° 006/2012, arrêt (réparations) : « 154. La Cour rappelle qu’elle a ordonné à l’État défendeur de verser les indemnités dues aux Ogiek en raison de la violation de leurs droits. La Cour note que la communauté Ogiek vivant dans la région de la forêt de Mau compte environ 40 000 membres. Étant donné que les violations qui ont conduit au présent arrêt ont été subies par de nombreux membres des Ogiek et sur une période considérable, la Cour estime qu’il est très important que tout avantage résultant du présent litige soit étendu au plus grand nombre possible de membres de la communauté Ogiek. Dans ces circonstances, la mise en place d’un fonds constitue un des mécanismes permettant de garantir que tous les Ogiek bénéficient du plein effet des décisions rendues dans cette affaire. 155. Ainsi, la Cour ordonne à l’État défendeur de créer un fonds de développement communautaire au profit des Ogiek, qui devrait être le dépositaire de tous les fonds ordonnés à titre de réparations dans le présent arrêt. Le fonds de développement communautaire doit servir à soutenir des projets au profit des Ogiek dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la sécurité alimentaire, de la gestion des ressources naturelles et de toute autre cause bénéfique à leur bien-être, tel que défini au fil du temps par le comité en charge de l’administration du fonds en consultation avec les Ogiek. L’État défendeur doit donc prendre les mesures administratives, législatives et autres nécessaires à la mise en place de ce fonds dans un délai de douze (12) mois à compter de la notification du présent arrêt. 156. En ce qui concerne l’administration du fonds de développement communautaire, la Cour ordonne que l’État défendeur coordonne le processus de création d’un comité qui supervisera la gestion du fonds. Ce comité doit comprendre un nombre suffisant de représentants des Ogiek, qui seront désignés par les Ogiek eux-mêmes ».

Voir avant I/A Court H.R., March 29, 2006, Case of the Sawhoyamaxa Indigenous Community v Paraguay (Merits, Reparations and Costs), IACHR Series C No 146, IHRL 1530 (IACHR 2006), § 224 : “Based on the above the Court considers meet, on equitable grounds, to order the State to establish a community development fund in the lands to be made over to the members of the Community, as set forth in paragraph 207 of the instant Judgment. The State shall allocate the amount of US$ 1,000,000.00 (one million United States Dollars) to such fund, which will be used to implement educational, housing, agricultural and health projects, as well as to provide drinking water and to build sanitation infrastructure, for the benefit of the members of the Community. These projects must be established by an implementation committee, as described below, and must be completed within two years as from delivery of the lands to the members of the Indigenous Community”.

Voir également #I/A Court H.R., November 25, 2015, Case of the Kaliña and Lokono Peoples v. Suriname, Judgment (Merits, Reparations and Costs), Serie C n° 309 : “295. In view of the fact that the State has been found internationally responsible for the violation of Articles 1(1), 2, 3, 21, 23 and 25 of the Convention, which has resulted in the harm to extremely representative values of the members of the Kaliña and Lokono peoples that have an impact on their cultural identity and on the cultural heritage to be transmitted to future generations, the Court finds it appropriate, as it has in previous cases[1], to establish the creation of a community development fund as compensation for the pecuniary and non-pecuniary damage suffered by the members of these peoples. Furthermore, this fund is in addition to any other present or future benefit that might correspond to the Kaliña and Lokono peoples as a result of the State’s general development obligations[2]. 296. Bearing in mind that “indigenous peoples have the right to the conservation and protection of the environment and the productive capacity of their lands or territories and resources[3], as well as the observations of the representatives concerning the requested investment projects, the Court finds that the purpose of the community development fund must be to develop projects in the areas of health, education, food security, resource management, and others that the Kaliña and Lokono peoples consider pertinent for their development.  297. The State must take all the necessary administrative, legislative, financial and human resource measures to create and implement this fund and, to this end, within three months of notification of this Judgment, it must appoint an authority with competence in this matter, to administer the Fund. Meanwhile, the Kaliña and Lokono peoples must choose a representative for the dialogue with the State, so that the fund is implemented in accordance with the will of the peoples[4]. 298. The State must allocate the sum of US$1,000,000.00 (one million United States dollars) to this fund, to be invested and implemented in keeping with the proposed objectives, within no more than three years of notification of this Judgment”[5].


