Articulation des systèmes de protection des droits de l’homme en Afrique

Pour citer: J. Matringe, « Articulation des systèmes de protection des droits de l’homme en Afrique”, https://droitsafricainsonline.com/themes/droits-de-la-personne-humaine-travail-en-cours/les-mecanismes-de-garantie-des-droits-de-la-personne-humaine-en-afrique/articulation-des-systemes-de-protection-des-droits-de-la-personne-humaine/, à jour au 02/09/2023

Plan

1. Sur l’exigence d’une procédure préalable

  1. On l’a dit, il existe désormais plusieurs voies de recours internationales spécifiques à la disposition des individus pour demander réparation de la violation d’un de leurs droits par un Etat qui s’ajoutent aux voies internes. L’internationalisation des droits de l’homme ne signifie en effet pas leur dénationalisation, mais plutôt l’ajout, comme un filet de sécurité, à la protection nationale ou aux anciennes formes de protection internationale d’une nouvelle protection internationale. Cela est tellement vrai que, s’agissant en tout cas des mécanismes contentieux, ces procédures ne sont généralement ouvertes qu’à la condition que les autres formes de protection aient été épuisées.
  2. Ainsi, sous réserve de vérification pour chaque mécanisme, les mécanismes contentieux semblent tous exiger un épuisement des voies de recours internes ainsi que, pour les communications étatiques, une procédure de conciliation. De leur côté, en revanche, les mécanismes non contentieux du Conseil des droits de l’homme semblent écarter cette exigence de recevabilité des demandes présentées devant ses organes. Toutefois, avec la reconnaissance par certaines juridictions non spécialisées de leur compétence pour connaître d’allégations des violations des droits de l’homme, le tableau est devenu plus compliqué.

On distinguera la question de l’épuisement des voies de recours internes qui peut valoir tant pour les communications individuelles que pour les communications étatiques et celle d’une consultation préalable qui ne concerne que les secondes.

1.1. La question de l’épuisement des voies de recours internes

L’exigence d’épuisement des voies de recours internes, quand elle existe, se présente comme une condition de recevabilité d’une requête qui relève de la compétence de la juridiction saisie. On l’a dit, si cet épuisement était traditionnellement requis en matière de protection des droits de l’homme, il l’est de moins en moins.

1.1.1. L’exigence d’épuisement des voies de recours internes

  1. Les instruments de protection des droits de l’homme, tant « universels » que « régionaux », soumettent très généralement la formulation des requêtes à un organe contentieux, juridictionnel ou quasi-juridictionnel, international de contrôle à une exigence d’épuisement des voies de recours internes, qu’il s’agisse des requêtes individuelles ou étatiques. Ainsi en est-il dans le système africain devant la Commission[1] ainsi que devant la Cour. Il en est de même, au niveau régional, de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après CEDH) et de la Convention interaméricaine relative aux droits de l’homme (ci-après CIADH), ainsi qu’au niveau universel dans le cadre dans le cadre du Pacte international sur les droits civils et politiques (ci-après PIDCP)[2] et dans celui du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[3].

[1] Pour des exemples d’application, p. ex., Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Free Legal Assistance Group, Lawyers’ Committee for Human Rights, Union Interafricaine des Droits de l’Homme, Les Témoins de Jehovah c. République démocratique du Congo, communication du 4 avril 1996; Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, 13-27 Octobre 2001, Social and Economic Rights Action Center (SERAC) and Center for Economic and Social Rights (CESR) v. Nigeria (affaire du peuple des Ogonis contre Nigéria et compagnie pétrolière), Communication n° 155/96, §§ 35 et s. ; Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, 45e session ordinaire, 13-27 mai 2009, Sudan Human Rights Organisation & Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE) c. Soudan, Communication n° 279/03-296/05, §§ 96 et s.

[2] Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966 (Article 41, § 1, c) : « Le Comité ne peut connaître d’une affaire qui lui est soumise qu’après s’être assuré que tous les recours internes disponibles ont été utilisés et épuisés, conformément aux principes de droit international généralement reconnus. Cette règle ne s’applique pas dans les cas où les procédures de recours excèdent les délais raisonnables ». Voir également articles 2 (« Sous réserve des dispositions de l’article premier, tout particulier qui prétend être victime d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte et qui a épuisé tous les recours internes disponibles peut présenter une communication écrite au Comité pour qu’il l’examine ») et 5 § 2 b) du Protocole (« Le Comité n’examinera aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que : […] b) Le particulier a épuisé tous les recours internes disponibles. Cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables »). Voir également l’ancien système de communications à la Commission des droits de l’homme en vertu du système de la résolution 1503 du Conseil économique et social. Voir encore l’article 21 § 1 c) de la Convention contre la torture et l’article 76 § 1 de la Convention sur la protection des droits des travailleurs migrants Et  l’article 11 § 3 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale relatif aux communications étatiques : « Le Comité ne peut connaître d’une affaire qui lui est soumise conformément au paragraphe 2 du présent article qu’après s’être assuré que tous les recours internes disponibles ont été utilisés ou épuisés, conformément aux principes de droit international généralement reconnus. Cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables ».

[3] Article 3. Recevabilité, § 1 : « Le Comité n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés. Cette règle ne s’applique pas dans les cas où la procédure de recours excède des délais raisonnables ». De même l’article 14 § 7 a) de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale en matière de requête individuelle : « Le Comité n’examinera aucune communication d’un pétitionnaire sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Toutefois, cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables ».

