3.1.1. Considérations préliminaires à l’étude de la gestion macro-juridique du pluralisme en Afrique

Pour citer: J. Matringe, « Considérations préliminaires à l’étude de la gestion macro-juridique du pluralisme », in Droits africains et pluralisme juridique en Afrique 3: La gestion du pluralisme juridique en Afrique », https://droitsafricainsonline.com/themes/droits-africains-et-pluralisme-juridique-en-afrique/3-la-gestion-du-pluralisme-juridique-en-afrique/considerations-preliminaires-a-letude-de-la-gestion-macro-juridique-du-pluralisme/, à jour au 27/12/2022

Avant d’étudier plus avant les techniques d’articulation de ces différentes normativités et de leurs institutions, quelques considérations préliminaires sont nécessaires.

Considération 1. Le principe d’autodétermination de chaque droit pris comme système juridique

1.1. Caractère existentiel du principe

  1. Il existe un principe existentiel en vertu duquel un système juridique n’existe en tant que tel, c’est-à-dire de manière autonome, que sur le fondement d’un principe d’auto-détermination. Ce principe selon lequel chacun a son propre fondement de validité est tellement inhérent à l’existence même d’un système qu’il est rarement exprimé de manière expresse. On le trouve toutefois exprimé dans la plupart des constitutions africaines où il est affirmé que celle-ci est la norme fondamentale de l’ordre juridique et brise toute autre[1]. Peut-être peut-on trouver un équivalent dans la formule d’introduction aux sourates coraniques : « De par le nom de Dieu […] »[2].

[1] Voir également CJCEMAC, 31 mars 2011, Banque Atlantique du Cameroun, Autorité Monétaire du Cameroun c. arrêt n° 010/CJ/CEMAC/CJ/09 du 13 novembre 2009 et la Compagnie d’Assurance C.P.A, arrêt n° 012/2011 : « Attendu que la primauté évoquée est « une condition existentielle » du droit communautaire qui, « en raison de sa nature spécifique originale, ne peut se voir opposer un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la communauté elle-même ».

[2] In Cheikh Si Hamza Boubakeur, Le Coran, Paris, Fayard, 1979.

  1. En conséquence, tout système juridique est maître des rapports qu’il entretient avec les autres ; c’est en vertu de ses propres mécanismes qu’il reconnaît un autre ou certains de ses éléments[1]. Ainsi, comme les autres Etats, les Etats africains n’empruntent au droit international public que par réception de celui-ci par leurs propres mécanismes et ne se fondent que sur leur propre ordre interne pour assurer la mise en œuvre en leur sein des éléments du droit international. En ce sens, aucun droit étatique africain ne considère relever du même ordre juridique que le droit international — n’est donc purement « moniste » — même s’il peut vouloir accueillir en son sein des éléments de celui-ci et faciliter la participation de ses organes à leur mise en œuvre[2].

[1] Voir par exemple Constitution of the Republic of Mozambique, 2004, art. 118 – Traditional Authority: « 1. The State shall recognise and esteem traditional authority that is legitimate according to the people and to customary law. 2. The Sate shall define the relationship between traditional authority and other institutions and the part that traditional authority should play in the economic, social and cultural affairs of the country, in accordance with the law ».

[2] Voir notamment J. Matringe, « Le traitement du droit international par les droits étatiques africains », in M. Kamto & J. Matringe (dir.), Droit constitutionnel africain comparé, à paraître, pp. 1-2.

  1. De même, si les Etats acceptent de reconnaître des normes, situations et relations produites en vertu d’un autre système étatique, c’est sur le fondement d’une branche particulière de leur droit, le droit international privé.
  1. S’agissant de la question de ses rapports avec les droits exoétatiques, le droit étatique peut procéder de différentes manières. D’une part, un texte de droit étatique peut porter spécialement sur la question des droits exoétatiques et l’articulation de ceux-ci avec le droit étatique, en lien avec des règles de fond ou avec des règles régissant l’architecture des modes de réalisation du droit[1]. D’autre part, la question des rapports entre droits peut n’être abordée qu’au détour de prescriptions du droit étatique dont l’objet principal est une question de fond. Quelle que soit l’hypothèse, il entend être maître de ces relations dans son ordre propre.

[1] Voir ainsi, Burkina Faso, Loi n° 034-2009/AN du 16 juin 2009 portant régime foncier rural, JO n° 4, 6 août 2009, art. 4 : « l’Etat en tant que garant de l’intérêt général […] organise la reconnaissance juridique effective des droits fonciers locaux légitimes des populations rurales ». Voir également Gabon, Ordonnance n° 007/PR/2017 du 27 février 2007 portant modification et suppression de certaines dispositions de la loi n° 003/2007 du 27 août 2007 relative aux parcs nationaux L’article 1er introduit un nouvel art. 9 nouveau qui dispose, notamment : « Toute activité de quelque nature que ce soit, non conforme aux dispositions de la présente ordonnance, est interdite sur toute l’étendue d’un parc national », puis prévoit que l’organisme de gestion pourra autoriser certaines activités et termine par « L’organisme de gestion peut également autoriser les droits d’usage coutumier des populations vivant traditionnellement à l’intérieur d’un parc national, conformément aux dispositions des textes en vigueur ».

  1. Le droit étatique peut par exemple reconnaître expressément des éléments particuliers d’un autre ordre normatif, par exemple le mariage religieux dont les conditions de formation et de dissolution ainsi que le régime sont régis par les normes de cet autre ordre. Cependant, l’ordre juridique soumettra cette reconnaissance à ses propres conditions de validité. Il peut également reconnaître des institutions étrangères, mais en réservant une pleine reconnaissance seulement aux institutions nées sous son empire[1].

[1] Voir par exemple South Africa, Constitutional Court, 7 June 2000, Rahim Dawood and Another v Minister of Home Affairs and Others; Nazila Shalabi and Another v Minister of Home Affairs and Others; Maureen Shaila Thomas and Another v Minister of Home Affairs and Others (CCT35/99) [2000] ZACC 8; 2000 (3) SA 936; 2000 (8) BCLR 837, § 32: “South African families are diverse in character and marriage can be contracted under several different legal regimes including African customary law, Islamic personal law and the civil or common law. However, full legal recognition has historically been afforded only to civil or common law marriages”.

1.2. Corollaire 1: L’affirmation de principe par chaque droit de son insubordination aux autres

  1. En vertu de ce principe d’autodétermination, chaque système ne peut existentiellement se concevoir et s’affirmer que comme insubordonné aux autres. Prenons l’exemple de la position des droits étatiques africains à l’égard du droit international qui, derrière l’affirmation générale de leur volonté de respecter leurs engagements internationaux, assurent la supériorité dans leur ordre de leur constitution.
  1. L’affirmation générale du respect du droit international. Un nombre significatif de constitutions africaines déclare expressément, sous des formes variées, dans le corps même du texte ou plus généralement dans le préambule, que l’Etat souscrit ou adhère à quelques instruments internationaux, principalement la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et respecte le droit international de manière générale ou certains textes internationaux particuliers[1]. Il est même parfois précisé que l’Etat doit édicter et mettre en œuvre des normes internes pour respecter ses obligations internationales.

[1] Par exemple : Constitution de la République algérienne démocratique et populaire, JO n° 76 du 8 décembre 1996, modifiée par Loi n° 02-03 du 10 avril 2002 – JO n° 25 du 14 avril 2002 ; Loi n° 08-19 du 15 novembre 2008 – JO n° 63 du 16 novembre 2008 et Loi n° 16-01 du 6 mars 2016 – Journal officiel n° 14 du 7 mars 2016, nouvel art. 27 : « L’Etat œuvre à la protection des droits et des intérêts des citoyens à l’étranger dans le respect du droit international, des conventions conclues avec les pays d’accueil et de la législation nationale et de celles des pays de résidence […] » ; Constitution de la République algérienne démocratique et populaire, JORADP N° 76 du 8 décembre 1996 modifiée par la Loi n° 02-03 du 10 avril 2002, JORADP N° 25 du 14 avril 2002 et la Loi n° 08-19 du 15 novembre 2008, JORADP N° 63 du 16 novembre 2008, article 28 al. 2 devenu art. 31 dans la version de 2016 : « [L’Algérie] souscrit aux principes et objectifs de la Charte des Nations Unies » ; Constitution du Burkina Faso du 11 juin 1991, modifiée le 12 novembre 2013, préambule : « Souscrivant à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 et aux instruments internationaux traitant des problèmes économiques, politiques, sociaux et culturels ; Réaffirmant solennellement notre engagement vis-vis de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 » ; Loi n° 1/010 du 18 mars 2005 portant promulgation de la Constitution de la République du Burundi : « Nous, peuple burundais [… ] Réaffirmant notre foi dans l’idéal de paix, de réconciliation et d’unité nationale conformément à l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi du 28 août 2000 et aux Accords de cessez-le-feu » ; « Proclamant notre attachement au respect des droits fondamentaux de la personne humaine tels qu’ils résultent notamment de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, des Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme du 16 décembre 1966 et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 18 juin 1981 » ; « Considérant que les relations entre les peuples doivent être caractérisées par la paix, l’amitié et a coopération conformément à la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 » ; « Réaffirmant notre attachement à la cause de l’unité africaine conformément à l’Acte constitutif de l’Union africaine du 25 mai 2002 » ; Constitution du Cameroun de 1996, préambule : « Le Peuple camerounais […] Affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations Unies, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées […] », étant précisé à l’article 65 que le préambule fait partie intégrante de la Constitution ; Constitution de l’Union des Comores, 23 décembre 2001, mise à jour par référendum en 2009, préambule : « Le peuple comorien, affirme solennellement sa volonté de : […] marquer son attachement aux principes et droits fondamentaux tels qu’ils sont définis par la Charte des Nations Unies, celle de l’Organisation de l’Unité Africaine, le Pacte de la Ligue des Etats Arabes, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies et la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, ainsi que les conventions internationales notamment celles relatives aux droits de l’enfant et de la femme » ; Constitution de la République de Côte d’Ivoire du 23 juillet 2000, préambule : Loi n° 2016-886 portant Constitution de la République de Côte d’Ivoire, Journal officiel de la République de Côte d’Ivoire, numéro spécial, 58e année, n° 16, mercredi 9 novembre 2016, préambule : « Réaffirmons notre détermination à bâtir un Etat de droit dans lequel les droits de l’homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine, la justice et la bonne gouvernance tels que définis dans les instruments juridiques internationaux auxquels la Côte d’Ivoire est partie, notamment la Charte des Nations Unies de 1945 , la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 et ses protocoles additionnels, l’Acte constitutif de l’Union africaine de 2001, sont promus, protégés et garantis » ; Constitution of the Federal Democratic Republic of Ethiopia, 8 December 1994, Article 86 – Principles for External Relations: “4. To observe international agreements which ensure respect for Ethiopia’s sovereignty and are not contrary to the interests of its peoples” ; Constitution of the Republic of the Gambia, 1997, reprinted 2002, Section 216(3): “The State, in pursuing policies under subsection (2), shall be bound by the fundamental rights and freedoms in the Constitution and shall be guided by international human rights instruments to which The Gambia is a signatory and which recognise and apply particular categories of basic human rights to development processes » ; The Constitution of Kenya, 2010, Article 21(4) : “The State shall enact and implement legislation to fulfil its international obligations in respect of human rights and fundamental freedoms” ; Madagascar, Constitution de la IIIe République, 19 août 1992 (version de 2007), préambule : « Considérant sa situation géopolitique dans la région et sa participation engagée dans le concert des Nations et faisant siennes : – la Charte internationale des droits de l’homme ; – la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ; – les conventions relatives aux droits de la femme et de l’enfant : qui sont, toutes, considérées comme partie intégrante de son droit positif » ; Constitution de la République du Mali, adoptée par référendum du 12 janvier 1992 et promulguée par décret n° 92-073 P-CTSP du 25 février 1992, préambule : « Le Peuple Souverain du Mali […] souscrit à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 et à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981 » ; Constitution of the Republic of Namibia, 2010, Chapter 11 – Principles of State Policy, article 95 – Promotion of the Welfare of the People: “The State shall actively promote and maintain the welfare of the people by adopting, inter alia, policies aimed at the following: […]/ (d) membership of the International Labour Organisation and, where possible, adherence to and action in accordance with the international Conventions and Recommendations of the ILO”, article 96 – Foreign Relations: “The State shall endeavour to ensure that in its international relations it: […] (d) fosters respect for international law and treaty obligations; (e) encourages the settlement of international disputes by peaceful means”, étant précisé à l’article 101 – Application of the Principles contained in this Chapter: “The principles of State policy contained in this Chapter shall not of and by themselves be legally enforceable by any Court, but shall nevertheless guide the Government in making and applying laws to give effect to the fundamental objectives of the said principles. The Courts are entitled to have regard to the said principles in interpreting any laws based on them”.

  1. La garantie de la primauté du droit étatique. Toutefois, quand bien même les normes internationales seraient intégrées dans l’ordre juridique étatique, reste le problème de savoir si elles priment en cas de contrariété avec les énoncés étatiques. Car, en effet, les normes étatiques ne sont pas forcément compatibles avec les engagements internationaux des Etats[1].

[1] Voir ainsi E. Arzt, « The Application of International Human Rights Law in Islamic States », Human Rights Quarterly, Vol. 12, No. 2, 1990, pp. 202-230, 206-207.

  1. Le problème est rendu plus compliqué lorsque la constitution renvoie au droit international de la personne humaine, mais proclame également reconnaître des normes non étatiques contraires. Ainsi, la Section 27 de la Constitution de la Sierra Leone interdit à la loi d’être discriminatoire mais pose des exceptions dont certaines nous intéressent : les lois qui concernent l’adoption, le mariage, le divorce, l’enterrement, la dévolution des biens au décès ou d’autres intérêts de caractère personnel (Section 27(4)d) et celles qui prévoient l’application du droit coutumier aux membres d’une race ou tribu particulières[1].

