Articulation des règles de protection de la personne humaine

Pour citer: J. Matringe, « Articulation des règles de protection de la personne humaine », in Droit international pénal et humanitaire, https://droitsafricainsonline.com/themes/droit-international-penal-et-humanitaire/articulation-des-regles-de-protection-de-la-personne-humaine/, mis à jour le 20 janvier 2023

On ne peut pas étudier le droit international humanitaire et le droit international pénal et leurs interactions sans traiter également de leurs rapports avec une autre branche du droit de la protection de la personne humaine, celle communément appelée « droit international des droits de l’homme » dont beaucoup de normes trouvent d’ailleurs un équivalent en droit international humanitaire et pénal.

1. Prolégomènes – L’applicabilité à toute situation du droit international des droits de l’homme

1.1. Applicabilité du droit international des droits de l’homme en temps de conflit armé

1.1.1. Les clauses des traités de protection des droits de l’homme

1.1.2. Jurisprudence internationale

1.1.3. Position de l’ONU

1.2. Applicabilité du droit international des droits de l’homme aux situations d’occupation

2. Rapprochement du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme

2.1. Le phénomène

1.2. Articulation du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire

1.2.1. Position du problème : les différences de protection substantielle

1.2.1.1. Le droit international humanitaire moins protecteur que le droit international des droits de l’homme

1.2.1.2. Le droit international humanitaire plus protecteur

1.2.2. Les techniques d’articulation

1.2.2.1. Application de la norme la plus favorable aux individus

1.2.2.2. L’interprétation des normes du droit international des droits de l’homme à la lumière du droit international humanitaire

1.2.2.3. L’interprétation des normes du droit international humanitaire à la lumière du droit international des droits de l’homme

3. Rapprochement du droit international pénal et du droit international des droits de l’homme

1. Prolégomènes – L’applicabilité à toute situation du droit international des droits de l’homme

  1. L’obligation qui pèse sur les Etats de respecter et faire respecter les droits de l’homme est applicable en temps de paix, mais également en situation de conflit armé, interne ou international, ainsi que dans le cadre du régime de l’occupation. Il faut en effet faire attention à la considération trop simpliste selon laquelle les droits de l’homme ne seraient applicables qu’en temps de paix et s’effaceraient en cas de conflit armé ou d’occupation au profit du droit international humanitaire et du droit international pénal.

1.1. Applicabilité du droit international des droits de l’homme en temps de conflit armé

  1. Il ne fait aucun doute que le droit international des droits de l’homme ne cesse pas de s’appliquer en temps de conflit armé, tout d’abord en tant qu’il régit les questions non régies par le droit des conflits armés, mais également en tant qu’il continue à régir des situations régies par ce dernier. Cela est affirmé dans plusieurs instruments, notamment de droit international humanitaire et par plusieurs institutions internationales[1].

[1] Voir ainsi le Rapport de la Commission internationale d’enquête sur le Darfour au Secrétaire général. Rapport établi en application de la résolution 1564 (2004) du Conseil de sécurité en date du 18 septembre 2004, doc. S/2005/60, § 144 : « Les Etats ont la responsabilité, au regard du droit international des droits de l’homme, de garantir la défense et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales en tout temps, de guerre comme de paix. L’obligation faite à l’Etat de s’abstenir de toute conduite qui viole les droits de l’homme, ainsi que le devoir de l’Etat de protéger les personnes qui relèvent de sa juridiction, sont inhérents à ce principe. Le Protocole additionnel II aux Conventions de Genève organise la protection des droits de la personne humaine, étendant ainsi aux situations de conflit armé le devoir de protection mis à la charge de l’Etat. Il s’ensuit que le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire se complètent et se recoupent en partie en période de conflit armé ». Plus généralement, C. Greenwood, “Scope of Application of Humanitarian Law”, in Fleck D. (ed.), The Handbook of International Humanitarian Law, 2nd ed., Oxford, Oxford UP, 2008, 770 p., 45 ss., 72-73 “International humanitarian law must be applied in context with other principles and provisions of international law. The most obvious manifestation of this principle is that the rules of general international law relating to such matters as treaty interpretation and application [note omitted] and state responsibility [note omitted] are as applicable in times of armed conflicts as they are in times of peace. International humanitarian law is not a self-contained body of law but part and parcel of international law as a whole. […]. Moreover, the outbreak of armed conflict no longer suspends the operation of that part of international law known as the law of peace, so that it remains applicable between the belligerents and neutrals and, subject to the effect of international humanitarian law, between the belligerents themselves”; p. 74 : “the law of peace will also continue to apply between the belligerents themselves. It is, however, subject to two qualifications. First, some rules of the law of peace contain within themselves limitations which become applicable in time of armed conflict or permit parties to derogate in time of armed conflict. Secondly, the law of armed conflict operates as a lex specialis which – in certain circumstances at least – will override conflicting obligations under the law of peace”.

1.1.1. Les clauses des traités de protection des droits de l’homme

  1. Très peu des instruments qu’on rattache habituellement au droit international des droits de l’homme traitent spécifiquement des questions relatives aux conflits armés[1] même si certaines conventions contiennent des dispositions spécifiquement applicables à une situation de conflit armé et prévoient leur articulation avec le droit humanitaire.

[1] H.-P. Gasser, “The Changing Relationship between International Criminal Law, Human Rights Law and Humanitarian Law”, op. cit., 1112.

  1. Cependant, les clauses qui délimitent leur champ d’application n’excluent jamais ces situations mais, au contraire, commandent aux Etats d’assurer le respect des droits énoncés par les traités à toute personne se trouvant sous leur juridiction, sans autre considération. C’est d’ailleurs en se fondant sur ce genre de clauses que les organes de contrôle ont affirmé l’applicabilité du droit international des droits de l’homme aux situations armées, pourvu, si le conflit se situe sur un territoire étranger à celui de l’Etat partie, que les demandeurs soient sous la juridiction de celui-ci, entendue comme un contrôle.
  2. Certes, un certain nombre d’instruments généraux contiennent une clause de dérogation dont le champ d’application peut recouper la situation de conflit armé. Toutefois, dans ce genre d’hypothèse, on y reviendra, le droit international des droits de l’homme ne s’efface jamais entièrement.
  3. En outre, les clauses d’exception et de dérogation ne disposent jamais qu’une situation de conflit armé suspendrait en tant que telle et de manière générale l’application de ces traités[1].

[1] D’ailleurs, selon le Projet d’articles de la Commission du droit international sur les effets des conflits armés sur les traités de 2011, art. 3, « L’existence d’un conflit armé n’entraîne pas ipso facto l’extinction des traités ni la suspension de leur application : a) entre les Etats parties au conflit ; b) entre un Etat partie au conflit et un Etat qui ne l’est pas ». De même, selon son article 7 et son annexe, les traités pour la protection internationale des droits de l’homme, relèvent des « traités dont la matière implique qu’ils continuent de s’appliquer, en tout ou partie, au cours d’un conflit armé ». En tout état de cause, ainsi qu’indiqué dans le même projet, art. 10, « L’extinction, le retrait ou la suspension de l’application d’un traité, lorsqu’ils résultent d’un conflit armé, n’affectent en aucune manière le devoir d’un Etat de s’acquitter de toute obligation énoncée dans le traité à laquelle il serait soumis en vertu du droit international indépendamment de ce traité ».

1.1.2. Jurisprudence internationale

  1. D’une manière générale, les droits de l’homme sont considérés par la Cour internationale de Justice, comme s’appliquant aux situations qui relèvent du droit international humanitaire, conflits armés internes comme internationaux.

En ce sens, par exemple, « la protection offerte par les conventions régissant les droits de l’homme ne cesse pas en cas de conflit armé, si ce n’est par l’effet de clauses dérogatoires du type de celle figurant à l’article 4 du pacte international relatif aux droits civils et politiques »[1]. Voir déjà : « la protection offerte par le pacte international relatif aux droits civils et politiques ne cesse pas en temps de guerre, si ce n’est par l’effet de l’article 4 du pacte, qui prévoit qu’il peut être dérogé, en cas de danger public, à certaines des obligations qu’impose cet instrument. Le respect du droit à la vie ne constitue cependant pas une prescription à laquelle il peut être dérogé. En principe, le droit de ne pas être arbitrairement privé de la vie vaut aussi pendant les hostilités »[2]. Il reste que, on y reviendra, selon la Cour, c’est le droit des conflits armés, en tant que lex specialis, qui permettra d’apprécier l’existence et la licéité d’une atteinte à la vie.