  1. Le système africain originel se démarque de ses homologues américain et européen de manière seulement formelle dans la mesure où la Charte affirme cette exigence séparément pour chaque type de communications devant la Commission (article 50 de la Charte pour les communications étatiques[1] et 56 pour les autres communications[2]) alors que ses homologues le font de manière indifférenciée pour la recevabilité des deux types de communications devant la Commission américaine[3] et la Cour européenne[4]. Cela dit, le règlement intérieur de la Cour pose cette exigence de manière indifférenciée pour les deux types de recours (Règle 40 § 2 du règlement intérieur de la Cour du 1 septembre 2020[5] ; Règle 41 § 3, b) du même règlement[6] ; Règle 50 § 2 du même document[7]).

[1] « La Commission ne peut connaître d’une affaire qui lui est soumise qu’après s’être assurée que tous les recours internes, s’ils existent, ont été épuisés, à moins qu’il ne soit manifeste pour la Commission que la procédure de ces recours se prolonge d’une façon anormale ».

[2] « Les communications visées à l’article 55 reçues à la Commission et relatives aux droits de l’homme et des peuples doivent nécessairement, pour être examinées, remplir les conditions ci-après : […] ; 5. Etre postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge d’une façon anormale ».

[3] Article 46 : « 1. La Commission ne retient une pétition ou communication présentées conformément aux articles 44 ou 45 que sous les conditions suivantes, à savoir : a. Que toutes les voies de recours internes aient été dûment utilisées et épuisées conformément aux principes du Droit international généralement reconnus ; […] ».

[4] Article 35 – Conditions de recevabilité : « 1. La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de quatre mois à partir de la date de la décision interne définitive ». Sur sa signification dans les travaux préparatoires, A.A. Cancado-Trindade, “Exhaustion of Local Remedies under the UN Covenant on Civil and Political Rights and its Optional Protocol “, International and Comparative Law Quarterly Vol. 28, 1979, pp. 734-765, 755 : « The rule was upheld as a matter of principle and for reasons of practical convenience : as a principle, in order to avoid the national judiciary (and other authorities) being superseded by an international organ, and for practical reasons, in order to avoid the international organ being overwhelmed by a flood of unfounded or trivial complaints which could paralyse its work altogether – a constant concern among the drafstmen ».

[5] « La requête doit indiquer la violation alléguée et comporter la preuve de l’épuisement des voies de recours internes ou de leur prolongation anormale ou leur inefficacité, ainsi que les mesures attendues ou les injonction sollicitées ».

[6] « Le formulaire doit être signé par le requérant ou son représentants, le cas échéant, et accompagné des documents suivants : […] ; b) des copies des documents et des décisions indiquant que le requérant s’est conformé à l’exigence relative à l’épuisement des voies de recours internes prévue à l’article 56, alinéa 5 de la Charte et à la règle 50, alinéa 2, sous-alinéa e) du Règlement lorsque le requérant fait valoir une exception à cette exigence, il doit fournir des copies des documents à l’appui ».

[7] « Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les conditions ci-après : […] ; e) Etre postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ; f) Etre introduite dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ».

  1. Que ce soit dans le système africain ou dans les deux autres systèmes régionaux, la condition est entendue de manière souple, les organes de contrôle n’exigeant pas que le demandeur développe les mêmes arguments devant les juridictions internes puis devant eux, mais seulement que le grief soulevé dans l’ordre international l’ait été « au moins en substance » dans l’ordre interne[1].

[1] Voir par exemple Commission ADHP, 23 avril 2013, Dabalorivhuwa Patriotic Front c. République d’Afrique du Sud, Communication n° 335/2006 : « 82. La Commission africaine note que les plaignants ont administré des preuves prima facie attestant que leur affaire avait été soumise à toute la hiérarchie des juridictions sud-africaines, dans l’espoir de bénéficier d’un règlement. En outre, ce sont les mêmes faits cités dans l’affaire rejetée par les tribunaux nationaux qui ont été soumis à la Commission africaine. Les plaignants ne sont pas obligés de citer les articles précis de la Charte qui ont été violés, mais, s’ils le faisaient, il ne serait pas juste de les pénaliser en estimant qu’ils n’auraient pas soulevé devant les juridictions nationales le fait que ces articles avaient été violés. 83. Dans sa décision relative à l’affaire Mouvement des Réfugiés mauritaniens au Sénégal c. Sénégal, la Commission note qu’elle n’exige pas que les plaintes devant être soumises ultérieurement au niveau international aient été soulevées, « du moins quant au fond », au niveau interne, par exemple en faisant référence au droit particulier menacé soit en le désignant soit dans le cadre d’une argumentation « ayant un effet similaire ou comparable », comme le fait le système européen (Communication 162/97, Onzième Rapport d’activité 1997-1998, Annexe II). Cela veut dire, en substance, que les plaignants ne sont pas tenus d’avoir cité devant les juridictions nationales les articles de la Charte supposés avoir été violés. Ce qui importe, à ce niveau, c’est que les plaignants citent les faits, administrent la preuve d’une violation prima facie des articles de la Charte et qu’ils ont utilisé et épuisé les voies juridiques qui étaient à leur disposition dans l’Etat pour réparer le préjudice, et cela suffit à la Commission pour qu’elle se prononce sur la recevabilité de cette obligation ». Voir également : Cour EDH, 27 février 1980, Deweer c. Belgique, série A n° 35, § 29 ; Cour EDH, 6 novembre 1980, Guzzardi c. Italie, série A n° 39 ; Cour EDH, 23 avril 1992, Castells c. Espagne, série A n° 236, §§ 27-32 ; Cour EDH, 16 décembre 1992, De Geouffre de la Pradelle c. France, série A n° 253-B, § 26 ; Cour EDH, 20 septembre 1993, Saïdi c. France, série A n° 261-C, §§ 39-40 ; Cour EDH, 10 juillet 1998, Sidiropoulos et autres c. Grèce ; Cour EDH, 28 septembre 1999,Civet c. France, Requête n° 29340/95 ; Cour EDH, 6 mars 2001, Rablat c. France Requête n° 49285/99, décision d’irrecevabilité partielle ; Cour EDH [GC], 28 avril 2004, Azinas c. Chypre, §§ 40-41 ; Cour EDH [GC], 1 juin 2010, Gäfgen c. Allemagne, § 146 ; Cour IADH, 27 septembre 1999, Maria Merciadu de Morini c. Argentine, Pétition n° 11307, Rés. N° 102/99 ; Cour IADH, 25 novembre 2004, Lori Berenson Mejia c. Pérou, arrêt (fond), Série C n° 119, § 155 ; CDH, 26 avril 2001, Kavanagh c. Irlande, Communication n° 819/1998, § 9.3.

