Relations entre économie et développement en droit international

Pour citer : J. Matringe, « Relations entre économie et développement en droit international », https://droitsafricainsonline.com/themes/afriques-et-developpement/economie-et-developpement/, consulté le ../../….

Les relations entre économie et développement ont toujours été ambiguës, tant dans les discours doctrinaux que dans ceux des Etats, organisations internationales et organisations non gouvernementales.

D’un côté, les discours sur le développement ont toujours une portée économique même dans leurs dernières versions (« développement social », « développement humain », « développement durable »).

D’un autre côté, la pensée économique est partagée entre plusieurs discours. Certains ne voient le développement que comme un phénomène économique. Ainsi est-il entendu de manière dominante comme « un processus de transformation des structures d’une société lié à la croissance ». Le « développement » est essentiellement la « croissance » et se mesure principalement par le produit intérieur brut, le produit national brut, le revenu par habitant ou encore le niveau d’industrialisation. D’autres, en particulier le courant de l’économie du développement, font de la croissance un élément distinct – voire un instrument – du développement qui ne saurait se limiter à elle ou tentent de montrer que certaines doctrines économiques freinent ou empêchent le développement, lequel ne se limiterait pas à la croissance et à l’allocation optimale du capital, mais poursuivrait d’autres objectifs, voire serait étranger à la croissance. En tout état de cause, le développement n’est jamais entièrement indépendant de considérations économiques, en particulier de la notion de croissance et l’acception internationale du développement qui en fait un produit de la croissance continue à l’emporter malgré de nombreux développements conceptuels ultérieurs.

1       Prolégomènes – La charge politique du terme « développement »

La question du développement a toujours été et reste fondamentalement ambivalente dans la mesure où elle a toujours eu une charge politique et idéologique qui grève non seulement le concept, mais également les politiques de développement. Plus précisément, mais trop sans s’engager, il semble qu’elle a toujours eu à voir avec des questions de domination.

1.1     Le développement comme instrument de politique internationale

Le « développement » a servi à classer les Etats et à justifier la mise sous tutelle de certains pays par les Etats développés au nom d’une mission sacrée de civilisation qui devait permettre le développement et le bien-être des peuples non encore développés. L’article 22 du Pacte de la Société des Nations affirme ce credo en établissant le système des mandats.

« 1. Les principes suivants s’appliquent aux colonies et territoires qui, à la suite de la guerre, ont cessé d’être sous la souveraineté des Etats qui les gouvernaient précédemment et qui sont habités par des peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne. Le bien-être et le développement de ces peuples forment une mission sacrée de civilisation, et il convient d’incorporer dans le présent Pacte des garanties pour l’accomplissement de cette mission. 2. La meilleure méthode de réaliser pratiquement ce principe est de confier la tutelle de ces peuples aux nations développées qui, en raison de leurs ressources, de leur expérience ou de leur position géographique, sont le mieux à même d’assumer cette responsabilité et qui consentent à l’accepter […] ».

On y trouve également l’idée d’une hiérarchie entre ces pays selon leur degré de (sous) développement au § 3 qui énonce :

« Le caractère du mandat doit différer suivant le degré de développement du peuple, la situation géographique du territoire, ses conditions économiques et toutes autres circonstances analogue».

Cette formule permettait aux Etats développés/civilisés – les Etats européens – de décider librement qui s’assujettir, les §§ 4, 5 et 6 distinguant les régimes auxquels soumettre ces différents peuples et ou territoires :

« 4. Certaines communautés qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman, ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement, à la condition que les conseils et l’aide d’un Mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules. […]. 5. Le degré de développement où se trouvent d’autres peuples, spécialement ceux de l’Afrique centrale, exige que le Mandataire y assume l’administration du territoire à des conditions qui, avec la prohibition d’abus, tels que la traite des esclaves, le trafic des armes et celui de l’alcool garantiront la liberté de conscience et de religion, sans autres limitations que celles que peut imposer le maintien de l’ordre public et des bonnes mœurs, et l’interdiction d’établir des fortifications ou des bases militaires ou navales et de donner aux indigènes une instruction militaire, si ce n’est pour la police ou la défense du territoire et qui assureront également aux autres Membres de la Société des conditions d’égalité pour les échanges et le commerce. 6. Enfin il y a des territoires, tels que le Sud-Ouest africain et certaines îles du pacifique austral, qui, par suite de la faible densité de leur population, de leur superficie restreinte, de leur éloignement des centres de civilisation, de leur contiguïté géographique au territoire du Mandataire, ou d’autres circonstances, ne sauraient être mieux administrés que sous les lois du Mandataire comme une partie intégrante de son territoire, sous réserve des garanties prévues plus haut dans l’intérêt de la population indigène».

A la décolonisation, tout en conservant l’idée d’une classification des Etats et d’une supériorité de certains par rapport à d’autres[1], on ne garda plus des deux termes « civilisation » et « développement » que le dernier, plus neutre et plus acceptable, d’autant plus acceptable que tous les Etats adoptèrent immédiatement et unanimement le concept. Les anciens pays non civilisés devenaient « sous-développés » puis « en développement » (avant qu’on distingue parmi eux plusieurs catégories d’Etats) avec cette même idée d’un modèle que tous sont appelés à suivre.


[1] Voir E. Tourme Jouannet, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? Le droit international entre développement et reconnaissance, Paris, Pedone, 2011, 301 p., 16-17.

1.2     Le développement comme politique interne

Au sein des nouveaux Etats, notamment africains, le développement est apparu comme une véritable idéologie. Les dirigeants s’en servirent comme mythe permettant de rassembler des populations hétérogènes et les guider vers un objectif commun au service d’une « modernisation » et d’une unification politique qui constituaient, par récurrence, des voies de développement[1].


[1] Voir K. Appiagyei-Atua, « Bumps on the roads: A Critique of how Africa got to NEPAD”, African Human Rights Law Journal, Vol. 6, 2006, pp. 524-548, 528-529.

Ainsi, tout en constituant un outil de domination des anciens Etats sur les nouveaux, le développement devenait un outil de légitimation de logiques de domination à l’intérieur des seconds justifiant que les dirigeants dirigent de manière autoritaire, voire totalitaire, les sociétés au détriment des libertés individuelles et de la démocratie[1].


[1] Voir C. Ake, Democracy and development in Africa, Washington D.C., The Brookings Institution, 1996, 173 p., 7.

2       Les ambivalence du droit international à l’égard du développement

Le droit international est vite devenu profondément ambivalent. Pendant que des discours émergeaient qui dépassaient le schéma de 1945 pour l’articuler sur une notion compréhensive du développement qui embrasse les droits de la personne humaine, les droits des travailleurs, les questions d’éducation, de santé et d’environnement, les instruments de droit dur et la pratique allaient s’écarter largement de ce schéma et des préoccupations liées au développement. En effet, le droit international économique n’est plus libéral mais – néo ou ordo – libéral et ne prend en compte les préoccupations des discours développementalistes que dans une logique d’exception aux libertés économiques sous le paravent de discours généreux[1]. Cependant, à leur tour, face à ce durcissement du droit et de la pratique, de nouveaux discours ont fleuri donnant une extension sans cesse plus grande au développement, au risque d’ailleurs de lui faire perdre toute signification précise. Toutefois, la pratique n’a pas véritablement changé. Certes, les Etats et organisations internationales se réfèrent à ces discours, mais sans les mettre sérieusement en œuvre en sorte que coexistent dans leur incompatibilité réciproque l’ordre de la pratique et l’ordre de la rhétorique.


[1] Voir notamment E. Tourme Jouannet, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? …, op. cit., p. 55.