[1] Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Rec. 2004, p. 136, § 106.

[2] Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, C.I.J. Rec. 1996, p. 226, § 25. Voir également les §§ 216-220.

  1. Il en va de même des organes de protection des droits de l’homme.

Voir ainsi le Comité des droits de l’homme : « Pendant un conflit armé, international ou non, les règles du droit international humanitaire deviennent applicables et contribuent, outre les dispositions de l’article 4 et du paragraphe 1 de l’article 5 du Pacte, à empêcher tout abus des pouvoirs exceptionnels par un Etat. Le Pacte stipule expressément que même pendant un conflit armé, des mesures dérogeant au Pacte ne peuvent être prises que si, et dans la mesure où, cette situation constitue une menace pour la vie de la nation » (Observation générale n° 29 – Etats d’urgence (article 4), 24 juillet 2001, § 3).

La position du Comité des droits de l’homme fut reprise dans le rapport de la mission d’enquête sur l’attaque israélienne de la flotille de Gaza : “Human rights law in its entirety continues to apply in situations or armed conflict, except for derogations in accordance with treaty provisions relating to times of emergencies. In this respect the Mission notes the recent reiteration by the Human Rights Committee of its view that « the applicability of the regime of international humanitarian law during an armed conflict, as well as in a situation of occupation, does not preclude the application of the International Covenant on Civil and Political Rights, except by operation of article 4, whereby certain provisions may be derogated rom in a time of national emergency”[2][3].

De même encore, le rapport de Ph. Alston du 8 mars 2006 sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires (E/CN.4/2006/53) au sujet du droit à la vie au sens de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans les situations de conflit armé et d’occupation, § 36 : « Une situation de conflit armé ou d’occupation n’exonère en rien l’Etat de son obligation d’enquêter sur les violations des droits de l’homme et d’en poursuivre les auteurs. Le droit à la vie est un droit non susceptible de dérogation, quelles que soient les circonstances[4]. Toute pratique consistant à ne pas enquêter sur des allégations de violations au cours d’un conflit armé ou d’une occupation se trouve donc interdite. Comme le Comité des droits de l’homme l’a déclaré, « un élément inhérent à la protection des droits expressément déclarés non susceptibles de dérogation … est qu’ils doivent s’accompagner de garanties de procédure … Les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques relatives aux garanties de procédure ne peuvent faire l’objet de mesures qui porteraient atteinte à la protection des droits non susceptibles de dérogation »[5]. Il est indéniable que, lors de conflits armés, les circonstances peuvent parfois entraver les enquêtes. Ces circonstances n’exonéreront jamais de l’obligation d’enquêter – cela enlèverait au droit à la vie son caractère de droit non susceptible de dérogation – mais elles peuvent affecter les modalités ou les caractéristiques de l’enquête. Outre qu’ils sont pleinement responsables de la conduite de leurs agents, les Etats sont aussi tenus, pour ce qui est des actes des acteurs privés, à un niveau minimum de diligence due en période de conflit armé comme en temps de paix. Au cas par cas, un Etat pourrait avoir recours à des mesures d’enquête moins efficaces pour tenir compte de contraintes précises. Par exemple, il peut s’avérer impossible de procéder à une autopsie lorsque des forces hostiles contrôlent le lieu où a eu lieu un meurtre. Quelles que soient les circonstances, cependant, les enquêtes doivent toujours être menées aussi efficacement que possible et ne jamais être une pure formalité » [note omise] ».

C’est également la position de la Cour européenne des droits de l’homme : Cour EDH [GC], 11 juillet 2011, Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni, § 164 : « La Cour a déjà jugé que l’obligation procédurale découlant de l’article 2 continue de s’appliquer même si les conditions de sécurité sont difficiles, y compris dans un contexte de conflit armé (voir, parmi d’autres exemples, Güleç c. Turquie, 27 juillet 1998, § 81, Recueil 1998‑IV ; Ergi c. Turquie, 28 juillet 1998, §§ 79 et 82, Recueil 1998‑IV ; Ahmet Özkan et autres c. Turquie, no 21689/93, §§ 85-90, 309-320 et 326-330, 6 avril 2004 ; Issaïeva c. Russie, no 57950/00, §§ 180 et 210, 24 février 2005, et Kanlibaş c. Turquie, no 32444/96, §§ 39-51, 8 décembre 2005). A l’évidence, il se peut que, si le décès au sujet duquel l’article 2 impose une enquête survient dans un contexte de violences généralisées, de conflit armé ou d’insurrection, les investigateurs rencontrent des obstacles et que, comme l’a par ailleurs fait observer le rapporteur spécial de l’ONU (paragraphe 93 ci-dessus), des contraintes précises imposent le recours à des mesures d’enquête moins efficaces ou retardent les recherches (voir, par exemple, Bazorkina c. Russie, no 69481/01, § 121, 27 juillet 2006). Il n’en reste pas moins que l’obligation qu’impose l’article 2 de protéger la vie implique l’adoption, même dans des conditions de sécurité difficiles, de toutes les mesures raisonnables, de manière à garantir qu’une enquête effective et indépendante soit conduite sur les violations alléguées du droit à la vie (voir, parmi de nombreux autres exemples, Kaya c. Turquie, 19 février 1998, §§ 86-92, Recueil 1998‑I ; Ergi, précité, §§ 82-85 ; Tanrıkulu c. Turquie [GC], no 23763/94, §§ 101-110, CEDH 1999‑IV ; Khachiev et Akaïeva c. Russie, nos 57942/00 et 57945/00, §§ 156-166, 24 février 2005 ; Issaïeva, précité, §§ 215-224, et Moussaïev et autres c. Russie, nos 57941/00, 58699/00 et 60403/00, §§ 158-165, 26 juillet 2007) ».

De même la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples n’a pas hésité à appliquer la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dans sa communication n° 227/99 du 29 mai 2003, République Démocratique du Congo c. le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda. Voir aussi Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, 45e session ordinaire, 13-27 mai 2009, Sudan Human Rights Organisation & Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE) c. Soudan, Communication n° 279/03-296/05, § 165 : « La Commission souhaite rappeler aux Etats parties à la Charte africaine de respecter les droits de l’homme et des peuples à tout moment, y compris lors de conflits armés. Cela a été bien souligné dans Constitutional Rights Project et al. C. Nigeria où la Commission a déclaré que : « Contrairement à d’autres instruments internationaux des droits de l’homme, la Charte africaine ne contient pas de clause de dérogation. La limitation des droits et des libertés inscrits dans la Charte ne peut donc être justifiée par des circonstances d’urgence ou spéciales. Les seules raisons légitimes de limiter les droits et les libertés de la Charte africaine sont énoncées dans l’article 27(2) disposant que les droits de la Charte « s’exercent dans le respect des droits d’autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l’intérêt commun » ». C’est encore la position de la Commission interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Abella c. Argentine : « The American Convention, as well as other universal and regional human rights instruments, and the 1949 Geneva Conventions share a common nucleus of non-derogable rights and a common purpose of protecting human life and dignity. These human rights treaties apply both in peacetime, and during situations of armed conflict[6][7].


[2] CCPR/ISR/CO/3, para. 5.

[3] Report of the international fact-finding mission to investigate violations of international law, including international humanitarian and human rights law, resulting from the Israeli attacks on the flotilla of ships carrying humanitarian assistance, Doc. ONU A/HRC/15/21, 27 September 2010, § 68.

[4] ICCPR, article 4, paragraphe 2.

[5] Human Rights Committee, general comment No. 29, Derogations from provisions of the Covenant during a state of emergency. (2001), paragraph 15.

[6] « Indeed, the provisions of Common Article 3 are essentially pure human rights law. […] article 3 basically requires the States to do, in large measure, what is already obliged to do under the American Convention ».”

