Pour citer : J. Matringe, « Les conclusions dégagées par les organes internationaux de protection des droits de l’homme en Afrique », https://droitsafricainsonline.com/themes/droits-de-la-personne-humaine-travail-en-cours/les-mecanismes-de-garantie-des-droits-de-la-personne-humaine-en-afrique/les-mecanismes-regionaux-et-continentaux-de-protection-des-droits-de-la-personne-humaine-en-afrique/les-conclusions-degagees-par-les-organes/, à jour au 02/09/2023
Plan
- 1. Objet des conclusions
Les personnes et entités qui ont recours à un mécanisme contentieux peuvent poursuivre plusieurs fins qui peuvent se combiner, par exemple la cessation du fait illicite allégué, la reconnaissance de la qualité de victimes du plaignant ou de celui pour lequel ce dernier agit, la modification du droit existant, une réparation du dommage subi (laquelle peut prendre plusieurs formes) ou la garantie que la violation ne se reproduira pas. Il n’est cependant pas sûr que tous les mécanismes permettent d’obtenir la mesure attendue.
1. Objet des conclusions
Il faut distinguer les mécanismes contentieux des mécanismes non contentieux en tant qu’ils obéissent à des logiques générales très différentes qui ont des incidences sur ce que les organes de contrôle peuvent dire et faire.
1.1. Dans le cadre des mécanismes contentieux
La plupart du temps, ce que peut dire et faire l’organe de contrôle saisi d’une plainte ou communication n’est pas déterminé par les traités pertinents. Par exemple, selon l’article 52 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux communications étatiques, « Après avoir obtenu tant des Etats parties intéressés que d’autres sources, toutes les informations qu’elle estime nécessaires et après avoir essayé par tous les moyens appropriés de parvenir à une solution amiable fondée sur le respect des droits de l’homme et des peuples, la Commission établit, dans un délai raisonnable […], un rapport relatant les faits et les conclusions auxquelles elle a abouti. Ce rapport est envoyé aux Etats concernés et communiqué à la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement », l’article 53 ajoutant sans plus de précision : « Au moment de la transmission de son rapport, la Commission peut faire à la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement, telle recommandation qu’elle jugera utile[1].
[1] Si la Convention américaine relative aux droits de l’homme consacre deux articles relatifs aux conclusions de la Commission tant sur communication individuelle qu’étatique, elle n’est pas plus précise sur l’objet de celles-ci. Ainsi, selon l’article 50 : « 1. Si une solution n’est pas trouvée dans le délai fixé par le Statut de la Commission, celle-ci rédigera un rapport exposant les faits de la cause et ses conclusions. […]. Seront également ajoutés au rapport le compte rendu des dépositions orales et les déclarations écrites faites par les Parties conformément au paragraphe 1 e) de l’article 48. […]. 3. En soumettant le rapport, la Commission pourra formuler les propositions et recommandations qu’elle aura jugées appropriées ». Quant à l’article 51 : « 1. Si dans un délai de trois mois, à compter de la remise aux Etats intéressés du rapport de la Commission, l’affaire n’est pas tranchée ou déférée à la Cour par la Commission ou par l’Etat en cause, la juridiction de la Commission étant acceptée, celle-ci pourra, à la majorité absolue de ses membres, émettre un avis et des conclusions quant à la question soumise à son examen. 2. La Commission formulera les recommandations pertinentes et fixera le cas échéant un délai dans lequel l’Etat doit prendre les mesures qui lui compètent pour remédier à la situation considérée. 3. A l’expiration du délai imparti, la Commission décidera à la majorité absolue de ses membres si l’Etat en question a pris ou non des mesures appropriées et si elle publiera ou non son rapport ». La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant ne mentionne même pas l’issue de la procédure devant le Comité.
De la même manière, il peut être stipulé dans le traité ou le protocole, sans autre précision, que cet organe peut faire des « constatations »[1], « observations » ou émettre son opinion ou ses conclusions – parfois seulement de fait[3] – et éventuellement formuler des recommandations sans précision de l’objet de celles-ci[4].
[1] Voir ainsi l’article 22 § 7 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants concernant les communications individuelles : « Le Comité fait part de ses constatations à l’Etat partie intéressé et au particulier ». Dans ce sens également le Comité des droits de l’homme, le Comité CEDAW, le Comité CRPD
[3] Voir ainsi l’article 21 § 1 ii) de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants concernant les communications étatiques : « Si une solution n’a pu être trouvée conformément aux dispositions de l’alinéa e), le Comité se borne, dans son rapport, à un bref exposé des faits ; le texte des observations écrites et le procès-verbal des observations orales présentées par les Etats parties intéressés sont joints au rapport » ; l’article 21 § 1 ii) de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : « Si une solution n’a pu être trouvée conformément aux dispositions de l’alinéa e), le Comité se borne, dans son rapport, à un bref exposé des faits ; le texte des observations écrites et le procès-verbal des observations orales présentées par les Etats parties intéressés sont joints au rapport ».
[4] Il est prévu à l’article 10 § 5 du Protocole à la convention sur les droits de l’enfant : « Après avoir examiné une communication, le Comité transmet sans délai aux parties concernées ses constatations au sujet de cette communication, éventuellement accompagnées de ses recommandations ». Un suivi est organisé à l’article 11 selon lequel l’Etat intéressé répond au Comité, ce dernier ne pouvant que demander des renseignements complémentaires. Voir également l’article 53 de la Charte africaine au sujet des plaintes devant la Commission : « Au moment de la transmission de son rapport, la Commission peut faire à la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, telle recommandation qu’elle jugera utile », l’article 9 du Protocole facultatif se rapportant au PIDESC adopté le 10 décembre 2008 par la résolution 63/117 de l’AGNU, entré en vigueur : « 1. Après avoir examiné une communication, le Comité transmet ses constatations sur la communication, accompagnées, le cas échéant, de ses recommandations aux parties intéressées ».
De même, encore, un certain nombre de traités portant protection des droits de la personne humaine ou leur protocole prévoient comme mission de l’organe saisi d’une communication individuelle ou étatique qu’il offre ses bons offices ou exerce une mission de conciliation pour faciliter un règlement amiable du différend[1]. Ils ne précisent cependant jamais l’objet de celui-ci, exigeant seulement et au mieux qu’il soit fondé sur le respect des droits de l’homme[2].
[1] Voir notamment C. A. NØRGAARD, H. C. KRUGER, « Article 28 § 1-b et § 2 », in L.-E. Pettiti, E. Decaux, P.-H. Imbert dir., La convention européenne des droits de l’homme. Commentaire article par article, 2e éd., Paris, Economica, 1999, pp. 661-679.
[2] Par exemple, l’article 52 précité de la Charte africaine pour la Commission concernant les communications étatiques, la procédure de règlement amiable n’étant pas expressément prévue pour les autres communications ; l’article 9 du Protocole de Ouagadougou pour la Cour applicable pour toute communication : « La Cour peut tenter de régler à l’amiable les cas qui lui sont soumis conformément aux dispositions de la Charte » ; l’art. 48 de la convention américaine : « 1. Saisie d’une pétition ou communication, faisant état d’une violation de l’un quelconque des droits consacrés par la présente Convention, la Commission procèdera comme suit : […] ; f. elle se mettra à la disposition des Etats intéressés en vue d’aboutir à un règlement amiable fondé sur le respect des droits de l’homme reconnus dans la présente Convention », l’article 49 n’étant pas plus précis : « En cas de règlement amiable aux termes de l’alinéa f) de l’article 48, la Commission rédigera un rapport qui sera transmis au pétitionnaire et aux Etats parties puis communiqué, aux fins de publication, au Secrétaire général de l’Organisation des Etats américains. Ce rapport se bornera à un exposé sommaire des faits et de la solution obtenue. Cependant, si un des Etats intéressés le demande, les informations les plus détaillées possibles lui seront fournies » ; Protocole facultatif se rapportant au PIDESC, art. 7 concernant les communications individuelles : « 1. Le Comité met ses bons offices à la disposition des Etats parties intéressés en vue de parvenir à un règlement amiable de la question fondé sur le respect des obligations énoncées dans le Pacte. 2. Tout accord de règlement amiable met un terme à l’examen de la communication présentée en vertu du présent protocole » et art. 10 concernant les communications étatiques : « d) Sous réserve des dispositions de l’alinéa c) du présent paragraphe [épuisement des recours internes], le Comité met ses bons offices à la disposition des Etats parties intéressés en vue de parvenir à un règlement amiable de la question fondé sur le respect des obligations énoncées dans le Pacte » à lire avec l’article 10 h : « Le Comité doit, avec la célérité voulue à compter du jour où il a reçu la notification visée à l’alinéa b) du présent paragraphe, présenter un rapport comme suit : i) si une solution a pu être trouvée conformément aux dispositions de l’alinéa d) du présent paragraphe, le Comité se borne, dans son rapport, à un bref exposé des faits et de la solution retenue ». L’article 9 du protocole à la convention relative aux droits de l’enfant instaure un mécanisme (autonome ?) de règlement amiable.