2.1     Le schéma post seconde Guerre mondiale ou le modèle libéral-social

Le modèle économique international prôné par l’article 55 de la Charte des Nations Unies[1] n’a pas une fin purement économique d’accumulation du capital mais a une finalité humaine et sociale[2], dans la mesure où la première conduit à la seconde[3]. On croyait en effet (ou on feignait de croire), dans la veine de la tradition libérale, que la croissance de la richesse globale et l’abondance générale conduiraient inéluctablement à la richesse, au plein emploi et au bien-être de tous. Une telle approche de l’économie dans un milieu international relativement homogène (la moitié du monde était encore colonisée) permettait de faire l’économie d’une notion autonome de développement dont elle va pourtant permettre l’avènement[4], le développement apparaissant vite comme une croissance à finalité sociale et humaine.


[1] « En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront : a) le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l’ordre économique et social ; b) la solution des problèmes internationaux dans les domaines économiques, social, de la santé publique et autres problèmes connexes, et la coopération internationale dans les domaines de la culture intellectuelle et de l’éducation ; c) le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ».

[2] Voir E. Tourme Jouannet, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? …, op. cit., pp. 17-18.

[3] Paradoxalement à première vue mais en réalité dans la pure veine de cette logique on peut lire à section 5 des Statuts de la Banque mondiale relative à l’emploi des prêts garantis ou accordés par la Banque ou auxquels elle participe, (b) : « la Banque prendra des dispositions en vue d’obtenir que le produit d’un prêt soit consacré exclusivement aux objets pour lesquels il a été accordé, compte dûment tenu des considérations économiques et de rendement et sans laisser intervenir des influences ou considérations politiques ou extra-économiques «  à laquelle fait écho la section 10 portant interdiction de toute activité politique : « La Banque et ses dirigeants n’interviendront pas dans les affaires politiques d’un Etat-membre quelconque, ni ne se laisseront influencer dans leurs décisions par l’orientation politique de l’Etat-membre (ou les Etats-membres) en cause. Leurs décisions seront fondées exclusivement sur des considérations économiques, et ces considérations seront impartialement pesées afin d’atteindre les objectifs énoncés à l’art. I ».

[4] Margot E. Salomon, “From NIEO to Now and the Unfinishable Story of Economic Justice”, International and Comparative Law Quarterly, Vol. 62, No. 1, 2013, pp. 31-54, 48.

Cette logique est également portée par la Déclaration de Philadelphie de l’OIT[1] et les instruments fondateurs du FMI[2], de la BIRD[3] puis du GATT[4].


[1] Voir E. Lee, “The Declaration of Philadelphia: Retrospect and Prospect”, International Labour Review, Vol. 133, Vol. 4, 1994, pp. 467-484, 467-468.

[2] Les statuts du FMI énoncent très brièvement le crédo libéral de l’après-guerre qui voit dans le développement économique au sens de croissance un moyen de conduire au bien-être, l’article I (ii) énonçant comme un des buts du Fonds « Faciliter l’expansion et l’accroissement du commerce international et contribuer ainsi à l’instauration et maintien de niveaux élevés d’emploi et de revenu réel et au développement des ressources productives de tous les Etats membres, objectifs premiers de la politique économique ».

[3] La dimension sociale n’était pas absente des Statuts de la BIRD, mais présente dans la même logique que dans les Statuts du FMI puisqu’on lit à l’article 1 qui désigne les objectifs de la Banque, (iii) : « De promouvoir l’harmonieuse expansion, sur une longue période, des échanges internationaux et l’équilibre des balances de paiement, en encourageant les investissements internationaux consacrés au développement des ressources productives des Etats membres, contribuant par là à relever, sur leurs territoires, la productivité, le niveau d’existence et la situation des travailleurs ». Dans ce sens également, Banque Mondiale, Rapport sur le développement dans le monde 1993 : Investir dans la santé, 1993, 339 p., iii : « Le présent Rapport préconise, à l’intention des gouvernements, une stratégie à trois angles d’attaque pour améliorer la santé des populations dans les pays en développement. Il s’agit tout d’abord de mettre en place un environnement économique de nature à donner aux ménages la possibilité d’améliorer eux-mêmes leur santé. Une politique de croissance (assortie, au besoin, de mesures d’ajustement économique) qui assure aux pauvres des gains de revenu est essentielle » ; p. 6 : « On voit donc que la poursuite de politiques économiques de nature à générer une croissance soutenue est l’une des mesures les plus importantes que les gouvernements puissent prendre pour améliorer l’état de santé de leurs populations ».

[4] Les gouvernements […] « Reconnaissant que leurs rapports dans le domaine commercial et économique doivent être orientés vers le relèvement des niveaux de vie, la réalisation du plein emploi et d’un niveau élevé et toujours croissant du revenu réel et de la demande effective, la pleine utilisation des ressources mondiales et l’accroissement de la production et des échanges de produits, Désireux de contribuer à la réalisation de ces objets par la conclusion d’accords visant, sur une base de réciprocité et d’avantages mutuels, à la réduction substantielle des tarifs douaniers et des autres obstacles au commerce et à l’élimination des discriminations en matière de commerce internationale, sont, par l’entremise de leurs représentants, convenus de ce qui suit : […] ».

Le « développement » économique va d’ailleurs très vite apparaître dans les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies[1] dont l’une des fonctions était (art. 13 § 1, al. 2) de provoquer des études et faire des recommandations en vue de développer la coopération internationale dans les domaines économiques, social, de la culture intellectuelle et de l’éducation, de la santé publique, et faciliter pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Son utilisation se banalisa ensuite très rapidement dans le vocabulaire de cette institution qui lança plusieurs décennies pour le développement.


[1] Voir ainsi : Résolution 198 (III), 4 décembre 1948, Développement économique des pays insuffisamment développés : « 1. Considérant que les bas niveaux de vie qui existent dans certains Etats Membres entraînent des conséquences économiquement et socialement fâcheuses pour les pays directement intéressés et pour le monde entier, et causent une instabilité qui constitue un obstacle au maintien de relations paisibles et amicales entre les nations et au développement des conditions nécessaires au progrès économique et social, 2. Rappelant que la Charte des Nations Unies engage les Etats Membres, tant conjointement que séparément, à favoriser le relèvement des niveaux de vie. 3. Recommande au Conseil économique et social et aux institutions spécialisées de procéder d’urgence à un nouvel examen de l’ensemble du problème du développement économique des pays insuffisamment développés, sous tous ses aspects, et au Conseil économique et social de faire figurer, dans son rapport à la prochaine session ordinaire de l’Assemblée générale, l’exposé : a) des mesures déjà envisagées par le Conseil économique et social et les institutions spécialisées ; et b) des autres mesures proposées pour favoriser le développement économique et relever le niveau de vie des pays insuffisamment développés ; 4. Fait sienne la résolution 167 (VII), E, du Conseil économique et social, aux termes de laquelle le Conseil exprime l’espoir que la Banque internationale pour la reconstruction et le développement prendra des mesures immédiates afin d’adopter toutes mesures appropriées en vue de faciliter la prompte réalisation d’emprunts destinés à favoriser le développement, notamment dans les régions dont l’économie est encore insuffisamment évoluée » ; A/RES/200 (III), 4 décembre 1948, Assistance technique en vue du développement économique : « 2. Considérant que a) L’un des principaux objectifs de la Charte des Nations Unies est de favoriser la création de conditions favorables au progrès et au développement économique et social » ; A/RES/209 (III), 18 novembre 1948, Développement économique et migration.

2.2     Les discours du développement au-delà de la croissance

Le projet économique holistique initié par l’ONU fut confirmé et précisé pour être arrimé à un projet de développement social avec notamment la résolution AGNU 2542 (XXIV), Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social du 11 décembre 1969[1], puis holistique et non seulement économique et social avec la résolution AGNU 2626 (XXV) du 25 octobre 1970, Stratégie internationale du développement pour la Deuxième décennie des Nations Unies pour le développement. Ce développement dans le domaine social est fondé « sur le respect de la dignité et de la valeur de la personne humaine et doi[…]t assurer la promotion des droits de l’homme ainsi que la justice sociale »[2] et sa finalité est le respect de la dignité humaine et le bien-être de la personne humaine par l’amélioration des conditions de vie pour tous. Cela signifie que si la croissance économique est toujours présente, elle ne suffit pas et qu’il faut lui adjoindre d’autres préoccupations[3].


