Le développement humain

Pour citer : J. Matringe, « Le développement humain », https://droitsafricainsonline.com/themes/afriques-et-developpement/economie-et-developpement/le-developpement-humain/, consulté le ../../….

Est ainsi apparu, en rupture avec la conception économique libérale le concept de « développement humain ». Ce concept s’est répandu sous l’impulsion des économistes pakistanais et indien Mahbub ul Haq et A. Sen.

Pour ce dernier, « la liberté apparaît comme la fin ultime du développement, mais aussi comme son principal moyen. Le développement consiste à surmonter toutes les formes de non-libertés, qui restreignent le choix des gens et réduisent leurs possibilités d’agir. La suppression de ces non-libertés est, selon la thèse défendue ici, constitutive du développement »[1]. Cette approche n’est cependant pas purement individualiste[2], les individus devant participer à la détermination des politiques car elle « conçoit le développement comme un processus intégré d’expansion des libertés substantielles, en corrélation étroite les unes avec les autres. Cette perspective veut servir une compréhension globale du processus de développement et en intégrer les aspects économiques, sociaux et politiques »[3].


[1] A. Sen, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 12. Pour un écho de cette approche, voir certaines définitions du concept de sécurité humaine dégagé par le PNUD dans son rapport mondial sur le développement humain de 1994. Dans le même sens, le § 143 de la résolution 60/1 adoptée à l’issue du Sommet mondial de 2005 semble préférer le vocable de « sécurité humaine » pour désigner la même idée : « Nous soulignons que les êtres humains ont le droit de vivre libres et dans la dignité, à l’abri de la pauvreté et du désespoir. Nous estimons que toutes les personnes, en particulier les plus vulnérables, ont le droit de vivre à l’abri de la peur et du besoin et doivent avoir la possibilité de jouir de tous leurs droits et de développer pleinement leurs potentialités dans des conditions d’égalité. A cette fin, nous nous engageons à définir la notion de sécurité humaine à l’Assemblée générale ». Voir encore pour ce glissement sémantique A/64/701, 8 mars 2010, La sécurité humaine, Rapport du Secrétaire général, § 15 : « Par exemple en 1999, un groupe d’États de différentes régions (comprenant l’Autriche, le Canada, le Chili, le Costa Rica, la Grèce, l’Irlande, la Jordanie, le Mali, la Norvège, la Slovénie, la Suisse, la Thaïlande et l’Afrique du Sud en qualité d’observateur), animés de valeurs communes, a établi le Réseau sécurité humaine et défini comme suit la sécurité humaine : « […] un monde humain, où personne n’aurait à craindre la peur et le besoin, et tous auraient une chance égale de réaliser leur potentiel […] La sécurité humaine se définit essentiellement par l’absence de menace constante à l’encontre des droits et de la sécurité des personnes, voire de leur vie […] La sécurité humaine et le développement humain sont donc les deux faces d’une même médaille, se renforçant mutuellement et créant un contexte propice l’un pour l’autre » ; § 18 : « Plus récemment, l’Union africaine a intégré la notion de sécurité humaine dans son Pacte de non-agression et de défense commune, « vision d’une Afrique unie et forte, fondée sur le respect des principes de coexistence, de non-agression, de non-ingérence dans les affaires intérieures des États membres et de respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque État ». Elle donne à cette fin la définition suivante de la sécurité humaine : « la sécurité de l’individu eu égard à la satisfaction de ses besoins fondamentaux. Elle comprend également la création des conditions sociales, économiques, politiques, environnementales et culturelles nécessaires à la survie et à la dignité de l’individu, y compris la protection et le respect des droits humains, la bonne gouvernance et la garantie à chaque individu des opportunités et des choix pour son plein épanouissement » » ; « 19. Toutes les définitions énoncées ci-dessus ont en commun les trois éléments constitutifs de la sécurité humaine, qui permettent de mieux comprendre l’intérêt de cette notion. Premièrement, la sécurité humaine est définie par opposition à des risques qui existent ou se profilent à l’horizon – des risques qui sont multiples, complexes et interdépendants et peuvent revêtir une dimension internationale. Deuxièmement, cette notion renvoie à une conception plus générale de la sécurité, qui a pour fondement et pour objectif la protection des individus et le renforcement de leurs capacités d’action. Troisièmement, assurer la sécurité humaine ne passe pas par le recours à la force contre la souveraineté des États, l’objectif étant d’intégrer la liberté de vivre à l’abri de la peur et du besoin et dans la dignité dans le cadre de stratégies de prévention globales, axées sur l’être humain et adaptées à chaque situation ».