[7] Inter-American Commission on Human Rights, November 18, 1997, Juan Carlos Abella v. Argentina, Case 11.137, OEA/Ser.L/V/II.98 doc. 6 rev., § 158 [consulté le 1er Janvier 2022]

1.1.3. Position de l’ONU

  1. L’Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l’ONU ne cessent également de répéter cette applicabilité.

Voir ainsi S/RES/237, 14 juin 1967 sur la situation au Moyen-Orient, cons. 2 : « Considérant que les droits de l’homme essentiels et inaliénables doivent être respectés même dans les vicissitudes de la guerre » ; résolution de l’AGNU 2675 (XXV) du 9 décembre 1970, Principes fondamentaux touchant la protection des populations civiles en période de conflit armé, préambule « Rappelant en outre sa résolution 2444 (XXIII) du 19 décembre 1968 sur le respect des droits de l’homme en période de conflit armé. Consciente de la nécessité de mesures propres à assurer une meilleure protection des droits de l’homme en période de conflit ; […] ; Prenant acte avec satisfaction des rapports du Secrétaire général sur le respect des droits de l’homme en période de conflit armé[1] » ; art. 1 : «  Les droits fondamentaux de l’homme, tels qu’ils sont acceptés en droit international et énoncés dans les instruments internationaux, demeurent pleinement applicables en cas de conflit armé » ; art. 8 : « La fourniture de secours internationaux aux populations civiles est conforme aux principes humanitaires de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et d’autres instruments internationaux dans le domaine des droits de l’homme. […] » ; A/RES/3318 (XXIX), 14 décembre 1974, Déclaration sur la protection des femmes et des enfants en période d’urgence et de conflit armé, § 3 : « Tous les Etats doivent remplir entièrement leurs obligations conformément au Protocole de Genève de 1925 et aux Conventions de Genève de 1949 ainsi qu’aux autres instruments internationaux relatifs au respect des droits de l’homme en période de conflit armé, qui donnent à la protection des femmes et des enfants des garanties importantes » ; § 6 : « Les femmes et les enfants appartenant à la population civile et placés dans les conditions de période d’urgence et de conflit armé dans la lutte pour la paix, l’autodétermination, la libération nationale et l’indépendance, ou vivant dans des territoires occupés, ne seront pas privés d’abri, de nourriture, d’assistance médicale et des droits inaliénables, conformément aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’homme, du Pacte internationale relatif aux droits civils et politiques [réf. omise], du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels [réf. omise], de la Déclaration des droits de l’enfant[2] et des autres instruments internationaux » ; S/RES/1296 (2000), 19 avril 2000, sur la protection des civils en période de conflit armé, cons. 7 : « Soulignant qu’il importe que toutes les parties concernées se conforment aux dispositions de la Charte des Nations Unies et aux règles et principes du droit international, en particulier du droit international humanitaire et du droit relatif aux droits de l’homme et aux réfugiés, et appliquent intégralement ses décisions pertinentes » ; § 19 : « Réaffirme qu’il importe d’assurer le respect des dispositions pertinentes du droit international humanitaire et du droit relatif aux droits de l’homme et aux réfugiés […] » ; S/RES/1974 (2011), 22 mars 2011 sur la situation en Afghanistan, § 21 : « demande que le droit international, notamment le droit humanitaire et celui des droits de l’homme, soit strictement respecté » ; S/RES/1975 (2011), 30 mars 2011, sur la situation en Côte d’Ivoire, cons. 9 : « Condamnant les graves exactions et autres violations du droit international, notamment le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme et le droit international de réfugiés, perpétrés en Côte d’Ivoire […] » ; § 5 : « Redit qu’il condamne fermement tous les actes de violence perpétrés à l’encontre de civils, notamment les femmes, les enfants, les déplacés et les ressortissants étrangers, ainsi que les autres violations des droits de l’homme […] ».


[1] A/7720 et A/8052.

[2] Résolution 1386 (XIV).

1.2. Applicabilité du droit international des droits de l’homme aux situations d’occupation

  1. De même le droit international des droits de l’homme est-il applicable aux situations d’occupation.

En ce sens, CIJ, Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt du 19 décembre 2005, § 178 : « La Cour conclut ainsi que l’Ouganda était une puissance occupante dans le district de l’Ituri à l’époque pertinente. En tant que tel, il se trouvait dans l’obligation, énoncée à l’article 43 du règlement de La Haye de 1907, de prendre toutes les mesures qui dépendaient de lui en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il était possible, l’ordre public et la sécurité dans le territoire occupé en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur en RDC. Cette obligation comprend le devoir de veiller au respect des règles applicables du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire, de protéger les habitants du territoire occupé contre les actes de violence et de ne pas tolérer de tels actes de la part d’une quelconque tierce partie » ; § 179 : « La Cour ayant conclu que l’Ouganda était une puissance occupante en Ituri à l’époque pertinente, la responsabilité de celui-ci est donc engagée à raison à la fois de tout acte de ses forces armées contraire à ses obligations internationales et du défaut de la vigilance requise pour prévenir les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire par d’autres acteurs présents sur le territoire occupé, en ce compris les groupes rebelles agissant pour leur propre compte » ; § 180 : « La Cour relève que l’Ouganda est responsable de l’ensemble des actes et omissions de ses forces armées sur le territoire de la RDC, qui violent les obligations lui incombant en vertu des règles, pertinentes à la situation de l’espèce, du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire » ; § 220 : « La Cour conclut dès lors que l’Ouganda est internationalement responsable des violations du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire qui ont été commises par les UPDF et leurs membres sur le territoire congolais, ainsi que de ses manquements aux obligations lui incombant en tant que puissance occupante de l’Ituri, pour ce qui concerne les violations du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire dans le territoire occupé ».

Voir également CPI, Chambre préliminaire I, 29 janvier 2007, Situation en République démocratique du Congo, Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, décision sur la confirmation des charges, Affaire ICC-01/04-01/06, § 212 : « La Chambre observe que dans l’arrêt rendu le 19 décembre 2005 dans l’affaire opposant la République démocratique du Congo et l’Ouganda, la Cour internationale de Justice a considéré que selon le droit international coutumier tel qu’il ressort de l’article 42 du Règlement de La Haye de 1907, un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie, et que l’occupation ne s’étend qu’au territoire où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer[1] » ; § 213 : « Pour déterminer si un Etat dont les forces militaires sont présentes sur le territoire d’un autre Etat du fait d’une intervention est une puissance occupante, la CIJ a considéré qu’elle devait « s’assurer que les forces armées ougandaises présentes en RDC n’étaient pas seulement stationnées en tel ou tel endroit, mais qu’elles avaient également substitué leur propre autorité à celle du Gouvernement congolais »[2] » ; § 220 : « Au vu des éléments de preuve admis aux fins de l’audience de confirmation des charges, la Chambre considère qu’il existe des preuves suffisantes donnant de motifs substantiels de croire que du fait de la présence de la République de l’Ouganda comme puissance occupante, le conflit armé qui a eu lieu en Ituri peut être qualifié de conflit de nature internationale de juillet 2002 au juin 2 juin 2003, date du retrait effectif de l’armée ougandaise ».

Voir encore CPI, Chambre de première instance I, 14 mars 2012, Situation en République démocratique du Congo, Affaire le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Affaire ICC-01/04-01/06, Jugement rendu en application de l’article 74 du Statut, § 542 : « la note de bas de page 34 des Eléments des crimes indique que l’expression « conflit armé international » englobe « l’occupation militaire », pour tous les crimes visés à l’article 8-2-a du Statut. La Chambre préliminaire I a conclu qu’un « territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie, et que l’occupation ne s’étend qu’au territoire où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer »[3]. La Chambre souscrit à cette définition. Elle relève la référence faite dans l’article 8-2-b du « cadre établi du droit international », qui s’applique de la même manière aux crimes que cet article énumère. Le « fait de procéder à la conscription ou à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans les forces armées nationales ou de les faire participer activement à des hostilités » est un crime sanctionné par l’article 8-2-b-xxvi du Statut en entrant dans « le cadre établi du droit international », en ce qu’il fait partie des « autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux ». Cette interdiction est fondée sur l’article 77-2 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève du 12 août 1949[4]. Il s’ensuit qu’aux fins de l’article 8-2-b-xxvi du Statut, les « conflits armés internationaux » incluent les situations d’occupation militaire ».


[1] Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), Arrêt du 19 décembre 2005, CIJ Recueil 2005, p. 59 par. 172, voir aussi Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, Avis consultatif du 9 juillet 2004, C.I.J. Recueil 2004, p. 167, par. 78, et p. 171, par. 89.

[2] Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), Arrêt du 19 décembre 2005, CIJ Recueil 2005, p. 59 par. 173.