[1] Cons 1 : « Consciente de l’engagement que les Membres de l’Organisation des Nations Unies ont pris, en vertu de la Charte, d’agir, tant conjointement que séparément, en coopération avec l’Organisation pour favoriser le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement dans l’ordre économique et social » ; cons. 8 : « Soulignant l’interdépendance du développement économique et du développement social dans le cadre plus large du processus de croissance […] et dévolution, ainsi que l’importance d’une stratégie de développement intégré qui tienne pleinement compte, à tous les stades, des aspects sociaux de ce développement » ; cons. 15 : « Proclame solennellement la présente Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social et demande qu’une action soit entreprise sur le plan national et international afin que cette déclaration serve de base commune pour les politiques de développement social » ; Deuxième Partie – Objectifs : « Le progrès et le développement dans le domaine social doivent viser l’élévation continue des niveaux de vie matériel et spirituel de tous les membres de la société, dans le respect et l’application des droits de l’homme et des libertés fondamentales, par la réalisation des principaux objectifs suivants : […] ». Voir également la résolution AGNU 2543 (XXIV), 11 décembre 1969, Application de la Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social.

[2] AGNU, Résolution 2542 (XXIV), 11 décembre 1969, Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social, art. 2 : « Le développement et le progrès dans le domaine social sont fondés sur le respect de la dignité et de la valeur de la personne humaine et doivent assurer la promotion des droits de l’homme ainsi que la justice sociale, ce qui exige : a) L’élimination immédiate et définitive de toutes les formes d’inégalité, d’exploitation des peuples et des individus, de colonialisme, de racisme, y compris le nazisme et l’apartheid, et de toute autre politique et idéologie contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ; b) La reconnaissance et la mise en œuvre effective des droits civils et politiques ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels sans aucune discrimination ».

[3] La résolution AGNU 2626 (XXV) du 25 octobre 1970, Stratégie internationale du développement pour la Deuxième décennie des Nations Unies pour le développement affirme en effet, à l’alinéa 1) de son préambule : « Au seuil des années 1970, les gouvernements s’engagent à nouveau à servir les objectifs fondamentaux proclamés dans la Charte des Nations Unies il y a vingt-cinq ans : créer des conditions de stabilité et de bien-être et assurer un niveau de vie minimum compatible avec la dignité humaine, grâce au progrès et au développement dans l’ordre économique et social », à l’alinéa 7) : « Le développement doit avoir pour objectif ultime d’assurer des améliorations constantes du bien-être de chacun et d’apporter à tous des avantages » et à l’alinéa 12) : « Les gouvernements proclament les années 1970 deuxième décennie des Nations Unies pour le développement et s’engagent, individuellement et collectivement, à poursuivre des politiques propres à créer dans le monde un ordre économique et social plus juste et plus rationnel, dans lequel les nations, tout comme les individus dans une même nation, auront droit à des possibilités égales. Ils souscrivent aux buts et objectifs de la Décennie et décident de prendre les mesures voulues pour les inscrire dans les faits. Ces buts et ces mesures sont énoncés dans les paragraphes ci-après ». Voir également B – Buts et objectifs, 18) : « Comme le but ultime du développement est d’offrir des occasions toujours plus grandes d’amélioration des conditions de vie pour tous, il est essentiel d’assurer une répartition plus équitable des revenus et de la richesse pour promouvoir tant la justice sociale que l’efficacité de la production, de relever sensiblement le niveau de l’emploi, d’améliorer l’enseignement, la santé publique, la nutrition, le logement et la protection sociale et de sauvegarder l’environnement. Ainsi, les transformations qualitatives et structurelles de la société doivent aller de pair avec une croissance économique rapide et les disparités existantes, qu’elles soient régionales, sectorielles ou sociales, doivent être sensiblement atténuées. Ces objectifs sont à la fois les résultats finals et les facteurs déterminants du développement. Ils doivent donc être considérés comme faisant partie intégrante du même processus dynamique et exigeraient une conception unifiée (…) ». De même in A/RES/35/56, 5 décembre 1980, Stratégie internationale du développement pour la troisième Décennie des Nations Unies pour le développement, § 42 : « Les plans et objectifs nationaux de développement des pays en développement devraient être formulés sur la base d’une conception unifiée du développement économique et social, laquelle est essentielle au développement équilibré de tous les secteurs de l’économie ; ils devraient permettre à la fois d’accélérer la croissance et d’accroître l’efficacité de la production et tenir pleinement compte non seulement des objectifs de développement immédiats, mais également des objectifs sociaux et économiques à long terme des pays en développement. C’est à chaque pays qu’il appartient de se fixer des objectifs nationaux adéquats de promotion du développement humain et social dans le cadre de ses plans, priorité et ressources de développement et en fonction de ses structures socio-économiques et de la situation dans laquelle il se trouve. Le développement doit avoir pour but ultime d’améliorer constamment le bien-être de l’ensemble de la population, grâce à sa participation au développement et à une répartition équitable des fruits du développement ».. Voir M. Virally, « La deuxième décennie des Nations Unies pour le développement. Essai d’interprétation para-juridique », A.F.D.I. 1970, pp. 9-33, Le droit international en devenir, Essais écrits au fil des ans, Genève, I.U.H.E.I., Paris, P.U.F., 1990, 504 p.,447-469.

La troisième décennie pour le développement réaffirme cette vision du développement des deux premières centrée sur la personne humaine, son processus devant assurer le respect de la dignité humaine et son objectif étant l’augmentation constante du bien-être de la population[1].


[1] A/RES/35/56, 5 décembre 1980, Stratégie internationale du développement pour la troisième Décennie des Nations Unies pour le développement, § 7 : « La nouvelle Stratégie internationale du développement vise à promouvoir le développement économique et social des pays en développement afin de réduire sensiblement les disparités actuelles entre les pays développés et les pays en développement, de supprimer rapidement la pauvreté et la dépendance des pays en développement et de contribuer par là même à la solution des problèmes économiques internationaux et à un développement économique fondé sur la justice, l’égalité et le profit mutuel ». Voir aussi le § 8 : « Le processus de développement doit assurer le respect de la dignité humaine. L’objectif final du développement est l’augmentation constante du bien-être de la population tout entière, sur la base de sa pleine participation au processus de développement et d’une répartition équitable des bénéfices qui en découlent. Ainsi, la condition de la femme devrait s’améliorer nettement pendant la Décennie. Dans cette optique, la croissance économique, l’emploi productif et l’équité sociale sont des éléments fondamentaux et indivisibles du développement ». Voir encore le § 17 où il est affirmé que l’objectif ultime du développement est l’amélioration des conditions de vie de tous. Voir encore § 21 et § 42 : « Le développement est un processus intégré, concrétisant des objectifs aussi bien économiques que sociaux ».

L’idée majeure est que le développement ne peut être la seule croissance économique mais constitue un processus embrassant également une dimension sociale et politique[1]. En ce sens, on peut considérer que la chose « développement » est présente même si le mot est absent dans le préambule de la Charte de l’OUA de 1963[2] ainsi que dans son article II énonçant les objectifs de l’organisation.