  1. De même, dans les trois systèmes régionaux comme dans les systèmes universels, cette exigence souffre d’aménagements à peu près équivalents, l’exigence n’étant pas opposée au demandeur s’il n’existe pas de recours susceptible de lui donner gain de cause, si ceux-ci ne sont pas accessibles ou s’il est confronté à une pratique administrative ou situation de violation généralisée des droits de l’homme, autant de conditions dont les organes contentieux régionaux apprécient souverainement la réalisation à l’issue d’un examen de l’affaire particulière qui leur est soumise[1].

[1] Voir L. Hennebel & H. Tigroudja, Traité de droit international des droits de l’homme, Paris, Pedone, 2016, § 426 et s.

  1. En effet, cette règle ne s’applique pas si lesdites voies de recours dépassent un délai raisonnable, ne sont pas accessibles à la victime alléguée d’une violation des droits de l’homme ou n’offrent pas de chance de succès pour elle d’obtenir le remède demandé. Cette tolérance peut être prévue par le traité lui-même et constitue alors une hypothèse de non-applicabilité de la règle[1] ou être le fait de la jurisprudence de l’organe international saisi et être analysée comme une dérogation ou un aménagement par voie d’interprétation de la portée de la règle conventionnelle[2]. En effet, cette règle ne s’applique que si les recours offerts par les droits nationaux sont de nature à garantir la protection des droits de l’homme. L’organe international de protection pourra accepter une plainte sans épuisement s’il estime que les voies de recours internes étaient indisponibles ou illusoires[3] pour la victime alléguée, les recours à épuiser devant être effectifs[4], le tout s’appréciant au regard des circonstances[5]. L’idée commune est que, faute de protection nationale satisfaisante, la protection internationale peut être directement mise en œuvre.

[1] En ce sens, l’article 41 § 1 c) du PIDCP concernant les communications étatiques ; l’article 5 § 2 b) du premier protocole additionnel au PIDCP concernant les communications individuelles : « […]. Cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables » ; l’article 11 § 3 de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale : « […]. Cette règle ne s’applique pas dans les cas où les procédures de recours excèdent les délais raisonnables » ; l’article 11 § 3 : « […] Cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables » et l’article 14 § 7 a) de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale : « […]. Toutefois, cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables » ; les articles 21 § 1 c) et 22 § 5 b) précités de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; l’article 76 § 1 c) de la convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille : « […]. Cette règle ne s’applique pas dans les cas où, de l’avis du Comité, les procédures de recours excèdent les délais raisonnables » ; l’article 77 § 3 de la convention pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille : « […] ; cette règle ne s’applique pas si, de l’avis du Comité, les procédures de recours excèdent des délais raisonnables, ou s’il est peu probable que les voies de recours donneraient une satisfaction effective à ce particulier » ; l’article 31 § 2 de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées : « […]. Cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables » ; l’article 3 § 1 du Protocole facultatif se rapportant au PIDESC adopté par la résolution A/RES/63/117 de l’AGNU du 10 décembre 2008: “Cette règle ne s’applique pas dans les cas où la procédure de recours excède des délais raisonnables”.

[2] Voir, entre autres, Demirtepe c. France (n° 34821/97), 21 décembre 1999 [Section III], § 22 : « [L]a Cour rappelle que l’épuisement des voies de recours internes n’implique l’utilisation des voies de droit que pour autant qu’elles soient efficaces et suffisantes pour porter remèdes aux griefs des requérants (DR 59, p. 95) » ; Ekinci c. Turquie (Requête n° 25625/94), 18 juillet 2000 devenu définitif le 18 octobre 2000 [Section III], § 56 : « la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 §  1 de la Convention impose à un requérant l’obligation d’utiliser auparavant les recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. L’article 35 §  1 impose aussi de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance, et dans les formes prescrites par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite devant la Cour, mais non d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (voir les arrêts Aksoy c. Turquie du 18†décembre 1996, Recueil 1996-VI, pp. 2275-2276, § §  51-52, et Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1210, § §  65-67) » ; Wloch c. Pologne (Requête n° 27785/95), 19 octobre 2000 devenu définitif le 17 janvier 2001 [Section IV], § 89 : « la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 §  1 de la Convention impose aux requérants de se prévaloir d’abord des recours normalement disponibles et suffisants dans le système juridique de leur pays pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (arrêts Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, pp. 2275-2276, § § 51-52, et Akdivar et autres c. Turquie du 16 décembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1210, § §  65-67) ».

[3] R. Brown, tribunal arbitral Etats-Unis / Royaume-Uni, 22 mai 1923, R.S.A. vol. VI, p. 120 : « Là où le Caractère illusoire de tout recours a été complètement démontré, la prétendue négligence à épuiser les recours locaux interne ne peut être considérée comme un chef d’irrecevabilité ».