[3] ICC-01/04-01/06-803, par. 212, se fondant sur l’arrêt rendu par la C.I.J. dans l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), 19 décembre 2005, C.I.J. Recueil 2005, et sur les articles 42 et 43 du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la Convention de La Haye (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, 18 octobre 1907. L’article 42 est ainsi libellé : « Un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer ». L’article 43 dispose comme suit : « L’autorité du pouvoir légal ayant passé de fait entre les mains de l’occupant, celui-ci prendra toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il est possible, l’ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays ». Voir aussi ICC-01/04-01/06-803, par. 205.

[4] Note omise.

2. Rapprochement du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme

2.1. Le phénomène

  1. Le rapprochement se fit d’abord entre le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire à la faveur de la Conférence des Nations Unies sur les droits de l’homme de Téhéran tenue en 1968[1] qui se référa aux « droits de l’homme dans les conflits armés » pour parler du droit international humanitaire[2]. Celle-ci fut suivie par la résolution 2444 (XXIII) de l’AGNU du 19 décembre 1968 intitulée « Respect des droits de l’homme en période de conflit armé »[3] qui réaffirma certains principes fondamentaux qui gouvernèrent plus tard le développement du droit international humanitaire sous les auspices de l’ONU en utilisant la phraséologie du droit international humanitaire. A partir de là, l’ONU commence à s’intéresser au droit international humanitaire par le biais des droits de l’homme.

Voir aussi A/RES/60/147 adoptée le 16 décembre 2005, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, Partie I qui pose une obligation indifférenciée de respecter, de faire respecter et d’appliquer le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire[4] et Partie II qui précise la portée de l’obligation[5]. Voir également les parties VI (Traitement des victimes), VII (Droit des victimes (de violations flagrantes des DH et graves du DIH)) aux recours ; VIII (Accès à la justice (des victimes de violations flagrantes et graves)), IX ((Réparation du préjudice subi (par les mêmes victimes)), X (Accès aux informations utiles concernant les violations et les mécanismes de réparation des mêmes victimes), XI (Non-discrimination).


[1] Voir Acte final de la Conférence international des droits de l’homme, Téhéran, 22 avril – 13 mai 1968, New York, Nations Unies, 1968, A/CONF.32/41

[2] Voir H.-P. Gasser, “The Changing Relationship between International Criminal Law, Human Rights Law and Humanitarian Law”, op. cit., p. 1114.

[3] Voy aussi Rapport du Secrétaire général, Le respect des droits de l’homme en période de conflit armé, 20 novembre 1969, doc. A/77/20 et Rapport du Secrétaire général, Le respect des droits de l’homme en période de conflit armé, 18 septembre 1970, doc. A/8052.

[4] « 1. L’obligation de respecter, de faire respecter et d’appliquer le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire, telle qu’elle est prévue dans les régimes juridiques pertinents, découle : a) Des traités auxquels un État est partie ; b) Du droit international coutumier ; c) Du droit interne de chaque État. 2. Les États, s’ils ne l’ont pas encore fait, veillent, comme ils y sont tenus par le droit international, à ce que leur droit interne soit compatible avec leurs obligations juridiques internationales : a) En incorporant les normes du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans leur droit interne, ou en les mettant en application dans leur système juridique national ; b) En adoptant des procédures législatives et administratives appropriées et efficaces ainsi que d’autres mesures appropriées qui garantissent un accès équitable, effectif et rapide à la justice ; c) En assurant des recours suffisants, utiles, rapides et appropriés, y compris la réparation […] ; d) En veillant à ce que leur droit interne assure aux victimes au moins le même niveau de protection que celui exigé par leurs obligations internationales.

[5] « 3. L’obligation de respecter, des faire respecter et d’appliquer le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire, telle qu’elle est prévue dans les régimes juridiques pertinents, comprend, entre autres, l’obligation : a) De prendre les mesures législatives et administratives appropriées ainsi que d’autres mesures appropriées pour prévenir les violations ; b) D’enquêter de manière efficace, rapide, exhaustive et impartiale sur les violations et de prendre , le cas échéant, des mesures contre les personnes qui en seraient responsables, conformément au droit interne et au droit international ; c) D’assurer à ceux qui affirment être victimes d’une violation des droits de l’homme ou du droit humanitaire l’accès effectif à la justice, dans des conditions d’égalité […], quelle que soit, en définitive, la partie responsable de la violation ; d) D’offrir aux victimes des recours utiles, y compris la réparation […] ».

  1. De son côté, le droit international humanitaire s’intéresse aux droits de l’homme. Selon certains, se rattachant au travail d’Henri Dunant, le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire auraient fondamentalement le même objet, protéger la vie, la dignité et l’humanité de la personne humaine. On l’a vu, le droit international humanitaire ne s’est pas toujours inscrit dans cette perspective. Cependant, il le fait de plus en plus.

Ainsi, les deux protocoles additionnels de 1977 aux conventions de Genève établirent plusieurs liens entre le droit international humanitaire et les droits de l’homme, adaptant ces derniers à la situation de conflit armé.

En ce sens, le préambule du Protocole additionnel II de 1977 énonce : « Rappelant également que les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme offrent à la personne humaine une protection fondamentale ». De même, outre des interdictions particulières stipulées aux § 2 et 3, l’article 4 du Protocole II – Garanties fondamentales énonce : « 1. Toutes les personnes qui ne participent pas directement ou ne participent plus aux hostilités, qu’elles soient ou non privées de liberté, ont droit au respect de leur personne, de leur honneur, de leurs convictions et de leurs pratiques religieuses. Elles seront en toutes circonstances traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable. Il est interdit d’ordonner qu’il n’y ait pas de survivants »[1]. Voir encore le titre II intitulée « Traitement humain » qui est du pur droit international des droits de l’homme.

Voir également l’article 75 du Protocole 1 intitulé « Garanties fondamentales » qui énonce l’essentiel de la protection des droits de l’homme pour les personnes affectées par les conflits armés et l’article 72 du même protocole qui déclare : « Les dispositions de la présente Section [« Traitement des personnes au pouvoir d’une partie au conflit »] complètent les normes relatives à la protection humanitaire des personnes civiles et des biens de caractère civil au pouvoir d’une Partie au conflit énoncées dans la IVe Convention, en particulier aux Titres I et III, ainsi que les autres normes applicables du droit international qui régissent la protection des droits fondamentaux de l’homme pendant un conflit armé de caractère international ».


[1] L’article 5 est relatif aux personnes privées de liberté, l’article 6 aux poursuites pénales.

  1. De leur côté, la Cour internationale de Justice et les organes de protection des droits de l’homme ont constamment confirmé ce lien en déclarant que le droit international des droits de l’homme ne cesse pas de s’appliquer en cas de conflit d’armé et d’occupation, domaines privilégiés du droit international humanitaire.
  2. Il en découle que les règles protectrices des deux corpus sont en large partie convergentes, les deux poursuivant l’objet de protéger la personne humaine.

Voir en ce sens le Rapport de la Commission internationale d’enquête sur le Darfour « Les deux principaux corpus juridiques qui s’appliquent au Soudan dans le conflit du Darfour sont : le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire. Ils se complètent l’un l’autre. Ainsi, ils visent l’un comme l’autre à protéger la vie et la dignité humaine, à interdire la discrimination fondée sur un certain nombre de motifs et à protéger de la torture ou d’autres traitements cruels, inhumains et dégradants. Ils ont l’un comme l’autre pour objet de ménager des garanties aux personnes qui font l’objet de procédures pénales et de sauvegarder les droits fondamentaux, dont ceux liés à la santé, à l’alimentation et au logement. L’un comme l’autre consacrent des dispositions à la protection des femmes et des groupes vulnérables, comme les enfants et les personnes déplacées. Ils diffèrent en ceci que si le droit des droits de l’homme protège l’individu en tout temps, le droit international humanitaire, quant à lui, est la lex specialis qui ne s’applique qu’aux situations de conflit armé »[1].


[1] Rapport de la Commission internationale d’enquête sur le Darfour au Secrétaire général. Rapport établi en application de la résolution 1564 (2004) du Conseil de sécurité en date du 18 septembre 2004, doc. S/2005/60, § 143.

  1. Ainsi, plusieurs instruments de droit international humanitaire prescrivent une protection qu’on trouve dans ceux relatifs aux droits de l’homme.