On peut cependant faire le départ entre ce qui est toujours dans les conclusions car en constitue le noyau fondamental – l’appréciation de la licéité de l’acte ou du comportement étatique contesté – et ce qui peut constituer un complément, l’indication à l’Etat dont le comportement serait illicite d’un comportement déterminé.
1.1.1. L’appréciation de la licéité de l’acte ou du comportement étatique litigieux
On peut affirmer au regard des très rares instruments conventionnels qui régissent la question[1] de la pratique et surtout de l’objet même des procédures contentieuses que les conclusions de l’organe saisi comprennent au moins l’appréciation de la licéité internationale du comportement ou de l’acte litigieux.
Elles s’articulent en effet toutes selon un schéma type, bien sûr susceptible de variations, qui comprend souvent, outre les développements sur la compétence de l’organe saisi et la recevabilité de la demande, un énoncé des faits de l’affaire, un résumé de la procédure, la position des parties sur les différents points de droit, l’analyse de l’organe saisi et sa conclusion. Or, l’organe saisi devant répondre à la demande qui consiste par principe et au minimum à invoquer la violation par l’Etat défendeur de ses obligations, ses analyses et conclusions devront au minimum, et sans qu’il soit besoin d’un texte spécifique, comporter une appréciation de la licéité du comportement incriminé.
[1] Voir ainsi l’article 8 § 4 du Protocole facultatif se rapportant au PIDESC adopté le 10 décembre 2008 par la résolution 63/117 de l’AGNU, entré en vigueur : « Lorsqu’il examine les communications qu’il reçoit, le Comité détermine le caractère approprié des mesures prises par l’Etat partie, conformément aux dispositions de la deuxième partie du Pacte. Ce faisant, il garde à l’esprit le fait que l’Etat Partie peut adopter un éventail de mesures pour mettre en œuvre les droits énoncés dans le Pacte ».
Certains organes s’en tiennent à cette constatation, sans même dire qu’elle vaut réparation, se contenant au mieux de régler la question des coûts de la procédure[1].
[1] Voir notamment EACJ, 1 December 2011, Plaxeda Rugumba v. Secretary General EAC, Judgment, Ref. No. 8 of 2010
Même quand le texte permet à l’organe contentieux de tirer des conséquences d’un constat d’illicéité, le dit organe peut se contenter de ce constat, jugeant que celui-ci constitue en lui-même une réparation. Il en est ainsi de la Cour africaine[1] comme de la Cour interaméricaine[2] et de la Cour européenne.
[1] Voir Cour ADHP, 11 mai 2018, Association pour le progrès et la défense des droits des femmes maliennes (APDF) et Institute for Human Rights and Development in Africa (IHRDA) c. République du Mali, § 135, xi : « Dit que la constatation des violations ci-dessus constitue en soi une forme de réparation pour les Requérants », étant précisé que ceux-ci sont deux ONG qui n’ont pas subi de préjudice direct du fait de l’adoption de la loi et que la Cour a également ordonné au Mali de modifier la loi contestée et censurée par elle.
[2] I-A Court H.R., August 31, 2020, Case of Acosta Martínez et al. v. Argentina, Merits, Reparations and Costs, Judgment, Series C No. 410, dispositif, § 6: “This judgment constitutes, per se, a form of reparation”
1.1.2. L’indication à l’Etat dont le comportement est illicite d’un comportement déterminé
Très peu de textes prévoient expressément la possibilité pour l’organe de contrôle contentieux de statuer sur la réparation du dommage subi par le plaignant ou sur toute autre conséquence de la constatation de non-conformité au traité. La plupart se contentent d’énoncer que l’organe peut formuler des « recommandations » dont la teneur n’est pas précisée, à l’instar de l’article 53 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux communications étatiques devant la Commission : « Au moment de la transmission de son rapport, la Commission peut faire à la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, telle recommandation qu’elle jugera utile ».
Sur le fondement d’une habilitation expresse pour ce faire ou de sa propre initiative, l’organe saisi devra ou pourra être amené à aller plus loin que ce constat et en tirer des conclusions sur ce que l’Etat devrait faire en conséquence d’un comportement illicite. Si certains textes mentionnent la réparation, c’est sans préciser en quoi elle doit consister. Toute une gamme de mesures est dans ce cadre envisageable qui relèvent du droit de la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, étant précisé que certaines conclusions appuient sur plusieurs notes de cette gamme simultanément.
Un certain nombre d’organes ont en effet décidé, dans le silence ou l’ambiguïté de leur statut, de traiter la question de la réparation. Cela paraît de bonne politique juridique en tant que cela s’inscrit dans la logique de l’affirmation par la C.P.J.I. dans l’Affaire relative à l’usine de Chorzów (Demande en indemnité) (fond), 13 septembre 1928 : « c’est un principe du droit international, voire une conception générale du droit, que toute violation d’un engagement comporte l’obligation de réparer. […] la réparation est le complément indispensable d’un manquement à l’application sans qu’il soit nécessaire que cela soit inscrit dans la convention même ». Il devrait en effet découler de ce dictum que la compétence pour juger de l’interprétation ou de l’application d’un traité emporte la compétence pour connaître des conséquences de sa violation. Ainsi : Affaire relative à l’usine de Chorzów (Demande en indemnité) (fond), 13 septembre 1928, Rec. C.P.J.I., Série A, n° 17, p. 4, 27 : « L’article 23 de la Convention de Genève ne vise que les divergences d’opinions résultant de l’interprétation et application des articles 6 à 22 de la Convention de Genève, qui s’élèveraient entre les deux Gouvernements signataires. […] la Cour a affirmé sa compétence pour statuer sur la réparation demandée parce qu’elle considérait la réparation comme le corollaire de la violation des obligations résultant d’un engagement entre Etats ». De même, dans l’affaire Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, arrêt du 27 juin 1986, p. 14, 142, la Cour déclara qu’en règle générale, la compétence pour décider au fond emporte celle d’accorder réparation. De même, dans l’affaire LaGrand, arrêt du 27 juin 2001, § 48 : « S’il est établi que la Cour a compétence pour connaître d’un différend portant sur une question déterminée, elle n’a pas besoin d’une base de compétence distincte pour examiner les remèdes demandés par une partie pour la violation en cause (Usine de Chorzów, C.P.J.I. Série A n° 9, p. 22) ».
La Cour EDH s’est appuyée sur cette jurisprudence pour interpréter l’article 41 de la Convention in Cour EDH, GC, Chypre c. Turquie(Satisfaction équitable), arrêt du 12 mai 2014[1].