[1] Voir également, au sujet de l’Egypte avec l’Islam et la Shari’a E. Arzt, “The Application of International Human Rights Law in Islamic States”, Human Rights Quarterly, Vol. 12, No. 2, 1990, pp. 202-230, 223-224: « the principles of religious freedom and non-discrimination against religious minorities are now constitutionally protected in the majority of Islamic States. […]. Article 40 of Egypt’s constitution provides: « All citizens are equal before the law. They have equal public rights and duties without discrimination between them due to race, ethnic origin, language, religion or creed ». […]. A number of Egyptian penal laws criminalize discrimination or instigation of hatred on grounds of race, origin, or religion [footnote omitted]. However, some such provisions are in conflict with other constitutional sections that establish Islam as the official state religion or Shari’a as a principle source of legislation. Such provisions are found in […] Article 2 of Egypt’s constitution, which was amended in 1981 from « a principal source » to « the principal source » ».

  1. On distinguera la position des droits étatiques selon que le conflit à régler est entre un engagement international et la constitution ou entre un tel engagement et une norme infra-constitutionnelle. Comme dans les droits étatiques non africains, la solution est identique pour tous les Etats africains s’agissant de la première hypothèse ; elle est plus variée concernant la seconde.
  2. Tout d’abord, si le droit international dit primer sur les droits étatiques, ceux-ci, de leur côté, déclarent que leur constitution ne saurait plier devant le droit international, de sorte qu’en cas de conflit entre la constitution et le droit international, ils appliqueront la première et non le second.
  1. Un certain nombre de constitutions, on l’a vu, l’affirment expressément, se disant être la norme suprême et précisant parfois que toute norme lui est subordonnée. Certaines dispositions sont plus précises pour ce qui nous concerne. Certaines, de type « dualiste », affirment que les traités internationaux incorporés – parfois les normes coutumières internationales[1] – ne font partie du droit de l’Etat que pour autant qu’ils sont conformes à la constitution[2] ou sont infra-constitutionnels[3]. Les constitutions des Etats dits monistes ne disent en revanche rien sur la place des normes internationales par rapport à la constitution. Cela dit, certaines constitutions, telles que celles du Bénin, incorporent en leur sein certains instruments internationaux[4].

[1] Voir Constitution Afrique du Sud de 1996 tel qu’amendée en 2017, Chapter 14 – General Provisions. International law, section 232. Customary international law : Customary international law is law in the Republic unless it is inconsistent with the Constitution or an Act of Parliament” et South Africa, Constitutional Court, 4 August 2004, Samuel Kaunda and others v President of the Republic of South Africa and others, Case CCT 23/04,  2004 (10) BCLR 1009 (CC), 2005 (4) SA 235 (CC), Ngcobo J. at 151: “It is true that customary international law is part of our law, but it can be altered by our law and, in particular, by our Constitution”. Voir aussi Constitution of Zimbabwe Amendment (No. 20) Act, 2013, Secttion 326 – Customary international law: “(1) Customary international law is part of the law of Zimbabwe, unless it is inconsistent with this Constitution or an Act of Parliament”.

[2] Pour une application d’une telle norme, entre autres, South Africa, Constitutional Court, 25 July 1996, Azanian Peoples Organization (AZAPO) and Others v President of the Republic of South Africa and Others (CCT 17/96) [1996] ZACC 16; 1996 (8) BCLR 1015; 1996 (4) SA 672, IDLC 648 (ZA 1996). Le juge nigérian, après avoir hésité sur la portée à donner à la clause de suprématie de la section 12(1) de la Constitution (voir sur cette jurisprudence E. Egede, “The New Territorial Waters (Amendment) Act 1998 – Comments on the Impact of International Law on Nigeria Law”, African Journal of International and Comparative Law, Vol. 12, No. 1, 2000, pp. 84-104.), a décidé que les traités internationaux ratifiés par le Nigeria et incorporés n’avaient pas une force supérieure à la Constitution (pour la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples) in the Supreme Court of Nigeria, April 28, 2000, General Sami Abacha and Others v. Chief Justice Fawehimmi, S.C. 45/1997, 4 FWLR 533, [2000] 4 SCNJ 400). Voir aussi, sous une autre formulation : The Constitution of the Republic of Namibia, 2010, art. 144 : « Unless otherwise provided by this Constitution or Act of Parliament, the general rules of public international law and international agreements binding upon Namibia under this Constitution shall form part of the law of Namibia ».

[3] Constitution of the Republic of Mozambique, 2004, art. 18 – International Law: “2. Norms of international law shall have the same force in the Mozambican legal order as have infra-constitutional legislative acts of the Assembly of the Republic and the Government, according to the respective manner in which they are received”.

[4] Bénin, Constitution du 11 décembre 1990, préambule : « Réaffirmons notre attachement aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations Unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’unité africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne » et art. 7 : « Les droits et les devoirs proclamés et garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’unité africaine et ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois ». Ainsi comprend-on sa jurisprudence constitutionnelle consistant à répondre à des allégations de violations de traités internationaux, en particulier la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, en concluant sur le respect ou non de la Constitution selon que ladite Charte a été respectée ou non ; Cour constitutionnelle, 21 juin 2011, Décision DCC 11-042, Décret n° 2011-335 du 29 avril 2011 portant institution d’un coefficient de revalorisation des traitements indiciaires des agents de l’État du ministère de l’économie et des finances, in Annuaire béninois de justice constitutionnelle – Dossier spécial : 21 ans de jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin (1991-2012), I-2013, Association béninoise de droit constitutionnel, Centre de droit constitutionnel, Université d’Abomey-Calavi (Bénin), Presses Universitaires du Bénin, 2014, p. 455, observations J.-L. Atangana-Amougou. Voir aussi Loi n° 1/010 du 18 mars 2005 portant promulgation de la Constitution de la République du Burundi, art. 19 : « Les droits et devoirs proclamés et garantis, entre autres, par la Déclaration universelle des droits de l’homme, les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention relative aux droits de l’enfant font partie intégrante de la Constitution de la République du Burundi. / Ces droits fondamentaux ne font l’objet d’aucune restriction ou dérogation, sauf dans certaines circonstances justifiables par l’intérêt général ou la protection d’un droit fondamental » ; Constitution de la République du Congo, 20 janvier 2002, préambule [Cité traité DC africain] : « Déclarons partie intégrante de la présente Constitution les principes fondamentaux proclamés et garantis par : la charte des Nations Unies du 24 octobre 1945 ; la Déclaration Universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ; la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 26 juin 1981 ; tous les textes internationaux pertinents dûment ratifiés relatifs aux droits humains ; la Charte de l’Unité nationale et la Charte des droits et libertés adoptées par la Conférence nationale souveraine le 29 mai 1991 ».

  1. En tout état de cause, les juges étatiques africains se rejoignent pour refuser que la norme d’origine internationale, tant conventionnelle que coutumière, prime sur la norme constitutionnelle[1], y compris dans le silence de la constitution en la matière[2].

[1] Voir Zimbabwe, High Court, 29 January 2010, Gramara (Private) Limites and others v. Government of Zimbabwe and Attorney-General of Zimbabwe, Decision on the registration of an international Judgment, HH 169/2009, ILDC 1746 (ZW 2010), in Oxford Reports on International Law in Domestic Courts, Oxford Public International Law où la Cour se fonde notamment sur une telle clause de suprématie pour refuser de donner effet au jugement du tribunal de la SADC condamnant la réforme agraire établie dans la Constitution et reconnue constitutionnelle par la Cour constitutionnelle.

[2] Voir par exemple South Africa, Supreme Court, Cape Provincial Division. 29 September 1970, South Atlantic Islands Development Corporation Ltd. V Buchan, 1971 (1) SA 234 (C), at 238C-E; High Court of Botswana, 12 October 2003, Angola v Springbok Investments (Pty) Ltd, Application for Review, MISCA No 4/2002, in Oxford Reports on International Law in Domestic Courts, Oxford Public International Law, Report by Magnus Killander.

  1. D’un niveau inférieur et moins faciles à connaître, les lois et les normes émanant d’autorités administratives sont plus facilement incompatibles avec les prescriptions internationales. Ces normes de niveau étatique peuvent conforter les prescriptions des droits exoétatiques incompatibles avec les normes internationales comme elles peuvent les combattre sur le fondement du droit international ou encore y être indifférentes.
  2. La position des droits étatiques sur la force des normes internationales à l’égard de ces normes est moins homogène que s’agissant de la constitution. Elle dépend d’abord du type de norme internationale en jeu (norme conventionnelle, norme coutumière, acte unilatéral d’une organisation internationale, décision d’une juridiction internationale). Elle dépend également de la norme interne en cause. Disons que tous les Etats acceptent que les normes internationales conventionnelles et coutumières priment les normes internes infra-législatives (nous ne connaissons pas de jurisprudence en la matière s’agissant des actes unilatéraux des organisations internationales et des décisions des juridictions internationales). La question concerne essentiellement la loi.
  1. Les constitutions des Etats dits monistes reconnaissent très régulièrement aux normes conventionnelles internationales une autorité supérieure à celles des lois[1], ne disant rien des normes coutumières. De leur côté, les constitutions qui s’inspirent du modèle anglais les subordonnent toutes à la loi selon des modalités différentes, soit que la constitution dispose expressément que les normes internationales – conventionnelles et/ou coutumières – ne font partie du droit de l’Etat que pour autant qu’elles sont conformes aux actes du Parlement[2], soit qu’elle exige – pour la norme conventionnelle – qu’elle soit reçue par une loi dont elle prend alors la force juridique[3], ses dispositions étant en conséquence à la merci d’une loi ultérieure contraire[4] ou retirant la loi d’incorporation[5]. Toutefois, la loi peut énoncer expressément elle-même plier devant une norme conventionnelle[6] comme elle peut énoncer le contraire[7]. La Constitution égyptienne est particulière en ce qu’elle s’inscrit globalement dans le système dit moniste s’agissant de l’introduction des engagements internationaux dans l’ordre interne mais s’inscrit dans l’autre branche quant à leur force juridique puisqu’elle n’est que celle de la loi[8].

[1] Voir par exemple Algérie, Constitution du 28 novembre 1996, version consolidée en 2008, art. 132 devenu 150 dans la version de 2016 : « Les traités ratifiés par le président de la République, dans les conditions prévues par la Constitution, sont supérieurs à la loi ». ; Constitution du Bénin du 11 décembre 1990, préambule : « Réaffirmons notre attachement aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations Unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’unité africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ». Cette Constitution va même plus loin en conférant valeur constitutionnelle à la Charte africaine à son art. 7: « Les droits et les devoirs proclamés et garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’unité africaine et ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois ». Voir encore l’art. 147: « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie » ; Constitution du Burkina Faso du 11 juin 1991, modifiée le 12 novembre 2013, art. 151 ; Constitution du Cameroun de 1996, Titre VI – Des traités et accords internationaux, art. 45 ; Constitution du Cap Vert – Titre II Relations internationales et droit international, art. 11 § 4 : « Les règles et les principes du droit international général ou commun et du droit international conventionnel dûment approuvés ou ratifiés prévalent après leur entrée en vigueur dans l’ordre juridique international et interne sur tous les actes législatifs et réglementaires internes soumis aux principes de la Constitution à compter de leur entrée en vigueur dans l’ordonnancement juridique international et interne » ; Constitution de la République de Côte d’Ivoire du 23 juillet 2000, art. 87 ; Loi n° 2016-886 portant Constitution de la République de Côte d’Ivoire, Journal officiel de la République de Côte d’Ivoire, numéro spécial, 58e année, n° 16, mercredi 9 novembre 2016, art. 123 ; Madagascar, Constitution de la IIIe République, 19 août 1992 (version de 2007), Titre IV – Des traités et accords internationaux, art. 132 ; Constitution de la République du Mali, adoptée par référendum du 12 janvier 1992 et promulguée par décret n° 92-073 P-CTSP du 25 février 1992, art. 116 ; Constitution de la République du Niger, adoptée le 18 juillet 1999 et promulguée par le décret n° 99-320/PCRN du 9 août 1999 (Constitution à jour au 22 septembre 2004 avec intégration de la révision opérée par la Loi n° 2004-15 du 13 mai 2004, JORN, spécial n° 7 du 14 mai 2004, art. 132 ; Constitution de la République du Rwanda du 4 juin 2003, révision n° 01 de décembre 2003 (JO n° spécial du 2 décembre 2003, 2003, p. 11), révision n° 02 du 8 décembre 2005 (JO, n° spécial du 8 décembre 2005), révision du 13 août 2008 (JO n° spécial du 13 août 2008), article 190 ; Constitution de la République du Sénégal du 22 janvier 2001 telle que modifiée par la Loi n° 2003-15 du 19 juin 2003 portant révision de la Constitution et instituant u Conseil de la République pour les Affaires économiques et sociales, la Loi n° 2006-37 du 15 novembre 2006 modifiant l’article 33 de la Constitution, la Loi constitutionnelle n° 2007-19 du 19 février 2007 modifiant l’article 34 de la Constitution, la Loi constitutionnelle n° 2007-06 du 12 février 2007 créant un Sénat, la Loi constitutionnelle n° 2007-26 du 25 mai 2007 relative au Sénat, art. 98 ; Togo, Constitution de la IVe République, adoptée par référendum le 27 septembre 1992, promulguée le 14 octobre 1992, révisée par la loi n° 2002-029 du 31 décembre 2002, Titre XI – Des traités et accords internationaux, article 140. En revanche, l’article 151 de la Constitution égyptienne ne reconnaît que la force législative aux accords régulièrement formés et publiés. Voir également Constitution de la République du Rwanda du 4 juin 2003, révision n° 01 de décembre 2003 (JO n° spécial du 2 décembre 2003, 2003, p. 11), révision n° 02 du 8 décembre 2005 (JO, n° spécial du 8 décembre 2005), révision du 13 août 2008 (JO n° spécial du 13 août 2008), article 190 : « Les traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication au journal officiel, une autorité supérieure à celle des lois organiques et des lois ordinaires, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie » ; Togo, Cour d’appel de Lomé, 24 septembre 2009, MATHEY-ADELY Mathéky Michel et autres c. Veuve MATHEY-ADELY Dédévi Virginie née BOCCOVI, arrêt n° 140/2009 : «  La Cour : «  Attendu que dans la hiérarchie des normes, les traités ou accords internationaux, les conventions internationales, ont primauté sur les lois internes des États, en conséquence, lorsque les dispositions d’une loi nationale sont contraires à celle d’une convention internationale régulièrement ratifiée, le juge, en attendant leur dérogation ou notification par l’organe qui les a édictées, les écarte en faveur de la convention internationale ; Attendu que la CEDEF a été régulièrement ratifiée par le Togo suivant la loi n° 93-15 du 20 juin 1983 ; qu’en son article 16, elle invite les Etats membres à adopter toutes les mesures pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les prestations sociales ; Attendu que l’article 391 du CTPF, en ce qu’il conduit à l’exclusion de la veuve de la succession de son défunt mari, lorsque celui-ci n’avait pas renoncé à son statut coutumier en matière successorale, est contraire à cette convention ; Attendu que par conséquent et en attendant son abrogation ou sa modification par l’organe compétent, il y a lieu tout simplement de l’écarter ».