Par exemple, l’article 3 commun aux 4 conventions de Genève de 1949 dispose qu’en cas de conflit armé non international et surgissant sur le territoire d’une Haute Partie Contractante, chaque partie au conflit est tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes : 1) les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, les sexe, la naissance ou la fortune, ou tout critère analogue [c’est le principe de non-discrimination ; voir article 3 du Pacte international sur les droits civils et politiques ; article 14 et protocole 12 à la Convention européenne des droits de l’homme ; convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale]. A cet effet, sont et demeurent prohibées, en tout temps et en tout lieu, à leur égard : a) les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices [Voir articles 6 et 7 du Pacte international sur les droits civils et politiques; articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ] ; c) les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants [art. 7 du Pacte international sur les droits civils et politiques; article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme] ; d) les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés [art. 14 du Pacte international sur les droits civils et politiques ; article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme].

De même l’article 75 du protocole additionnel I relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, relatif aux garanties fondamentales, dispose dans son § 1, que dans la mesure où elles sont affectées par une situation visée à l’article premier, les personnes au pouvoir d’une partie au conflit et qui ne bénéficient pas d’un traitement plus favorable en vertu des conventions et du protocole seront traitées avec humanité en toutes circonstances et bénéficieront au moins des protections prévues par l’article sans aucune distinction de caractère défavorable fondée sur la race la couleur, le sexe, la langue, la religion ou la croyance, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou une autre situation, ou tout autre critère analogue. Chacune des parties respectera la personne, l’honneur, les convictions et les pratiques religieuses de ces personnes. En vertu du § 2, sont et demeurent prohibés en tout temps et en tout lieu les actes suivants, qu’ils soient commis par des agents civils ou militaires : a) les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes, notamment le meurtre, la torture sous toutes ses formes, qu’elle soit physique ou mentale, les peines corporelles, les mutilations ; les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, la prostitution forcée et toute forme d’attentat à la pudeur et même la menace de commettre l’un quelconque de ces actes. Le § 3 régit la détention et le § 4 soumet les condamnations et exécutions de peines d’une personne reconnue coupable d’une infraction pénale à des garanties judiciaires précises ; le § 5 assure le principe d’unité de la famille des personnes détenues. Le tout étant précisé, § 8, que l’article ne peut être interprété comme limitant ou portant atteinte à toute autre disposition plus favorable accordant, en vertu du DI applicable, une plus grande protection à ces personnes.

On peut citer également les articles 4 à 6 du Protocole additionnel II en faveur des personnes qui ne participent pas directement ou ne participent plus aux hostilités.

  1. Notons également que certaines conventions dites de protection des droits de l’homme peuvent contenir des dispositions spécifiquement applicables à une situation de conflit armé et prévoient leur articulation avec le droit humanitaire comme l’article 38 de la convention relative aux droits de l’enfant[1].

[1] « 1. Les Etats parties s’engagent à respecter et à faire respecter les règles du droit humanitaire international qui leur sont applicables en cas de conflit armé et dont la protection s’étend aux enfants. 2. Les Etats parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour veiller à ce que les personnes n’ayant pas atteint l’âge de quinze ans ne participent pas directement aux hostilités. 3. Les Etats parties s’abstiennent d’enrôler dans leurs forces armées toute personne n’ayant pas atteint l’âge de quinze ans. Lorsqu’ils incorporent des personnes de plus de quinze ans mais de moins de dix-huit ans, les Etats parties s’efforcent d’enrôler en priorité les plus âgées. 4. Conformément à l’obligation qui leur incombe en vertu du droit humanitaire international de protéger la population civile en cas de conflit armé, les Etats parties prennent toutes les mesures possibles dans la pratique pour que les enfants qui sont touchés par un conflit armé bénéficient d’une protection et de soins ».

  1. Notons encore que trois des quatre droits du « noyau dur » des droits de l’homme, le droit à la vie, le droit de ne pas être torturé et le droit à la non-rétroactivité de la loi pénale, figurent dans le « minimum humanitaire garanti » aux victimes des conflits armés internationaux et non internationaux par l’article 3 commun aux conventions de Genève de 1949.
  2. Voir également la clause Martens présente dans les instruments les plus importants du droit international humanitaire qui dispose que, dans les cas non prévus par le droit de la guerre, les belligérants restent « sous l’empire des principes du droit des gens tels qu’ils résultent des usages établis, des principes de l’humanité et des exigences de la conscience publique ».

2.2. Articulation du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire

Toutefois, les deux corpus pouvant être applicables à la même situation et leurs prescriptions pouvant ne pas être identiques, des questions d’articulation peuvent se poser.

2.2.1. Position du problème : les différences de protection substantielle

2.2.1.1. Le droit international humanitaire moins protecteur que le droit international des droits de l’homme

  1. Si les deux corps de règles peuvent s’appliquer en cas de conflit, il convient de noter que leur protection n’est pas identique. Cela s’explique principalement par le fait qu’on a observé que le droit international humanitaire postule l’existence du conflit et la légitimité de principe des combats qui conduisent nécessairement à des atteintes aux droits de la personne humaine tels qu’ils sont énoncés par le droit international des droits de l’homme alors que ce dernier n’admet des dérogations et limitations à ses prescriptions et proscriptions que dans des circonstances limitées. Dit autrement, si les deux corps de règles reposent sur l’idée d’un équilibre à assurer entre droits individuels et prérogatives de l’Etat, le droit international humanitaire laisse une plus grande marge de manœuvre à ce dernier ainsi qu’aux groupes armés organisés. Ainsi, les régimes de privation de la liberté, de l’utilisation de la force et du droit à la vie sont-ils très différents dans les deux branches[1].
  2. En outre, le droit international humanitaire ne protège que certaines personnes, les autres n’étant protégés en cas de conflit armé que par le droit international des droits de l’homme.

[1] Voir notamment F. Viljoen, “Africa’s Contribution to the Development of International Human Rights and Humanitarian Law”, African Human Rights Law Journal, Vol. 1, No. 1, 2001, pp. 18-39, 31-32.

2.2.1.2. Le droit international humanitaire plus protecteur

  1. Le droit international humanitaire pourrait toutefois être plus protecteur.

En ce sens, la Commission interaméricaine dans l’affaire Abella c. Argentine : « the provisions of conventional and customary humanitarian law generally afford victims of armed conflicts greater or more specific protections than do the more generally phrased guarantees in the American convention and other human rights instruments »[1].


[1] Inter-Am.C.H.R., April 13, 1998, Juan Carlos Abella v. Argentina, Case 11.137, OEA/Ser.L/V/II.98 doc. 6 rev., § 159.

  1. D’une part, ses règles de fond, plus précises souvent que celles du droit international des droits de l’homme, peuvent être plus protectrices en imposant plus de limites à l’action des belligérants. D’autre part, ses règles ont été spécifiquement destinées pour régir les situations de conflit que le droit international des droits de l’homme ne réglemente pas. Ce dernier, par exemple, ne réglemente par les moyens et méthodes de combat.
  2. En outre, au contraire du droit international des droits de l’homme, le droit international humanitaire n’admet aucune dérogation à ses prescriptions et proscriptions. En effet, tenant déjà compte de la légitimité et nécessité des combats, il pose un standard de protection en-deçà duquel les belligérants ne sauraient aller alors que le droit international prévoit toute une gamme d’aménagements possibles de leurs engagements par les Etats. Le droit international humanitaire peut ainsi poser le traitement minimum dont bénéficient la personne humaine quelles que soient les circonstances, y compris dans les cas rentrant dans les clauses d’aménagement prévues par le droit international des droits de l’homme.
  3. Or, on peut considérer que le droit international des droits de l’homme intègre cette logique. En effet, les clauses de dérogation contenues, par exemple dans le Pacte international sur les droits civils et politiques, la Convention européenne des droits de l’homme, la Convention américaine des droits de l’homme ou la Charte arabe des droits de l’homme précisent que la dérogation ne saurait porter atteinte à la protection offerte par d’autres normes internationales, qu’elles découlent d’un traité ou du droit international général, ce qui comprend non seulement les normes du droit international des droits de l’homme, mais également du droit international humanitaire, du droit international pénal ou du droit international des réfugiés.