[1] « 41. Le principe de droit international le plus important relativement à la violation par un Etat d’une obligation découlant d’un traité veut que « la violation d’un engagement entraine l’obligation de réparer dans une forme adéquate » (voir l’arrêt rendu par la Cour permanente de justice internationale dans l’Affaire relative à l’usine de Chorzów (compétence), arrêt no 8, 1927, série A no 9, p. 21). En dépit du caractère spécifique de la Convention, la logique globale de l’article 41 ne diffère pas fondamentalement de celle qui gouverne les réparations en droit international public : « [i]l est une règle bien établie du droit international, qu’un Etat lésé́ est en droit d’être indemnisé, par l’Etat auteur d’un fait internationalement illicite, des dommages résultant de celui-ci » (voir l’arrêt de la Cour internationale de Justice rendu dans l’Affaire relative au projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie), CIJ Recueil 1997, p. 81, § 152). Il est également bien établi qu’une juridiction internationale qui a compétence pour connaître d’une allégation mettant en cause la responsabilité d’un Etat a le pouvoir, en vertu de cette compétence, d’octroyer une réparation pour le dommage subi (voir l’arrêt rendu par la Cour internationale de Justice dans l’Affaire de la compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, CIJ Recueil 1974, pp. 203-205, §§ 71-76). 42. Dans ces conditions, gardant à l’esprit la spécificité de l’article 41 en tant que lex specialis par rapport aux règles et principes généraux du droit international, la Cour ne saurait interpréter cette disposition dans un sens étroit et restrictif excluant les requêtes interétatiques de son champ d’application. Au contraire, une interprétation large englobant les différents types de requête est confirmée par le libellé de l’article 41, qui dispose que « la Cour accorde à la partie lésée (en anglais, « to the injured party ») (…) une satisfaction équitable », le mot « partie » (avec un p minuscule) devant être compris comme désignant l’une des parties à la procédure devant la Cour. […]. 43. Dès lors, la Cour estime que l’article 41 de la Convention s’applique bien, en tant que tel, dans les affaires interétatiques. Toutefois, la question de savoir s’il se justifie d’accorder une satisfaction équitable à l’Etat requérant doit être examinée et tranchée par la Cour au cas par cas, eu égard notamment au type de grief formulé par le gouvernement requérant, à la possibilité d’identifier les victimes des violations et à l’objectif principal de la procédure, dans la mesure où il ressort de la requête initialement introduite devant la Cour. La Cour admet qu’une requête introduite devant elle en vertu de l’article 33 de la Convention peut renfermer différents types de griefs visant des buts différents. En pareil cas, chaque grief doit être examiné séparément afin de déterminer s’il y a lieu d’octroyer une satisfaction équitable » ; « 45. Il existe aussi une autre catégorie de griefs interétatiques, où l’Etat requérant reproche à une autre Partie contractante de violer les droits fondamentaux de ses ressortissants (ou d’autres personnes). En réalité, pareils griefs sont comparables en substance non seulement à ceux soulevés dans une requête individuelle introduite en vertu de l’article 34 de la Convention mais aussi à ceux qui peuvent être présentés dans le cadre de la protection diplomatique, définie comme « l’invocation par un Etat, par une action diplomatique ou d’autres moyens de règlement pacifique, de la responsabilité d’un autre Etat pour un préjudice causé par un fait internationalement illicite dudit Etat à une personne physique ou morale ayant la nationalité du premier Etat en vue de la mise en œuvre de cette responsabilité » (article premier du projet d’articles sur la protection diplomatique adopté par la Commission du droit international en 2006 […], ainsi que l’arrêt de la Cour internationale de Justice dans l’Affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo) (« l’affaire Diallo »), exceptions préliminaires, CIJ Recueil 2007, p. 599, § 39). Si la Cour accueille des griefs de ce type et conclut à la violation de la Convention, il peut être opportun d’allouer une satisfaction équitable eu égard aux circonstances particulières de l’affaire et aux critères exposés au paragraphe 43 ci-dessus. 46. Cela étant, il ne faut jamais oublier que, du fait de la nature même de la Convention, c’est l’individu et non l’Etat qui est directement ou indirectement touché et principalement « lésé » par la violation d’un ou de plusieurs des droits garantis par la Convention. Dès lors, si une satisfaction équitable est accordée dans une affaire interétatique, elle doit toujours l’être au profit de victimes individuelles. À cet égard, la Cour note que l’article 19 du projet d’articles sur la protection diplomatique précité recommande de « [t]ransférer à la personne lésée toute indemnisation pour le préjudice obtenue de l’État responsable, sous réserve de déductions raisonnables ». De surcroît, dans l’affaire Diallo précitée, la Cour internationale de Justice a expressément tenu à rappeler que « l’indemnité accordée à [l’État requérant], dans l’exercice par [celui]-ci de sa protection diplomatique à l’égard de M. Diallo, [était] destinée à réparer le préjudice subi par celui-ci » (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo) (« l’affaire Diallo »), indemnisation, CIJ Recueil 2012, p. 344, § 57) ».
1.1.2.1. Le versement d’une réparation à titre d’indemnisation
Tous les instruments ne mentionnent pas la réparation et ceux qui le font sont variés.
Dans le système européen, la réparation prévue n’est en principe pas une réparation intégrale mais s’apparente plus à une indemnisation, la Convention utilisant l’expression « satisfaction équitable ». Et encore celle-ci n’est-elle prévue qu’à titre subsidiaire, si le droit interne de celui-ci ne permet pas de remédier à la violation constatée[1]. Les arrêts de la Cour sont donc normalement seulement déclaratoires d’une violation ou non[2], la réparation n’intervenant que si la restitutio in integrum par l’Etat n’est pas possible soit à raison de la nature de l’obligation violée, soit à raison du droit interne de l’Etat concerné[3].
[1] Article 41 – Satisfaction équitable : « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable ».
[2] Ainsi, in Zanghi c. Italie, 10 février 1991, § 25, la Cour décida : « Les juridictions nationales, qui demeurent saisies de l’action du requérant, gardent la possibilité d’effacer les conséquences patrimoniales du dépassement du délai raisonnable (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Brigandi de ce jour, par. 34). Dès lors, et dans les circonstances de la cause, il apparaît indiqué de rejeter la demande en l’état ».
[3] Dans ce sens également, entre autres, Papamichalopoulos et autres c. Grèce, 31 octobre 1995, § 34 : « La Cour rappelle que par l’article 53 de la convention les Hautes Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux décisions de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties ; de plus, l’article 54 prévoit que l’arrêt de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. Il s’ensuit qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci. / Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’Etat défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 50 habilite la Cour, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée ».
Par contraste, les systèmes américain et africain reconnaissent à leur Cour le pouvoir d’ordonner des mesures de réparation qui peuvent aller au-delà de l’indemnisation du préjudice subi, quoi que puisse fournir le droit de l’Etat concerné[1].
[1] Pour des exemples de réparation/indemnisation, I-A Court H.R., August 31, 2020, Case of Acosta Martínez et al. v. Argentina, Merits, Reparations and Costs, Judgment, Series C No. 410, dispositif, § 11: “The State shall pay the amounts established in paragraphs 136, 137, 143, and 146 of this judgment as compensation for pecuniary and non-pecuniary damage, and to reimburse costs and expenses, pursuant to paragraphs 151 to 156 of this judgment ».
Malgré l’absence de disposition lui conférant expressément cette prérogative, la Commission africaine a décidé de recommander des mesures d’indemnisation[1]. Souvent, elle renvoie pour la détermination de celles-ci au droit interne de l’Etat en cause, estimant ne pas pouvoir s’immiscer dans son système interne[2]. L’article 27 § 1 du Protocole relatif à la Charte africaine de 1998 dispose que, à défaut d’un règlement amiable, lorsque la Cour africaineestime qu’il y a eu violation d’un droit de l’homme ou des peuples, elle « ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation », étant expressément précisé au § 2 qu’en cas d’extrême gravité ou d’urgence, et lorsqu’il s’avère nécessaire d’éviter des dommages irréparables à des personnes, elle pourra ordonner des mesures provisoires qu’elle juge pertinentes.