[1] En ce sens, entre autres : “The term “development” is used in its ordinary meaning to refer to the whole process of political, social, and economic transformations of the African States”, E. Kwakwa, « Governance, Development and Population Displacement in Africa: A Call for Action », African Yearbook of International Law, Vol. 3, Issue 1, 1995, pp. 17-52, 19. Voir aussi : « Le développement se différencie de la croissance. Il est à la fois un processus objectif et mesurable (indicateurs de productivité, de pauvreté, d’inégalités ou d’empreinte écologique), normatif (vecteur d’objectifs sociaux désirables) et un projet (porté par les acteurs du développement) », P. Hugon, « Les sciences sociales africanistes à l’épreuve des projets de développement. Peuvent-elles dépasser l’opposition entre l’universalisme de l’économie et le relativisme de l’anthropologie ? », Cahiers d’études africaines, n° 202-203, 2011/2, pp. 331-352, 333-334. Voir GIEC/IPCC, Seconde évaluation du GIEC. Changement de climat 1995, p. 45 : « Il est couramment admis que malgré son usage répandu pour évaluer les politiques économiques, le produit intérieur brut est un indicateur imparfait de la santé d’une société, du fait essentiellement qu’il ne prend pas en compte la dégradation de l’environnement et des systèmes naturels. Il existe d’autres méthodes qui tentent de mieux refléter ces valeurs non marchandes et la soutenabilité sociale et écologique. Ces méthodes permettent d’appréhender de façon plus complète la mesure dans laquelle l’évolution du climat est susceptible d’influer sur le bien-être de la société ».

[2] « Conscients du fait que la liberté, l’égalité, la justice et la dignité sont des objectifs essentiels à la réalisation des aspirations légitimes des peuples africains ; Sachant que notre devoir est de mettre les ressources naturelles et humaines de notre continent au service du progrès général de nos peuples dans tous les domaines de l’activité humaine ; […] ; Convaincus qu’afin de mettre cette ferme détermination au service du progrès humain, il importe de créer et de maintenir des conditions de paix et de sécurité ».

Cette affirmation d’une exigence de développement de plus en plus virulente devait selon ses promoteurs appeler de nouvelles règles de droit, voire une nouvelle architecture du système économique international ou « Nouvel ordre économique international » (NOEI).

2.3     La pratique de relégation des considérations non économiques

Derrière les discours, cependant, la pratique des Etats, quels qu’ils soient et malgré la divergence de leurs mobiles, ainsi que celle des organisations financières et du GATT, minorèrent la dimension humaine et sociale de leurs projets économiques, se concentrant essentiellement sur la poursuite d’un objectif de croissance et d’autres préoccupations politiques.

2.3.1     Le développement travesti par la guerre froide

Très vite, le développement ne compta plus au profit du ralliement à un bloc ; le développement, s’il était encore avancé, était déjà devenu un enjeu de la guerre froide, mais en y perdant sa portée originelle. Seule importait, hors de l’enceinte déclaratoire de l’AGNU, la croissance économique qui aurait prouvé la supériorité du modèle libéral ou socialiste. Ainsi, l’Occident, porteur principal du projet de 1945, abandonna tout critère humaniste pour déterminer le cercle de ses alliés, l’intérêt de sa croissance devenant le facteur déterminant et ce malgré ses appels incantatoires au respect des droits de l’homme et de la démocratie. Déjà, l’aide américaine à la décolonisation était fondée sur les avantages économiques que les Etats-Unis entendaient tirer de l’ouverture économique des pays concernés[1]. De son côté, le bloc communiste organisait ses alliances en faisant fi de toute conception du développement, l’appartenance à l’Empire s’opérant selon des systèmes sophistiqués d’allégeance politique


[1] F. Roch, « Idéologie et pratique du développement aux Nations Unies », op. cit., p. 12.

L’aide économique – financière ou technique – était un instrument de la guerre froide, devant servir à rallier de nouveaux Etats au bloc capitaliste ou socialiste

2.3.2     La subordination du discours du développement

La rupture avec le discours développementaliste se fit concomitamment à l’émergence du consensus de Washington avec la stratégie de 1990 où l’ONU se rangea derrière une acception essentiellement économiciste du développement[1].


[1] A/RES/45/199, 21 décembre 1990, Stratégie internationale du développement pour la quatrième Décennie des Nations Unies pour le développement, § 1 : « Cette Stratégie est fondée sur le consensus global exprimé dans la Déclaration sur la coopération économique internationale, en particulier la relance de la croissance économique et du développement dans les pays en développement, figurant en annexe à la résolution S-18/3 de l’Assemblée générale », la suite de la résolution ne cessant de faire appel à la croissance, sp. § 11 : « Les pays doivent adapter leur politique nationale de manière à faciliter l’ouverture des échanges et à suivre avec souplesse l’évolution de l’économie mondiale. Pour tous, la croissance économique soutenue et non inflationniste repose essentiellement sur une politique nationale efficace, qui doit être favorable aux investissements ainsi qu’à une mobilisation et à une affectation rationnelle des ressources en vue d’assurer un progrès durable », la croissance étant le premier des six buts de la déclaration énumérés au § 14 et étant présenté comme l’objectif à atteindre dont le développement ensuite découlera. Ainsi, et entre autres, § 78 : « L’accélération du taux de croissance économique constitue un objectif fondamental pour les années 90. C’est à cette condition que les pays en développement pourront élargir leur base de ressources et par conséquent assurer leur transformation économique, technologique et sociale » pour balancer ensuite : « On doit enregistrer partout au cours des années 90 une amélioration sensible des conditions de vie et l’instauration d’une relation mutuellement bénéfique entre la croissance économique et le bien-être des populations. La nécessité de renforcer cette relation constitue en réalité l’un des principaux thèmes de la présente Stratégie ». Cette Décennie se veut en rupture avec les précédentes et entend revenir sur les échecs des années 1980. Pour cela, elle s’inscrit complètement dans l’économie-monde libérale, enterrant, ce faisant, le projet du non-alignement. Voir aussi A/RES/45/188, 21 décembre 1990, Esprit d’entreprise : « Réaffirmant que la souplesse, la créativité, l’innovation, l’ouverture politique et économique, le respect des droits de l’homme et les principes de l’économie de marché, entre autres facteurs, offrent aux individus la possibilité de développer leurs capacités en s’adaptant au changement, […], Persuadée de l’importance de l’esprit d’entreprise dans la croissance et le développement des pays – en particulier de ceux qui visent à développer ou relancer leur économie grâce à la liberté d’entreprise, à la décentralisation du pouvoir de décision, à la déréglementation, à l’abolition des monopoles dans les activités économiques, à la simplification des procédures administratives, à l’exploitation des possibilités offertes par le marché, à des ajustements de structure et à des réformes orientées vers l’économie de marché – ainsi que de la nécessité d’incitations, d’un accès à l’information et aux technologies nouvelles et d’un environnement approprié qui permettent à l’esprit d’entreprise et de compétition de s’épanouir, […], 1. Encourage le développement de l’esprit d’entreprise dans tous les pays, notamment ceux qui visent à développer ou relancer leur économie dans un système de libre entreprise te d’exploitation des possibilités du marché, et invite instamment la communauté internationale, en particulier les institutions financières internationales et les organismes des Nations Unies, à appuyer leurs efforts, selon qu’il conviendra ; […] ; 3. Encourage les Etats membres à améliorer, en accord avec leurs objectifs nationaux, leurs cadres institutionnels, juridiques et réglementaires pour les rendre plus compatibles avec les principes d’une économie de marché, à accroître l’efficacité de leurs marchés des capitaux et du crédit, à développer les connaissances et les compétences des entrepreneurs et à assurer, entre autres choses, un développement rationnel du secteur privé pour bénéficier de ses effets positifs sur l’emploi et le patrimoine national ». Voir encore A/RES/47/171, 22 décembre 1992, La privatisation, dans l’optique de la restructuration économique, de la croissance et du développement durable : « Notant également que de nombreux pays attachent de plus en plus d’importance à la privatisation des entreprises, à l’abolition des monopoles et à la déréglementation administrative de l’activité économique, ainsi qu’à des réformes allant dans le sens d’une économie de marché, à l’accroissement de la concurrence, à l’élimination des mécanismes causant une distorsion des prix et à l’ouverture des marchés, toutes politiques qui favorisent la productivité économique, la croissance et un développement durable dans le contexte de la restructuration économique, (…), 1. Se félicite des activités entreprises par les organes, organisation et organismes compétents des Nations Unies à l’appui des efforts que font les pays pour accroître leur productivité économique et favoriser leur croissance et leur développement durable par la privatisation, l’abolition des monopoles, la déréglementation administrative de l’activité économique et d’autres politiques allant dans le même sens, et engage ces organes, organisations et organismes : a) A appuyer les pays qui le demandent dans les activités qu’ils entreprennent, au titre de la réforme et de l’ouverture de leur économique, en vue de privatiser leurs entreprises, d’abolir les monopoles et de favoriser la déréglementation administrative et d’autres politiques analogues ; b) A mieux communiquer et coopérer en vue de soutenir les efforts que font les pays pour privatiser leurs entreprises, abolir les monopoles ; déréglementer l’activité économique et appliquer d’autres politiques analogues […], 3. Prie le Secrétaire général d’améliorer, dans les limites des ressources disponibles, les activités de recherche concernant tous les aspects de la privatisation, de l’abolition des monopoles, de la déréglementation administrative et autres politiques […] ». Quid A/RES/52/209, 18 décembre 1997, Les entreprises et développement ?; A/RES/54/204, 22 décembre 1999, Les entreprises et le développement : « Réaffirmant qu’il est important, dans le contexte des efforts nationaux de développement, de promouvoir de façon appropriée la privatisation, la concurrence, l’esprit d’entreprise et un cadre juridique et fiscal favorable aux entreprises afin d’accroître l’efficacité, d’accélérer la croissance économique et de concourir au développement durable ; […] ; Exhorte tous les gouvernements à créer un climat propice aux entreprises et aux investissements, notamment grâce à des politiques macroéconomiques, fiscales et de développement judicieuses, à l’état de droit, à des efforts pour lutter contre la corruption et les actes de corruption, et à des pratiques commerciales transparentes qui encouragent l’efficacité, l’honnêteté et la concurrence dans les transactions commerciales internationales, compte tenu des besoins des pays en développement ; […] ; 11 Apprécie à sa juste valeur la promotion de l’esprit d’entreprise, notamment par le secteur non structuré et les microentreprises, aux fins du développement des petites et moyennes entreprises et industries par divers acteurs de l’ensemble de la société civile, ainsi que la privatisation, l’élimination des monopoles et la simplification des formalités administratives.