Voir en ce sens Commission interaméricaine des droits de l’homme, Abella c. Argentine : “the Commission believes that a proper understanding of the relationship between applicable humanitarian law treaties and Article 27(1), the derogation clause of the American Convention, is relevant to this discussion. This Article permits a State Party to the American Convention to temporarily derogate, i.e., suspend, certain Convention based guarantees during genuine emergency situations. But, Article 27(1) requires that any suspension of guarantees not be “inconsistent with that State’s other obligations under international law”. Thus, while it cannot be interpreted as incorporating by reference into the American Convention all of a State’s other international legal obligations, Article 27(1) does prevent a State from adopting derogation measures that would violate its other obligations under conventional or customary international law”; § 170 : « when reviewing the legality of derogation measures taken by a State Party to the American Convention by virtue of the existence of an armed conflict to which both the American Convention and humanitarian law treaties apply, the Commission should not resolve this question solely by reference to the text of Article 27 of the American Convention.  Rather, it must also determine whether the rights affected by these measures are similarly guaranteed under applicable humanitarian law treaties.  If it finds that the rights in question are not subject to suspension under these humanitarian law instruments, the Commission should conclude that these derogation measures are in violation of the State Parties obligations under both the American Convention and the humanitarian law treaties concerned »[1].


[1] Inter-Am.C.H.R., April 13, 1998, Juan Carlos Abella v. Argentina, Case 11.137, OEA/Ser.L/V/II.98 doc. 6 rev., § 168.

2.2.2. Les techniques d’articulation

  1. Il faut noter d’abord, il n’y a pas d’exclusivité d’application d’un corps de règles par rapport à l’autre.

Voir en ce sens le rapport de la mission d’enquête sur l’attaque israélienne de la flotille de Gaza : “Human rights law in its entirety continues to apply in situations of armed conflict,except for derogations in accordance with treaty provisions relating to times ofemergencies. In this respect the Mission notes the recent reiteration by the Human RightsCommittee of its view that “the applicability of the regime of international humanitarianlaw during an armed conflict, as well as in a situation of occupation, does not preclude theapplication of the International Covenant on Civil and Political Rights, except by operationof article 4, whereby certain provisions may be derogated from in a time of national emergency[1]. In its General Comment 29, the Human Rights Committee specified that the Covenant continues to apply in situations of armed conflict to which the rules of international humanitarian law are applicable. « While, in respect of certain Covenant rights, more specific rules of international humanitarian law may be especially relevant for the purposes of the interpretation of Covenant rights, both spheres of law are complementary, not mutually exclusive[2][3].


[1] CCPR/ISR/CO/3, para. 5.

[2] Human Rights Committee, general comment, No. 29, para. 3, also incorporated into general comment 31, para. 11.

[3] Report of the international fact-finding mission to investigate violations of international law, including international humanitarian and human rights law, resulting from the Israeli attacks on the flotilla of ships carrying humanitarian assistance, Doc. ONU A/HRC/15/21, 27 September 2010, § 68.

  1. Plusieurs techniques d’articulation sont prévues par les différents corps de règles pour régir leur applicabilité simultanée à une même situation qui poursuivent le même objectif de les faire se compléter et se renforcer.

Voir en ce sens le rapport de la mission d’enquête sur l’attaque israélienne de la flotille de Gaza : « human rights law and international humanitarian law are not mutually exclusive but rather should be regarded as complementary and mutually reinforcing to ensure the fullest protection to the persons concerned »[1].


[1] Report of the international fact-finding mission to investigate violations of international law, including international humanitarian and human rights law, resulting from the Israeli attacks on the flotilla of ships carrying humanitarian assistance, Doc. ONU A/HRC/15/21, 27 September 2010, § 71.

2.2.2.1. Application de la norme la plus favorable aux individus

  1. Les instruments du droit international humanitaire n’excluent pas et commandent même parfois l’application d’autres normes du droit international, notamment en énonçant qu’ils ne font pas obstacle à l’application de normes plus favorables que celles qu’ils contiennent.

Ainsi, selon l’article 75 § 1 du Protocole I aux conventions de Genève, les garanties fondamentales énoncées dans cet article le sont au bénéfice des personnes affectées par une situation visée à l’article 1er qui sont au pouvoir d’une Partie au conflit et qui ne bénéficient pas d’un traitement plus favorable en vertu des Conventions et du Présent Protocole ». De même, le § 8 dispose, on l’a vu : « Aucune disposition du présent article ne peut être interprétée comme limitant ou portant atteinte à toute autre disposition plus favorable accordant, en vertu des règles du droit international applicable, une plus grande protection aux personnes couvertes par le paragraphe 1 ».

  1. C’est le cas également des instruments de protection du droit international des droits de l’homme.

Ainsi, l’article 43 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées : « La présente Convention est sans préjudice des dispositions du droit international humanitaire, y compris les obligations des Hautes parties contractantes aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 et aux deux Protocoles additionnels du 8 juin 1977 s’y rapportant, ou de la possibilité qu’a tout Etat d’autoriser le Comité international de la Croix-Rouge à visiter les lieux de détention dans les cas non prévus par le droit international humanitaire ».

Voir également l’article 29 de la convention américaine des droits de l’homme relatif aux normes d’interprétation dispose : « Aucune disposition de la présente Convention ne peut être interprétée comme : […] b) restreignant la jouissance et l’exercice de tout droit ou de toute liberté reconnue par la législation d’un Etat parties ou dans une convention à laquelle cet Etat est partie ; c) excluant d’autres droits et garanties inhérents à la personne humaine ou dérivent de la forme démocratique représentative de gouvernement ; d) supprimant ou limitant les effets que peuvent avoir la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme et tous autres actes internationaux de même nature ». Dans l’affaire Abella c. Argentine, la Commission interaméricaine décida sur le fondement de l’article 29 (b), d’appliquer l’instrument le plus favorable en cas de différence de protection, après avoir précisé : “It is moreover, during situations of internal armed conflict that these two branches of international law most converge and reinforce each other”[1]. Ainsi, “The Commission believes that in those situations where the American Convention and humanitarian law instruments apply concurrently, Article 29(b) of the American Convention necessarily require the Commission to take due notice of and, where appropriate, give legal effect to applicable humanitarian law rules. Article 29(b) – the so-called “most-favorable-to-the-individual-clause” – provides that no provision of the American Convention shall be interpreted as “restricting the enforcement or exercise of any right or freedom recognized by virtue of the laws of any State Party of another convention which one of the said states is a party”[2]; “The purpose of this Article is to prevent States Parties from relying on the American Convention as a ground for limiting more favorable or less restrictive rights to which an individual is otherwise entitled under either national or international law. Thus, where there are differences between legal standards governing the same or comparable rights in the American Convention and a humanitarian law instrument, the Commission is duty bound to give legal effort to the provision(s) of that treaty with the higher standard(s) applicable to the right(s) or freedom(s) in question. If that higher standard is a rule of humanitarian law, the Commission should apply it”[3].


[1] Inter-Am.C.H.R., April 13, 1998, Juan Carlos Abella v. Argentina, Case 11.137, OEA/Ser.L/V/II.98 doc. 6 rev., § 160.

[2] Ibidem, § 164.

[3] Ibid., § 165.

Voir également sa position dans l’affaire Coard et al. v. United States : « Fourth, in a situation of armed conflict, the test for assessing the observance of a particular right, such as the right to liberty, may, under given circumstances, be distinct from that applicable in a time of peace. For that reason, the standard to be applied must be deduced by reference to the applicable lex specialis[1].The American Declaration is drawn in general terms, and does not include specific provisions relating to its applicability in conflict situations. As will be seen in the analysis which follows, the Commission determined that the analysis of the petitioners’ claims under the Declaration within their factual and legal context requires reference to international humanitarian law, which is a source of authoritative guidance and provides the specific normative standards which apply to conflict situations. In the present case, the standards of humanitarian law help to define whether the detention of the petitioners was “arbitrary” or not under the terms of Articles I and XXV of the American Declaration. As a general matter, while the Commission may find it necessary to look to the applicable rules of international humanitarian law when interpreting and applying the norms of the inter-American human rights system, where those bodies of law provide levels of protection which are distinct, the Commission is bound by its Charter-based mandate to give effect to the normative standard which best safeguards the rights of the individual »[2].


[1] See ICJ, Advisory Opinion on the Legality of the Threat or Use of Nuclear Weapons, ICJ Reports 1996, para. 25.

[2] Inter-Am. C.H.R., September 29, 1999, Coard et al. v. United States, Case 10.951, Report Nº 109/99, OEA/Ser.L/V/II.106 Doc. 3 rev. at 1283 (1999), § 42.