[4] The Ambatielos Claim, 6 mars 1956, R.S.A. vol. XII, p.87, 119 : “In order to contend successfully that international proceedings are inadmissible, the defendant State must prove the existence, in its system of internal law, of remedies which have not been used. (Ö) the existence of remedies which are obviously ineffective is held no to be sufficient to justify the application of the rule. Remedies which could not rectify the situation cannot be relied upon by the defendant State as precluding an international action » ; Id., p. 119 : « the exhaustion of local remedies requires the use of the means of procedure which are essential to redress the situation complained of by the person who is alleged to have been injured”. ; Affaire du Navire « Saiga » (N∞. 2) (Saint-Vincent-et les-Grenadines c. La Guinée), arrêt du 1 juillet 1999, 101 : les recours doivent être “efficaces » ; Velasquez RodrÌguez Case, Preliminary Objections, Judgment of June 26, 1987, Inter-Am. Ct. H.R. (Ser. C) No. 1 (1987), § 88 : Les recours à épuiser doivent Être effectifs ; Guillermo Ignacio Dermit Barbato et al. v. Uruguay, Communication No. 84/1981, U.N. Doc. CCPR/C/OP/2 at 112 (1990), 21 October 1982, § 9.4 : « As to the question of exhaustion of domestic remedies in the case of Guillermo Dermit, the Committee also takes into account the following considerations: the remedies listed by the State party as unexhausted, cannot be considered available to the alleged victim in the circumstances of his case. They are either inapplicable de jure or de facto and do not constitute an effective remedy, within the meaning of article 2 (3) of the Covenant, for the matters complained of. There are therefore no grounds to alter the conclusion reached in the Committee’s decision of 28 October 1981, that the communication is not inadmissible under article 5 (2) (b) of the Optional Protocol »; F. Couveinhes, L’effectivité en droit international, thèse de doctorat, Université Paris II, dact., 2011, 794 p., 288 : L’accumulation de la jurisprudence régionale relative aux recours a eu pour effet de remplacer progressivement l’obligation de résultat d’effectivité des recours par une pluralité d’obligations, et notamment d’obligations de moyen précisant la teneur de l’exigence d’effectivité. Cette dernière apparaît désormais comme une sorte d’objectif très général, à la lumière duquel des obligations procédurales plus particulières doivent être comprises et interprétées. L’effectivité a bien été précisée mais elle a quasiment disparu en tant que catégorie normative autonome ». ; Akdivar et autres c. Turquie (n° 57/1995/563/649), 16 septembre 1996, § 66 : « Dans le cadre de l’article 26, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir notamment les arrêts Vernillo c. France du 20 février 1991, Série A n° 198, pp. 11-12, par. 27, et Johnston et autres c. Irlande du 18 décembre 1986, Série A n° 112, p. 22, par. 45). L’article 26 impose aussi de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes et Délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite à Strasbourg ; il commande en outre l’emploi des moyens de procédure propres à empêcher une violation de la Convention (arrêt Cardot c. France du 19 mars 1991, Série A n° 200, p. 18, par. 34) » ; § 67 : « rien n’impose d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs†ª.

[5] Akdivar et autres c. Turquie, 16.9.1996, § 69 : « La Cour souligne qu’elle doit appliquer cette règle en tenant dûment compte du contexte : le mécanisme de sauvegarde des droits de l’homme que les Parties contractantes sont convenues d’instaurer. Elle a ainsi reconnu que l’article 26 doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (arrêt Cardot précité, p. 18, par. 34). Elle a de plus admis que la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et ne reêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause (arrêt Van Oosterwijck préCité, p. 18, par. 35). Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle des requérants ». ; Bahaddar c. Pays-Bas (145/1996/764/965), 19 février 1998, § 45 : « Ce sont les faits propres à chaque espèce qui permettent de déterminer s’il existe des circonstances spéciales dispensant un requérant de l’obligation d’observer pareilles règles ». ; ÷zel c. Turquie, n° 42739/98, 7 novembre 2002, § 25 : « La Cour renvoie aux éléments de droit interne exposés ci-dessus et observe d’emblée que la présence d’un juge militaire dans la composition des collèges des cours de sûreté de l’Etat était expressément prévue par la loi. Elle relève également que le requérant n’alléguait nullement que la législation ait été incorrectement appliquée/ Il s’ensuit d’une éventuelle récusation du magistrat militaire pour la simple raison qu’il faisait partie du corps militaire était nécessairement vouée à l’échec. Dès lors, une telle affirmation devant les juridictions nationales n’aurait en aucun cas permis au requérant de remédier à la situation dénoncée, dans la mesure où comme elle l’a rappelé, les cours de sûreté de l’Etat sont instaurées par la loi (voir mutatis mutandis, n° 9214/80, Cabales, Balkandali et autres c. Royaume-Uni, décision du 11.05.82, D.R. 29, p. 176). Partant, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement » ; Yasa c. Turquie (63/1997/847/1054), 2 septembre 1998, § 71 : « la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 26 de la Convention impose à un requérant l’obligation d’utiliser auparavant les recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. L’article 26 impose aussi de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance, et dans les formes prescrites par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite à Strasbourg, mais pas d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (voir les arrêts Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, pp. 2275ñ2276, § §  51ñ52, et Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p.†1210, § §  65ñ67) » ; § 77 : « La Cour souligne qu’elle doit appliquer la règle de l’épuisement des voies de recours internes en tenant dûment compte du contexte : le mécanisme de sauvegarde des droits de l’homme que les Parties contractantes sont convenues d’instaurer. Elle a ainsi reconnu que l’article 26 doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Elle a de plus admis que cette règle ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; pour en contrôler le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle du requérant ; il faut rechercher ensuite si, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, le requérant peut passer pour avoir fait tout ce qu’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour épuiser les voies de recours internes (voir les arrêts Akdivar et autres précité, p. 1221, §  69, et Aksoy précité, p. 2276, § §  53, 54) ».