[2] Contra : F. Roch, « Idéologie et pratique du développement aux Nations Unies », in I. Mandé & F. Roch (dir.), Afrique et développement, Paris, Riveneuve éditions, 2016, 466 p., 37 : « Bref, l’IDH participe à ce que l’on pourrait appeler un phénomène d’individuation du concept de développement. Pour nous, un tel phénomène n’est pas intrinsèquement problématique s’il n’a pas pour double effet corrélatif d’occulter la dimension collective du développement et l’importance du concept sur le plan des relations interétatiques ».

[3] Ibidem, p. 22. L’auteur ajoute : « Cette approche permet d’apprécier, de façon simultanée le rôle vital des structures, par nature diverses, dans le processus de développement, qu’il s’agisse des marchés ou des institutions qui s’y rattachent, des gouvernements ou des autorités locales, des partis politiques ou d’autres regroupements intervenant sur le terrain des droits civiques, du système éducatif ou des possibilités de débat et de dialogue ouvert (à travers les médias ou d’autres moyens de communication. Je soulignerai un mérite supplémentaire de cette approche : elle permet de prendre en compte le rôle des valeurs sociales, des mœurs et des traditions, susceptibles d’influencer les libertés dont jouissent les personnes et qu’elles ont raison de vouloir préserver », ibid., pp. 22-23.

Le concept de développement humain fut internationalement consacré avec l’introduction en 1990 par le PNUD d’un « indicateur du développement humain » qui évalue le développement d’un État en prenant en compte le revenu par habitant ainsi que la capacité de chaque personne d’opérer des choix professionnels et de vie. Il intègre à cette fin deux indicateurs qui ne sont pas économiques : un critère sanitaire (espérance de vie et taux de mortalité infantile) et un autre éducatif (taux de scolarisation des enfants et d’alphabétisation des adultes) ; « l’homme et son épanouissement social sont désormais au centre du développement économique »[1] avant de comprendre d’autres critères.


[1] H. Ben Hammouda &Mustapha S. Jallab, « Développement et émergence : nouvelle frontière de la gouvernance économique globale », Mondes en développement, n° 158, 2012/2, pp. 87-100, 92.

Le PNUD définit ainsi l’objectif fondamental du développement « comme étant celui d’un élargissement de la palette de choix offerte aux êtres humains. Trois éléments essentiels constituent le cœur de ce concept : – Egalité des chances pour toutes les personnes dans la société. – Maintien de ces chances d’une génération à l’autre. – Accession des personnes au contrôle de leur destinée afin qu’elles participent aux processus de développement et qu’elles en tirent parti »[1].


[1] PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 1995, Paris, Economica, 1995, p. 1.

Cette approche était en germe dans la résolution AGNU 2626 (XXV) du 25 octobre 1970 portant Stratégie internationale du développement pour la Deuxième décennie des Nations Unies pour le développement[1] qui comprenait notamment un point sur le développement sur le plan humain même si ce n’était pas dans la logique du concept apparu dans les années 1990 (§§ 65 ss.).


[1] A –  Préambule, 12) : « Les gouvernements proclament les années 1970 deuxième décennie des Nations Unies pour le développement et s’engagent, individuellement et collectivement, à poursuivre des politiques propres à créer dans le monde un ordre économique et social plus juste et plus rationnel, dans lequel les nations, tout comme les individus dans une même nation, auront droit à des possibilités égales. Ils souscrivent aux buts et objectifs de la Décennie et décident de prendre les mesures voulues pour les inscrire dans les faits. Ces buts et ces mesures sont énoncés dans les paragraphes ci-après ».

Cette vision fut reprise dans le préambule de la résolution 70/1 de l’AGNU de 2015, Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 – lançant le programme des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) – qui dispose, sous l’en-tête « L’humanité » :

« Nous sommes déterminés à éliminer la pauvreté et la faim, sous toutes leurs formes et dans toutes leurs dimensions, et à faire en sorte que tous les êtres humains puissent réaliser leur potentiel dans des conditions de dignité et d’égalité et dans un environnement sain » ; § 2 : « Au nom des peuples que nous servons, nous avons adopté un accord historique portant sur une série complète d’objectifs et de cibles à caractère universel, qui sont ambitieux, axés sur l’être humain et porteurs de changement » ; § 8 : « Nous aspirons à un monde […] où tous les obstacles juridiques, sociaux et économiques à leur autonomisation aient été levés »[1]. De même son § 74 : « Les processus de suivi et d’examen à tous les niveaux seront guidés par les principes suivants : […] e) Ils seront axés sur l’être humain, tiendront compte des différences entre les sexes, respecteront les droits de l’homme et accorderont une attention particulière aux plus pauvres, aux plus vulnérables et à ceux qui ont pris le plus de retard ».