[1] Par exemple, Commission ADHP, 31 octobre 1996, Abubakar c. Ghana, Communication 103/93 (2000) RADH 116 (CADHP 1996), dispositif : « Par ces motifs, la Commission Déclare qu’il y a eu violation des articles 6 et 7.1(d) de la Charte ; Invite que [sic] le Gouvernement à prendre les mesures appropriées pour réparer le préjudice subi » ; Comm. ADHP, décision du 29 mai 2003, République Démocratique du Congo c. le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda, n° 227/99, http://caselaw.ihrda.org/fr/doc/227.99/view/ [consulté le 6 février 2015], dispositif, après le constat de violation de plusieurs dispositions de la Charte africaine, la Cour : « Recommande des indemnisations adéquates et de manière appropriées à l’Etat plaignant et dans l’intérêt des victimes de violations des droits de l’homme par les forces armées des Etats défendeurs tandis qu’elles contrôlaient effectivement les provinces de l’Etat plaignant qui ont souffert de ces violations » ; Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, 29 novembre 2006, Antoine Bissangou c. Congo, Communication n° 253/02 (2006) AHRLR 80 (ACHPR 2006), dispositif : « […] Demande en outre à la République du Congo de pourvoir à la réparation du préjudice subi par le plaignant et dont le montant sera déterminé en fonction de la législation congolaise » ; Comm ADHP, 26 May 2010, Kenneth Good v Botswana (2010) AHRLR 43 (ACHPR 2010), Communication No. 313/05, § 244 : « La Commission recommande que : 1. L’Etat défendeur verse une indemnisation suffisante à la victime pour les pertes qu’elle a subies en conséquence des violations. L’indemnisation couvre mais sans non exclusivement, la rémunération et les avantages perdus du fait de son expulsion, et les frais judiciaires encourus lors des procédures au niveau des tribunaux nationaux et devant la Cour africaine. La manière et le mode de paiement de l’indemnisation sont conformes aux lois en vigueur dans l’État défendeur ».
[2] Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, 9-23 avril 2013, Maître Maboleo M. Itundamilamba c. République démocratique du Congo, Communication n° 302/05, § 134 : « Une telle reconnaissance du droit à réparation, y compris à compensation monétaire, ne saurait occulter la position constante selon laquelle la Commission n’a pas pour rôle de s’ériger en tribunal de première instance ou en juridiction nationale. La Commission n’est pas non plus une juridiction de cassation vis-à-vis des juridictions nationales dont elle serait appelée à annuler, réviser ou rapporter les décisions. En revanche, la Commission est établie par la Charte africaine comme un organe quasi-judiciaire de contrôle de la conformité des pratiques nationales des Etats, et de leur organes internes, à leurs obligations aux termes de la Charte ».
De même, la Convention américaine reconnaît à la Cour interaméricaine non seulement un pouvoir de statuer sur les réparations, mais plus encore un véritable pouvoir d’injonction. En effet, en vertu de l’article 63 § 1 de la convention américaine relative aux droits de l’homme : « Lorsqu’elle reconnaît qu’un droit ou une liberté protégés par la présente Convention ont été violés, la Cour ordonnera que soit garantie à la partie lésée la jouissance du droit ou de la liberté enfreints. Elle ordonnera également, le cas échéant, la réparation des conséquences de la mesure ou de la situation à laquelle a donné lieu la violation de ces droits et le paiement d’une juste indemnité à la partie lésée »[1]. Bien que ne disposant pas de pouvoir exprès en ce sens dans les textes la régissant, la Commission américaine développe également une pratique recommandant à l’Etat d’indemniser la victime[2].
[1] Voir l’arrêt Velasquez Rodriguez c. Honduras de 1988.
[2] Par exemple Commission IADHP, 29 mars 2012, Godoy c. Argentine, pétition n° 12.324, Rapport n° 66/12, § 160 : « In this sense, the Commission recommends that the Argentine State: […] 4. Provide adequate reparations for the human rights violations declared in this report, both material and non-material”.
L’organe saisi pourra décider du versement d’une réparation sous forme d’indemnisation, soit dans le même acte que celui dans lequel il a conclu à la violation par l’Etat de ses obligations[1], soit dans un acte postérieur[2].
[1] Voir, par exemple, faute de pouvoir aller plus loin (voir infra) : CJCEDEAO, 31 October 2012, Baldini Salfo v. Burkina Faso, General List: No. ECW/CCJ/APP/14/10, Judgment No. ECW/CCJ/JUD/13/12, https://ihrda.uwazi.io/fr/entity/o0mh98ja5v?page=1, § 62
[2] Selon l’article 69 § 3 de son règlement de septembre 2020, « La Cour statue sur la demande en réparation […] dans l’arrêt par lequel elle constate une violation d’un droit de l’homme ou des peuples, ou, si les circonstances l’exigent, dans un arrêt séparé ».
En tout état de cause, les trois cours ont estimé pouvoir aller au-delà de la réparation/indemnisation pour rétablir les victimes dans leurs droits, faire cesser le comportement illicite voire garantir la non-répétition de la violation constatée.
1.1.2.2. La cessation du comportement illicite
Il est généralement convenu que la première obligation de l’Etat auteur d’un comportement illicite continu est de mettre fin à celui-ci.
Si l’organe saisi peut recommander ou ordonner cette cessation, notamment en recommandant[1] ou en ordonnant[2] le changement de sa législation[3], la question est difficile de savoir jusqu’où il peut aller et s’il peut notamment enjoindre à l’Etat d’adopter des comportements particuliers et s’ingérer dans son droit interne.
On notera que la recommandation ou l’ordre de modifier la législation à l’origine de la violation peut également s’analyser comme une garantie de non-répétition. Certains se sont refusé à pénétrer le droit étatique[4]. La Cour américaine va quant à elle beaucoup plus loin que ses homologues, n’hésitant pas à commander des actions précises aux Etats défendeurs[5]. Elle va parfois jusqu’à invalider des actes étatiques[6]. Cela ne laisse pas d’étonner dans la mesure où, en principe, en raison de la séparation de l’ordre juridique international et des ordres juridiques étatiques, aucune entité internationale ne peut invalider une mesure étatique dans l’ordre interne[7].
[1] Voir notamment Commission ADHP, 15 novembre 1999, Constitutional Rights Project et Civil Liberties c. Nigéria, Communications 143/95 et 150/96 (2000) RADH 234 (CADHP 1999) : « Par ces motifs la Commission : Déclare qu’il y a eu violation des articles 5, 6, 7.1(a), (c) et (d), 18 et 26 de la Charte. Recommande instamment au gouvernement du Nigeria d’adopter des lois qui sont en conformité avec les dispositions de la Charte » ; Commission ADHP, 7 mai 2001, Legal Resources Foundation c. Zambie, Communication n° 211/98, African Human Rights Law Reports 2001, Centre for Human Rights : “Trouve que la République de Zambie est en violation des articles 2, 3 (1) et 13 de la Charte africaine, Prie instamment la République de Zambie de prendre les dispositions nécessaires en vue de mettre ses lois et sa Constitution en conformité avec la Charte » ; Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, 29 novembre 2006, Antoine Bissangou c. Congo, Communication n° 253/02 (2006) AHRLR 80 (ACHPR 2006), dispositif : « […] Exhorte la République du Congo à conformer sa législation à la Charte africaine ; Demande à la République du Congo d’exécuter le jugement civil du 18 février 1997 en allouant au Plaignant le montant tel que fixé par le Tribunal de grande instance de Brazzaville, à savoir la somme globale de: 195,037,000.00 FCFA soit la somme de 297,333.00 euros. […] » ; Comm ADHP, 26 May 2010, Kenneth Good v Botswana (2010) AHRLR 43 (ACHPR 2010), Communication No. 313/05, § 244 : « La Commission recommande que : […] 2. L’Etat défendeur prenne des mesures pour veiller à ce que les Sections 7(f), 11(6) et 36 de la Loi sur l’immigration du Botswana et sa pratique soient conformes aux normes internationales des droits de l’homme et, en particulier, à la Charte africaine ».