[2] Voir ainsi Constitution Afrique du Sud de 1996 tel qu’amendée en 2017, Chapter 14 – General Provisions. International law, section 232. Customary international law: “Customary international law is law in the Republic unless it is inconsistent with the Constitution or an Act of Parliament”.

[3] En ce sens:  South Africa, Constitutional Court, 17 March 2011, Hugh Glenister v President of the Republic of South Africa and others (CCT 48/10) [2011] ZACC 6 ; 2011 (3) SA 347 (CC) ; 2011 (7) BCLR 651 (CC), IDLC 1712 (ZA 2011) (Glenister II), Ngcobo CJ, at 100 : “It is implicit, if not explicit, from the scheme of section 231, that an international agreement that becomes law in our country enjoys the same status as any other legislation. This is so because it is enacted into law by national legislation, and can only be elevated to a status superior to that of other national legislation if Parliament expressly indicates its intent that the enacting legislation should have such status”; 101: “upon incorporation under section 231(4), an international agreement assumes the status of ordinary legislation in our law. […] if there is a conflict between an international agreement that has been incorporated into our law and another piece of legislation, that conflict must be resolved by the application of the principles relating to statutory interpretation and superseding legislation”

[4] Par exemple: Constitutional Court of South Africa, 21st January 2009, President of the Republic of South Africa and Others v Quagliani, President of the Republic of South Africa and Others v Van Rooyen and Another, Goodwin v Director-General, Department of Justice and Constitutional Development and Others (CCT 24/08, CCT 52/08) [2009] ZACC 1; 2009 (4) BCLR 345 (CC), ILDC 1254 (ZA 2009), in ORIL, OPIL, Report A. Ferreira-Snyman;, at 50 ss. In the Supreme Court of Nigeria, April 28, 2000, General Sami Abacha and Others v. Chief Justice Fawehimmi, S.C. 45/1997, 4 FWLR 533, [2000] 4 SCNJ 400, Ogundare, JSC. Comme le droit international coutumier plie devant la loi et la jurisprudence in Lord Denning in Trendtex Trading Corporation v Central Bank of Nigeria [1977] QB 529 (Court of Appeal

[5] En ce sens : In the Supreme Court of Nigeria, April 28, 2000, General Sami Abacha and Others v. Chief Justice Fawehimmi, S.C. 45/1997, 4 FWLR 533, [2000] 4 SCNJ 400, Ogundare, JSC.

[6] Voir ainsi la loi n° 08-11 du 21 Joumada Ethania 1429 correspondant au 25 juin 2008 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie, Journal officiel de la République algérienne, n° 36, 28 Joumada Ethania 1429 / 2 juillet 2008, article 1er : « La présente loi a pour objet de définir les conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en territoire algérien, sous réserve de conventions internationales ou d’accords de réciprocité » ; Maroc, Dahir n° 1-03-196 du 16 ramadan 1424 (11 novembre 2003) portant promulgation de la loi n° 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières, Bulletin officiel n° 5162 du 20 novembre 2003, article 1§ 1: « Sous réserve de l’effet des conventions internationales dûment publiées, l’entrée et le séjour des étrangers au Royaume du Maroc sont régis par les dispositions de la présente loi ».

[7] Par exemple, Kenya, The Refugees Act, 2006, Kenya Gazette Supplement No. 97 (Acts No. 13), 2nd January 2007, section 16 : « (1) Subject to this Act, every recognized refugee and every member of his family in Kenya – (a) shall be entitled to the rights and be subject to the obligations contained in the international conventions to which Kenya is party ».

[8] Constitution de la République arabe d’Egypte (dernière modification : référendum du 25 mai 2005), art. 151 : « Le Président de la République conclut les traités et les communique à l’Assemblée du Peuple accompagnés d’un exposé adéquat. Ils auront force de loi après leur conclusion, leur ratification et leur publication, conformément aux conditions en vigueur. / Cependant, les traités de paix, d’alliance, de commerce, de navigation et tous les traités qui entraînent une modification du territoire de l’État ou ceux relatifs aux droits de souveraineté, ou ceux qui chargent le trésor de l’État de quelque dépende non inscrite au budget, doivent recevoir l’approbation de l’Assemblée du peuple ».

  1. S’agissant des normes conventionnelles, les juges des Etats dits monistes appliquent généralement la constitution pour reconnaître à ces normes une autorité supérieure à celle des normes législatives. Les juges des Etats dits dualistes adoptent à l’opposé une position constante consistant à faire prévaloir la loi sur la norme conventionnelle. Cette solution est conforme aux dispositions constitutionnelles précitées, lesquelles reprennent une ancienne solution de common law appliquée y compris dans le silence de la constitution[1]. Cependant, le jeu – généralement jurisprudentiel – de l’interprétation « conforme » dont découle notamment l’affirmation selon laquelle le législateur est présumé ne pas vouloir violer une obligation internationale de l’Etat conduit à nuancer cette « primauté » de la norme législative.

[1] Voir, par exemple, South Africa, Supreme Court, Cape Provincial Division. 29 September 1970, South Atlantic Islands Development Corporation Ltd. V Buchan, 1971 (1) SA 234 (C), at 238C-E.

  1. S’agissant des règles coutumières, une approche générale semble se dessiner s qui soumet celles-ci à la loi. Cela peut être énoncé dans la constitution, comme on l’a vu, ou dans la jurisprudence qui perpétue la règle ancienne du common law en vertu de laquelle si les normes coutumières font partie du droit de l’Etat sans besoin de réception, leur existence est conditionnée à leur conformité avec la Constitution et les actes du parlement[1]. Ainsi, le juge refuse d’appliquer une norme coutumière internationale si elle est incompatible avec une loi interne[2].

[1] Voir en ce sens South Africa, Supreme Court, Cape Provincial Division. 29 September 1970, South Atlantic Islands Development Corporation Ltd. V Buchan, 1971 (1) SA 234 (C), at 238C-E; South Africa, Supreme Court, Transvaal Provincial Division, 18 December 1979, Inter-Science Research and Development Services (Pty) Ltd v República Popular de Moçambique [1980] 2 SA 111 (T), 124H: “International law is part of the law of South Africa, save in so far as it conflicts with South African legislation or common law”, citant Lord Denning in Trendtex Trading Corporation v Central Bank of Nigeria [1977] QB 529 (Court of Appeal; South Africa Constitutional Court, 30 October 2014, National Commissioner of the South African Police Service v Southern African Human Rights Litigation Centre & Another (CCT 02/14) [2014] ZACC 30; 2015 (1) SA 315 (CC), Majiedt AJ, para 24: “The Constitution provides that (a) customary international law is part of our domestic law insofar as it is not inconsistent with the Constitution or an Act of Parliament”; High Court of Botswana, 12 October 2003, Angola v Springbok Investments (Pty) Ltd, Application for Review, MISCA No 4/2002, in Oxford Reports on International Law in Domestic Courts, Oxford Public International Law, Report by Magnus Killander. Sur ces questions, voir P. H. G. Vrancken, « La jurisprudence sud-africaine quant à la place du droit international dans l’ordre juridique sud-africain », RADIC, Vol. 5, 1993, pp. 297-309, 304 ss.

[2] The Supreme Court of Appeal of South Africa, 15 March 2016, Minister of Justice and Constitutional Development & others v Southern Africa Litigation Centre & others (867/15) [2016] ZASCA 17; 2016 (3) SA 317 (SCA), para 62: “The Constitution makes international customary law part of the law of South Africa, but it may be amended by legislation (Section 232 of the Constitution)”.

  1. Les autres types de normes internationales comme les – rares – décisions des organisations internationales et juridictions internationales ne sont pas visées par les constitutions et ici les décisions des juges internes sont rares et peu homogènes.

Corollaire 2: La liberté de chaque droit de déterminer ses rapports avec les autres

  1. Il ne peut également que se considérer libre de se positionner à leur égard et de déterminer les modalités de ce positionnement[1].

[1] En ce sens H. Rabault, « Le droit au-delà de l’Etat. Sens du droit religieux », Droit et Société, no 97, 2017/3, pp. 643-651, 649 : « « Quelles que soient les différences entre le droit talmudique et le droit canonique, il semble donc que ces droits partagent avec le droit étatique la qualité d’ordres juridiques irréductibles. Le droit canonique dispose de la structure sophistiquée du droit étatique moderne : droit constitutionnel, droit administratif, droit des relations entre l’Eglise et les Etats, droit des personnes, de la famille, des choses, droit judiciaire et de la procédure (Voir, par exemple, Jean DES GRAVIERS, Le droit canonique, Paris, PUF, 1981, p. 71 et suiv.). L’étude des droits « religieux » montre que ceux-ci ne sont nullement subordonnés ou inférieurs au droit étatique. De même que les ordres juridiques étatiques ne sont pas subordonnés entre eux, de même que l’ordre juridique interne et l’ordre juridique international ne sont pas pleinement hiérarchisés, il faut considérer les droits dits religieux, dans leur complexité, comme coexistant avec les droits étatiques » et 651 : « Chaque ordre juridique apparaît comme un système clos, qui examine les autres ordres juridiques au moyen de ses propres catégories ».

  1. Ceci peut prendre la forme d’un rejet par un droit des autres droits de son univers. Ceci peut sinon prendre la forme d’une reconnaissance des éléments d’un autre, mais qui est toujours conditionnée au respect de ce qu’il pose. Les énoncés portant cette affirmation sont très divers et s’inscrivent dans des logiques différentes qu’on verra.
  2. De manière générale, cela peut prendre également la forme de l’affirmation de la supériorité de ses normes sur toute autre, quelle qu’elle soit, étant parfois précisé que toute norme contraire est nulle[1]. On peut également trouver le vocabulaire de l’interdiction, le droit prohibant des comportements, relations, situations ou institutions formées sur le fondement d’un autre droit.

[1] Par exemple Constitution of Eritrea, 23 May 1997, Article 2: Supremacy of the Constitution: “1. This Constitution is the legal expression of the sovereignty of the Eritrean people. 2. This Constitution enunciates the principles on which the State is based and by which it shall be guided and determines the organization and operation of government. It is the source of government legitimacy and the basis for the protection of the rights, freedoms and dignity of citizens and of just administration. 3. This Constitution is the supreme law of the country and the source of all laws of the State, and all laws, orders and acts contrary to its letter and spirit shall be null and void. 4. All organs of the State, all public and private associations and institutions and all citizens shall be bound by and remain loyal to the Constitution and shall ensure its observance. 5. This Constitution shall serve as a basis for instilling constitutional culture and for enlightening citizens to respect fundamental human rights and duties”; #The Constitution of the Kingdom of Swaziland Act 2005, Section 2 – The Constitution: “1. This Constitution is the supreme law of Swaziland and if any other law is inconsistent with this Constitution that other law shall, to the extent of the inconsistency, be void. 2. The King and iNgwenyama and all the citizens of Swaziland have the right and duty at all times to uphold and defend this Constitution 3. Any person who – a. by himself or in concert with others by any violent or other unlawful means suspends or overthrows or abrogates this Constitution or any part of it, or attempts to do any such act; or b. aids and abets in any manner any person referred to in paragraph (a); commits the offence of treason”.

Corollaire 3: L’impossibilité du monisme juridique et les aménagements nécessaires

  1. Toutefois, à supposer qu’un droit puisse anéantir en son sein tout élément exogène, son pouvoir s’arrête aux frontières de son monde, laissant subsister les autres droits dans leurs univers respectifs. Ainsi, l’interdiction de la polygamie par un droit étatique ne fera pas disparaître la validité de celle-ci de la coutume ou du droit musulman. Dit autrement, aucun droit pris comme système ne peut mettre fin au pluralisme juridique — sauf éventuellement dans son propre univers — dans la mesure où celui-ci découle précisément de l’existence simultanée, mais autonome, de plusieurs fondements de validité juridique.
  2. Des normes d’origines diverses peuvent donc s’appliquer simultanément sur des fondements distincts, parfois de manière complémentaire, parfois de manière conflictuelle. En effet, il peut exister des tensions entre les normes juridiques étatiques et internationales ainsi qu’entre celles-ci et certaines prescriptions religieuses ou coutumes, tout comme il peut exister des tensions au sein d’un même univers normatif comme, par exemple, entre des coutumes. Ainsi, on le sait, les tentatives d’imposition du droit musulman, du droit colonial et du droit « moderne » des Etats nouvellement indépendants dont on a vu qu’ils étaient parfois très différents des droits exoétatiques ne se sont pas faites sans interrogations, incompréhensions et, finalement, résistances avec lesquelles il fallut composer dans une certaine mesure.
  3. Dans de telles situations, se pose, pour chaque système, la question de savoir s’il faut mettre fin à ce pluralisme dans son univers en y éradiquant ces autres normativités ou au contraire l’accepter et gérer ses manifestations en reconnaissant à ces normativités une place à déterminer, voire en les intégrant, plus ou moins intégralement, dans son propre corpus juridique. Il ne peut en tout cas, on l’a dit, s’agir de s’y soumettre sauf à interpréter en ce sens les dispositions constitutionnelles faisant de la Shari’a la loi suprême de l’Etat ou déclarant puiser à cette source ou s’en inspirer[1].