En réalité, deux mouvements furent à l’œuvre : celui d’une séparation de l’économie et du développement et celui d’une relégation des discours articulés sur le second au profit d’une lecture essentiellement économique du monde.

Dans la Déclaration de Marrakech, § 1, la croissance des échanges est visée à côté de – et non plus afin de favoriser – celle de l’emploi et des revenus, même si les ministres y affirment que l’établissement de l’OMC « marque l’avènement d’une ère nouvelle de coopération économique mondiale, répondant au désir généralisé d’opérer dans un système commercial multilatéral plus juste et plus ouvert au profit et pour la prospérité de la population de leurs pays ». Cependant, le préambule de l’Accord MIC ne vise que la croissance économique[1].


[1] « Désireux de promouvoir l’expansion et la libéralisation progressive du commerce mondial et de faciliter les investissements à travers les frontières internationales de manière à intensifier la croissance économique de tous les partenaires commerciaux, en particulier des pays en développement Membres, tout en assurant la libre concurrence », mais « Tenant. Compte des besoins particuliers du commerce, du développement et des finances des pays en développement Membres, notamment ceux des pays les moins avancés Membres ».

Voir surtout la déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement du Sommet de Pittsburgh du G20 des 24 et 25 septembre 2009 annonçant vouloir tourner la page d’une ère d’irresponsabilité et adopter un ensemble de mesures, de règles et de réformes « nécessaires pour répondre aux besoins de l’économie mondiale du XXIème siècle » (§ 1) et, sans mention autre que la croissance à l’exception de l’emploi puis de l’environnement et une occurrence relative aux déséquilibres de développement, et le lancement d’un « cadre qui définisse les politiques et la manière dont nous agirons ensemble pour parvenir à une croissance mondiale forte, durable et équilibrée » (§ 13) et précisant : « Notre Cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée est un pacte qui nous engage à travailler ensemble pour évaluer mutuellement la compatibilité de nos politiques, à déterminer si elles sont collectivement cohérentes avec une croissance plus durable et plus équilibrée, et à agir si nécessaire pour honorer nos engagements communs » (§ 15). La déclaration semble même opérer un renversement dans les rapports entre économie et développement en affirmant : « Les mesures visant à réduire les écarts de développement peuvent être un moteur puissant de la croissance mondiale » (§ 22) [1]. Voir également la déclaration du Sommet du G20 de Toronto du 27 juin 2010, § 2 : « nous sommes convenus des prochaines mesures à prendre en vue d’assurer une reprise intégrale de la croissance et des emplois de qualité, de réformer et de renforcer les systèmes financiers, ainsi que d’instaurer une croissance mondiale robuste, durable et équilibrée », laquelle croissance, certes matinée de considérations sociales et écologiques, est le but à atteindre (voir encore §§ 7, 10), très peu de mots étant dits du développement (voir toutefois §§ 13, 44 et 47, ce dernier annonçant l’établissement d’un groupe de travail sur le développement, chargé « d’élaborer, à la lumière de l’importance accordée par le G-20 aux mesures destinées à promouvoir la croissance et la résilience de l’économie, un programme de développement et des plans d’action pluriannuels qui seront adoptés à Séoul »). La relégation du développement semble avoir été entérinée par les Etats dits en développement. C’est ainsi que l’Accord ZLECAf n’en dit rien


[1] Voir un même renversement dans le Rapport 2011 du Groupe de travail du G20 chargé du développement où, § 2, « le développement est crucial pour la croissance économique mondiale, la lutte contre la pauvreté et la création d’emploi. Le programme du développement du G20 et son engagement à réduire l’écart de développement, à lutter contre la pauvreté et à promouvoir une croissance partagée (Consensus de Séoul, annexe 1) sont donc une composante essentielle d’une croissance forte, durable et équilibrée ». Le document est en tout état de cause entièrement tournée vers une croissance forte, fût-elle « équilibrée ».

2.3.3     La soumission aux considérations économiques

Le droit international économique ainsi que les organisations internationales qui le portent telles que la Banque mondiale, le FMI et l’OMC ne s’intéressent qu’exceptionnellement aux droits de l’homme, à l’environnement, à la protection sociale et à la santé[1].


[1] Voir notamment E. Stoppioni, « Droits économiques et sociaux et organisations internationales financières et commerciales : repenser les formes d’un silence assumé », Europe des Droits & Libertés/Europe of Rights & Liberties, mars 2020/1, pp. 109-126.

En effet, le droit des échanges comme le droit des investissements étrangers tolèrent au mieux que les questions de santé ou d’environnement puissent justifier, sous certaines conditions et dans certaines limites, des atteintes aux échanges ou flux d’investissement. Techniquement, les considération humaines, sociales et environnementales apparaissent seulement au titre des techniques d’aménagement des obligations économiques des Etats (exceptions, dérogations, clauses de sauvegarde).

2.4     Le retour des considérations non économiques et les « nouveaux » discours sur le développement

A la suite de ses négations dans la pratique et face à l’échec du NOEI, la notion s’est enrichie dans les discours à un point tel qu’elle semble en avoir perdu toute signification[1].


[1] I.D. Bunn, “The Right to Development: Implications for International Economic Law”, op. cit. note 1, p. 1434: “While the fluidity of the definition of development within the UNDRD [United Nations Declaration on the Rights to Development] has not been particularly problematic, extracting the exact substance of the right has been a source of extensive legal critique. The Declaration’s often vague language reflects both the complexity of the subject matter and the demands of political compromise”.