[2] Par exemple : Cour ADHP, 11 mai 2018, Association pour le progrès et la défense des droits des femmes maliennes (APDF) et Institute for Human Rights and Development in Africa (IHRDA) c. République du Mali, § 130 : « Concernant les mesures demandées par les requérants […] et visant à l’amendement de la législation nationale, la Cour considère en effet que l’Etat défendeur doit modifier sa législation pour la rendre conforme aux dispositions des instruments internationaux applicables » et § 135 (dispositif de l’arrêt), x : « Ordonne à l’Etat défendeur de modifier la loi contestée en l’harmonisant avec les instruments internationaux et de prendre les dispositions utiles afin de mettre fin aux violations constatées ».
[3] Voir également ACERWC/CAEDBE, 22 March 2011, Comm. No Com/002/2009, Dec. No 002/Com/002/2009, Decision on the Communication submitted by the Institute for Human Rights and Development in Africa and the Open society Justice Initiative (on behalf of Children of Nubian descent in Kenya) against the Government of Kenya, § 69.2 : “Recommends that the Government of Kenya should take measures to ensure that existing children of Nubian descent whose Kenyan nationality is not recognized are systematically afforded the benefit of these new measures as a matter of priority » ; Comm. ADHP, décision du 29 mai 2003, République Démocratique du Congo c. le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda, n° 227/99, http://caselaw.ihrda.org/fr/doc/227.99/view/ [consulté le 6 février 2015], dispositif, après le constat de violation de plusieurs dispositions de la Charte africaine, la Cour : « Exhorte les Etats défendeurs à respecter leur obligations au titre de la Charte des Nations Unies, de la Charte de l’Organisation de l’unité africaine, de la Charte africaine et de la Déclaration des Nations Unies sur les principes de droit international concernant les relations amicales et la coopération entre Etats et d’autres principes de droit international et à retirer immédiatement leurs troupes du territoire du plaignant » ; Cour EDH [GC], 23 février 2012, Hirsi Jamaal et autres c/ Italie, § 209 : « En vertu de l’article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs rendus par la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé de surveiller l’exécution de ces arrêts. Il en découle notamment que, lorsque la Cour constate une violation, l’Etat défendeur a l’obligation juridique non seulement de verser aux intéressés les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41, mais aussi d’adopter les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles nécessaires. Les arrêts de la Cour ayant une nature essentiellement déclaratoire, l’Etat défendeur demeure libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour. Cependant, dans certaines situations particulières, il est arrivé que la Cour ait estimé utile d’indiquer à un Etat défendeur le type de mesures à prendre pour mettre un terme à la situation – souvent structurelle – qui avait donné lieu à un constat de violation (voir, par exemple, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV ; et Popov c. Russie, no 26853/04, § 263, 13 juillet 2006). Parfois même, la nature de la violation constatée ne laisse pas de choix quant aux mesures à prendre (Assanidzé, précité, § 198 ; Alexanian c. Russie, no 46468/06, § 239, 22 décembre 2008 ; et Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, §§ 85 et 88, 30 juin 2009) »
[4] Voir CJCEDEAO, 31 October 2012, Baldini Salfo v. Burkina Faso, General List: No. ECW/CCJ/APP/14/10, Judgment No. ECW/CCJ/JUD/13/12, https://ihrda.uwazi.io/fr/entity/o0mh98ja5v?page=1, § 59: “Whenever the Court observes that there is human rights violation, the measures that it orders have, as final aim, the cessation of the said violations and reparations. The Court takes into account, the circumstances for each case, in order to make adequate orders. The legitimacy of the measures as well as their chances of realisation are the principles that guide the Court, in its pronouncements. When examining a case, whose proceedings are still on-going in a Member-State, the decisions of the court are riot geared towards interfering with the decisions that national courts shall take in their own proceedings. The Court cannot make orders, whose enforcement shall be seen to weaken or rubbish the authority and independence of the judge in the national court, in the examination of cases that are brought before it”; § 62: “Pursuant to Article 9 (5) of the International Covenant on Civil and Political Rights, which provides that : “Anyone who has been the victim of an unlawful arrest or detention shall have an enforceable right to compensation”, the Court believes that the abusive nature f the length of keeping Plaintiff under police custody, at least opens the way for Plaintiff to reparation, but, at the same time, cannot be genuine ground to either make an order for the release of Plaintiff, or the cessation of the trial, which is pursuant to the law; hence, the Court declares that his pleas [for immediate release and cessation of all forms of proceedings against him] should be rejected”. In Belilos c. Suisse, § 78, elle releva que la convention ne l’habilite pas à enjoindre à la Suisse de modifier sa législation, son arrêt laissant à l’Etat le choix des moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de l’obligation qui découle pour lui de l’article 53. In Saidi c. France, § 47, la Cour déclara que la Convention ne lui donne pas compétence pour exiger de l’Etat français l’ouverture d’un nouveau procès, ni l’adoption de l’une des autres mesures souhaitées par le requérant (effacement de son casier judiciaire ou de certains bulletins ainsi que la régularisation de sa situation sur le territoire français, spécialement par la reconnaissance d’un droit au séjour.
[5] I-A Court H.R., August 31, 2020, Case of Acosta Martínez et al. v. Argentina, Merits, Reparations and Costs, Judgment, Series C No. 410, dispositif, § 7: “The State shall facilitate and continue the investigations necessary to identify, prosecute, and, where appropriate, punish those responsible for the arbitrary detention and death of José Delfín Acosta Martínez, pursuant to the terms of paragraphs 110 and 111 of this judgment »
[6] Voir, chron. R.G.D.I.P.2009/2, p. 458 pour Cour interaméricaine des droits de l’homme. La décision de la Cour EDH n’invalide quant à elle aucunement les mesures contestées et la Cour n’a pas le pouvoir d’invalider de telles mesures. Ainsi décida-t-elle in Pakelli c. Allemagne, n° 8398/78, arrêt du 25 avril 1983, § 45 que la convention ne lui attribuait compétence ni pour annuler l’arrêt de la Cour fédérale ni pour ordonner au Gouvernement de désavouer les extraits incriminés (référence à Marckx, 13 juin 1979, § 58 et Dudgeon, 24 février 1983, § 15).
[7] Même communautaire, ainsi que la C.J.C.E. le reconnut in Jean-E. Humblet c. Etat belge, 16 décembre 1960, 6/60, Rec. 1960, p. 1125, 1145 : « [L]a Cour n’a pas compétence pour annuler des actes législatifs ou administratifs d’un des Etats membres ; […] en effet le traité CECA s’inspire du principe d’une séparation rigoureuse des compétences des institutions communautaires et de celles des organes des Etats membres ; […] le droit communautaire n’accorde pas aux institutions de la Communauté le droit d’annuler des actes législatifs ou administratifs d’un Etat membre ».
1.1.2.3. La restitutio in integrum
Pendant un temps, la Cour européenne a considéré ne pas pouvoir demander à l’Etat la restitution in integrum, notamment d’effacer le fait illicite dommageable[1].
[1] Ainsi, in Le Compte et a., arrêt du 18 octobre 1982, la Cour européenne déclara rappeler que la Convention ne lui donne pas compétence pour exiger de l’Etat belge, à supposer qu’il puisse lui-même satisfaire à cette exigence, l’effacement des sanctions disciplinaires infligées aux trois requérants et des condamnations pénales prononcées contre le Dr. Le Compte (avec réf. A Marckx, 13 juin 1979, série A n° 31, p. 25, § 58).
La Commission africaine a développé une pratique consistant à tirer les conséquences de ses constatations de la violation de la Charte, lesquelles conséquences vont bien plus loin qu’une simple mesure d’indemnisation pour se mouler dans la logique de la restitution[1].