1.1.1.1. L’exigence comme condition de recevabilité des communications étatiques

  1. On l’a dit, cette exigence est posée à la recevabilité des communications étatiques dans le système africain. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples eut à traiter de cette condition dans la seule affaire interétatique dont elle fut saisie, l’affaire 227/99, République démocratique du Congo c. Burundi, Rwanda, Ouganda de 2003. Elle affirma, § 62, ne pouvoir connaître d’une affaire qui lui est soumise qu’après s’être assurée que les dispositions de l’article 50 de la Charte africaine et l’article 97 (c) du Règlement intérieur alors applicable ont été respectées, c’est-à-dire si « toutes les voies de recours interne, si elles existent, ont été épuisées, à moins que la procédure de ces recours ne se prolonge d’une façon anormale[1].

[1] En l’espèce, § 63, « La Commission [africaine] note que les violations ayant fait l’objet de la plainte sont paraît-il perpétrées par les Etats défendeurs sur le territoire de l’Etat plaignant. Dans ce cas, la Commission [africaine] estime qu’il n’existe pas de voies de recours internes et la question de leur épuisement ne se pose donc pas ». Disponible à http://caselaw.ihrda.org/fr/doc/227.99/view/ [consulté le 6 février 2015]

Il en est ainsi également dans le système européen. De même est-ce le cas, au niveau universel, en vertu de l’article 41 § 1 c) du PIDCP[1] ; de l’article 11 § 3 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale[2] ; de l’article 21 § 1 c) de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[3] ; de l’article 76 § 1 c) de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille[4], du Protocole facultatif se rapportant au PIDESC adopté par la résolution A/RES/63/117 de l’AGNU du 10 décembre 2008[5].


[1] « Le Comité ne peut connaître d’une affaire qui lui est soumise qu’après s’être assuré que tous les recours internes disponibles ont été utilisés et épuisés, conformément aux principes de droit international généralement reconnus […] ».

[2] « Le Comité ne peut connaître d’une affaire qui lui est soumise conformément au paragraphe 2 du présent article qu’après s’être assuré que tous les recours internes disponibles ont été utilisés ou épuisés, conformément aux principes de droit international généralement reconnus. Cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables ».

[3] « Le Comité ne peut connaître d’une affaire qui lui est soumise en vertu du présent article qu’après s’être assuré que tous les recours internes disponibles ont été utilisés et épuisés, conformément aux principes de droit international généralement reconnus. Cette règle ne s’applique pas dans les cas où les procédures de recours excèdent des délais raisonnables ni dans les cas où il est peu probable que les procédures de recours donneraient satisfaction à la personne qui est la victime de la violation de la présente Convention ».

[4] « Le Comité ne peut connaître d’une affaire qui lui est soumise qu’après s’être assuré que tous les recours internes disponibles ont été utilisés et épuisés, conformément aux principes de droit international généralement reconnus. […] ».

[5] Article 10 du protocole facultatif pour les communications interétatiques : « c) Le Comité ne peut connaître d’une affaire qui lui est soumise qu’après s’être assuré que tous les recours internes disponibles ont été exercés et épuisés. Cette règle ne s’applique pas dans les cas où, de l’avis du Comité la procédure de recours excède des délais raisonnables ».

1.1.1.2. L’exigence comme condition de recevabilité des communications individuelles

  1. On l’a dit, cette exigence est posée devant la Commission africaine qui a dû en traiter dans un grand nombre d’affaires[1], ainsi que devant la Cour africaine qui s’est inspirée de la pratique de la Commission[2].