[1] Cf. Case of the Yakye Axa Indigenous Community, supra, para. 205, and Case of the Garífuna Community of Punta Piedra and its members, supra, para. 332.

[2] Cf. Case of the Garífuna Community of Punta Piedra and its members, supra, paras. 332 to 336.

[3] Cf. Article 29 (1) of the United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples, supra.

[4] Cf. Case of the Garífuna Community of Punta Piedra and its members, supra, para. 334.

[5] Voir encore I/A Court H.R., Saramaka People v. Suriname, Judgment (Preliminary Objections, Merits, Reparations and Costs), 28 November 2007, Series C, No. 172 où la Cour aurait ordonné à l’Etat défendeur de verser une somme d’argent dans un fonds de développement au bénéfice des requérants à titre de réparation du préjudice matériel subi.

3.2.1.2.2. Exception : la sollicitation d’autres acteurs
  1. Parallèlement au principe qu’on a vu, le paragraphe 5 de la règle 98 du règlement de procédure et de preuve de la CPI énonce : « D’autres ressources du Fonds peuvent être utilisées au profit des victimes sous réserves des dispositions de l’article 79 [du Statut] », c’est-à-dire sous réserve de la position l’Assemblée des Etats parties en matière de gestion du fonds. C’est là ouvrir la possibilité d’une réparation versée par le Fonds mais à partir de contributions versées par d’autres entités que le coupable et la Cour a pu dans l’affaire Katanga, considérant l’indigence du coupable, demander au fonds de participer à la réparation[1]. Le fonds est ainsi devenu à la fois un mécanisme d’exécution des décisions de réparation de la Cour et un fonds de solidarité[2].

[1] Voir ainsi C. Maia, « Affaire Katanga : la CPI ordonne des réparations individuelles et collectives au profit des victimes », https://reseau-multipol.blogspot.fr/2017/03/actu-affaire-katanga-la-cpi-ordonne-des.html [consulté le 01/04/2018] ; C. Maia, « Affaire Katanga : confirmation pour l’essentiel de l’ordonnance de réparation par la chambre d’appel de la CPI », https://reseau-multipol.blogspot.com/2018/03/actu-affaire-katanga-confirmation-pour.html  ; C. Maia, « Affaire Al Mahdi : l’ordonnance de réparation de la CPI désormais définitive », https://reseau-multipol.blogspot.fr/2018/03/actu-affaire-al-mahdi-lordonnance-de.html, 10 mars 2018 [consulté le 01/04/2018].

[2] Il « constitue à la fois un mode de gestion des ressources disponibles pour la réparation et un mécanisme de solidarité. Il est ainsi chargé d’exécuter les ordonnances rendues par les chambres au profit des victimes lorsque le produit d’amendes, de biens confisqués ou d’ordonnances de réparation lui a été versé. Il peut par ailleurs, et de sa propre initiative, mener des activités et projets en faveur des victimes de crimes entrant dans la compétence de la Cour en utilisant d’autres ressources – contributions volontaires ou ressources allouées par l’assemblée des États parties [note omise] », H. Ascensio, « Les droits des victimes devant les juridictions pénales internationales », in Flauss J.-F. (dir.), La protection internationale des droits de l’homme et les droits des victimes, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 77-109, 96.

  1. Il rejoint ainsi un mouvement qui sort du schéma dominant pour épouser une logique de solidarité ou d’assurance[1]. Il existe en effet certains fonds, tels que le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture[2] ou le mécanisme d’indemnisation des Nations Unies dans l’affaire irakienne et le fonds d’indemnisation établi par la convention européenne sur l’indemnisation des victimes de crimes violents de 1983[3] qui ne sont pas accolés à une juridiction internationale ni à une procédure juridictionnelle et à une déclaration de culpabilité ou responsabilité[4].

[1] Sur celui-ci : “there is no evidence in international or national law that there is a right to compensation, reparations, and redress other than as a consequence to the establishment of responsibility for the harm produced. Thus, the idealistic notion of providing compensation, reparations, and redress to a victim on the basis of human solidarity is not yet part of mainstream legal thinking, particularly in connection with criminal proceedings. Instead, we find this notion of human and social solidarity in social legislation that provides assistance to those in need and includes victims. However, within this legal context, the person who receives public assistance or support is not considered a victim as in the case of criminal and civil proceedings. Thus, an important distinction must be made between criminal and civil legal proceedings that are driven by the concept of responsibility as opposed to human and social solidarity reflected in social assistance and support programs that are driven by other considerations”, M. Cherif Bassiouni, “International Recognition of Victims’ Rights”, Human Rights Law Review, Vol. 6, No. 2, 2006, pp. 203-279, 206. Voir aussi : “The right to redress was often based on some concept of responsibility rather than human or social solidarity to victims of crimes against the collective entity”, ibid., p. 207.