En réaction au triomphe du libéralisme et face à ces phénomènes globaux que constituent le travail, la santé, l’environnement ou la pauvreté, la réponse apportée a consisté dans une approche par les droits. Il semble en effet que l’essentiel de la question du développement soit désormais absorbé par la logique des droits de l’homme, de nouveaux discours apparaissant, centrés sur le développement qu’on appelle « humain », « social » ou encore durable ». Ceux-ci présentent toutefois pour trait commun d’être fondés sur une approche par les droits qu’on trouvait dans la résolution 2542 (supra), mais qu’il s’agit de renforcer en s’appuyant sur le succès du droit international des droits de l’homme[1].


[1] Voir notamment Margot E. Salomon, “From NIEO to Now and the Unfinishable Story of Economic Justice”, International and Comparative Law Quarterly, Vol. 62, No. 1, 2013, pp. 31-54, 48.

Ainsi, parallèlement au développement de discours ciblés sur certains droits – le droit au travail et le droit du travail comme droits de l’homme, l’alimentation comme droit, l’éducation et la formation comme droits, pauvreté et droits de l’homme, la santé comme droit de l’homme, l’environnement comme droit de l’homme -, il s’agit d’intégrer l’ensemble de ces droits dans la logique du développement, mais au risque que celui-ci ne soit plus que la réalisation de ceux-là.

En tout état de cause, après l’échec de la revendication du NOEI, il ne s’agit plus de remettre en cause le système international et la doctrine économique sur laquelle il repose, mais de les imprégner de l’exigence du respect de la dignité humaine qui passerait par l’équité, la participation et la capacité des individus de s’autodéterminer.

2.4.1     Le développement humain

2.4.2     Le développement social

2.4.3     Le développement « durable »

2.4.4     L’approche du développement par les droits

2.5     L’adhésion des Etats africains à une appréhension holistique du développement puis son abandon

A l’origine, le développement fut conçu par les Etats africains comme devant servir à élever le niveau de vie des peuples. Ainsi, à la Conférence des Etats indépendants africains du 22 avril 1958, les Etats africains réunis à Accra se déclarèrent : « attentifs au besoin urgent qu’il y a d’élever le niveau de vie de nos peuples par le développement le plus complet et le plus avantageux possible des ressources énormes et variées de nos terres […] »[1].


[1] Conférence des Etats indépendants africains, Accra, 22 avril 1958, Présence africaine, Nouvelle série, No. 18/19, 1958, pp. 247-249. Voir aussi OUA, Projet de déclaration africaine sur la coopération, le développement et l’indépendance économique, OM/509, Annexe II. Rev. 1, ADB/OAU/ECA/CONFMIN/19, 12 mai 1973 et OUA, Déclaration africaine sur la coopération, le développement et l’indépendance économique de l’Afrique adoptée par la 10e Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement, Addis-Abeba, 25 mai 1973, in Recueil des instruments juridiques et institutionnels de facilitation du transport et des échanges en Afrique Subsaharienne, Annexe III-2 (Extraits) qui insistaient dès l’abord sur les « ressources humaines » avec l’éducation et la formation ainsi que sur l’environnement. Voir également OUA/OAU, Lagos Plan of Action for the Economic Development of Africa 1980-2000 with Final Act of Lagos (1980), passim et le Final Act of Lagos (1980): “We reaffirm our commitment to set up, by the year 2000, on the basis of a treaty to be concluded, an African Economic Community, so as to ensure the economic, social and cultural integration of our continent. The aim of this community shall be to promote collective, accelerated, self-reliant and self-sustaining development of Member States; co-operation among these States; and their integration in the economic, social and cultural fields”.

Si les modalités d’y parvenir ont évolué – non sans à-coups et errements, mais selon une direction générale qui est allée d’une critique de l’ordre international libéral à une adhésion à celui-ci, préfigurant l’Accord portant création de la ZLECAf -, les discours sur la teneur du développement envisagé n’ont guère changé depuis les indépendances.

Ainsi, les Etats africains ont longtemps tenu un discours interne au continent articulé sur le développement entendu dans un sens compréhensif, refusant de limiter celui-ci au seul développement économique.

En ce sens, certains ont adopté le 4 août 1963 l’Accord portant création de la Banque africaine de développement, ce développement étant entendu expressément comme économique et social et comme durable, même s’il s’agit du développement des Etats et non de celui des individus[1]. Ladite Banque a, à son tour, conclu un accord avec 15 Etats portant création du fonds africain de développement le 29 novembre 2972 amendé jusqu’à 2016 qui fixe un tel objectif au Fonds[2].


[1] « Considérant qu’il est nécessaire d’accélérer la mise en valeur des vastes ressources humaines et naturelles de l’Afrique pour stimuler le développement économique et le progrès social de la région, Comprenant qu’il importe de coordonner les plans nationaux de développement économique et social pour favoriser la croissance harmonieuse de l’ensemble des économies africaines et l’expansion u commerce extérieur africain et, en particulier, des échanges intra-africains, Reconnaissant que la création d’une institution financière commune à tous les pays africains aiderait à réaliser ces fins, Convaincus qu’une association entre pays africains et non africains permettrait de drainer, par l’intermédiaire d’une telle institution, une masse supplémentaire de capitaux internationaux propres à promouvoir le développement économique et le progrès social de cette région, dans l’intérêt de toutes les parties au présent Accord » ; Article premier – But : « Le but de la Banque est de contribuer au développement économique et au progrès social durables de ses Etats membres régionaux individuellement collectivement » ; Article 2 – Fonctions : 1. Pour atteindre son but, la Banque exerce les fonctions suivantes : a. Utiliser les ressources à sa disposition pour financer des projets et programmes d’investissement qui tendent au développement économique et social des Etats membres régionaux […] ; d. D’une manière générale, favoriser l’investissement en Afrique de capitaux publics et privés dans des projets ou programmes de nature à contribuer au développement économique ou au progrès social des Etats membres régionaux ».

[2] Article 2 – Objectifs : « Le Fonds a pour objet d’aider la Banque à contribuer de façon de plus en plus effective au développement économique et social des membres de la Banque et à promouvoir la coopération (y compris la coopération régionale et sous-régionale) et le commerce international particulièrement entre ces membres. Le Fonds procure des moyens de financement à des conditions privilégiées pour la réalisation d’objectifs qui présentent une importance primordiale pour ce développement et le favorisent ».

Voir également le préambule de la Charte de l’OUA qui, s’il ne se réfère pas expressément au développement, embrasse ses différentes dimensions[1], comme son article II dédié aux objectifs de l’Organisation[2]. A cette fin avaient été créées la Commission économique et sociale et la Commission de l’éducation, de la science, de la culture et de la santé[3].


[1] « Convaincus que les peuples ont le droit inaliénable de déterminer leur propre destin : Conscients du fait que la liberté, l’égalité, la justice et la dignité sont des objectifs essentiels à la réalisation des aspirations légitimes des peuples africains ; Sachant que notre devoir est de mettre les ressources naturelles et humaines de notre continent au service du progrès général de nos peuples dans tous les domaines de l’activité humaine ; Guidés par une commune volonté de renforcer la compréhension de nos peuples et la coopération entre nos Etats, afin de répondre aux aspirations de nos populations vers la consolidation d’une fraternité et d’une solidarité intégrées au sein d’une unité plus vaste qui transcende les divergences ethniques et nationales ; Convaincus qu’afin de mettre cette ferme détermination au service du progrès humain, il importe de créer et de maintenir des conditions de paix et de sécurité ; […] ; Voués au progrès général de l’Afrique ; Persuadés que la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme, aux principes desquels nous réaffirmons notre adhésion, offrent une base solide pour une coopération pacifique et fructueuse entre nos Etats

[2] « 1. Les objectifs de l’Organisation sont les suivants : […] (b) coordonner et intensifier leur coopération et leurs efforts pour offrir de meilleures conditions d’existence aux peuples d’Afrique ; […]. 2. A ces fins, les Etats membres coordonneront et harmoniseront leurs politiques générales, en particulier dans les domaines suivants : (a) politique et diplomatie ; (b) économie, transports et communications ; (c) éducation et culture ; (d) santé, hygiène et nutrition ; (e) science et technique ; (f) défense et sécurité ».