[1] Voir notamment Constitution de l’Union des Comores, 23 décembre 2001, mise à jour par référendum en 2009, préambule : « Le peuple comorien, affirme solennellement sa volonté de : puiser dans l’Islam, religion d’Etat, l’inspiration permanente des principes et règles qui régissent l’Union » ; Constitution de la République arabe d’Egypte (dernière modification : référendum du 25 mai 2005), préambule : « Nous, les masses de ce peuple [d’Egypte] qui croyons profondément en notre patrimoine spirituel, qui sommes fortement attachées à notre Foi et qui tenons fièrement à l’honneur de l’Homme et du genre humain ; […]. Nous, les masses de ce peuple d’Egypte, prenons devant Dieu et avec son Appui, sans conditions ni réserves, l’engagement de déployer tous nos efforts pour assurer : […]. Nous, les masses du peuple d’Egypte, avec toute la détermination, la certitude et la foi qui nous animent, pleinement conscientes de nos responsabilités à l’égard de notre patrie, de notre nation et du monde entier, reconnaissant le droit de Dieu et de Ses Révélations, déclarons, en ce jour du 11 septembre 1971, devant Dieu et par sa Grâce, accepter cette Constitution que nous nous sommes octroyés et ce, au nom des droits de la patrie, de la Nation, ainsi qu’au nom des principes humains et de nos responsabilités à leur égard, et affirmons notre détermination à la défendre, à la protéger et à en assurer le respect » et art. 2 : « L’Islam est la religion de l’Etat dont la langue officielle est l’arabe ; les principes de la loi islamique constituent la source principale de législation ».

  1. En réalité, un système juridique est toujours contraint dans une certaine mesure de composer avec les autres systèmes applicables à ses sujets, au moins à titre provisoire, avant qu’il ne réussisse à ranger les autres droits sous lui-même si tel est son dessein. Ces contraintes sont toujours factuelles, résultant d’un rapport de forces, faute de quoi il n’y aurait pas pluralisme juridique, un système juridique dominant à tel point l’autre qu’il le ferait disparaître.
  2. Or, on observe sans surprise que tous utilisent, peu ou prou, les mêmes techniques d’articulation avec une tendance à vouloir ignorer les droits allogènes ou, quand ils les reconnaissent, à établir une hiérarchie au profit de leurs normes et institutions. Toutefois, au-delà de cette affirmation de principe par chacun de sa liberté de se situer à l’égard des autres, tous sont conduits à concéder en son sein une place aux autres pour qu’ils régissent en partie ses sujets et à se mouvoir selon des schémas hybrides, faits de soumission, de rejet et d’hybridation/perversion.
  3. C’est dans ce cadre que les individus vont se mouvoir, tentant d’arbitrer entre ces systèmes qui leur sont simultanément applicables ou de construire un droit ad hoc qui emprunte à plusieurs systèmes. En cas de différends au sujet de ces stratégies, le mécanisme privilégié est celui de la négociation, du compromis et de l’hybridation.

Considération 2. Entre gestion territoriale et gestion personnelle

  1. Parfois, un système est à ce point dominé par un autre, sans pour autant disparaître, qu’il est contraint de le reconnaître — dans son ensemble ou en partie —, fût-ce au prix de renoncer à sa propre applicabilité ou application. On peut songer aux accords entre les « chefs » africains et les Etats européens, aux traités de protectorat ou aux accords de capitulation à l’occasion de la colonisation[1]. Cependant, Le principe d’autodétermination est si important que tout système s’attache à proclamer sa liberté quand bien même il est soumis à des contraintes extérieures, parfois à un point tel que cette liberté est purement nominale.

[1] Sur ces “traités”, voir, entre autres, J. Westlake, Chapters on the Principles of International Law, London, C. J. Clay & Sons, Cambridge University Press and Stevens and Sons, Limited, 1894, Chapter IX. Territorial Sovereignty, especially with relation to uncivilised regions, p. 149: “We have here a clear apprehension of the principle that an uncivilised tribe can grant by treaty such rights as it understands and exercises, but nothing more”. Voir également J. Gathii, “Imperialism, Colonialism and International Law”, Buffalo Law Review, Vol. 54, 2007, pp. 1013-1066 ; M. Kamto, « Le statut juridique des traités signés entre les représentants des puissances coloniales et les monarques indigènes africains en droit international », in Droit du pouvoir, pouvoir du droit. Mélanges offerts à Jean Salmon, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 435-480, 462 ; rééd. in Objectivisme et volonté(s), Paris, Pedone, 2021, pp. 57-78. ; M. Hébié, Souveraineté territoriale par traité: une étude des accords entre puissances coloniales et entités politiques locales, Paris, PUF, coll. Publications de l’IUHEI, 2015, 708 p. ; M. Hébié, « Les accords conclus entre puissances coloniales et entités politiques locales: quelques éléments pour reconsidérer l’affaire de la Frontière terrestre et maritime (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)) », African Yearbook of International Law, Vol. 20, 2013-2014, pp. 97-120. ; M. Hébié, The Role of Agreements concluded with Local Political Entities during the Course of French Colonial Expansion in West Africa, British Yearbook of International Law, Vol. 85, No. 1, 2015, pp. 21-89.

  1. Même non dominé, un système juridique compose toujours avec les autres systèmes. Il peut en avoir décidé ainsi, librement ou sous pression — comme les droits étatiques à l’égard du droit international conventionnel ou le droit musulman à l’égard de coutumes préislamiques. Il peut également devoir tenir compte des résistances d’un autre système qu’il a voulu, sans succès, subjuguer ou avec lesquels il est contraint de composer, comme les droits coloniaux à l’égard des droits africains, des droits des Etats africains à l’égard des droits exoétatiques ou du droit musulman à l’égard de certains droits étatiques. L’élément commun consiste dans la nécessité de prévenir d’éventuels conflits difficiles à gérer avec un système étranger en le reconnaissant dans une plus ou moins grande mesure au sein du for.
  2. La gestion par un système juridique des individus dont il veut gouverner les actions, situations et relations exige de trancher entre plusieurs façons de contempler les personnes.
  3. Il peut s’agir, d’abord, comme cela fut pendant très longtemps pratiqué partout dans le monde, d’appréhender la personne en tant que telle. Il s’agit alors de déterminer le champ d’application de la règle selon certaines caractéristiques des personnes ou de moduler le contenu de la règle selon les personnes considérées, quel que soit l’endroit où elles se trouvent. Il peut sinon s’agir de s’intéresser aux personnes à raison de leur seule localisation spatiale, modèle qui a permis l’avènement de l’Etat moderne en Occident et qui fut diffusé par celui-ci à l’occasion des colonisations. Il peut encore s’agir – et il s’agit le plus souvent – de jouer sur les deux plans. Ainsi, on l’a dit, le droit musulman accepte-t-il que les juifs et les chrétiens soient soumis à leurs propres règles et tribunaux. De même, on y reviendra (Approche macro-juridique de la gestion des pluralismes), les Etats colonisateurs et « chefs » africains « décidèrent » que le droit applicable pouvait être différent selon qu’étaient concernés deux Africains, deux Européens, ou un Africain et un Européen. Encore aujourd’hui, certains droits étatiques africains acceptent une dualité ou pluralité de normes selon les individus concernés.
  4. Toutefois, si cela permet à un système de se situer par rapport à d’autres, cela n’enlève rien à la situation de pluralisme appréhendée du point de vue des individus qui peuvent être régis par plusieurs systèmes ou normes simultanément. Ainsi, quand un Etat accorde des privilèges à des ressortissants d’un autre Etat sur son territoire, il n’empêche pas le fait que sont applicables à ceux-ci à la fois le droit de l’Etat sur le territoire duquel il se trouve — à raison de la compétence territoriale de celui-ci — et le droit de l’Etat dont ils ont la nationalité — à raison de la compétence personnelle de celui-ci —. De la même manière, les privilèges accordés par le droit musulman aux croyants des autres religions du Livre n’empêchent pas l’applicabilité à ces personnes du premier simultanément aux autres droits religieux. En somme, si le droit qui procède ainsi peut éventuellement mettre fin au pluralisme dans son univers grâce à un système de dualité ou pluralité de normes, il n’aura pas mis fin au pluralisme.
  5. Une des erreurs commises par les Etats coloniaux puis par les Etats africains fut de croire possible, voire d’essayer d’imposer, une conception essentiellement territoriale des allégeances juridiques sur des populations qui connaissaient des allégeances de type essentiellement personnel, religieux ou encore linguistique. Or, ce faisant, ils s’interdisaient de bien gouverner les situations de pluralisme, se contentant de juxtaposer une logique du droit à une autre sans mettre fin à celle dernière.
  • D’une part, la vision fondamentalement occidentale du territoire comme support de l’Etat et de son droit dont il détermine plus que toute autre considération le champ d’application n’a jamais permis l’intelligence d’autres types d’institutions entre entités politiques organisées, y compris des Etats (on songe notamment aux royaumes et empires précoloniaux de l’Afrique de l’Ouest), qui étaient fondés sur des rattachements plus personnels que territoriaux[1] et ne se sont adaptées que très difficilement à l’imposition de celles-ci par l’Occident[2].

[1] A. Mbembe, Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte, 2013,p. 148 : « Historiquement, l’attache au territoire et au sol en Afrique fut toute contextuelle. Dans certains cas, les entités politiques étaient délimitées non par des frontières au sens classique du terme, mais par une imbrication d’espaces multiples, constamment faits, défaits et refaits aussi bien par les guerres et les conquêtes que par la mobilité des biens et des personnes ». Il précise qu’« il en résultait souvent une extraordinaire superposition de droits et un enchevêtrement de liens sociaux […]. Ces droits et ses liens se combinaient avec les figures de la localité, mais les transcendaient tout à la fois. Divers centres de pouvoir pouvaient peser sur un même lieu qui, lui-même, pouvait dépendre d’un autre lieu proche, lointain, voire imaginaire. / Qu’elle fût d’Etat ou autre, la frontière n’avait de sens que dans les rapports qu’elle entretenait avec les autres formes de différence et de discrimination sociale, juridictionnelle et culturelle, les formes de contacts et d’entremêlement à l’œuvre dans un espace donné » (Ibid, p. 148-149).

[2] Voir, de manière générale, B. Badie, La fin des territoires. Essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect, CNRS Éditions, coll. Biblis, 2013, 273 p. Concernant plus particulièrement l’Afrique, voir, entre autres, G. Abraham, “”Lines upon Maps”: Africa and the Sanctity of African Boundaries”, African Journal of International & Comparative Law, Vol. 15, 2007, pp. 61-84, 72.; A. Diagana, « Territoires, souverainetés et frontières », Hommes et migrations [En ligne], 1304 | 2013, mis en ligne le 1 janvier 2017. URL : http://hommesmigrations.revues.org/2653

  • D’autre part, la juxtaposition ne pouvait être qu’imparfaite, les droits qui obéissent à une logique personnelle se jouant des frontières territoriales[1].

[1] Sur les frontières, voir, notamment J. Matringe, « Les frontières, entre logique territoriale et logique personnelle », in Etat(s) des Frontières,Paris, Pedone, 2017, pp. 187-199.

  • Enfin, ces droits ne sont pas sans ambiguïtés, n’hésitant pas à moduler le champ de certaines de leurs règles à des parties seulement de leur territoire, créant ainsi différents statuts et régimes juridiques dans le chef des personnes qui se trouvent sur celui-ci. Parallèlement, sur un même territoire des personnes sont soumises à des règles différentes, à raison notamment de leur personne (leur nationalité, leur religion, leur appartenance à un « groupe »). De cela résulte l’existence d’une pluralité d’ordres normatifs d’origine étatique qui ne coïncident pas avec le territoire étatique et donc un affaiblissement de la portée du principe de territorialité.
  1. Cela dit, on connaît suffisamment de mésaventures de chefs d’Etats africains qui ont tenté de faire primer les allégeances personnelles sur fond de cultes de la personnalité pour croire que jouer sur le seul registre personnel aurait fonctionné.

Considération 3. Entre gestion directe et gestion indirecte

Généralement, lorsqu’un droit considéré comme système contemple un autre, il entend lui-même régir directement ses rapports avec celui-ci. Il existe toutefois d’autres configurations qui font intervenir un tiers droit.

3.1. La gestion par un tiers droit des rapports entre deux autres droits

  1. Ce type de situation trouve sa manifestation la plus spectaculaire dans l’intervention du droit international dans les rapports entre les droits étatiques et exoétatiques. C’est l’hypothèse qui retiendra notre attention, même si le droit étatique peut également édicter une règle de conflit de lois en cas de contrariété entre normes exoétatiques[1].

[1] Voir ainsi République démocratique du Congo, Loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille (modifié en 2016), art. 340 : « La forme des fiançailles est réglée par la coutume des fiancés. En cas de conflit des coutumes, la coutume de la fiancée sera d’application » ; art. 369 : « La célébration du mariage en famille se déroule conformément aux coutumes des parties pour autant que ces coutumes soient conformes à l’ordre public. / En cas de conflit des coutumes, la coutume de la femme sera d’application ».

  1. Le droit international s’intéresse en effet à la question des rapports entre ces deux types de droits même s’il est relativement pauvre en la matière. Cependant, ayant réussi à mettre à l’agenda universel des thèmes comme la protection des peuples autochtones, il s’intéresse de plus en plus aux droits exoétatiques et à la question du pluralisme juridique, non pas en son sein — on l’a dit (« Le jeu possible du droit international public », § 23 et s.) — mais au sein des systèmes juridiques étatiques.
  2. L’analyse de sa position en la matière est difficile en raison du fait que le droit international ne contemple que rarement des « droits » ou « normes », mais utilise plutôt le mot « pratique » pour qualifier un phénomène traditionnel, coutumier et/ou religieux, qu’il s’agisse du droit international africain ou droit international à vocation universelle[1].

[1] Voir ainsi l’art. 24 § 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 : « Les Etats parties prennent toutes les mesures efficaces appropriées en vue d’abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants ». Voir également Recommandation générale/observation générale conjointe n° 31 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et du Comité des droits de l’enfant sur les pratiques préjudiciables, 5 novembre 2014, CEDAW/C/GC/31/CRC/C/CG/18, § 1 : « La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention relative aux droits de l’enfant contiennent des obligations juridiquement contraignantes de caractère aussi bien général que spécifique concernant l’élimination des pratiques préjudiciables ».

  1. Le droit international africain, en effet, se réfère moins à des « normes » ou « institutions juridiques » qu’aux « traditions », « valeurs » ou « pratiques »[1].