Voir toutefois la position de la Cour interaméricaine dans l’affaire Las Palmeras v. Colombia : “32. The American Convention is an international treaty according to which StatesParties are obliged to respect the rights and freedoms embodied in it and to guarantee their exercise to all persons subject to their jurisdiction. The Convention provides for the existence of the Inter-American Court to hear “all cases concerning the interpretation and application” of its provisions (Article 62.3). / When a State is a Party to the American Convention and has accepted the contentious jurisdiction of the Court, the Court may examine the conduct of theState to determine whether it conforms to the provisions of the Convention, even when the issue may have been definitively resolved by the domestic legal system.The Court is also competent to determine whether any norm of domestic or international law applied by a State, in times of peace or armed conflict, is compatible or not with the American Convention. In this activity, the Court has no normative limitation: any legal norm may be submitted to this examination of compatibility. / 33. In order to carry out this examination, the Court interprets the norm in question and analyzes it in the light of the provisions of the Convention. The result of this operation will always be an opinion in which the Court will say whether or not that norm or that fact is compatible with the American Convention. The latter has only given the Court competence to determine whether the acts or the norms of theStates are compatible with the Convention itself, and not with the 1949 Geneva Conventions”[1].


[1] I/A Court H.R., Judgment of February 4, 2000, Case of Las Palmeras v. Colombia. Preliminary Objections, Series C No. 67

  1. Les clauses de dérogation des traités de protection des droits de l’homme présentées supra peuvent s’inscrire dans une telle logique en tant qu’elles commandent aux Etats qui dérogeraient à leurs prescriptions de respecter en tout état de cause les autres normes internationales qui leur sont opposables.

2.2.2.2. L’interprétation des normes du droit international des droits de l’homme à la lumière du droit international humanitaire

  1. On l’a dit, si, la Cour internationale de Justice admet l’applicabilité du droit international des droits de l’homme en situation de conflit armé, c’est le droit des conflits armés, en tant que lex specialis, qui permettra d’apprécier l’existence d’une atteinte à la vie.

Voir ainsi l’avis de la Cour sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires : « C’est toutefois, en pareil cas, à la lex specialis applicable, à savoir le droit applicable dans les conflits armés, conçu pour régir la conduite des hostilités, qu’il appartient de déterminer ce qui constitue une privation arbitraire de la vie. Ainsi, c’est uniquement au regard du droit applicable dans les conflits armés, et non au regard des dispositions du Pacte lui-même, que l’on pourra dire si tel cas de décès provoqué par l’emploi d’un certain type d’armes au cours d’un conflit armé doit être considéré comme une privation arbitraire de la vie contraire à l’article 6 du pacte »[1].


[1] Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, C.I.J. Rec. 1996, p. 226, § 25. Voir Y. Naqvi, « Droits de l’homme » in Van Steenberghe R. (dir.), Droit international humanitaire : un régime spécial de droit international ?, Bruxelles, Bruylant, coll. Organisation internationale et relations internationales, 2013, pp. 225-266, 227-228.

De même son avis sur les conséquences de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé : « Dans les rapports entre droit international humanitaire et droits de l’homme, trois situations peuvent […] se présenter : certains droits peuvent relever exclusivement du droit international humanitaire ; d’autres peuvent relever exclusivement des droits de l’homme ; d’autres enfin peuvent relever à la fois de ces deux branches du droit international. Pour répondre à la question qui lui est posée, la Cour aura en l’espèce à prendre en considération les deux branches du droit international précitées, à savoir les droits de l’homme et, en tant que 1ex specialis, le droit international humanitaire »[1]. En l’espèce, elle considéra que l’édification du mur violait à la fois les droits de l’homme et le droit humanitaire.

Voir également CIJ, Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt du 19 décembre 2005, §§ 216 ss.


[1] CIJ, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis du 9 juillet 2004, § 106.

En ce sens également, le Comité des droits de l’homme : « Comme il ressort de l’Observation générale No. 29 (Observation générale no 29 sur les dérogations au Pacte en période d’état d’urgence, adoptée le 24 juillet 2001, reproduite dans le rapport annuel du Comité pour 2001, A/56/40, annexe VI, par. 3), le Pacte s’applique aussi dans les situations de conflit armé auxquelles les règles du droit international humanitaire sont applicables. Même si, pour certains droits consacrés par le Pacte, des règles plus spécifiques du droit international humanitaire peuvent être pertinentes aux fins de l’interprétation des droits consacrés par le Pacte, les deux domaines du droit sont complémentaires et ne s’excluent pas l’un l’autre »[1].


[1] Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 31 [80] – La nature de l’obligation juridique générale imposée aux Etats parties au Pacte, CCPR/C/21/Rev.1/Add. 13, 29 mars 2004, § 11.

  1. Sans pouvoir entrer ici dans les détails, on peut observer une même attitude de la part des organes régionaux de protection des droits de l’homme bien qu’en vertu de raisonnements différents.
  2. En somme, le droit humanitaire n’écarte pas le droit international des droits de l’homme, les deux corps de règles s’appliquant simultanément à la situation de conflit ou d’occupation, mais sert à apprécier la réalisation de ceux-ci, notamment pour qualifier un comportement ou une inaction litigieuse : on n’apprécie pas de la même manière des cas de privation de vie ou de liberté en temps de paix et en temps de conflit armé où ils sont dans une certaine mesure licites. Dit autrement, le droit international des droits de l’homme est interprété à la lumière du droit international humanitaire.
  3. Si cette méthode permet certainement d’éviter des conflits de normes, il en ressort parfois que cela est fait au détriment du droit international des droits de l’homme dont les exigences sont ainsi « adoucies » au contact du droit humanitaire[1]. Sous un autre angle, cependant, on peut dire que la protection des individus est renforcée par le recours au droit international des droits de l’homme même si ce n’est pas pour aller jusqu’à un alignement avec le traitement des individus en temps de paix[2].

[1] En ce sens : J. d’Aspremont & J. de Hemptine, Droit international humanitaire, Paris, Pedone, 2012, 508 p., 89.

[2] En ce sens : ibidem, p. 91.

2.2.2.3. L’interprétation des normes du droit international humanitaire à la lumière du droit international des droits de l’homme

  1. Le risque décelé supra d’une dilution du droit international des droits de l’homme dans le droit international humanitaire doit être mesuré à la lumière de la pratique des juridictions pénales internationales qui, en miroir, mettent en œuvre certaines dispositions du droit humanitaire en tenant compte du droit international des droits de l’homme.

C’est notamment le cas de la Chambre de première instance du TPIY dans le jugement Furundzia qui, pour traiter de la torture en droit international, se référa d’abord au droit international humanitaire avant de se référer au droit international des droits de l’homme qui renforce le premier[1]. De même, dans l’affaire Procureur c. Kunarac et al., s’attelant à la définition du crime de torture, le TPIY déclara, § 467 : « Because of the paucity of precedent in the field of international humanitarian law, the Tribunal has, on many occasions, had recourse to instruments and practices developed in the field of human rights law ». En effet, « Because of their ressemblance, in terms of goals, values and terminology, such recourse is generally a welcome and needed assistance to determine the content of customary international law in the field of humanitarian law. With regard to certain of its aspects, international humanitarian law can be said to have fused with human rights law »[2].


[1] TPIY, Chambre de première instance, 10 décembre 1998, Le Procureur c. Anton Furundzia, IT-95-17-1-T, §§ 143 ss., sp. 143 : « The prohibition of torture laid down in international humanitarian law with regard to situations of armed conflict is reinforced by the body of international treaty rules on human rights : these rules ban torture both in armed conflict and in time of peace ». Voir également TPIY, Trial Chamber, 16 November 1998, Prosecutor v. Zejnil Delalic, Zdravko Mucic alias « Pavo », Hazim Delic, Esad Landzo alias « Zenga », Judgement, Case No. IT-96-21-T, §§ 452-493, 534-542.

[2] TPIY, Procureur c. Dragolub Kunarac et al., chambre de première instance, jugement du 22 février 2001, IT-96-23-T & IT-96-23/1-T, § 467.

  1. Cela, toutefois, ne se fait pas sans limite mais sous réserve de ne pas porter atteinte à la spécificité du droit international humanitaire.