[1] Par exemple, Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, 22 mars 1995, Annette Pagnoulle c. Cameroun, Communication n° 39/90_10AR, dispositif : « For the above reasons, the Commission Declares a violation of Articles 6, 7(1)(b), 7(1)(d) and 15 ; Recommends that the Government of Cameroon draw all the necessary legal conclusions to reinstate the victim in his right » ; Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, 9-23 avril 2013, Maître Maboleo M. Itundamilamba c. République démocratique du Congo, Communication n° 302/05, § 133 : « Ayant conclu à la violation des droits protégés par les articles 3, 7(1)(a) et 7(1)(c) de la Charte africaine, la Commission a fait suite aux allégations du Plaignant. La Commission reste attachée au principe fondamental de réparation sur la base de ce que la kyrielle de droits garantis par la Charte africaine ne serait qu’une vaine proclamation si elle n’était cautionnée par la garantie d’un droit à restitution ou à compensation en cas de violation. Si elle a pu faire preuve de prudence par le passé en ce qui concerne la question des droits au recours et à réparation, la Commission a progressivement construit une jurisprudence dont la pratique n’a cessé de se consolider. […] », § 138 : « Par ces motifs, Déclare que la République Démocratique du Congo a violé les dispositions des articles 3, 7(1)(a) et 7(1)(c) de la Charte africaine. En conséquence : 1. Demande instamment à la République Démocratique du Congo de reconnaître ou faire reconnaître au Plaignant le droit de faire valoir contre la Pharmakina l’obligation légale d’exécuter la sentence arbitrale n° 98/CNO/LH/006 du 1er avril 1998 rendue par le Conseil national de l’ordre des avocats de la RDC, sentence qui fixe à 500.000 (cinq cent mille) Dollars américains les honoraires dûs au Plaignant pour les services rendus à la société Pharmakina. 2. Demande à la République Démocratique du Congo de prendre ou faire prendre les dispositions nécessaires à l’effet d’octroyer au Plaignant une juste compensation à titre de dommages et intérêts pour les préjudices ayant découlé de la non-exécution prolongée de la décision. Le montant de ladite compensation sera déterminé conformément au droit interne congolais. 3. Demande en outre à la République Démocratique du Congo d’octroyer au Plaignant un dédommagement au titre des frais de procédure et dont le montant sera également déterminé conformément au droit interne ».
De même, bien que ne disposant pas du pouvoir pour ce faire dans les textes qui la gouvernent, la Commission interaméricaine n’hésite pas à recommander des formes de restitutio in integrum[1].
[1] Par exemple, Commission IADHP, 29 mars 2012, Godoy c. Argentine, pétition n° 12.324, Rapport n° 66/12, § 160 : « 1. In this sense, the Commission recommends that the Argentine State: 1. Provide the measures necessary for Rubén Luis Godoy to file a motion through which he can obtain a broad review of the ruling to convict him in compliance with Article 8(2)(h) of the American Convention, excluding any evidence obtained under coercion, as established in Article 8.3. 2. Carry out a full, impartial and effective investigation within a reasonable time period in order to resolve the allegations of torture and cruel, inhumane or degrading treatment made by Rubén Luis Godoy. ».
1.1.2.4. Les garanties de non-violation
En matière d’éloignement des étrangers, la Cour européenne a développé une jurisprudence consistant à exiger de l’Etat qu’il obtienne des garanties par l’Etat de destination qu’il ne violera pas les droits du requérant.
Ainsi, in Cour EDH [GC], 23 février 2012, Hirsi Jamaal et autres c/ Italie, § 211 : « La Cour a constaté, entre autres, que le transfert des requérants les a exposés au risque de subir des mauvais traitements en Libye et d’être rapatriés vers la Somalie et l’Erythrée de façon arbitraire. Eu égard aux circonstances de l’affaire, la Cour considère qu’il incombe au gouvernement italien d’entreprendre toutes les démarches possibles pour obtenir des autorités libyennes l’assurance que les requérants ne seront ni soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention ni rapatriés arbitrairement ».
1.1.2.5. Les garanties de non-répétition
Pendant un temps, la Cour européenne a considéré ne pas pouvoir exiger de l’Etat de telles garanties[1], avant de s’y atteler[2].
[1] Ainsi, dans l’affaire Dudgeon, 24 février 1983, § 15, elle déclara que la convention ne l’habilitait pas à ordonner à un Etat partie de faire une déclaration du genre de celle demandée [selon laquelle le demandeur ne subirait, s’il venait à solliciter un poste dans l’administration nord-irlandaise, aucune discrimination pour homosexualité ni pour avoir saisi la Commission].
[2] Cour EDH [GC], 23 février 2012, Hirsi Jamaal et autres c/ Italie, § 210 : « En l’espèce, la Cour juge nécessaire d’indiquer les mesures individuelles qui s’imposent dans le cadre de l’exécution du présent arrêt, sans préjudice des mesures générales requises pour prévenir d’autres violations similaires à l’avenir (M.S.S., précité, § 400) ».
Le Comité africain des droits et du bien-être de l’enfant s’est également aventuré dans cette direction en recommandant à l’Etat défendeur de prendre des mesures aptes à éviter que les mêmes violations se reproduisent[1]. La Cour interaméricaine procède également ainsi[2].
[1] Voir notamment ACERWC/CAEDBE, 22 March 2011, Comm. No Com/002/2009, Dec. No 002/Com/002/2009, Decision on the Communication submitted by the Institute for Human Rights and Development in Africa and the Open society Justice Initiative (on behalf of Children of Nubian descent in Kenya) against the Government of Kenya, § 69.1 : “Recommends that the Government of Kenya should take all necessary legislative, administrative, and other measures in order to ensure that children of Nubian decent in Kenya, that are otherwise stateless, can acquire a Kenyan nationality and the proof of such a nationality at birth »; § 69.3: “Recommends that the Government of Kenya should implement its birth registration system in a non-discriminatory manner, and take all necessary legislative, administrative, and other measures to ensure that children of Nubian descent are registered immediately after birth”; § 69.4 : “Recommends that the Government of Kenya to adopt a short term, medium term and long term plan, including legislative, administrative, and other measures to ensure the fulfilment of the right to the highest attainable standard of health and of the right to education, preferably in consultation with the affected beneficiary communities”.
[2] I-A Court H.R., August 31, 2020, Case of Acosta Martínez et al. v. Argentina, Merits, Reparations and Costs, Judgment, Series C No. 410, dispositif, § 9: “The State shall include training on the issue of racial discrimination and awareness on the use of profiling in the regular training of the Police of the Autonomous City of Buenos Aires and of the Argentine Federal Police, in accordance with the provisions of paragraph 118 of this judgment »; § 10: “The State shall implement a mechanism for control and documentation of complaints, pursuant to the provisions of paragraph 121 of this judgment ».
1.2. Dans le cadre des mécanismes non contentieux
Les mécanismes non contentieux reposent sur une tout autre logique même si certains mécanismes de plainte existent devant les procédures spéciales. Il s’agit moins de traiter de cas particuliers de violation que de situations générales, généralement le respect de l’ensemble des droits de l’homme dans un Etat ou le respect d’un droit particulier à l’échelle universelle. Il s’agit également de faire des études sur certaines questions contemporaines comme les peuples autochtones, les migrants ou encore le changement climatique et les droits de la personne humaine.
En général, l’examen par les commissions régionales et comités conventionnels universels des rapports étatiques aboutit à des « observations » et « conclusions » sur les aspects positifs et défaillances du droit de l’Etat examiné. On comprend que le comité n’examine que des situations générales et non individuelles. De plus en plus, malgré le silence général du traité sur le contenu de leurs observations, ils émettent également des suggestions et recommandations aux Etats concernant les mesures à adopter pour améliorer leur droit interne. Car si l’examen est rétrospectif, la finalité est prospective ; il ne s’agit pas tant de condamner un Etat défaillant que de l’amener vers le plus grand respect des droits de la personne humaine. D’où la logique générale qui irrigue ces procédures qui n’opposent pas l’organe de contrôle à l’Etat examiné, mais essaie au contraire d’instruire un dialogue.
Les observations générales et avis consultatifs ont quant à eux pour objet de faire connaître la manière dont un organe de contrôle interprète une ou plusieurs dispositions protectrices des droits de la personne humaine dont il a la charge de garantir le respect. Cela permet souvent de compenser la faible pratique contentieuse de l’organe considéré ou au contraire de synthétiser sa pratique et d’éclairer les Etats et individus sur la manière dont il appréciera à l’avenir le respect des droits de la personne humaine. En raison de l’accès plus aisé à ces documents qu’aux conclusions contentieuses, elles sont souvent l’instrument privilégié pour connaître la signification et portée de tel ou tel droit.