[1] Voir, par exemple, #Commission ADHP, 4 juin 2004, Résolution 66 sur la Situation des Femmes et Enfants en Afrique – CADHP/Res.66(XXXV)03 : « Considérant la persistance des pratiques traditionnelles néfastes aux femmes et aux enfants dans certains pays d’Afrique (enfants « talibés », enfants de la rue et mutilations génitales) ; #Déclaration de Prétoria sur les droits économiques, sociaux et culturels en Afrique du 17 septembre 2004, § 8 : « Le droit à l’éducation énoncé dans l’article 17 de la Charte implique notamment les éléments suivants : […] mesures visant à redresser les pratiques et attitudes sociales, économiques et culturelles néfastes qui entravent l’accès à l’éducation de la petite fille » ; § 9 : « Le droit à la culture énoncé dans les articles 17 et 18 implique notamment les éléments suivants : • les valeurs africaines positives conforme aux réalités et aux normes internationales des droits de l’homme ; • éradication des pratiques traditionnelles néfastes qui affectent négativement les droits de l’homme ; • participation à tous les niveaux de la détermination des politiques culturelles et des activités culturelles et artistiques ; • mesures de sauvegarde, de protection et de sensibilisation sur l’héritage culturel tangible et intangible, y compris les systèmes du savoir traditionnel ;• reconnaissance et respect des diverses cultures existantes en Afrique », déclaration adoptée par #Commission ADHP, 7 décembre 2004, Résolution 73 sur les Droits économiques, sociaux et culturels en Afrique – CADHP/Res.73(XXXVI)04 ; Commission ADHP, 12 décembre 2015, Observation générale n° 3 sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : le droit à la vie (article 4), § 39 : « L’Etat est responsable des meurtres commis par des particuliers, pour lesquels les autorités n’ont adopté aucune mesure de prévention, ni ouvert d’enquête ou engagé de poursuites adéquates. Ces responsabilités sont accrues lorsqu’un schéma qui est observable a été négligé ou ignoré, ce qui est souvent le cas lorsqu’il s’agit de justice populaire, de violence sexiste, de féminicide ou de pratiques néfastes. Les Etats doivent adopter toutes les mesures qui s’imposent afin de lutter contre, de prévenir et d’éliminer de manière efficace tous ces schémas ou ces pratiques ».

Ainsi, le préambule de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples énonce que les Etats africains tiennent compte « des vertus de leurs traditions historiques et des valeurs de civilisation africaine qui doivent inspirer et caractériser leurs réflexions sur la conception des droits de l’homme et des peuples ». Il se termine par la formule selon laquelle les Etats se disent convaincus de leur devoir d’assurer la promotion et la protection des droits et libertés de l’homme et des peuples, compte dûment tenu de l’importance primordiale traditionnellement attachée en Afrique à ces droits et libertés. Cette préoccupation se retrouve dans le corps du texte[1]. De même, adoptée presque simultanément à la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant prend en compte les « valeurs sociales et culturelles africaines ».Ainsi, dans son préambule, les Etats reconnaissent que l’enfant occupe une place unique et privilégiée dans la société africaine et prennent en considération les vertus de leur héritage culturel, leur passé historique et les valeurs de la civilisation africaine qui devraient inspirer et guider leur réflexion en matière de droits et de protection de l’enfant[2]. Le préambule du protocole relatif aux droits des femmes reconnaît également le rôle crucial des femmes dans la préservation des valeurs africaines basées sur les principes d’égalité, de paix, de liberté, de dignité, de justice, de solidarité et de démocratie.


[1] Ainsi est-il énoncé à l’article 17 § 3 que la promotion et la protection de la morale et des valeurs traditionnellement reconnues par la Communauté constitue un devoir de l’Etat dans le cadre de la sauvegarde des droits de l’homme. De même, selon l’article 18 § 2, l’Etat a l’obligation d’assister la famille dans sa mission de gardienne de la morale et des valeurs traditionnelles reconnues par la Communauté. Relevons encore l’article 29 § 7 de la CADHP selon lequel l’individu a le devoir de veiller, dans ses relations avec la société, à la préservation et au renforcement des valeurs culturelles africaines positives, dans un esprit de tolérance, de dialogue et de concertation et d’une façon générale de contribuer à la promotion de la santé morale de la société. De même, aux termes de l’article 61, la Commission doit prendre en considération, comme moyens auxiliaires de détermination des règles de droit, notamment, les pratiques africaines conformes aux normes internationales relatives aux droits de l’homme et des peuples et les principes généraux de droit reconnus par les nations africaines.

[2] Voir sur ce point Chris M. Peter & Ummy A. Mwalimu, “La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant”, in A. A. Yusuf & F. Ouguergouz (dir.), L’Union africaine : Cadre juridique et institutionnel. Manuel sur l’organisation panafricaine, Paris, Pedone, 2013, 491 p., 407-420. De même, l’article 46 relatif aux sources d’inspiration du Comité des droits de l’enfant dispose que le Comité s’inspire, notamment, des valeurs du patrimoine traditionnel et culturel africain.

  1. Il faut donc prendre avec précaution ces énoncés qui ne régissent pas toujours la question du pluralisme juridique. Cela dit, il n’est pas évident de tirer des conséquences de ces formulations dont on a du mal à croire qu’elles ont été soigneusement pesées et ont une signification particulière pour le sujet qui nous concerne. On peut voir ainsi dans un même instrument des expressions se référant simultanément à des pratiques et normes[1]. On peut également voir des formulations différentes à des endroits distincts d’un même énoncé, y compris pour traiter la même question[2].

[1] Voir en ce sens Commission ADHP, 5 novembre 2013, Résolution 262 sur l’accès des femmes a la propriété foncière et aux ressources productives – CADHP/Res.262(LIV)2013 : « 3. Encourage les Etats parties à abroger les lois et règlements discriminatoires et à interdire par des mesures législatives assorties de sanctions, toutes les pratiques et coutumes qui limitent ou affectent négativement, l’accès, l’utilisation et le contrôle par les femmes des terres et autres ressources productives ; 4. demande aux Etats parties d’organiser des campagnes soutenues de sensibilisation, d’information et d’éducation populaire à l’endroit des responsables communautaires et leaders religieux, en vue d’accélérer la transformation des schémas et modèles socioculturels qui dénient aux femmes la sécurité de jouissance et l’égalité dans l’accès à la propriété, à la terre et à un logement adéquat » ; Commission ADHP, 29 juillet 2014, Résolution 292 sur la nécessité d’entreprendre une étude sur le mariage des enfants en Afrique – CADHP/Res.292(EXT.OS/XVI)2014 : « Déplorant le fait que même lorsque l’âge minimum de 18 ans est prévu par la loi nationale, le mariage des enfants continue d’être pratiqué dans plusieurs pays en raison de la persistance de pratiques coutumières et religieuses néfastes ; […] ; Convaincue de la nécessité de renforcer la Campagne de l’Union africaine à travers la réalisation d’une étude qui offrira une vue d’ensemble de la situation dans certains pays, en identifiant notamment, les causes profondes, la prévalence, les us, coutumes et croyances qui contribuent à perpétuer la pratique ; le niveau de respect des obligations internationales et régionales, le cadre législatif et structurel, et le cas échéant les meilleures pratiques en matière de lutte contre le phénomène, dans les pays qui seront couverts par l’étude » ; Voir toutefois des occurrences des termes « coutume(s) » et/ou « droit(s) coutumier(s) »notamment in Commission ADHP, 5 décembre 2021, Résolution 490 sur les industries extractives et les droits fonciers des populations/communautés autochtones en Afrique – CADHP/Res. 490 (LXIX)2021 : « Gardant à l’esprit le rapport du Groupe de travail sur les droits des populations/communautés autochtones en Afrique, adopté par la Commission en 2003, lors de sa 28ème Session ordinaire, reconnaissant notamment que la protection des droits communaux sur les terres est fondamentale pour la survie des communautés autochtones en Afrique ; […] ; Affirmant la nécessité pour les Etats africains de reconnaître le rôle important du leadership et des structures pastorales traditionnelles dans la gouvernance, en particulier en ce qui concerne la résolution des conflits, la gestion du régime foncier et de la mobilité, et la facilitation des interactions entre les populations/communautés autochtones et les autres groupes d’intérêt ; […] ; Convaincue de la nécessité d’un cadre juridique national pour renforcer les systèmes traditionnels de gestion des ressources, et protéger le droit des populations/communautés autochtones à la propriété foncière communautaire, ainsi que leur droit à une part adéquate des ressources et à une compensation pour toute dépossession ; La Commission : Exhorte les Etats Parties à : 1. Adopter des politiques et des lois qui sauvegardent les droits des populations/communautés autochtones à la propriété et au contrôle coutumiers de leurs terres et reconnaissent le mode de vie des populations autochtones, notamment par la chasse et le pastoralisme ; […] ; 6. Reconnaître les droits coutumiers des populations/communautés autochtones et les mécanismes traditionnels de résolution des conflits, et procéder au renforcement des capacités au sein de ces communautés afin de développer leurs propres structures représentatives et d’assurer une participation effective aux principaux processus de prise de décision » ; CoDESC, 11 août 2000, Observation générale n° 14 (2000), Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art. 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Doc. ONU E/C.12/2000/4, § 21 sur les femmes et le droit à la santé : « Il importe également de prendre des mesures préventives, incitatives et correctives pour prémunir les femmes contre les effets de pratiques et de normes culturelles traditionnelles nocives qui les empêchent d’exercer pleinement leurs droits liés à la procréation ».

[2] Voir ainsi CoDESC, 11 août 2000, Observation générale n° 14 (2000), Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art. 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Doc. ONU E/C.12/2000/4, qui après la formule précitée mettant ensemble pratiques et normes concernant les femmes et le droit à la santé se réfère seulement à des pratiques § 22 quand il s’agit de s’intéresser aux enfants et adolescents : « Il faudrait adopter des mesures efficaces et adéquates pour mettre fin aux pratiques traditionnelles nocives affectant la santé des enfants, notamment des fillettes, qu’il s’agisse du mariage précoce, des mutilations génitales ou des préférences manifestées à l’égard des enfants de sexe masculin en matière d’alimentation et de soins (Voir la résolution WHA47.10, de 1994, de l’Assemblée mondiale de la santé intitulée « Santé maternelle et infantile et planification familiale : pratiques traditionnelles nocives pour la santé des femmes et des enfants ») » (voir également la références aux seules pratiques et non plus normes § 35 : « […]. Les Etats sont également tenus de veiller à ce que des pratiques sociales ou traditionnelles nocives n’interfèrent pas avec l’accès aux soins pré et postnatals et à la planification familiale, d’empêcher que des tiers imposent aux femmes des pratiques traditionnelles, par exemple du type mutilations génitales, et de prendre des mesures destinées à protéger tous les groupes vulnérables ou marginalisés de la société, en particulier les femmes, les enfants, les adolescents et les personnes âgées, compte tenu de la plus grande vulnérabilité du sexe féminin à la violence. […] », § 36, § 51).

  1. Le droit international s’intéresse en revanche fort peu aux autorités non étatiques[1] à l’exception, peut-être, des autorités qu’il qualifie d’autochtones. Ainsi, l’arrêt de la Cour africaine dans l’affaire APDF c. Mali s’intéresse aux seules normes religieuses, pas aux autorités[2].

[1] Voir toutefois, mais sans référence à une quelconque autorité « juridique », S/RES/ 1888 (2009), § 15 : « Engage les dirigeants locaux et nationaux, y compris les chefs traditionnels lorsqu’il y en a et les chefs religieux, à jouer un rôle plus actif dans la sensibilisation des communautés à la violence sexuelle en vue d’éviter la marginalisation et la stigmatisation des victimes, de faciliter leur réinsertion sociale et de combattre le règne de l’impunité pour ces crimes » ; S/RES/2259 (2015), 23 décembre 2015, La situation en Libye : « Saluant les efforts déployés par tous les participants au dialogue politique libyen facilité par l’ONU et aux autres volets du processus de paix, notamment ceux qui ont trait aux contributions de la société civile, à la participation des chefs tribaux, au cessez-le-feu à l’échelon local, aux échanges de prisonniers et au retour des déplacés ».

[2] Cour ADHP, 11 mai 2018, Association pour le progrès et la défense des droits des femmes maliennes (APDF) et Institute for Human Rights and Development in Africa (IHRDA) c. République du Mali, Requête n° 046/2016.

  1. En tout état de cause, dans la logique statocentrée et dualiste classique du droit international qui fait de l’Etat un écran entre le droit international et les individus, celui-ci se refuse généralement à pénétrer dans les droits étatiques. Ainsi, sa promotion des normes exoétatiques et sa lutte contre celles qu’il rejette passent nécessairement par les mécanismes étatiques. C’est ainsi qu’il commande aux Etats de reconnaître ou au contraire rejeter certaines de ces normes à défaut de régir directement les rapports entre droit étatique et droits exoétatiques.
  2. En lisant les instruments internationaux, tant ceux à vocation universelle que ceux africains, il se dégage — après une histoire tourmentée, un attachement de principe du droit international aux normes exoétatiques[1]. Plus précisément, le droit international universel essaie de trouver un équilibre entre le respect et la promotion des traditions, pratiques, normes et institutions exoétatiques en tant qu’elles participent de la richesse du monde et la condamnation de certaines. Dans la même veine, et peut-être sous la pression du premier, les différents textes africains de protection de la personne humaine connaissent un double mouvement d’attachement global, mais également de rejet de certaines pratiques dites nuisibles ou néfastes.

[1] Voir, par exemple, Commission ADHP, 2 mai 2012, Résolution CADHP/Rés.224 (LI) 2012 sur une approche de la gouvernance des ressources naturelles basée sur les droits de l’homme : « Soucieuse de l’impact disproportionné des violations des droits de l’homme sur les communautés rurales en Afrique qui continuent de lutter pour revendiquer leurs droits coutumiers à l’accès et au contrôle des diverses ressources, y compris la terre, les minéraux, la forêt et la pêche » ; A/RES/61/295, 13 septembre 2007, Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, art. 9 : « Les autochtones, peuples et individus, ont le droit d’appartenir à une communauté ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la nation considérée. […] » ; A/RES/61/295, 13 septembre 2007, Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, art. 11 § 1 : « les peuples autochtones ont le droit d’observer et de revivifier leurs traditions culturelles et leurs coutumes. […] » ; art. 12 § 1 : « Les peuples autochtones ont le droit de manifester, de pratiquer, de promouvoir et d’enseigner leurs traditions, coutumes et rites religieux et spirituels ; […] » ; art. 26 : « 1. Les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis. 2. Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent parce qu’ils leur appartiennent ou qu’ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu’ils ont acquis. 3. Les Etats accordent reconnaissance et protection juridiques à ces terres, territoires et ressources. Cette reconnaissance se fait en respectant dûment les coutumes, traditions et régimes fonciers des peuples autochtones concernés » ; art. 33 : « 1. Les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions, sans préjudice du droit des autochtones d’obtenir, à titre individuel, la citoyenneté de l’Etat dans lequel ils vivent. 2. Les peuples autochtones ont le droit de déterminer les structures de leurs institutions et d’en choisir les membres selon leurs propres procédures ».