[1] Voir notamment Commission ADHP, 22 Mars 1995, Constitutional Rights Project (in respect of Wahab Akamu, G. Adega and others) v. Nigeria, Communication No. 60/91, § 10 : il « serait incorrect d’obliger les plaignants à user des voies de recours qui ne fonctionnent pas de façon impartiale et qui ne sont pas tenues de statuer conformément aux principes de droit. Le recours n’est ni adéquat ni efficace » ; Commission ADHP, 11 octobre 1995, Commission nationale des droits de l’homme et des libertés c. Tchad, Communication n° 74/92, § 30 : « La Commission doit interpréter l’Article 56.5 en se référant à sa mission de protection des droits de l’homme et des peuples telle que stipulée dans la Charte. La Commission ne peut pas absolument exiger que la demande d’épuisement des recours internes s’applique littéralement aux cas où le plaignant se trouve dans l’incapacité de saisir les tribunaux nationaux pour chaque plainte individuelle. En raison de la gravité de la situation des droits de l’homme et du grand nombre de personnes impliquées, les recours qui pourraient théoriquement exister devant les tribunaux nationaux sont dans la pratique inexistants ou, au terme de la Charte se prolongent d’une façon anormale » ; Commission ADHP, octobre 1996, Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’homme (RADDHO) c. Zambie (2000) AHRLR 321 (ACHPR 1996), Comm. No. 71/92 : « 9. La condition relative à l’épuisement des voies de recours internes avant la présentation d’une plainte devant des instances internationales est fondée sur le principe que l’Etat visé doit d’abord avoir l’opportunité de redresser par ses propres moyens, dans le cadre de son propre système judiciaire, les torts qui auraient été causés aux individus. 10. Cela ne signifie pas que les plaignants doivent épuiser des voies de recours internes qui, en termes pratiques, ne sont ni disponibles ni pratiques » ; Commission ADHP, octobre 1996, Organisation mondiale contre la torture c. Rwanda, Communications 27/89, 46/91, 49/91, 99/93 : 14. Il apparaît, tel que stipulé par l’article 58 de la Charte Africaine, que les communications 27/89, 46/90, 99/93 contre le Rwanda relèvent l’existence de violations graves et massives des dispositions de la Charte Africaine. 15. L’article Article 56 de la Charte Africaine demande que les plaignants épuisent les voies de recours internes avant que la Commission ne se saisisse de l’affaire, à moins qu’il ne soit établi qu’en termes pratiques que ces recours ne sont pas disponibles ou qu’ils sont prolongés de façon anormale. La condition d’épuisement des voies de recours est fondé sur le principe qu’un gouvernement doit être informé des violations des droits de l’homme afin d’avoir l’opportunité d’y remédier avant qu’il ne soit appelé devant un organe international. 16. Conformément à ses décisions antérieures sur des cas de violations graves et massives des droits de l’homme, étant donné l’ampleur et la diversité des violations alléguées et le grand nombre de personnes impliquées, la Commission considère que les voies de recours internes ne doivent pas être épuisées et déclare ainsi les communications recevables. 17. Pour tous ces motifs, la Commission a déclaré ces communications recevables » ; Commission ADHP, 5 novembre 2013, Luke Munyandu Tembani et Benjamin John Freeth (représentés by Norman Tjombe) c. Zimbabwe et treize autres, Communication n° 409/12, § 96 : « La règle d’épuisement des recours, codifiée selon les termes de l’Article 56(5) de la Charte africaine, est un principe du droit international qui accorde à un Etat la possibilité de réparer le tort survenu dans le cadre de sa propre législation intérieure avant qu’il ne soit fait appel à sa responsabilité internationale au niveau international. Une règle bien établie du droit international coutumier veut qu’avant d’instituer une procédure internationale, les divers recours procurés par l’Etat aient été épuisés (Voir aussi N. Udombana, So Far, So Fair: The Local Remedies Rule in the Jurisprudence of the African Commission on Human and Peoples’ Rights (2003) 97 AJIL No. 1, p. 2 visible sur <  http://www.asil.org/ajil/udombana.pdf&gt; (site visité le 03 août 2012) ; Silvia D’Ascoli et Katherine Maria Scherr, « The Rule of Prior Exhaustion of Local Remedies in the International Law Doctrine and its Application in the Specific Context of Human Rights Protection », European University Institute, EUI Working Papers Law 2007/02, p. 15) » et § 97 et s. ; Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, 30 juin 2017, Free Legal Assistance Group, Lawyers Committee for Human Rights, Union africaine des droits de l’homme, les témoins de Jéhovah c. RDC, Communications n° 25/89-47/90-56/91-100/93; Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, 45e session ordinaire, 13-27 mai 2009, Sudan Human Rights Organisation & Centre on Housing Rights and Evictions (COHRE) c. Soudan, Communication n° 279/03-296/05, §§ 96 ss. Sur la jurisprudence de la Commission, H. Tigroudja, « Le système africain de protection des droits de l’homme : laboratoire des droits universels ? Analyse des sources externes utilisées dans la jurisprudence de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples », in Humanisme et droit. En hommage au professeur Jean Dhommeaux, Paris, Pedone, 2013, pp. 414-415. ; M. Hansungule, “La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples”, in A.A. Yusuf, & F. Ouguergouz (dir.), L’Union africaine : Cadre juridique et institutionnel. Manuel sur l’organisation panafricaine, Paris, Pedone, 2013, pp. 363-386, 382 et s.