Les procédures spéciales s’inscrivent dans une autre logique encore. Leur apport le plus important est sans doute leurs études générales sur une catégorie de personnes, sur certains droits, certains existant, d’autres étant en devenir ou encore sur de nouvelles configurations – comme la mondialisation économique ou le changement climatique – qui exigent de repenser les droits de la personne humaine. En regardant la liste précitée des procédures régionales, on constate qu’elles développent des thèmes qui concernent plus particulièrement la région considérée. A nouveau, il ne s’agit aucunement de condamner un ou plusieurs Etats, mais de proposer des réflexions et guides de conduite pour une meilleure garantie à venir des droits de la personne humaine. Certains travaux ont une influence considérable, surtout quand on sait qu’en Afrique comme en Amérique les titulaires de ces procédures sont des membres des commissions, permettant ainsi une fertilisation croisée entre leurs actions non contentieuses et celles contentieuses, chacune pouvant nourrir l’autre. On songe notamment aux travaux de la Commission africaine sur les peuples autochtones et leur influence sur l’avènement de ces droits sur le continent, la Commission ayant développé une politique contentieuse s’appuyant sur ces travaux d’étude.
2. Force juridique des conclusions
Là encore, il convient de distinguer les procédures contentieuses des procédures non contentieuses même si à cette dichotomie ne correspond pas celle des actes obligatoires ou non.
2.1. A l’issue de procédures contentieuses
La question ne prête pas à controverses s’agissant des arrêts des trois cours régionales qui sont par définition obligatoires et doivent être exécutés de bonne foi par les Etats concernés, qu’ils soient rendus sur communication individuelle, étatique ou autre. Ainsi le Protocole de Ouagadougou dispose-t-il à l’article 28 § 2 que l’arrêt de la Cour est définitif et ne peut faire l’objet d’un appel et à l’article 30 que les Etats parties s’engagent à se conformer aux décisions rendues par la Cour dans tout litige où ils sont en cause et à en assurer l’exécution dans le délai fixé par la Cour »[1].
[1] Voir également l’article 46 de la Convention européenne – Force obligatoire et exécution des arrêts : « 1. Les Hautes parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties » et l’article 68 § 1 de la Convention interaméricaine : « Les Etats parties à la présente Convention s’engagent à se conformer aux décisions rendues par la Cour dans tout litige où elles sont en cause ».
Plus délicate est l’analyse de la force juridique des observations et conclusions de la Commission africaine et de la Commission américaine ainsi que celles des comités conventionnels. Ces mécanismes sont souvent qualifiés de « quasi juridictionnels » en ce sens qu’ils ressemblent à un mécanisme juridictionnel (le comité et la commission sont composés d’experts indépendants et impartiaux, la procédure suivie se rapproche de plus en plus d’une procédure contradictoire gouvernée par le principe de l’égalité des parties, la structure du raisonnement adopté ressemble à celle des arrêts même si les conclusions sont beaucoup moins étoffées), mais ne prennent pas une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, ne pouvant, tout au plus, qu’édicter des recommandations faute pour le traité de leur donner un pouvoir de décision.
Il convient cependant d’affiner l’analyse et de distinguer selon qu’on est dans le cadre d’une plainte individuelle ou étatique car les prérogatives reconnues à l’organe sont généralement différentes.
2.1.1. Sur communications individuelles
Un certain nombre de traités ne disent rien de la nature et de la force des conclusions dégagées par l’organe de contrôle à l’issue du traitement des communications individuelles. Tel est le cas notamment de l’article 5 § 4 du premier protocole additionnel au PIDCP[1] ; de l’article 22 § 7 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[2] ; de l’article 77 § 7 de la convention pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille[3] ; de l’article 31 § 5 de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées [4].
[1] « Le Comité fait part de ses constatations à l’Etat partie intéressé et au particulier ».
[2] « Le Comité fait part de ses constatations à l’Etat partie intéressé et au particulier ».
[3] « Le Comité fait part de ses constatations à l’Etat partie intéressé et au particulier ».
[4] « Lorsque le Comité décide de finaliser la procédure, il fait part de ses constatations à l’Etat partie et à l’auteur de la communication ».
D’autres indiquent que l’organe peut accompagner sa conclusion de recommandations. Il en est ainsi en matière de plaintes adressées à la Commission américaine (qui ne peut que formuler des propositions et recommandations (art. 50 § 3) ainsi qu’à la commission africaine. Cette dernière procédure ne conduit qu’à des recommandations dont la publication dépend en outre d’un organe intergouvernemental. Tel est le cas également de la procédure devant le Comité DESC[1] ou le comité pour l’élimination de la discrimination raciale[2].
[1] Article 9 du protocole additionnel : « 1. Après avoir examiné une communication, le Comité transmet ses constatations sur la communication, accompagnées le cas échéant, de ses recommandations aux parties intéressées. 2. L’Etat partie examine dûment les constatations et éventuelles recommandations du comité et soumet dans les six mois au comité une réponse écrite contenant des informations sur toute action menée à al lumière des constatations et recommandations du Comité. 3. Le Comité peut inviter l’Etat partie à lui soumettre un complément d’information sur les mesures prises en réponse à ses constatations ou à ses éventuelles recommandations, y compris, si le Comité le juge approprié, dans les rapports ultérieurs de l’Etat partie présentés au titre des articles 16 et 17 du Pacte ».
[2] art. 14 § 7 b) : « Le comité adresse ses suggestions et recommandations éventuelles à l’Etat partie intéressé et au pétionnaire ».
On peut comprendre à la lecture de ces textes l’affirmation généralement faite dans la doctrine qu’il ne s’agit pas d’actes obligatoires, ce qui justifierait qu’on qualifie ces procédures de « quasi » juridictionnelles seulement.
Peut-être y aurait-il toutefois un « malentendu » qu’on pourrait dissiper avec C. Santulli en décomposant les éléments de la conclusion adoptée par l’organe de contrôle[1]. Il conviendrait alors de considérer que l’élément d’appréciation de la licéité du comportement de l’Etat attaqué – la partie « déclaratoire » – est obligatoire en tant qu’elle dérive d’une interprétation de la règle de droit faite par un interprète authentique, d’une qualification des faits et d’une subsomption de ces derniers sous la règle que l’organe a reçu pouvoir de faire par les Etats. En revanche, les conclusions qu’il tirerait de cette constatation serait dépourvu de force obligatoire, soit parce que les Etats ne lui ont pas expressément pouvoir pour ce faire, soit parce qu’ils ont précisé qu’il ne pourrait s’agir que de recommandations.
[1] C. Santulli, Droit du contentieux international, Paris, Montchrestien, 2005, 584 p., § 35.
En tout état de cause, certains comités, en particulier le Comité des droits de l’homme, estiment – de manière non déraisonnable et sons qu’on ait connaissance d’une fronde des Etats à ce sujet – que leurs conclusions sont obligatoires dans tous leurs éléments.
2.1.2. Sur communications étatiques
Un certain nombre de traités ne disent rien de la nature et de la force des conclusions dégagées par l’organe de contrôle à l’issue du traitement des communications étatiques. Voir notamment en ce sens l’article 41 § 1 ii)[1] et de l’article 42 § 7 c)[2] du PIDCP ; de l’article 21 § 1 ii) de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[3] ; de l’article 76 § 1 ii) de la convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille[4], de la procédure devant le Comité DESC[5].
[1] « Si une solution n’a pu être trouvée conformément aux dispositions de l’alinéa e, le Comité se borne, dans son rapport, à un bref exposé des faits ; le texte des observations écrites et le procès-verbal des observations orales présentées par les Etats parties intéressés sont joints au rapport ».
[2] « Si l’on n’est pas parvenu à un règlement au sens de l’alinéa b, la Commission fait figurer dans son rapport ses conclusions sur tous les points de fait relatifs à la question débattue entre les Etats parties intéressés ainsi que ses constatations sur les possibilités de règlement amiable de l’affaire ; le rapport renferme également les observations écrites et un procès-verbal des observations orales présentées par les Etats parties intéressés ».