3.1.1. L’obligation posée par le droit international aux Etats de favoriser le jeu des droits exoétatiques

  1. Ainsi, surtout dans le cadre du droit de la protection de la personne humaine et des peuples autochtones, ainsi qu’en matière foncière, le droit international à vocation universelle peut commander aux Etats de respecter les droits exoétatiques[1] ou de les « prendre en considération » quand ils appliquent leur droit (sur cette technique, voir « Approche macro-juridique de la gestion des pluralismes »)[2].

[1] Convention n° 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux adoptée le 27 juin 1989, entrée en vigueur le 5 septembre 1991, art. 9 § 1 : « Dans la mesure où cela est compatible avec le système juridique national et avec les droits de l’homme reconnus au niveau international, les méthodes auxquelles les peuples intéressés ont recours à titre coutumier pour réprimer les délits commis par leurs membres doivent être respectées » ; CoDESC, 20 janvier 2003, Observation générale n° 15 (2002), Le droit à l’eau (art. 11 et 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), Doc. E/C.12/2002/11, § 21 : « L’obligation de respecter requiert des Etats parties qu’ils s’abstiennent d’entraver directement ou indirectement l’exercice du droit à l’eau. L’Etat partie est notamment tenu de s’abstenir d’exercer une quelconque pratique ou activité qui consiste à refuser ou à restreindre l’accès en toute égalité à un approvisionnement en eau adéquat ; de s’immiscer arbitrairement dans les arrangements coutumiers ou traditionnels de partage de l’eau ; […] ».

[2] Voir en ce sens Convention n° 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux adoptée le 27 juin 1989, entrée en vigueur le 5 septembre 1991, art. 8 § 1 : « En appliquant la législation nationale aux peuples intéressés, il doit être dûment tenu compte de leurs coutumes ou de leur droit coutumier » ; Convention n° 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux adoptée le 27 juin 1989, entrée en vigueur le 5 septembre 1991, art. 9 § 2 : «  Les autorités et les tribunaux appelés à statuer en matière pénale doivent tenir compte des coutumes de ces peuples dans ce domaine » ; art. 17 : « 1. Les modes de transmission des droits sur la terre entre leurs membres établis par les peuples intéressés doivent être respectés. 2. Les peuples intéressés doivent être consultés lorsque l’on examine leur capacité d’aliéner leurs terres ou de transmettre d’une autre manière leurs droits sur ces terres en dehors e leur communauté. 3. Les personnes qui n’appartiennent pas à ces peuples doivent être empêchées de se prévaloir des coutumes desdits peuples ou de l’ignorance de leurs membres à l’égard de la loi en vue d’obtenir la propriété, la possession ou la jouissance de terres leur appartenant » ; A/RES/61/295, 13 septembre 2007, Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, art. 27 : « Les Etats mettront en place et appliqueront, en concertation avec les peuples autochtones concernés, un processus équitable, indépendant, impartial, ouvert et transparent prenant dûment en compte les lois, traditions, coutumes et régimes fonciers des peuples autochtones, afin de reconnaître les droits des peuples autochtones en ce qui concerne leurs terres, territoires et ressources, y compris ceux qu’ils possèdent, occupent ou utilisent traditionnellement, et de statuer sur ces droits. Les peuples autochtones auront le droit de participer à ce processus ». Voir également, dans le registre de la soft law, FAO/CSA, Directives volontaires pour une Gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, Rome 2012, partie 3 : « Reconnaissance juridique et attribution des droits et devoirs fonciers » qui invite les Etats, lorsqu’ils reconnaissent ou attribuent des droits sur des terres, des pêches ou des forêts ou lorsqu’ils les possèdent ou contrôlent, à veiller à ce que les droits fonciers légitimes non protégés par la loi ne soient pas violés ou infirmés et à faire participer les peuples autochtones et autres communautés appliquant des systèmes fonciers coutumiers aux processus de consultation. De même doivent-ils assurer un droit de recours aux personnes qui estimeraient que leurs droits fonciers ne sont pas reconnus et respecter et promouvoir les méthodes coutumières utilisées par les peuples autochtones et autres communautés appliquant des systèmes fonciers coutumiers pour régler les conflits fonciers au sein des communautés (FAO/CSA, Directives volontaires pour une Gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, Rome 2012, partie 3 : « Reconnaissance juridique et attribution des droits et devoirs fonciers », point 7.1 : « Lorsque les Etats reconnaissent ou attribuent des droits sur des terres, des pêches ou des forêts, ils devraient mettre en place, en conformité avec la législation nationale, des mesures préventives propres à empêcher que les droits fonciers d’autrui, notamment les droits fonciers légitimes qui ne sont pas actuellement protégés par la loi, soient enfreints ou infirmés. Ces mesures préventives devraient s’appliquer en particulier aux femmes et aux personnes vulnérables qui disposent de droits fonciers secondaires, comme le droit de cueillette » ; point 7.3 : « Lorsque les Etats envisagent de reconnaître ou d’attribuer des droits fonciers, ils devraient en premier lieu recenser l’ensemble des droits fonciers existants ainsi que les titulaires de ces droits, que ceux-ci soient ou non enregistrés. Les peuples autochtones et autres communautés appliquant des systèmes fonciers coutumiers, les petits exploitants et toutes les autres parties susceptibles d’être concernées devraient participer aux processus de consultation […]. Les Etats devraient assurer l’accès à la justice des personnes qui estiment que leurs droits fonciers ne sont pas reconnus […] » ; point 8.2 : « Lorsque les Etats possèdent ou contrôlent des terres, des pêches ou des forêts, ils devraient reconnaître, respecter et protéger les droits fonciers légitimes des individus et des communautés, y compris, le cas échéant, de ceux qui appliquent des systèmes fonciers coutumiers » ; point 9.4 : « Les États devraient reconnaître et protéger comme il convient les droits fonciers légitimes des peuples autochtones et autres communautés appliquant des systèmes fonciers coutumier […] » ; point 9.5 : « Lorsque des peuples autochtones et autres communautés appliquant des systèmes fonciers coutumiers détiennent des droits fonciers légitimes sur les terres ancestrales sur lesquelles ils vivent, les Etats devraient reconnaître et protéger ces droits. Les peuples autochtones et autres communautés appliquant des systèmes fonciers coutumiers ne devraient pas être expulsés par la force de ces terres ancestrales » ; point 9.11 : « Les Etats devraient respecter et promouvoir les méthodes coutumières utilisées par les peuples autochtones et autres communautés appliquant des systèmes fonciers coutumiers pour régler les conflits fonciers au sein des communautés […] ». Voir également § 3.10 sur les régimes fonciers informels). Voir encore UA/BAfD et CEA, Cadre et lignes directrices sur les politiques foncières en Afrique. Politiques foncières en Afrique : un cadre pour le renforcement des droits fonciers, l’amélioration de la productivité et des conditions d’existence, 2010, point 3.1.3 qui invite les Etats, en reconnaissant la légitimité des droits fonciers autochtones, à également reconnaître le rôle des institutions et structures communautaires (point 3.1.3 : « En reconnaissant […] la légitimité des droits fonciers autochtones, les processus de politiques foncières doivent également reconnaître le rôle des institutions et structures d’administration/gestion locales et communautaires aux côtés de celles de l’Etat. […] ») et affirme très explicitement : « Les héritages coloniaux qui ont eu tendance à dénigrer les systèmes fonciers autochtones, à entraver et à saboter leur évolution et qui ont ignoré Les structures communautaires d’administration foncière doivent désormais céder la place à des politiques nouvelles et novatrices, comportant notamment la mise en place de cadres juridiques pour la documentation et la codification des régimes fonciers non-formels. Il est encourageant de constater qu’un certain nombre de pays africains comme l’Ethiopie, le Sud-Soudan, le Ghana et les communautés pastorales du sahel s’engagent déjà dans cette voie ». Voir encore Swakopmund Protocole on the Protection of Traditional Knowledge and Expressions of Folklore Within the Framework of the African Regional Intellectual Property Organization, 9 août 2010, (entrée en vigueur le 11 mai 2015), art.21: la protection accordée aux expressions culturelles traditionnelles s’étend sur toute la période où une expression est appréhendée par un peuple autochtone comme une caractéristique de son identité culturelles et qu’elle est maintenue par celui-ci dans le respect de ses pratiques coutumières.

3.1.2. La conditionnalité posée par le droit international à la reconnaissance des droits exoétatiques et l’obligation de non-reconnaissance

  1. Le droit international peut toutefois conditionner la reconnaissance par le droit étatique des droits exoétatiques à leur conformité au droit du premier[1]. Dans ce cas, son intervention risque fort d’être peu utile puisque toute mesure conforme au droit étatique sera considérée ipso jure comme conforme au droit international.

[1] Voir Convention n° 107 de l’OIT sur droit coutumier des communautés autochtones, art. 7 : « 2. Ces populations pourront conserver celles de leurs coutumes et institutions qui ne sont pas incompatibles avec le système juridique national ou les objectifs des programmes d’intégration » ; Convention n° 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux adoptée le 27 juin 1989, entrée en vigueur le 5 septembre 1991, art.  27 § 3 : « De plus, les gouvernements doivent reconnaître le droit de ces peuples de créer leurs propres institutions et moyens d’éducation, à condition que ces institutions répondent aux normes minimales établies par l’autorité compétente en consultation avec ces peuples. […] ».

  1. Son intervention est plus intrusive quand il conditionne la reconnaissance de ces droits, non seulement au droit étatique, mais également à ses propres prescriptions et proscriptions[1] ou à ses seules prescriptions et prohibitions[2].

[1] Par exemple Convention n° 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux adoptée le 27 juin 1989, entrée en vigueur le 5 septembre 1991, art. 8 § 2 : « Les peuples intéressés doivent avoir le droit de conserver leurs coutumes et institutions dès lors qu’elles ne sont pas incompatibles avec les droits fondamentaux définis par le système juridique national et avec les droits de l’homme reconnus au niveau international. Des procédures doivent être établies, en tant que de besoin, pour résoudre les conflits éventuellement soulevés par l’application de ce principe ». Voir également A/RES/61/295, 13 septembre 2007, Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, l’art. 46 § 1 qui soumet les droits des peuples autochtones au droit de l’Etat pourvu que celui-ci soit conforme au droit international : « 2. Dans l’exercice des droits énoncés dans la présente Déclaration, les droits de l’homme et les libertés fondamentales de tous sont respectés. L’exercice des droits énoncés dans la présente Déclaration est soumis uniquement aux restrictions prévues par la loi et conformes aux obligations internationales relatives aux droits de l’homme. Toute restriction de cette nature sera non discriminatoire et strictement nécessaire à seule fin d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d’autrui et de satisfaire aux justes exigences qui s’imposent dans une société démocratique ».

[2] Bien qu’il s’agisse d’un texte formellement non obligatoire, voir A/RES/61/295, 13 septembre 2007, Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, art. 34 : « Les peuples autochtones ont le droit de promouvoir, de développer et de conserver leurs structures institutionnelles et leurs coutumes, spiritualité, traditions, procédures ou pratiques particulières et, lorsqu’ils existent, leurs systèmes ou coutumes juridiques, en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme ».

  1. Ainsi s’agissant du droit international africain, l’article 61 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples conditionne la prise en considération des pratiques africaines par la Commission à leur conformité aux normes internationales relatives aux droits de l’homme et des peuples. De même, le préambule du Protocole relatif aux droits des femmes rappelle que les articles 60 et 61 de la CADHP reconnaissent notamment les pratiques africaines conformes aux normes internationales relatives aux droits de l’homme et des peuples en tant que principes de référence importants pour l’application et l’interprétation de la Charte africaine. De son côté, l’article 11 de la Charte des droits et le bien-être de l’enfant relatif à l’éducation précise que celle-ci vise, entre autres, à la préservation et au renforcement des valeurs morales, traditionnelles et culturelles africaines « positives »[1].

[1] Voir l’art. XVII de la Convention africaine révisée sur la conservation de la nature et des ressources naturelles, 11 juillet 2003 intitulé « Droits traditionnels dans communautés locales et connaissances traditionnelles » : « 1. Les parties prennent des mesures législatives et autres pour faire en sorte que les droits traditionnels et de propriété intellectuelle des communautés locales, y compris les droits des agriculteurs, soient respectés, en accord avec les dispositions de la présente Convention ».

  1. Le droit international peut également commander que les droits étatiques rendent les droits exoétatiques conformes à ses règles. Tel est le cas de l’article XI de la Convention africaine pour la conservation de la nature et des ressources naturelles de 1968 : « Les Etats contractants prendront les mesures législatives nécessaires pour mettre les droits coutumiers en harmonie avec les dispositions de la présente Convention ».

3.1.3. L’obligation de lutter contre certaines normes exoétatiques

  1. Si, sur un certain nombre de points, les droits originellement africains et religieux ne sont pas incompatibles avec les prescriptions du droit international à vocation universelle ou africaine, un certain nombre de règles et pratiques traditionnelles et religieuses en vigueur en Afrique sont certainement en contradiction avec des prescriptions internationales, notamment en ce qui concerne le statut des femmes et des enfants.

Sous la pression de leurs engagements pris au niveau universel ou de leur propre initiative, les Etats africains ont également pris des engagements pour lutter contre certaines pratiques et normes. On trouve ainsi un rejet général des pratiques et coutumes « néfastes » dans le protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique de 2003 qui renforce la convention onusienne en identifiant certaines pratiques spécifiquement régionales et en établissant des remèdes pour les victimes[1].