[2] Voir notamment Cour ADHP, 28 mars 2014, Ayants droit de feus Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema dit Ablasse, Ernest Zongo et Blaise Ilboudo & le Mouvement Burkinabè des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso, Requête n° 013/2011, arrêt (fond), § 56 : « L’examen du dossier révèle que le fait que les requérants individuels n’ont pas épuisé la totalité des recours judiciaires internes mis à leur disposition par le système juridique burkinabè n’est pas contesté. Il est en effet clairement établi qu’ils ont décidé de ne pas se pourvoir en cassation. / Ce qui en revanche est en discussion ici entre les parties, c’est d’abord la question de savoir sir le recours en cassation, occulté par les requérants individuels, était ou non en lui-même un recours efficace. C’est ensuite la question de savoir si, en l’espèce, la procédure des recours exercés s’était prolongée d’une façon anormale au sens de l’article 56.5 de la Charte. / Par ailleurs, il conviendra de traiter séparément la question de savoir si le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples avait lui aussi ou non à épuiser les voies de recours internes » ; § 68 : « Par rapport au pont sous examen, l’efficacité d’un recours en tant que tel est donc sa capacité à remédier à la situation dont se plaint celui ou celle qui l’exerce » ; § 70 : « Il est donc clair que le pourvoi en cassation n’est pas un recours inutile, puisque la Cour de cassation peut, dans certaines circonstances, conduire au changement ou changer le fond de la décision attaquée. Et sauf à avoir exercé ce recours, l’on ne peut pas savoir ce que la Cour de cassation aurait décidé. Comme la relevé la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire impliquant la France qui appartient à la même famille juridique que le Burkina Faso : « … le pourvoi en cassation figure parmi les voies de recours à épuiser en principe pour se conformer à l’article 35 [de la Convention] » (Affaire Civet c. France, arrêt du 28 septembre 1999, paragraphe 41. Voir aussi la jurisprudence citée dans le même sens ainsi que le paragraphe 43. Voir en outre l’Affaire Yahiaoui c. France, arrêt du 20 janvier 2000, paragraphe 32). / Il en résulte que le pourvoi en cassation prévu par le système juridique burkinabè est un recours efficace, que les requérants individuels devaient pouvoir exercer pour se conformer à la règle de l’épuisement des voies de recours internes portée par l’article 56.5 de la Charte et l’article 40.5 du Règlement intérieur de la Cour » ; § 71 : « Il est entendu qu’une telle conclusion ne préjuge en rien de la question bien distincte de savoir si la procédure relative à un recours donné s’est prolongée d’une façon anormale […] » ; § 88 : « La Cour se doit de rappeler ici qu’aux termes des articles 56.5 de la Charte et 40 du Règlement intérieur il y a exception à l’obligation d’épuiser les recours internes lorsque « la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale » » ; § 90 : « De l’avis de la Cour, la prolongation de la procédure dont il est question à l’article 56.5 de la Charte concerne l’ensemble des recours internes exercés par les concernés ou susceptibles d’être exercés encore par eux. Le libellé de cet article qui parle de l’épuisement « des recours internes » et de la procédure de « ces recours » est très clair et ne comporte aucune disposition tendant à limiter le critère de la prolongation anormale aux seuls recours non encore utilisés. D’ailleurs, il serait difficile d’apprécier la prolongation d’une procédure d’un recours que l’on n’a même pas tenté d’exercer » ; § 92 : « La Cour considère que l’appréciation du caractère normal ou anormal de la durée de la procédure relative aux recours internes soit en effet être effectuée au cas par cas, en fonction des circonstances propres à chaque affaire », la Cour appréciant ensuite la complexité de l’affaire, la question de l’identification des auteurs, le respect de la présomption d’innocence, ainsi que le comportement des requérants pour conclure, § 106 : « Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et bien que l’instruction de l’affaire ne fut pas gelée entre 2001 et 2006, la Cour considère que la procédure concernant les recours internes relatifs à l’affaire entre 1998 et 2006, soit près de huit années, s’est prolongée de façon anormale au sens de l’article 56.5. / Par ailleurs, cette procédure se serait prolongée davantage si un pourvoi en cassation avait été exercé par les requérants, quelle qu’eut é tar ailleurs, la célérité avec laquelle la Cour de cassation aurait statué sur l’affaire. / En conséquence, la Cour conclut, dans ces conditions, que les requérants individuels n’avaient plus à épuiser les autres voies de recours internes offerts par le système juridique du Burkina Faso ». Voir encore : « 109. Selon l’article 56 (5) de la Charte précité un requérant n’a à épuiser les voies de recours internes que pour autant que ces recours « existent » en ce qui le concerne. 110. Dans le cas présent, il apparaît, au vu de ce qui précède, que le Mouvement burkinabè des droits de l’homme ne pouvait intenter aucune action en justice au Burkina Faso dans cette affaire. 111. Par voie de conséquence, l’Etat défendeur ne saurait opposer à la requête, l’excption d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours au motif qu’un des requérants, le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples n’a pas épuisé ces recours. 112. De l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que l’exception d’irrecevabilité de la requête tirée du non-épuisement des voes de recours internes, soulevée par l’Etat défendeur, doit être rejetée, aussi bien en ce qui concerne les requérant sindivduels qu’en ce qui concerne le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples » ; Cour ADHP, 18 novembre 2016, Actions pour la protection des droits de l’homme (APHD) c. Côte d’Ivoire, Requête n° 001/2014, § 93 : « Comme cela ressort de la jurisprudence de la Cour ainsi que de celle de la Commission (Affaire reverand Christopher Mtikila v. Tanzania (Requête n° 009-001/2011), arrêt du 14 juin 2013, paragraphe 82.1 et § 82.3 : « il n’était pas nécessaire de recourir au même processus judiciaire dès lors que le résultat était connu d’avance » ; Affaire Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (Requête n° 004/2013), arrêt du 5 décembre 2014, paragraphe 92 et § 112 : « il n’était pas nécessaire de recourir au même processus judiciaire dès lors que le résultat était connu d’avance »). Voir aussi Communication n° 147/95 et 149/96, Sur Dawda Jawara v. Gambia, paragraphe 32), dans l’application de la règle de l’épuisement des voies de recours internes, les trois critères suivants doivent être pris en compte, à savoir la disponibilité, l’efficacité et le caractère satisfaisant de ces recours ». En l’espèce, s’agissant des recours devant les juridictions administratives : « 96. En ce qui concerne le recours devant les juridictions administratives mentionnées par l’Etat défendeur, l’article 5, alinéa 2 de la loi ivoirienne n° 94-440 sur la Cour suprême dispose que la Chambre administrative « connaît en premier et dernier ressort des recours en annulation pour excès de pouvoir contre les décisions émanant des autorités administrative ». 97. Il ressort de cette disposition que ces juridictions administratives n’ont pas compétence pour connaître des recours en inconstitutionnalité des lois. 98. La Cour conclut, en conséquence, que ce recours n’est pas adéquat et que, pour cette raison, la requérante n’était pas tenue de l’exercer » et s’agissant des recours devant le Conseil constitutionnel : « 100. La Cour observe que la loi contestée n’est pas une loi relative aux libertés publiques et que, pour cette raison, la requérante ne pouvait pas la déférer au Conseil constitutionnel pour un contrôle de sa conformité à la Constitution. 101. La Cour note par ailleurs, que le Conseil constitutionnel de l’Etat de Côte d’Ivoire s’est déjà prononcé sur la constitutionnalité de la loi contestée dans sa Décision relative à la requête introduite par Monsieur Kramo Kouassi qui agissait pour le compte d’un groupe de 29 parlementaires de l’Assemblée nationale. Le Conseil constitutionnel a affirmé que les dispositions attaquées étaient conformes à la Constitution. 102. Dans ces circonstances, il est clair que la requérante dans la présente affaire ne pouvait rien attendre du Conseil constitutionnel, s’agissant de sa demande en annulation de la loi contestée ».