[3] Voir également The Summit Conference of Independent African States, Resolutions, SUMMIT CIAS/Plen. 2/Rev. 2, 25 May 1963, Agenda Item IV: Areas of Co-Operation Economic Problems, sp. avec des résolutions supplémentaires dédiées aux « Social and Labour Matters », « Education and culture », « Health, Sanitation and Nutrition ». Voir également OUA, Projet de déclaration africaine sur la coopération, le développement et l’indépendance économique, OM/509, Annexe II. Rev. 1, ADB/OAU/ECA/CONFMIN/19, 12 mai 1973 et OUA, Déclaration africaine sur la coopération, le développement et l’indépendance économique de l’Afrique adoptée par la 10e Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement, Addis-Abeba, 25 mai 1973, in Recueil des instruments juridiques et institutionnels de facilitation du transport et des échanges en Afrique Subsaharienne, Annexe III-2 (Extraits),où les dimensions non économiques sont traitées avant la question du commerce international. In Monrovia Declaration of Commitment of the Heads of State and Government, of the OAU on guidelines and measures for national and collective self-reliance in social and economic Development for the establishment of a new international economic order, AHG/ST.3 (XVI) Rev.1, différentes dimensions sont embrassées, y compris économiques ; OUA, Assemblée, Declaration on the New Common Initiative (MAP and OMEGA), AHG/Decl. 1 (XXXVII), 37th Ordinary Session of the AEC, 9-11 July 2001, Lusaka, Zambia ; Union africaine, Conseil exécutif, Agenda 2063. Rapport de la Commission sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine, EX.CL/868 (XXVI) A, 26e session ordinaire, 23-27 janvier 2015, Addis-Abeba ; Commission de l’Union africaine, Agenda 2063. L’Afrique que nous voulons. Cadre stratégique commun pour une croissance inclusive et un développement durable. Premier plan décennal de mise en œuvre 2014-2043, SP 15831, septembre 2015, passim. Voir également UNECA, Cadre africain de référence pour les programmes d’ajustement structurel en vue du redressement et de la transformation socioéconomique (CARPAS), Edition populaire, Addis-Abeba, Mai 1991, § 16 : « Le principe cardinal du Plan de Lagos c’est que le développement économique ne se mesure qu’au bien-être des populations. […]. L’objectif central de l’Afrique par conséquent est d’atténuer la pauvreté et d’améliorer de façon générale les niveaux de vie des populations ». Contra: la Constitution de l’Association des organisations africaines de promotion du commerce, adoptée le 18 janvier 1974, entrée en vigueur le 28 mars 2012 ne dit rien sur le développement.

Cependant, cette conception holistique disparut progressivement jusqu’à disparaître dans l’Accord de Kigali instituant la ZLECAf qui s’inscrit résolument dans la vision libérale classique.

De même au plan, interne, les « plans de développement » disparaissent progressivement au profit de « plans émergence ».

3       L’atomisation des questions de développement

De plus en plus, les divers éléments intégrés dans les discours sur le développement vont être traités séparément, constituant autant d’« objectifs à atteindre » (objectifs du Millénaire pour le développement puis objectifs de développement durable), chacun grevé d’un nombre d’indicateurs quantitatifs permettant de mesurer leur réalisation. En surplomb de ces éléments s’est développé un nouveau discours, très minimaliste par rapport aux discours précédents sur le développement, celui de la « lutte contre la pauvreté »[1]. Cette dernière, qui n’était qu’un élément du développement et un moyen d’y parvenir[2], semble ainsi s’y substituer dans un mouvement de régression qui ne laisse pas d’inquiéter.


[1] Sur celle-ci, voir notamment UNDP (2003) ‘Poverty Reduction and Human Rights, A Practice Note, June, New York: UNDP; et les rapports du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, A/HRC/38/33, 8 mai 2018;

[2] Voir ainsi AGNU, Résolution 2542 (XXIV), 11 décembre 1969, Déclaration sur le progrès et le développement dans le domaine social, Deuxième Partie – Objectifs : « Le progrès et le développement dans le domaine social doivent viser l’élévation continue des niveaux de vie matériel et spirituel de tous les membres de la société, dans le respect et l’application des droits de l’homme et des libertés fondamentales, par la réalisation des principaux objectifs suivants : Article 10 : « […] c) Éliminer la pauvreté, assurer l’amélioration continue des niveaux de vie et une juste et équitable distribution des revenus ; […] ».

3.1     La technique des objectifs, cibles et indicateurs

Le Sommet du Millénaire, regroupant les représentants des Etats membres de l’ONU, s’est tenu du 6 au 8 septembre 2000, se concluant par l’adoption de la Résolution 55/2 portant Déclaration du Millénaire qui énonce les huit objectifs du Millénaire pour le développement. Il est remarquable que la résolution ne contienne aucune définition du développement. De même ne porte-t-elle pas un projet de société mondiale susceptible de conduire au développement, mais présente un inventaire de mesures qu’elle n’articule pas entre elles ni avec les structures existantes du système international pourtant responsables en partie des problèmes de développement. Plus encore, avant d’annoncer des objectifs louables, la résolution – comme la résolution 60/1 du 16 septembre 2005, Document final du Sommet mondial de 2005 – prend bien garde de rappeler les principes essentiels du droit international et ne porte aucun germe de remise en cause du système économique international dont il s’agirait seulement de limiter les externalités négatives.

En 2010, le Sommet sur les objectifs du Millénaire pour le développement[1] aboutit à l’adoption d’un plan d’action mondial porté par la résolution 65/1, « Tenir les promesses : unis pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement » du 22 septembre 2010. Là encore, on affirme que l’exploitation des possibilités offertes par le commerce et l’investissement peut être un moyen, grâce à la croissance, de lutter contre la pauvreté et qu’il convient de rester dans le même système économique sans que soit explicitée le lien affirmé entre croissance et développement (§§ 10, 42, 43, 78). L’affirmation est enfin faite que les objectifs du Millénaire « sont interdépendants et complémentaires » et qu’il est nécessaire « de les poursuivre d’une manière globale et intégrée » (§ 15), mais sans qu’un projet d’ensemble soit déterminé qui permettrait cette poursuite globale et intégrée, au profit d’un inventaire de thèmes et actions juxtaposés les uns aux autres de manière très vague, le développement n’étant toujours pas défini.


[1] http://www.un.org/fr/mdg/summit2010/

La stratégie des OMD puis ODD semblait partir dans une bonne direction en entendant le développement comme embrassant la dimension économique, mais également les dimensions environnementales, humaines et sociales. Cependant, la formulation de cette stratégie en termes d’énoncés d’objectifs et cibles pour les OMD (8 objectifs, 21 cibles et 60 indicateurs et ODD (17 objectifs et 169 cibles)[1] marque l’empire du quantitatif et fait l’économie d’une réflexion en profondeur sur le système économique mondial pour s’attaquer seulement à des symptômes essentiellement juxtaposés et non articulés sous forme d’un programme cohérent et autour d’un concept unitaire de développement. On adopte une vision managériale de la question du développement qui découpe.


[1] Voir le § 17 de la résolution 70/1 : « La portée du Programme que nous présentons aujourd’hui va bien au-delà de celle des objectifs du Millénaire pour le développement. Outre les priorités de développement qui existent déjà et qui concernent l’élimination de la pauvreté, la santé, l’éducation, la sécurité alimentaire et la nutrition, c’est un vaste éventail d’objectifs économiques, sociaux et environnementaux qui sont énoncés dans ce Programme, qui prévoit aussi l’avènement de sociétés plus pacifiques et inclusives. Y sont définis également des moyens de mise en œuvre. L’approche intégrée que nous avons décidé d’adopter se traduit par l’imbrication étroite des nouveaux objectifs et des nouvelles cibles et l’existence de nombreux éléments communs ».