[2] Voir Nations Unies, reconstruire des vies : 25 ans de fonds de contributions volontaires des nations Unies pour les victimes de la torture, UN Publications, 2006, 196 p.

[3] M. Cherif Bassiouni, “International Recognition of Victims’ Rights”, Human Rights Law Review, Vol. 6, No. 2, 2006, pp. 203-279, 224 ss.

[4] « L’aide financière, apportée au même titre que l’aide humanitaire, psychologique, médicale sociale et juridique, par le fonds contre la torture n’est pas par exemple accompagnée d’allégations de torture. Ce fonds constitue un organe des Nations Unies administré par le Secrétaire général qui adopte les propositions de son Conseil d’administration, mais n’accompagne aucune juridiction. De la même façon, la Commission d’indemnisation des Nations Unies n’a pas pour objet de se prononcer sur la violation de règles de droit mais d’évaluer les préjudices qui découlent de l’occupation du Koweït par l’Irak. Son rôle n’est donc pas de trancher un différend en fonction d’une règle de droit, mais d’enquêter sur les pertes subies par des individus, des personnes morales, et des Etats, et d’évaluer leurs pertes, même si l’on ne peut nier que son mandat s’inscrit dans la droite ligne de la résolution 687 du Conseil de sécurité qui dénonce la responsabilité de l’Irak », F. Parodi, « Les fonds internationaux en faveur des victimes », op. cit., pp. 722-723. Voir aussi les tentatives en matière de terrorisme, notamment A/RES/49/185, 6 March 1995, Human Rights and terrorism, § 4 : « Requests the Secretary-General to seek the views of Member States on the possible establishment of a United Nations voluntary fund for victims of terrorism and to submit to the General Assembly as its fiftieth session, for its consideration, a report containing comments made by member States on the subject »; S/RES/1566 (2004, 8 octobre 2004, § 10 : “Demande en outre au groupe de travail créé en vertu du paragraphe 9 ci-dessus d’étudier la possibilité de créer un fonds international d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme et des membres de leur famille qui pourrait être financé par contributions volontaires, et dont les ressources proviendraient en partie des avoirs confisqués aux organisations terroristes, à leurs membres et commanditaires, et de lui soumettre ses recommandations ».

  1. Notons que certains droits étatiques permettent au juge de faire appel à des contributions volontaires pour abonder la réparation devant être versée par le ou les coupables[1].

[1] Voir Cour d’appel de N’Djamena, 25 mars 2015, Ministère public et Ismael Hachim et autres c. Saleh Younous Ali, Warou Fadoul Ali et a., arrêt criminel, Répertoire n° 01/15 : « Considérant par ailleurs qu’il est judicieux de faire référence aux bonnes volontés pour contribuer aux réparations civiles tant l’affaire a une ampleur très grande ; Que l’idée ayant sous-tendu cette réflexion demeure seulement la prise en charge des victimes ; que ces volontés qui ont été témoins de cette période sombre de l’histoire du Tchad n’attendent qu’un cadre dans lequel elles pourront aider les nombreuses victimes » et plus loin : « En cas d’insuffisance des fonds provenant de la vente des biens des accusés saisis, la différence pourra être complétée par les apports des pays amis du Tchad, des dons, aides et contributions des organisations non gouvernementales et autres associations »

3.2.2. La double dimension réparatrice et punitive du droit international humanitaire et du droit international pénal

  1. Le droit international des droits de l’homme qui ne connaît que de recours internationaux en réparation contre les Etats a développé une jurisprudence commandant à ceux-ci de poursuivre, juger, voire « punir » dans leur ordre interne les personnes relevant de leur juridiction qui auraient commis des violations de ses prescriptions. S’il est donc dans sa dimension internationale seulement réparateur, il invite les Etats à adopter des mécanismes internes de type non seulement civil mais également parfois pénal. On observe parallèlement une « pénalisation » du droit international humanitaire et une « civilisation » du droit pénal.