Le Tribunal observa ainsi dans l’affaire Le Procureur c. Kunarac et consorts, § 468 : « Dans l’affaire Furundžija, la Chambre de première instance constatait que « tout en bannissant la torture des conflits armés, le droit international humanitaire ne donne pas une définition de l’interdiction »[1]. Elle s’est donc tournée vers les droits de l’homme pour dégager la définition de la torture en droit international coutumier, non sans signaler toutefois qu’elle se devait « d’identifier ou de préciser certains éléments particuliers concernant la torture envisagée du point de vue du droit international pénal se rapportant aux conflits armés1173 »[2] et déclara § 469 : « La présente Chambre souscrit à cette démarche. L’absence de définition expresse de la torture en droit international humanitaire ne signifie pas pour autant qu’il convient d’ignorer entièrement cette branche du droit. La définition d’une infraction dépend largement du contexte dans lequel elle s’inscrit. Sans définir explicitement la torture, le droit international humanitaire fournit des éléments de définition importants » ; § 470 : « Lorsqu’elle tente de définir une infraction dans le cadre du droit international humanitaire, la Chambre de première instance doit tenir compte de la spécificité de cette branche[3] et, lorsqu’elle se reporte à la définition qui en est donnée dans le domaine des droits de l’homme, elle doit prendre en considération les deux différences structurelles cruciales qui existent entre les deux spécialités : […] » ; § 471 : « La Chambre de première instance prend donc garde de ne pas retenir trop hâtivement et avec trop de facilité des concepts et des notions élaborés dans un autre contexte juridique. A son avis, les notions élaborées dans le domaine des droits de l’homme ne peuvent être transposées en droit international humanitaire que s’il est tenu compte des traits spécifiques de cette branche ».


[1] Le Procureur c. Furundžija, affaire n° IT-95-17/1-T, Jugement, 10 décembre 1998, par. 159.

[2] Ibidem, par. 162.

[3] Idem.

3. Rapprochement du droit international pénal et du droit international des droits de l’homme

  1. Le droit international pénal n’est pas non plus indifférent aux droits humains[1]. Ainsi qu’il a été remarqué[2], leur avènement fut concomitant ; la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide fut adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies la veille de la Déclaration universelle des droits de l’homme. De même, le droit international pénal emprunte au droit international des droits de l’homme un certain nombre de concepts, les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide et un certain nombre de crimes de guerre constituant des violations particulièrement graves des droits de l’homme.

Voir notamment Deuxième rapport sur le Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (Partie II) – avec le Statut pour une cour criminelle internationale », D. Thiam, Rapporteur spécial, doc. ONU A/CN.4/377, 1er février 1984, § 40 : « Si la violation [des droits de l’homme] dépasse un certain seuil, elle entre dans la catégorie des crimes internationaux et, selon sa gravité, elle peut atteindre le sommet de la hiérarchie : celle des crimes contre l’humanité. Il n’y a pas, à proprement parler, de différence de nature entre les deux notions, mais une différence de degré. Violation des droits de l’homme et « crime contre l’humanité » se confondent au-delà d’une certaine gravité ».


[1] Voir notamment E. Guematcha, Les Commissions vérité et les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire, Paris, Pedone, 2014, 630 p., 140 ss.

[2] O. De Frouville, Droit international pénal. Sources, incriminations, responsabilité, Paris, Pedone, 2012, 523 p., 8.

  1. De même a-t-il pu être avancé au sein de l’ONU que des violations graves, continues et systématiques des droits de l’homme pouvaient constituer des crimes contre l’humanité, ceux-ci n’exigeant pas l’existence d’un conflit armé[1].

[1] Voir en ce sens Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, « Rapport de l’enquête indépendante des Nations Unies sur le Burundi (EINUB) établie conformément à la résolution S-24/1 du Conseil des droits de l’homme », A/HRC/33/37, traduction non officielle, 20 septembre 2016, § 137 : « Les experts indépendants se déclarent également alarmés par la menace que les faits sur lesquels ils étaient chargés d’enquêter pouvaient faire peser sur la paix et la sécurité dans la région des Grands Lacs. Dans cette région où les tensions ethniques ont déjà eu de graves conséquences transfrontalières, la communauté internationale ne peut feindre d’ignorer la conjonction d’initiatives politiques dans l’impasse, de violations flagrantes, persistantes et systématiques des droits de l’homme susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité, d’une crise humanitaire à l’origine de mouvements massifs de personnes déplacées et de réfugiés, de perturbations du commerce et d’une impunité générale, pour ne citer que les facteurs les plus visibles ».

  1. De son coté, le paragraphe 1 de l’article 21 du Statut de la CPI définit comme droit applicable, outre le statut, les éléments des crimes et le règlement de procédure et de preuve, « en second lieu, selon qu’il convient, les traités applicables et les principes et règles du droit international, y compris les principes établis du droit international des conflits armés ». En outre, le paragraphe 3 précise que « L’application et l’interprétation du droit prévues au présent article doivent être compatibles avec les droits de l’homme internationalement reconnus et exemptes de toute discrimination […] ». A ce titre, la Cour emprunte au droit international des droits de l’homme certains principes devant diriger le procès pénal lui-même.

On notera que la Cour reconnut que l’article 21 § 3, en tant qu’il « subordonne l’interprétation et l’application du droit applicable en vertu du Statut au respect des droits de l’homme internationalement reconnus », exige d’elle « qu’elle exerce sa compétence d’une manière qui soit compatible avec ces droits »[1]. Elle précisa, para. 37 : « L’article 21-3 précise que le droit applicable en vertu du Statut doit être interprété et appliqué conformément aux droits de l’homme internationalement reconnus. Les droits de l’homme sous-tendent le Statut dans tous ses aspects, notamment celui de l’exercice de la compétence de la Cour. Les dispositions du Statut doivent être interprétées, et surtout appliquées, en conformité avec les droits de l’homme internationalement reconnus ; dans le contexte du Statut[2], d’abord et avant tout en conformité avec le droit à un procès équitable, concept largement perçu et appliqué qui concerne la procédure judiciaire dans son ensemble[3]. Le Statut lui-même rend inadmissible tout élément de preuve obtenu en violation des droits de l’homme internationalement reconnus, dans les circonstances définies par son article 69-7. S’il devenait impossible de tenir un procès équitable en raison de violations des droits fondamentaux du suspect ou de l’accusé par ses accusateurs, il serait contradictoire de dire que l’on traduit cette personne en justice. En effet, justice ne serait pas rendue. Un procès équitable est l’unique moyen de rendre la justice. Si aucun procès équitable ne peut être conduit, l’objet de la procédure judiciaire est mis en échec et il convient de mettre un terme à la procédure »[4]. Et la Cour de se référer à la jurisprudence de la Cour EDH ainsi que du juge anglais


[1] CPI, Chambre d’appel, 14 décembre 2006, Situation en République démocratique du Congo, affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Arrêt relatif à l’appel interjeté par Thomas Lubanga Dyilo contre la décision du 3 octobre 2006 relative à l’exception d’incompétence de la Cour soulevée par la Défense en vertu de l’article 19-2 du Statut, No. ICC-01/04-01/06 (OA4), § 36.

[2] Voir les articles 64-2, 67-1, 68-1 et 68-5 du Statut.

[3] Nowak M., U.N. Covenant on Civil and Political Rights, CCPR Commentary (N.P. England, Arlington, 1993), p. 244.

[4] Ibidem, § 37. Voir aussi para. 39 : « Lorsque les violations des droits de l’accusé sont telles qu’il lui est impossible d’assurer sa défense dans le cadre des droits qui lui sont reconnus, aucun procès équitable ne peut se tenir et la procédure peut être suspendue […]. Un traitement injuste du suspect ou de l’accusé peut perturber la procédure à tel point qu’il devient impossible de réunir les éléments constitutifs d’un procès équitable. Dans ces circonstances, aussi important que soit pour la communauté internationale l’intérêt de traduire en justice es personnes accusées des pires crimes contre l’humanité, il est dépassé par la nécessité de préserver l’efficacité de la procédure judiciaire en tant que puissant instrument de la justice ».

Où l’on voit une tension : si le droit international pénal peut-être un mode de protection des droits de l’homme, le procès pénal peut-être dangereux pour les accusés, d’où l’introduction pour le gouverner de règles du droit international des droits de l’homme.

  1. De même, on l’a vu, la Chambre d’appel du TPIY dès sa première affaire, l’affaire Tadić, avait décidé de remettre en cause dans une certaine mesure la distinction entre les conflits armés internationaux et les conflits armés non internationaux en se fondant sur le développement des droits de l’homme.