[1] Yusuf, Pan-Africanism and International Law, p. 238. Tout d’abord, dans le préambule, les Etats se disent convaincus que toute pratique qui entrave ou compromet la croissance normale et affecte le développement physique et psychologique des femmes et des filles, doit être condamnée et éliminée. Ensuite, à l’art. 2 § 1 b), les Etats s’engagent notamment à adopter et mettre en œuvre les mesures législatives et réglementaires appropriées, y compris celles interdisant et réprimant toutes les formes de discrimination et de pratiques néfastes qui compromettent la santé et le bien-être général des femmes. De même l’art. 2 § 2 : « Les Etats s’engagent à modifier les schémas et modèles de comportement socioculturels de la femme et de l’homme par l’éducation du public par le biais des stratégies d’information, d’éducation et de communication, en vue de parvenir à l’élimination de toutes les pratiques culturelles et traditionnelles néfastes et de toutes autres pratiques fondées sur l’idée d’infériorité ou de supériorité de l’un ou l’autre sexe, ou sur les rôles stéréotypés de la femme et de l’homme. Les pratiques néfastes sont définies à l’article 1 i) comme « tout comportement, attitude ou pratique qui affecte négativement les droits fondamentaux des femmes, tels que le droit à la vie, à la santé, à l’éducation, à la dignité et à l’intégrité physique », l’article 1 k) définissant la violence à l’égard des femmes comme « tous actes perpétrés contre les femmes causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques sexuelles, psychologiques ou économiques, y compris la menace d’entreprendre de tels actes, l’imposition de restrictions ou la privation arbitraire des libertés fondamentales, que ce soit dans la vie privée ou dans la vie publique, en temps de paix, en situation de conflit ou de guerre ». De même, encore, l’article 4 § 2 d) énonce que les États s’engagent à prendre des mesures appropriées et effectives pour promouvoir l’éducation à la paix à travers des programmes d’enseignement et de communication sociale en vue de l’éradication des éléments contenus dans les croyances et les attitudes traditionnelles et culturelles, des pratiques et stéréotypes qui légitiment et exacerbent la persistance et la tolérance de la violence à l’égard des femmes. De même encore, l’article 8 f) porte engagement des Etats de prendre toutes les mesures appropriées pour assurer la réforme des lois et pratiques discriminatoires en vue de promouvoir et de protéger les droits de la femme. Enfin, l’article 5 relatif à l’élimination des pratiques néfastes dispose : « Les Etats interdisent et condamnent toutes les formes de pratiques néfastes qui affectent négativement les droits humains des femmes et qui sont contraires aux normes internationales. Les Etats prennent toutes les mesures législatives et autres mesures afin d’éradiquer ces pratiques et notamment : a) sensibiliser tous les secteurs de la société sur les pratiques néfastes par des campagnes et programmes d’information, d’éducation formelle et informelle et de communication ; b) interdire par des mesures législatives assorties de sanctions, toutes formes de mutilations génitales féminines, la scarification, la médicalisation et la para-médicalisation des mutilations génitales féminines et toutes les autres pratiques néfastes ; c) apporter le soutien nécessaire aux victimes des pratiques néfastes en leur assurant les services de base, tels que les services de santé, l’assistance juridique et judiciaire, les conseils, l’encadrement adéquat ainsi que la formation professionnelle pour leur permettre de se prendre en charge et d) protéger les femmes qui courent le risque de subir les pratiques néfastes ou toutes autres formes de violence, d’abus et d’intolérance ».

On trouve un même rejet dans la Charte des droits et du bien-être de l’enfant. Ainsi, dans le préambule de ce texte, les Etats notent avec inquiétude que la situation de nombreux enfants africains due, notamment, aux facteurs culturels et traditionnels, reste critique. En conséquence, l’article 1 § 3 dispose : « Toute coutume, tradition, pratique culturelle ou religieuse incompatible avec les droits, devoirs et obligations énoncés dans la présente Charte doit être découragée dans la mesure de cette incompatibilité ». De même, l’article 21 protège celui-ci contre les pratiques sociales et culturelles négatives. Ainsi, aux termes du § 1, les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour abolir les coutumes et les pratiques culturelles et sociales négatives qui sont au détriment du bien-être de l’enfant, de la dignité, de la croissance et du développement normal de l’enfant, en particulier : les coutumes et pratiques préjudiciables à la santé, voire à la vie de l’enfant et les celles qui constituent une discrimination à l’égard de certains enfants, pour des raisons de sexe ou autres raisons.

Dans ce cadre, à l’occasion de l’examen des rapports des Etats[1], le Comité des droits et du bien-être de l’enfant s’adresse parfois aux Etats pour qu’ils mettent fin à des pratiques contraires à la Charte, notamment les mutilations génitales féminines, et leur demande de se tourner à cette fin vers les autorités non étatiques[2], voire qu’ils proposent des pratiques alternatives[3]. De même demande-t-il à des Etats de modifier leur législation qui intègre des règles de droit musulman[4].


[1] https://www.acerwc.africa/reporting-table/

[2] Voir ainsi Recommandations et Observations adressées au Gouvernement du Sénégal par le CAEDBE sur le rapport initial de la mise en œuvre de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant au sujet de l’article 21 : « Le Comité félicite le Gouvernement sénégalais pour les efforts entrepris pour l’éradication des mutilations génitales féminines d’ici 2015. / Le Comité l’encourage à mener les campagnes de sensibilisation, formation et promotion des droits humains de l’enfant et singulièrement de la petite fille ; la sensibilisation et implication des marabouts, prêtres ou autres guides religieux (ses) et notabilités y compris(e)s coutumières, sur la promotion des droits de l’enfant aussi bien filles que garçons avec focalisation sur les viols et MGF, et les mariages précoces et l’intégration d’un module sur les droits de l’enfant dans les programmes de formation initiale des personnels chargés des questions de l’enfance, magistrats, policiers, gendarmes, militaires et éducateurs spécialisés ou travailleurs sociaux pour une meilleure prise en charge » ; Concluding Observations and Recommendations by the African Committee of Experts on the Rights and Welfare of the Child (ACERWC) on the People’s Democratic Republic of Algeria Report on the Status of Implementation of the African Charter on the Rights and Welfare of the Child: “41. The Committee is highly concerned by the fact that the girl child marries before the age of 18 years old. Therefore, the Committee recommends the State Party to harmonize its law in line with article 21(2) of the African Children’s Charter setting the minimum age of marriage for both boys and girls at the age of 18 years old. 42. Moreover, the Committee recommends the State Party to sensitize families, community and religious leaders on the damaging effect of harmful traditional practices on the physical, psychological and mental development of children”; Observations et recommandations finales du Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant (CAEDBE) sur le rapport initial de la République du Bénin sur la mise en œuvre de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, juillet 2019, § 15 : « Le Comité note avec satisfaction que l’Etat partie a mis en place des Lois protégeant le droit à la vie et interdisant l’infanticide. Le Comité note toutefois que certaines pratiques persistent dans la Communauté et font que des enfants subissent des agressions physiques et des meurtres à des fins rituelles, ainsi que des accusations de sorcellerie. Le Comité recommande à l’Etat partie de s’employer à prévenir, enquêter et réparer les attaques perpétrées contre des enfants, par le biais d’une sensibilisation continue, d’une enquête diligente et de la poursuite des coupables » ; § 27 : « Divers rapports mettent en évidence le vidomégon, où les parents placent les enfants dans une famille plus aisée pour obtenir des paiements ; et dans certains cas, ces enfants ne reçoivent pas les soins minimaux qu’ils méritent. Le Comité encourage l’Etat partie à sensibiliser les Communautés aux responsabilités parentales et aux conséquences juridiques de la négligence d’un enfant. Le Comité recommande à l’Etat partie d’identifier les enfants échangés contre paiements et d’évaluer leur situation lors de leur placement ; et des mécanismes traditionnels grâce auxquels un tel placement d’enfants ne mène pas à la vente d’enfants, aux pires formes de travail des enfants et à l’esclavage » ; § 50 : « Le Comité note que la Mutilation Génitale Féminine (MGF), le mariage des enfants et le vaudou sont les principales pratiques qui affectent les enfants au Bénin. Le Comité félicite l’Etat partie d’avoir adopté la Loi N ° 2003-03 sur la suspension des mutilations génitales féminines et la Loi N ° 2015-08 sur la violence à l’égard des femmes, qui incrimine les mutilations génitales féminines ; et le taux de MGF est apparemment en baisse. Toutefois, certains rapports indiquent que les mutilations génitales féminines sont encore très pratiquées dans le pays et au-delà du territoire dans des zones transfrontalières telles que le Niger, le Nigéria, le Togo et le Burkina Faso. Le Comité recommande à l’Etat partie d’évaluer le fléau sachant que c’est une pratique cachée et de mener des sensibilisations dans des régions comme le Borgou où cette pratique est répandue. Le Comité recommande également que les auteurs de MGF soient criminalisés et condamnés à la peine prévue par la Loi » ; § 51 : « Selon le rapport de l’Etat partie, le taux de mariage des enfants s’élève à 37%, ce qui, de l’avis du Comité, est élevé. Le Comité réitère sa recommandation sur l’âge du mariage afin de combler le fossé juridique et de fixer explicitement 18 ans comme âge minimum, sans exception. En outre, l’Etat partie est encouragé à adopter une stratégie nationale sur le mariage des enfants, à sensibiliser les chefs religieux et communautaires et à poursuivre les responsables ».

[3] Observations et recommandations finales du Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant (CAEDBE) sur le rapport initial de la République du Bénin sur la mise en œuvre de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, juillet 2019, § 52 : « S’agissant de la pratique du vaudou, le Comité note que, lors du dialogue constructif, l’Etat partie a progressé en négociant un stage de vaudou abrégé afin de faire en sorte que les enfants ne manquent pas l’école et un rituel alternatif pour la scarification. Le Comité recommande que ces efforts soient poursuivis et dupliqués dans d’autres zones touchées ».

[4] Voir ainsi Concluding Observations and Recommendations by the African Committee of Experts on the Rights and Welfare of the Child (ACERWC) on the People’s Democratic Republic of Algeria Report on the Status of Implementation of the African Charter on the Rights and Welfare of the Child en matière de droit de la famille comme la responsabilité parentale, le mariage et le statut des enfants nés d’un mariage entre une musulmane et un non musulman, le droit de garde des enfants par les femmes, les successions, la polygamie pour conclure, para. 25 : “Therefore, the Committee urges the State Party to ensure that family responsibility is assigned equally between mothers and fathers and to revise all the provisions that discriminate against women and girls ». Voir également para 27: “The Committee noted that there is no adoption system in the State Party but a system of Kafala. However, the Committee is concerned that when the legal guardian (Kafil) dies, the Makfoul (child placed in Kafala) is considered as part of the heritage, and therefore, the legal heirs can decide whether or not to keep him or her in the family, a situation which places them at risk of being re-institutionalized. The Committee also noted that there are cases of illegal adoption and illegal placement in Kafala of children born out of wedlock. The Committee therefore recommends the Government of Algeria to ensure that children in the Kafala system enjoy the rights and freedoms enshrined under the African Children’s Charter and to protect children from illegal adoption and placement in Kafala”.

  1. De son côté, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a condamné plusieurs dispositions du code de la famille malien qui prenaient en compte des règles coutumières et musulmanes ainsi que des pratiques considérées comme contraires à la Charte dans son arrêt du 11 mai 2018, Association pour le progrès et la défense des droits des femmes maliennes (APDF) et Institute for Human Rights and Development in Africa (IHRDA) c. République du Mali. Ainsi, sur l’âge minimal du mariage[1], sur le droit au consentement au mariage[2] ou encore sur le droit à la succession pour les femmes et enfants naturels[3].

[1] Cour ADHP, 11 mai 2018, Association pour le progrès et la défense des droits des femmes maliennes (APDF) et Institute for Human Rights and Development in Africa (IHRDA) c. République du Mali, § 75 : « La Cour note que toutes les dispositions précitées mettent l’accent sur l’obligation qui incombe à l’Etat de prendre toutes les mesures appropriées pour abolir les coutumes et pratiques négatives et les pratiques discriminatoires à l’égard de certain enfants pour des raisons de sexe, notamment des mesures pour garantir l’âge minimum de mariage à 18 ans » ; 78 : « La Cour conclut qu’il incombe à l’Etat défendeur de garantir le respect de l’âge minimum du mariage, à savoir 18 ans et le droit à la non-discrimination. Que, ne l’ayant pas fait, l’Etat défendeur a violé les articles 6.b du Protocole de Maputo, 2, 4(1) et 21 de la CADBEE ».

[2] Cour ADHP, 11 mai 2018, Association pour le progrès et la défense des droits des femmes maliennes (APDF) et Institute for Human Rights and Development in Africa (IHRDA) c. République du Mali, § 94 : « La Cour fait remarquer que la manière dont se déroule le mariage religieux au Mali présente des risques graves pouvant donner lieu à des mariages forcés et constitue une pérennisation des pratiques traditionnelles qui violent les normes internationales qui consacrent les conditions précisés quant à l’âge et au consentement des époux pour qu’un mariage soit valide », 95 : « La Cour relève que dans la procédure de célébration du mariage, la loi contestée permet l’application des droits religieux et coutumier concernant la consentement au mariage. Elle ménage, en outre, des régimes différents selon que le mariage est célébré par l’officier d’Etat civil ou par le Ministre du culte, ce qui constitue une violation des instruments internationaux, à savoir le protocole de Maputo sur les droits de la femme et la CADBEE ».

[3] Cour ADHP, 11 mai 2018, Association pour le progrès et la défense des droits des femmes maliennes (APDF) et Institute for Human Rights and Development in Africa (IHRDA) c. République du Mali, § 111 : « La Cour note que dans la présente affaire, le Code de la famille applicable au Mali consacre le droit religieux et coutumier comme le régime applicable en l’absence de tout autre régime de droit ou d’un écrit authentifié par les services d’un notaire. […] » ; 112 : « Par ailleurs, il ressort des documents du dossier qu’en matière d’héritage, le droit islamique donne à la femme la moitié de ce que reçoit l’homme et que les enfants naturels n’ont droit à l’héritage que selon la volonté de leurs géniteurs », 113 : « La Cour note que l’intérêt supérieur de l’enfant exigé en matière de succession tel que prévu par l’article 4.1 de la CDBEE dans toute procédure n’a pas été pris en compte par le législateur malien au moment de l’élaboration du Code de la famille », 114 : « La Cour relève que le droit musulman actuellement applicable dans le territoire de l’Etat défendeur en matière de succession ainsi que les pratiques coutumières ne sont pas conformes aux instruments ratifiés par ce dernier » ; 124, sans motiver sa conclusion sur la violation de l’élimination des pratiques ou attitudes traditionnelles qui nuisent aux droits de la femme et de l’enfant ou la faisant découler des violations de chacune des pratiques contestées : « La Cour ayant déjà établi la violation des dispositions relatives à l’âge minimum du mariage, au droit au consentement au mariage et au droit à la succession pour les femmes et les enfants naturels, conclut que l’Etat défendeur en adoptant le Code de la famille et en y maintenant des pratiques discriminatoires qui nuisent aux droits de la femme et de l’enfant, a violé ses engagements internationaux ».