3.2.2.1. La « pénalisation » du droit international humanitaire

  1. De son côté, le droit international humanitaire connaît à la fois de questions de réparation et de punition selon l’entité mise en cause et l’ordre juridique compétent.

Ainsi, même si les traités classiques du droit international humanitaire font peser une responsabilité sur l’Etat de respecter leurs prescriptions, un certain nombre d’entre eux, on y reviendra, commandent simultanément à ceux-ci de « faire respecter » celle-ci, c’est-à-dire de poursuivre, juger et réprimer les violations graves éventuellement commises par des individus relevant de leur compétence, sinon de les extrader ou de les remettre à une juridiction internationale

En somme, le droit international humanitaire intègre une dimension pénale individuelle, même si celle-ci est une responsabilité mise en œuvre dans les ordres juridiques des Etats et non dans l’ordre international.

3.2.2.2. La « civilisation » du droit international pénal

  1. La plupart des juridictions pénales internationales ou hybrides ne connaissent pas de mécanisme de réparation pour les victimes, se concentrant sur la répression des criminels dans une logique purement punitive.

Ainsi, les Statuts des deux TPI et du Tribunal spécial pour la Sierra Leone n’avaient pas institué de mécanisme de réparation au profit des victimes. Au mieux prévoyaient-ils la possibilité de restituer les biens spoliés par un individu déclaré coupable à leurs propriétaires.

Voir les art. 24 § 3 du Statut du TPIY et 23 § 3 du Statut du TPIR, sous l’intitulé « peines » : « Outre l’emprisonnement du condamné, la Chambre de première instance peut ordonner la restitution à leurs propriétaires légitimes de tous biens et ressources acquis par des moyens illicites, y compris par la contrainte ».

Voir également l’art. 19 § 3 du Statut du TSSL sous le même intitulé : « In addition to imprisonment, the Trial Chamber may order the forfeiture of the property, proceeds and any assets acquired unlawfully or by criminal conduct, and their return to their rightful owner or to the State of Sierra Leone” ainsi que le Statut du tribunal spécial chargé de juger les crimes graves au Timor-Keste, tous deux adoptés après le Statut de Rome et inspirés de celui-ci[1]. En somme, seules les atteintes à la propriété étaient visées et ce, sans aucune participation des victimes dans la procédure[2].


[1] S. Pellet, “La place des victimes”, op. cit., § 46.

[2] Voir notamment H. Ascensio, « Les droits des victimes devant les juridictions pénales internationales », op. cit., pp. 94-95. ; F. Parodi, « Les fonds internationaux en faveur des victimes », op. cit., p. 722.

  1. Les tentatives des deux tribunaux d’établir un mécanisme de réparation ont été marquées par un échec[1] même si le greffe du TPIR avait institué un programme pour les victimes dans une logique de réparation ou justice restauratrice dépassant l’aspect rétributif du procès pénal[2].

[1] Voir les demandes adressées par les Présidents des tribunaux au Secrétaire général, Doc. ONU S/2000/1063 pour le TPIY et Doc. ONU S/2000/1198 pour le TPIR.

[2] F. Viljoen, “Africa’s Contribution to the Development of International Human Rights and Humanitarian Law”, African Human Rights Journal, Vol. 1, 2001, pp. 18 ss., 34.

  1. Le Statut de la CPI constitue donc un bouleversement en la matière en dédiant son article 75 à la « réparation en faveur des victimes ». Cette disposition donne en effet, on l’a vu, aux chambres de la Cour le pouvoir d’accorder une réparation aux victimes faisant peser l’obligation de réparer sur l’individu condamné. Il en résulte qu’à la responsabilité pénale de ce dernier peut s’ajouter une responsabilité de type civil[1]. On a vu que la réparation pourra également être octroyée par un fonds d’indemnisation institué par l’article 79 qui peut recourir à d’autres ressources. Ce n’est donc qu’avec cet instrument qu’est véritablement prévue une possibilité de réparation civile au profit des victimes[2], même si cette responsabilité paraît subsidiaire et limitée. Le statut de la CPI reconnaît même au profit des victimes un droit d’« intervenir » dans un procès devant elle pour obtenir réparation de leur préjudice.