[3] « Si une solution n’a pu être trouvée conformément aux dispositions de l’alinéa e), le Comité se borne, dans son rapport, à un bref exposé des faits ; le texte des observations écrites et le procès-verbal des observations orales présentées par les Etats parties intéressés sont joints au rapport ».
[4] « Si une solution na pu être trouvée conformément aux dispositions de l’alinéa d du présent paragraphe, le Comité expose, dans son rapport, les faits pertinents concernant l’objet du différend entre les Etats parties intéressés. Le texte des observations écrites et le procès-verbal des observations orales présentées par les Etats parties intéressés sont joints au rapport. Le Comité peut également communiquer aux Etats parties intéressés seulement toute vue qu’il peut considérer pertinente en la matière ».
[5] Article 10 h du protocole facultatif : « Le Comité doit, avec la célérité voulue à compter du jour où il a reçu la notification visée à l’alinéa b) du présent paragraphe, présenter un rapport comme suit : […] ii) Si une solution n’a pu être trouvée conformément aux dispositions de l’alinéa d) du présent paragraphe, le Comité expose, dans son rapport, les faits pertinents concernant l’objet du différend entre les Etats parties intéressés. Le texte des observations écrites et le procès-verbal des observations orales présentées par les Etats parties intéressés sont joints au rapport. Le Comité peut également communiquer aux seuls Etats parties intéressés toutes vues qu’il peut considérer pertinentes en la matière. / Pour chaque affaire, le rapport est communiqué aux Etats parties intéressés ».
On peut toutefois parfois déduire cette force de la fonction dévolue à l’organe de contrôle dans ce genre de contentieux. En effet, on est souvent dans la logique de la conciliation[1] ou, plus modestement encore, des bons offices[2], certains traités utilisant les deux termes pour désigner les mêmes fonctions du même organe[3]. Au regard des définitions traditionnellement données à ces deux techniques, nous sommes en réalité dans des procédures de conciliation ou de règlement amiable. Il en découle que l’organe ne dispose pas du pouvoir de prendre des actes obligatoires.
[1] Voir Y. Kerbrat, « Organisation des Nations Unies. – Comité des droits de l’homme et autres comités mis en place par les conventions de protection des droits de l’homme des Nations Unies », Jurisclasseur international, fascicule n° 121-40, mis à jour le 20 novembre 2012, § 32.
[2] C’est le cas, notamment, de l’office du Comité des droits de l’homme. En vertu de l’article 41 § 1 e) du PIDCP, le Comité « met ses bons offices à la disposition des Etats parties intéressés, afin de parvenir à une solution amiable de la question ». L’article 12 § 3 du protocole à la convention relative aux droits de l’enfant régit les communications interétatiques n’accorde au Comité qu’une mission de bons offices. En ce sens également, l’article 76 § 1 d) de la convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille : « […], le Comité met ses bons offices à la disposition des Etats parties intéressés, afin de parvenir à une solution amiable de la question […] ».
[3] Ainsi dans le cadre de l’article 42 du PIDCP (rappelons que l’article 41 prévoyait que le Comité mette ses bons offices à la disposition des Etats qui ne seraient pas convenus d’un accord direct). Celui-ci prévoit en effet que si une question soumise au Comité conformément à l’article 41 n’est pas réglée à la satisfaction des Etats intéressés, le Comité peut, avec leur assentiment préalable, désigner une commission de conciliation ad hoc qui « met ses bons offices à la disposition » de ceux-ci pour parvenir à une solution amiable de la question…. De même, dans le cadre de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965 (Qui comprend également une clause classique relative au règlement des différends interétatiques, l’article 22 qui dispose : « Tout différend entre deux ou plusieurs Etats parties touchant l’interprétation ou l’application de la présente Convention qui n’aura pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par ladite Convention sera porté, à la requête de toute partie au différend, devant la Cour internationale de Justice pour qu’elle statue à son sujet, à moins que les parties au différend ne conviennent d’un autre mode de règlement »). En vertu de son article 11, si un Etat partie estime qu’un autre n’applique pas la convention, il peut « appeler l’attention » du Comité sur la question ». Le Comité transmet alors la communication à l’Etat intéressé. Dans les trois mois, celui-ci soumet au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qui peuvent avoir été prises pour remédier à la situation. Si dans les 6 mois à compter de la réception de la « communication », la question n’est pas réglée à la satisfaction des deux Etats, par voie de négociations bilatérales ou par toute autre procédure à leur disposition, l’un comme l’autre aura le droit de la soumettre à nouveau au Comité. Dans toute affaire qui lui est soumise – seulement après utilisation ou épuisement des recours internes disponibles – le Comité peut demander aux Etats parties en présence de lui fournir tout renseignement complémentaire pertinent. En vertu de l’article 12, une fois que le Comité a obtenu et dépouillé tous les renseignements qu’il juge nécessaires, son président désigne une commission de conciliation ad hoc. La commission met ses bons offices à la disposition des Etats intéressés afin de parvenir à « une solution amiable de la question », fondée sur le respect de la convention. Elle peut demander aux Etats intéressés tout renseignement complémentaire pertinent. Selon l’article 13, après avoir étudié la question sous tous ses aspects, la Commission prépare et soumet au président du Comité un rapport contenant ses conclusions sur toutes les questions de fait relatives au litige et renfermant les recommandations qu’elle juge opportunes pour parvenir à un règlement amiable du différend. Le président transmet le rapport de la commission aux parties au différend qui lui font savoir dans les 3 mois s’ils acceptent ou non les recommandations y contenues. Une fois expiré ce délai, le président du Comité communique le rapport de la commission et les déclarations des Etats parties intéressés aux autres Etats parties à la convention. De même, en vertu de l’article 21 § 1 e) de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Comité « met ses bons offices à la disposition des Etats parties intéressés afin de parvenir à une solution amiable de la question […]. A cette fin, le Comité peut, s’il l’estime opportun, établir une commission de conciliation ad hoc ».
Parfois, par exemple en vertu de l’article 53 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux communications étatiques, selon lequel « Au moment de la transmission de son rapport, la Commission peut faire à la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, telle recommandation qu’elle jugera utile », à défaut de conciliation, l’organe saisi pourra formuler des « recommandations ». Si l’on veut prendre les mots au sérieux, l’organe ne peut pas prendre de conclusion obligatoire.
2.2. A l’issue de procédures non contentieuses
Le fait qu’une procédure ne soit pas contentieuse n’empêche pas l’adoption d’actes obligatoires. Tel n’est toutefois pas le cas des procédures examinées supra devant les organes de protection des droits de la personne humaine. Il ne faut toutefois pas négliger l’« autorité de la chose interprétée » par ces organes et le fait que leur pratique contentieuse se nourrit de leur pratique non contentieuse.
Ainsi, les observations et recommandations générales ainsi que les avis consultatifs de ces organes sont examinés avec sérieux, l’organe annonçant selon quelle interprétation de tel ou tel droit il se prononcera à l’occasion de ses différentes fonctions de contrôle.
En outre, bien que les observations et recommandations finales rendues par les organes de contrôle après examen des rapports des Etats n’ont pas de force obligatoire, elles peuvent constituer un moyen de pression sur l’Etat qui peut craindre l’effet pour leur image de leur publication et diffusion. On voit ainsi des Etats amender leur droit après une évaluation négative faite à l’issue d’un tel mécanisme[1].
[1] Voir Y. Kerbrat, « Organisation des Nations Unies. – Comité des droits de l’homme et autres comités mis en place par les conventions de protection des droits de l’homme des Nations Unies », Jurisclasseur international, fascicule n° 121-40, mis à jour le 20 novembre 2012, § 29 ; S. Turgis, « Fasc. 122-40 : Organisation des Nations Unies – Respect des droits de l’homme », Jurisclasseur Droit international, 20 février 2019, § 55.