Cette exigence est également posée au niveau universel dans le cadre du premier Protocole additionnel au PIDCP[1], du Protocole facultatif se rapportant au PIDESC adopté par la résolution A/RES/63/117 de l’AGNU du 10 décembre 2008[2]. De même, l’article 22 § 5 a) de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[3] ; l’article 77 § 3 de la Convention pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille[4] ; l’article 31 § 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées[5] ; l’article 14 § 7 a) de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée le 21 décembre 1965 et entrée en vigueur le 4 janvier 1969[6].


[1] Voir les articles 2 (« Sous réserve des dispositions de l’article premier, tout particulier qui prétend être victime d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte et qui a épuisé tous les recours internes disponibles peut présenter une communication écrite au Comité pour qu’il l’examine ») et 5 § 2 b) (« Le Comité n’examinera aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que : […] b) Le particulier a épuisé tous les recours internes disponibles. […]»). Voir déjà le PIDESC adopté le 10 décembre 2008 par la résolution 63/117 de l’AGNU, entré en vigueur, art. 3 : « 1. Le Comité n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés. Cette règle ne s’applique pas dans les cas où la procédure de recours excède des délais raisonnables »

[2] Article 3 § 1 : « Le Comité n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés. […] ».

[3] « Le Comité n’examinera aucune communication d’un particulier conformément au présent article sans s’être assuré que : […] ; b) le particulier a épuisé tous les recours internes disponibles ; cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles donneraient satisfaction au particulier qui est la victime d’une violation de la présente Convention ».

[4] « Le Comité n’examine aucune communication d’un particulier conformément au présent article sans s’être assuré que : […] ; b) Le particulier a épuisé tous les recours internes disponibles […]».

[5] « Le Comité déclare irrecevable toute communication [individuelle] si : […] d) Tous les recours internes efficaces disponibles n’ont pas été épuisés […] ».

[6] « Le Comité n’examinera aucune communication d’un pétitionnaire sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Toutefois, cette règle ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables ».

La solution adoptée par l’article 14 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale est un peu singulière en ce sens que cet article exige à la fois l’épuisement de tous les recours internes disponibles, mais également de ceux formés devant l’organisme créé ou désigné par cet Etat conformément au paragraphe 2 de cet article (qui n’impose pourtant pas une telle création ou désignation…).

  1. Cette règle de l’épuisement des voies de recours internes est toutefois disponible en ce sens que si l’Etat ne l’invoque pas, l’affaire sera considérée comme recevable par l’organe de contrôle.
  2. En somme, l’architecture générale de la protection des droits de l’homme repose sur l’idée que l’Etat est le garant premier des droits de l’homme.

#1.1.1.3. L’exigence d’un délai de soumission de la plainte internationale après la décision interne définitive

  1. L’article 56 § 6 de la Charte africaine pose en outre un délai pour la saisine de la Commission après un tel épuisement[1].

[1] « Les communications visées à l’article 55 reçues à la Commission et relatives aux droits de l’homme et des peuples doivent nécessairement, pour être examinées, remplir les conditions ci-après : […]. 6. Etre introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Commission comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ».

1.1.3. L’absence d’exigence

1.2. L’exigence de consultations en cas de communications étatiques

2. Question du cumul des plaintes internationales et forum shopping

La multiplication des procédures régionales et internationales de garantie couplée avec le développement des organes conventionnels pose des problèmes d’articulation.

2.1. En l’absence de clause d’articulation

2.1.1. Le principe de libre concurrence des procédures

2.1.2. Le jeu des réserves étatiques

2.2. Les clauses d’articulation

2.2.1. Les clauses d’exclusion des recours multiples

2.2.1.1. Irrecevabilité des plaintes pendantes ou l’évitement de la litispendance internationale

2.2.1.2. Irrecevabilité des plaintes déjà examinées

Un certain nombre de traités disposent qu’une plainte ou communication est irrecevable si elle a déjà été examinée par l’organe de contrôle lui-même ou un autre organe international.

Voir en ce sens le cas des communications devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples[1] et des plaintes devant la Cour, l’article 6 du protocole de 1998 renvoyant aux conditions de recevabilité de l’article 56 de la Charte[2]. On trouve le même genre de solution dans les systèmes régionaux américain[3] et européen[4].


[1] Article 56 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : « Les communications visées à l’article 55 reçues à la Commission et relatives aux droits de l’homme et des peuples doivent nécessairement, pour être examinées, remplir les conditions ci-après : […].. 7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de la Charte de l’Organisation de l’Unité africaine et soit de dispositions de la présente Charte ».

[2] Voir également, l’art. 50 du Règlement de la Cour du 1 septembre 2020 : « 2. Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir les conditions ci-après : […] g) Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les Etats concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de la Charte ».

[3] Article 47 de la Convention interaméricaine : « La Commission déclarera irrecevable toute pétition ou communication introduite en vertu des articles 44 et 45 si : […] d. la requête fait substantiellement double emploi avec une précédente pétition ou communication déjà examinée par la Commission ou par un autre organisme international ».

[4] Article 35 § 2 de la Convention EDH : « La Cour ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsque : […] b) elle est essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et si elle ne contient pas de faits nouveaux ».

2.2.2. Les clauses « sans préjudice »

2.2.3. Les mécanismes de coordination