[1] En ce sens H. Ascensio, « Les droits des victimes devant les juridictions pénales internationales », in Flauss J.-F. (dir.), La protection internationale des droits de l’homme et les droits des victimes, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 77-109,95-96.

[2] Contra, F. Viljoen, “Africa’s Contribution to the Development of International Human Rights and Humanitarian Law”, African Human Rights Law Journal, Vol. 1, No. 1, 2001, pp. 18-39, 34: “The Tribunal had also explored and elevated into the international discourse an important aspect of tradition African society, that of restorative justice. The tribunal Registrar has established a programme for victims, especially victims of rape and other sexual crimes. This emphasis on restorative justice rather than on (only) retribution has influenced the provision for a Trust Fund under the ICC Statute (Art 79 ICC Statute)”.

  1. La réparation susceptible d’être décidée par la CPI, à la demande des victimes ou de son propre chef dans des circonstances exceptionnelles, peut prendre la forme d’une « restitution », d’une « indemnisation » ou d’une « réhabilitation »[1]. Cette réparation peut être individuelle ou collective[2].

[1] Article 75 § 1, « La Cour établit des principes applicables aux formes de réparation, telles que la restitution, l’indemnisation ou la réhabilitation, à accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Sur cette base, la Cour peut, sur demande, ou de son propre chef dans des circonstances exceptionnelles, déterminer dans sa décision l’ampleur du dommage, de la perte ou du préjudice causé aux victimes ou à leurs ayants droit, en indiquant les principes sur lesquels elle fonde sa décision ». Voir également le § 2 précité. Voir dans le même sens A/RES/60/147, 16 décembre 2005, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, principe 18 : « Conformément à la législation interne et au droit international, et compte tenu des circonstances de chaque cas, il devrait être assuré aux victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, selon qu’il convient et de manière proportionnée à la gravité de la violation et aux circonstances de chaque cas, une réparation pleine et effective, comme l’énoncent les principes 19 à 23, notamment sous les formes suivantes : restitution, indemnisation, réadaptation, satisfaction et garanties de non-répétition ».

[2] Voir Règle 97 § 1 du Règlement de procédure et de preuve : « Compte tenu de l’ampleur du dommage, de la perte ou du préjudice, la Cour peut accorder une réparation individuelle ou, lorsqu’elle l’estime appropriée, une réparation collective, ou les deux ». Ainsi, la Chambre de première instance II a décidé dans son ordonnance de réparation du 24 mars 2017 d’accorder à la fois des réparations individuelles et collectives, ces dernières comprenant une indemnisation symbolique, un soutien psychologique, un soutien à des activités économiques, une aide au logement et une aide à l’éducation dans l’affaire Katanga. Voir C. Maia, « Actu : Affaire Katanga : la CPI ordonne des réparations individuelles et collectives au profit des victimes », https://reseau-multipol.blogspot.fr/2017/03/actu-affaire-katanga-la-cpi-ordonne-des.html [consulté le 01/04/2018].

  1. Une réparation fut également prévue pour les Chambres extraordinaires instituées pour juger l’ancien président Hissène Habré qui ont décidé l’allocation d’une réparation en faveur des victimes.
  2. De leur côté, certains droits pénaux étatiques prévoient, on y reviendra également, des mécanismes de réparation, accordant parfois un véritable droit d’action des victimes en réparation comme la technique de l’action civile couplée avec l’action pénale en France.
  3. En tout état de cause, les contentieux internes ne s’articulent pas sur cette tripartition, toutes les combinaisons étant possibles qui conduisent à une confusion des contentieux et donc des types de responsabilité invocables et susceptibles d’être obtenues.

Ainsi, les victimes se placent de plus en plus sur le terrain du droit international des droits de l’homme et les juges internes acceptent de juger sous le chapeau de celui-ci des comportements qui relèvent également du droit international humanitaire et constituent des crimes internationaux en sorte que les victimes peuvent obtenir une réparation pour les dommages causés par la commission d’un crime international. L’invocation de plus en plus fréquente des droits de l’homme pour obtenir réparation de dommages causés par une violation grave des règles de droit humanitaire et/ou un crime international peut permettre de la sorte à la victime d’un crime international commis par une personne physique d’obtenir, non seulement, condamnation pénale de celle-ci, mais également réparation pour les dommages subis.