3.2     De la lutte pour le développement à la lutte contre la pauvreté ?

Comme dans un changement d’angle peut–être initié par le PNUD, fut mise en avant la lutte contre la Pauvreté des individus et celle des États, en particulier via les objectifs du millénaire pour le développement. Le discours sur le développement n’est-il pas en passe de céder devant le discours centré sur la pauvreté avec le risque de retour à une vision purement ou essentiellement économique et celui de déconnecter cet élément des autres avec lesquels il est pourtant fondamentalement lié ?

Ainsi, le préambule de la résolution 70/1 de l’AGNU intitulée Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 dispose : « Le Programme de développement durable est un plan d’action pour l’humanité, la planète et la prospérité. Il vise aussi à renforcer la paix partout dans le monde dans le cadre d’une liberté plus grande. Nous considérons que l’élimination de la pauvreté sous toutes ses formes et dans toutes ses dimensions, y compris l’extrême pauvreté, constitue le plus grand défi auquel l’humanité doive faire face, et qu’il s’agit d’une condition indispensable au développement durable. / Tous les pays et toutes les parties prenantes agiront de concert pour mettre en œuvre ce plan d’action. Nous sommes résolus à libérer l’humanité de la tyrannie de la pauvreté et du besoin, à prendre soin de la planète et à la préserver. Nous sommes déterminés à prendre les mesures audacieuses et porteuses de transformation qui s’imposent d’urgence pour engager le monde sur une voie durable, marquée par la résilience. Et nous nous engageons à ne laisser personne de côté dans cette quête collective » ; § 2 : « Nous considérons que l’élimination de la pauvreté sous toutes ses formes et dans toutes ses dimensions, y compris l’extrême pauvreté, constitue le plus grand défi auquel l’humanité doive faire face, et qu’il s’agit d’une condition indispensable au développement durable ». Déjà, la RES/45/199, 21 décembre 1990, Stratégie internationale du développement pour la quatrième Décennie des Nations Unies pour le développement insistait largement sur la lutte contre la pauvreté, mentionnant à peine l’environnement.

3.3. Critiques

Il faut souligner l’ambiguïté d’un discours qui se veut à la fois universaliste et adapté aux réalités différentes[1] , mais dont on ne sait pas s’il laisse les Etats libres de mener de véritables politiques publiques.


[1] Voir par exemple le § 5 de la résolution 70/1 de l’AGNU de 2015 : « Ce programme a une portée et une importance sans précédent. Il est accepté par tous les pays et applicable à tous, compte tenu des réalités, capacités et niveaux de développement de chacun et dans le respect des priorités et politiques nationales. Les objectifs et les cibles qui y sont énoncés ont un caractère universel et concernent le monde entier, pays développés comme pays en développement. Ils sont intégrés et indissociables et concilient les trois dimensions du développement durable » ; § 17 : « Nous réaffirmons tous les principes de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, notamment le principe 7 établissant la notion des responsabilités communes mais différenciées » ; § 21 : « Nous nous emploierons à mettre en œuvre le Programme dans nos pays respectifs et aux niveaux régional et mondial, en tenant compte des différences entre la situation, les capacités et le niveau de développement de chaque pays ainsi que des politiques et priorités nationales. Nous ménagerons, en particulier pour les Etats en développement, une marge de manœuvre nationale pour des politiques de croissance économique soutenue, inclusive et durable, tout en continuant d’observer les règles et engagements internationaux pertinents. Nous savons l’importance des dimensions régionale et sous-régionale, de l’intégration économique régionale et de l’interconnectivité pour le développement durable. Les cadres régionaux et sous-régionaux peuvent en effet aider à traduire plus efficacement des politiques de développement durable en mesures concrètes au niveau national » ; § 22 : « Chaque pays rencontre des obstacles particuliers dans sa quête du développement durable. Les pays les plus vulnérables, et notamment les pays d’Afrique, les pays les moins avancés, les pays en développement sans littoral et les petits Etats insulaires en développement, méritent une attention spéciale, à l’instar des pays en situation de conflit ou d’après conflit. De nombreux pays à revenu intermédiaire se heurtent eux aussi à de grandes difficultés » ; § 55 : « Les objectifs et les cibles de développement durable sont intégrés et indissociables ; ils sot pas essence globaux et applicables universellement, compte tenu des réalités, des capacités et des niveaux de développement des différents pays e dans le respect des priorités et politiques nationales. Si des cibles idéales sot définies à l’échelle mondiale, c’est à chaque Etat qu’il revient de fixer ses propres cibles au niveau national pour répondre aux ambitions mondiales tout en tenant compte de ses spécificités. Il appartient aussi à chaque Etat de décider de la manière dont ces aspirations et cibles devront être pris en compte par les mécanismes nationaux de planification et dans les politiques et stratégies nationales. […] » ; § 56 : « Nous adoptons ces principes et cibles tout en sachant que, pour réaliser le développement durable, chaque pays fait face à des problèmes qui lui sont propres, et nous insistons sur les défis particuliers que doivent relever les pays les plus vulnérables, surtout les pays d’Afrique, les pays les moins avancés, les pays en développement sans littoral et les petits Etats insulaires en développement, ainsi que les défis avec lesquels les pays à revenu intermédiaire sont aux prises. Les pays qui connaissent des situations de conflit méritent aussi une attention particulière ». ; § 59 : « Nous sommes conscients que chaque pays peut choisir, en fonction de sa situation et de ses priorités nationales, entre plusieurs approches, stratégies, modèles et outils différents pour parvenir au développement durable. […] » ; A/RES/70/1, 21 octobre 2015, Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030, objectif 17 – Renforcer les moyens de mettre en œuvre le Partenariat mondial pour le développement durable et le revitaliser, § 17.15 : « Respecter la marge de manœuvre et l’autorité de chaque pays en ce qui concerne l’élaboration et l’application des politiques d’élimination de la pauvreté et de développement durable » ; § 63 : « […]. Nous réaffirmons que tout pays est responsable au premier chef de son développement économique et social et que l’on ne saurait surestimer le rôle des politiques nationales et des stratégies de développement ; Nous respecterons la marge de manœuvre et l’autorité de chaque pays en ce qui concerne l’application des politiques d’élimination de la pauvreté et de développement durable, sans perdre de vue les règlements et les engagements internationaux pertinents » ; § 71 : « Nous réaffirmons que le Programme ainsi que les objectifs et cibles de développement durable, y compris les moyens de mise en œuvre, sont universels, indissociables et intimement liés ». ; § 74 : « Les processus de suivi et d’examen à tous les niveau seront guidés par les principes suivants : a) Engagés à titre volontaire et pilotés par les pays, ils tiendront compte des réalités, des capacités et des niveaux de développement propres à chacun d’eux et respecteront la sphère et les priorités de leur politique générale. La prise en main par les pays étant essentielle à la réalisation d’un développement durable, les résultats des processus nationaux serviront de fondement aux examens à effectuer aux niveaux régional et mondial, vu que l’examen reposera principalement sur les sources officielles nationales de données. […] f) Ils mettront à profit, s’il y a lieu, les cadres et processus existants, éviteront les doubles emplois et s’adapteront à la situation, aux capacités, aux besoins et aux priorités des pays. […] ».

Sur un autre plan, comme ces nouveaux discours semblent articulés sur l’idée que le développement est une solution globale, valant en tout temps et tout lieu.

De même, ces approches ne régissent-elles pas la question des influences extérieures pourtant décisives. Tout se passe comme si les États « en développement » devaient trouver par eux-mêmes la voie du processus alors que celui-ci est conditionné en partie par des données sur lesquelles ils n’ont aucune emprise.

Bibliographie indicative