[1] Voir aussi le § 25 : « Chacun, quels que soient son sexe, son âge, sa race ou son origine ethnique, y compris les personnes handicapées, les migrants, les autochtones, les enfants et les jeunes en situation de vulnérabilité, devrait avoir accès à une formation qui l’aide à acquérir les connaissances et les compétences nécessaires pour mettre à profit les possibilités qui s’offrent à lui et participer pleinement à la vie de la société. Nous nous efforcerons d’offrir aux enfants et aux jeunes un environnement favorable à la pleine réalisation de leurs droits et au plein épanouissement de leurs dons, préparant par là même nos pays à toucher un dividende démographique […] ».

Le développement dont il est question n’est donc plus celui de l’Etat, mais celui des individus qui en sont à la fois les bénéficiaires ultimes et les auteurs[1]. Le mouvement n’a cependant été consacré par aucun texte de droit contraignant, mais reste dans les limbes de la soft law


[1] Le principe 1 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de juin 1992 énonçait déjà : « Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ».

On peut toutefois considérer qu’il s’agit en réalité dans une large de mesure de revenir aux fondamentaux de 1945 régulièrement rappelés par les résolutions de l’Assemblée générale portant les diverses Décennies des Nations Unies pour le développement, notamment la Stratégie de 1970 ou encore la Déclaration sur le progrès social. Il ne s’agit pas de rejeter la croissance et le libéralisme économique tenus pour des conditions de ce développement, mais de les tempérer en rappelant qu’ils ont une fin extérieure, en particulier humaine, qui exige une intervention de l’Etat dans les domaines déjà répertoriés par l’AGNU (santé, éducation, questions de genre, lutte contre la pauvreté, alimentation, etc.) [1]. Ce développement est alors bien plus large que le concept économique de croissance[2] et adopte une approche partant de l’être humain et non plus des Etats[3].


[1] « Le PNUD n’abandonne pas pour autant le credo en faveur du marché et de la croissance, et considère qu’un réel processus de développement ne peut prendre place sans un marché ouvert et sans une forte croissance économique. Mais la mise en place d’indicateurs et d’actions internationales centrés sur les choix de vie des personnes démontre à tout le moins que le modèle du tout-marché ou d’une croissance sauvage ne sont plus la panacée puisque le nouveau modèle de développement humain revalorise le rôle de soutien social des politiques gouvernementales – et internationales – quand elles visent à enrichir les vies humaines et à créer des opportunités réelles de choix grâce à des réglementations publiques relatives à la santé, l’éducation, la sécurité et les libertés. Par là-même, les pratiques juridiques liées au développement humain jouent implicitement comme un cran d’arrêt à la vision marchande du monde véhiculée par les règles d’un droit international économique devenu ultralibéral et oublieux des fins humaines pour lesquelles on l’avait institué. Elles indiquent la nécessité de procéder à un nouvel investissement dans ces fins humaines afin que celles-ci puissent orienter le droit du développement et primer sur la logique exclusivement marchande et financière du droit international économique actuel », E. Tourme Jouannet, Qu’est-ce qu’une société internationale juste ? …, op. cit., pp. 56-57.

[2] « Thus, it is obvious that the concept of human development is much broader than the conventional theories of economic development. In addition to the traditional concerns of production and distribution of commodities, human development analyses all issues in society, including economic growth, trade employment, political freedom and cultural values from the perspective of people”, E. Kwakwa, “Governance, Development and Population Displacement in Africa: A Call for Action”, African Yearbook I.L., Vol. 3, Issue 1, 1995, pp. 17-52, 19 ss., 19.

[3] « Thus, it is obvious that the concept of human development is much broader than the conventional theories of economic development. In addition to the traditional concerns of production and distribution of commodities, human development analyses all issues in society, including economic growth, trade employment, political freedom and cultural values from the perspective of people”, E. Kwakwa, “Governance, Development and Population Displacement in Africa: A Call for Action”, African Yearbook I.L., Vol. 3, Issue 1, 1995, pp. 17-52, 19.