  1. Le phénomène n’est en réalité pas nouveau[1]. Peut-être, toutefois, tend-il à s’amplifier, en particulier dans le cadre de la protection de la personne humaine[2]. Il s’agit, plus précisément, de protéger les femmes. Voir ainsi l’article 2 f) de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes dans lequel les Etats s’engagent à prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes »). De même, l’article 5 a) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes : « Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour : a) Modifier les schémas et modèles de comportement socio-culturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou de l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes »[3]. Il s’agit également de protéger les enfants. Voir ainsi l’article 24 § 3 de la convention relative aux droits de l’enfant aux termes duquel « Les Etats parties prennent toutes les mesures efficaces appropriées en vue d’abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants »[4].

[1] Voir ainsi A/RES/323 (IV), 15 novembre 1949, Progrès social dans les Territoires sous tutelle : « décide 1. D’exprimer sa satisfaction des recommandations du Conseil de tutelle tendant à l’interdiction absolue, dans les Territoires sous tutelle où elles se rencontrent, de coutumes barbares, telles que celle des mariages d’enfants. 2. De recommander l’adoption de mesures énergiques et efficaces pour abolir immédiatement le châtiment corporel du fouet dans le Ruanda-Urundi, et d’appuyer de toute son autorité la recommandation du Conseil de tutelle qui a demandé l’abolition immédiate des châtiments corporels au Cameroun et au Togo sous administration britannique, ainsi que l’abolition officielle des châtiments corporels en Nouvelle-Guinée ». Voir également A/RES/440 (V), 2 décembre 1950, Abolition des châtiments corporels dans les Territoires sous tutelle, mais sans référence à des coutumes : « Rappelant sa résolution 323 (IV) par laquelle elle a appuyé la recommandation du Conseil de tutelle qui demandait l’abolition immédiate des châtiments corporels dans les Territoires sous tutelle, […], Recommande que des mesures soient prises immédiatement en vue d’abolir complètement les châtiments corporels dans les tous les Territoires sous tutelle où ils existent encore et prie les autorités chargées de l’administration de ces territoires de faire rapport sur cette question à la prochaine session ordinaire de l’Assemblée générale ».

[2] Dans ce sens également, en matière foncière, le document précité Cadre et lignes directrices sur les politiques foncières en Afrique affirme que les politiques foncières devraient essayer de surmonter les rigidités dépassées des structures et système traditionnels tendant à discriminer les femmes, notamment en matière matrimoniale et d’héritage[2], avant d’affirmer de manière générale : « Afin d’assurer la pleine jouissance des droits fonciers, ces mesures doivent faire partie d’une conception qui déplace les questions de droits fonciers des femmes de la sphère strictement privée du mariage et de la famille, pour les replacer dans le domaine public des droits humains ».

[3] Dans ce cadre, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a déclaré, dans sa recommandation générale No. 19 relative à la violence à l’égard des femmes qu’il existe dans certains Etats des pratiques traditionnelles et culturelles qui nuisent à la santé des femmes et des enfants, citant expressément « l’excision ou la mutilation des organes génitaux féminins » et affirmé dans sa Recommandation générale No. 24 : Article 12 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la santé, § 15 : « L’obligation de protéger les droits relatifs à la santé des femmes implique que les Etats parties, leurs représentants et leurs fonctionnaires prennent des mesures pour empêcher la violation de ces droits par des personnes ou des organismes privés et répriment de telles violations. La violence sexiste constituant un problème majeur pour les femmes, les Etats devraient : […] d) Promulguer des lois qui interdisent la mutilation génitale des femmes et le mariage des fillettes et veiller à l’application effective de ces lois ». Voir aussi Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Recommandation générale n° 19, Violence à l’égard des femmes, 1992: « 11. Les attitudes traditionnelles faisant de la femme un objet de soumission ou lui assignant un rôle stéréotypé perpétuent l’usage répandu de la violence ou de la contrainte, notamment les violences et les sévices dans la famille, les mariages forcés, les meurtres d’épouses pour non-paiement de la dot, les attaques à l’acide, l’excision. De tels préjugés et de telles pratiques peuvent justifier la violence fondée sur le sexe comme forme de protection ou de contrôle sur la femme. Cette violence qui porte atteinte à l’intégrité physique et mentale des femmes les empêche de jouir des libertés et des droits fondamentaux, de les exercer et d’en avoir connaissance au même titre que les hommes. Tandis que cette observation a trait surtout à la violence effective ou aux menaces de violence, ces conséquences sous-jacentes de la violence fondée sur le sexe contribuent à enfermer les femmes dans des rôles subordonnés et à maintenir leur faible niveau de participation politique, d’éducation, de qualification et d’emploi » ; « 12. Ces attitudes contribuent également à propager la pornographie, à exploiter à des fins commerciales et à dépeindre la femme comme objet sexuel plutôt que comme être humain. La violence fondée sur le sexe en est d’autant plus encouragée ».

[4] A ce sujet, le Comité des droits de l’enfant a affirmé dans son observation générale n° 8 sur le droit de l’enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments (art. 19, 28 (par. 2) et 37, entre autres, § 29 : « Certains avancent des arguments liés à la foi pour justifier les châtiments corporels, faisant valoir que certaines interprétations des textes religieux non seulement justifient leur usage mais imposent le devoir d’en faire usage. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 18) garantit à chacun la liberté de conscience religieuse, mais la pratique d’une religion ou d’une conviction doit être compatible avec le respect de la dignité humaine et de l’intégrité physique d’autrui. La liberté de pratiquer sa religion ou ses convictions peut être légitimement restreinte dans le souci de protéger les libertés et droits et fondamentaux d’autrui. Le Comité a relevé que dans certains États des enfants, parfois dès un très jeune âge ou à compter du moment où ils sont considérés pubères, sont susceptibles d’être condamnés à des châtiments d’une violence extrême, notamment la lapidation et l’amputation, que prescrivent certaines interprétations du droit religieux. Pareils châtiments sont à l’évidence contraires à la Convention et aux autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, comme l’ont aussi souligné le Comité des droits de l’homme et le Comité contre la torture, et doivent être interdits ». On a vu cependant que cette convention est celle qui a fait l’objet du plus grand nombre de réserves dont un certain nombre par des Etats africains, lesquels sont pourtant peu nombreux à l’avoir ratifiée. Voir également son observation générale n° 13 sur le droit de l’enfant d’être protégé contre toutes les formes violence, CRC/C/GC/13, 18 avril 2011 qui dispose expressément, § 29, que les « pratiques préjudiciables » comprennent, entre autres « Les mutilations génitales féminines » et la Recommandation générale/observation générale conjointe n° 31 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et du Comité des droits de l’enfant sur les pratiques préjudiciables, 5 novembre 2014, CEDAW/C/GC/31/CRC/C/CG/18, notamment § 7 : « De manière générale, les pratiques préjudiciables sont souvent associées à des formes graves de violence ou constituent elles-mêmes une forme de violence à l’égard des femmes et des enfants. La nature et la prévalence de ces pratiques varie d’une région et d’une culture à l’autre ; toutefois, les plus courantes qui sont bien recensées sont les mutilations génitales féminines, le mariage forcé des enfants, la polygamie, les crimes dits d’honneur et la violence relative à la dot » ; § 9 : « Beaucoup d’autres pratiques ont été jugées préjudiciables car elles sont solidement liées aux rôles attribués à l’homme et à la femme par la société et aux systèmes de pouvoir patriarcal et traduisent parfois des conceptions négatives ou des croyances discriminatoires à l’égard de certains groupes de femmes et d’enfants défavorisés, notamment les handicapés et les albinos. Ces pratiques comprennent notamment la négligence des filles (associée à l’intérêt et au traitement préférentiels accordés aux garçons), les restrictions alimentaires extrêmes (alimentation forcée, tabous alimentaires, notamment pendant la grossesse), les tests de virginité et autres pratiques connexes, la servitude, les scarifications, les marques tribales, les châtiments corporels, la lapidation, les rites d’initiation violents, les pratiques de veuvage, la sorcellerie, l’infanticide et l’inceste (Voir recommandation générale no19 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, par.11, et observation générale no13 du Comité des droits de l’enfant, par.29). Elles comprennent également les modifications corporelles pratiquées pour rendre les filles et les femmes belles ou pour les préparer au mariage (notamment engraissement, isolement, usage de disques à lèvres et étirement du coup au moyen d’anneaux (Voir l’étude du Secrétaire général sur la violence contre les enfants (A/61/299), 2006, par. 46) ou pour protéger les filles contre les grossesses précoces, le harcèlement sexuel ou les violences sexuelles (comme le « repassage »). En outre, bon nombre de femmes et d’enfants dans le monde entier subissent de plus en plus un traitement médical ou la chirurgie plastique pour se conformer aux normes sociales du corps et non pour des raisons médicales ou de santé et nombreux sont ceux qui sont amenés sous la pression à mincir pour suivre la mode, ce qui a entraîné une épidémie de troubles de l’alimentation et d’autres maladies ». Or, § 10, les deux conventions précitées « contiennent toutes les deux (…) des dispositions qui font des pratiques préjudiciables des violations des droits de l’homme et imposent aux Etats parties l’obligation de prendre des mesures en vue de les prévenir et de les éliminer ». Cela signifie notamment, § 11, que « Les États parties aux deux Conventions sont tenus d’honorer l’obligation qui leur est faite de respecter, de protéger et de faire exercer les droits des femmes et des enfants. Ils doivent également faire preuve de la diligence voulue pour prévenir les actes qui compromettent la reconnaissance, la jouissance et l’exercice de leurs droits par les femmes et les enfants et veiller à ce que les acteurs privés ne pratiquent pas de discrimination contre les femmes et les filles, y compris la violence sexiste en ce qui concerne la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ou toute forme de violence contre les enfants, en ce qui concerne la Convention relative aux droits de l’enfant ». De même, § 13 : « En outre, l’obligation de protéger impose aux États parties de mettre en place des structures juridiques pour garantir que les pratiques préjudiciables fassent l’objet d’enquêtes rapides, impartiales et indépendantes et que des recours soient offerts aux personnes qui en ont souffert. Les Comités demandent aux États parties d’interdire explicitement en droit et de sanctionner convenablement ou de pénaliser les pratiques préjudiciables, en fonction de la gravité de l’infraction et du préjudice causé, de prévoir des moyens de prévention, de protection, de relèvement, de réintégration et de réparations pour les victimes et de lutter contre l’impunité des pratiques préjudiciables ».

Voir également au niveau africain UA, Assembly/AU/Dec. 737 (XXXII), Décision sur la redynamisation de l’action politique dans le cadre de l’accélération de la lutte contre les mutilations génitales féminines en Afrique, 2019 : « 3. Saluant les efforts positifs et les partenariats menés par les États membres et le soutien du Programme conjoint de l’UNICEF, du FNUAP et du FNUAPUNICEF pour l’élimination de la mutilation génitale féminine : Accélérer le changement pour renforcer les capacités et collaborer avec les communautés afin de changer cette norme sociale néfaste pour assurer l’abandon collectif de cette pratique », la résolution utilisant toutefois sinon plusieurs fois le terme « pratique »[1].


[1] Pour d’autres exemples : Union africaine, Décisions, Déclarations, Résolutions et Motion, 33e session ordinaire, Addis Abeba, 9-10 février 2020, Décision sur l’élimination du mariage d’enfants, Assembly/AU/Dec.771(XXXIII) et UA, Assembly/AU/Dec.773(XXXIII), Décision sur l’élimination des mutilations génitales féminines voir également les instruments cités in UA, Assembly/AU/Dec. 737 (XXXII), Décision sur la redynamisation de l’action politique dans le cadre de l’accélération de la lutte contre les mutilations génitales féminines en Afrique, 2019, §§ 7-8.

  1. On notera que la Recommandation générale/observation générale conjointe n° 31 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et du Comité des droits de l’enfant sur les pratiques préjudiciables, 5 novembre 2014, CEDAW/C/GC/31/CRC/C/CG/18 se réfère expressément à la situation de pluralisme : « 43. Dans les Etats parties qui comptent plusieurs systèmes juridiques, même si les lois interdisent explicitement les pratiques préjudiciables, cette interdiction peut ne pas être effectivement appliquée car l’existence de lois coutumières, traditionnelles ou religieuses peut en réalité favoriser les pratiques préjudiciables. 44. Les préjugés et les faibles moyens dont disposent les juges des tribunaux coutumiers et religieux ou des mécanismes traditionnels pour statuer sur les droits des femmes et des enfants, ainsi que la croyance selon laquelle les questions relevant de la compétence de ces systèmes coutumiers ne devraient pas être examinées ou contrôlées par l’Etat ou d’autres organes judiciaires, privent les victimes de pratiques préjudiciables d l’accès à la justice ou mite cet accès ».
  2. Si une règle exoétatique venait à être appliquée et à violer des droits de la personne humaine, les organes internationaux ne pourraient que condamner l’Etat pour défaut de diligence (ou violation de ses obligations positives) s’il n’a pas empêché cet événement alors qu’il le pouvait et/ou s’il n’a pas enquêté et poursuivi, voire condamné, les auteurs de l’agissement ; il ne sanctionnera pas la norme exoétatique ni les autorités coutumières ou religieuses[1].

[1] Voir par exemple CoDESC, 11 août 2000, Observation générale n° 14 (2000), Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art. 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Doc. ONU E/C.12/2000/4, § 51 : « L’Etat peut enfreindre l’obligation de protéger quand il s’abstient de prendre toutes les mesures voulues pour protéger les personnes relevant de sa juridiction contre des atteintes au droit à la santé imputables à des tiers. Dans cette catégorie de manquements entrent certaines omissions, comme […] le fait de ne pas décourager le maintien en vigueur de certaines pratiques médicales ou culturelles traditionnelles qui sont nocives […] ».

3.2. L’invocation de la substance d’un tiers droit

  1. Ici, un droit, sans renoncer à régir directement son articulation avec un autre, s’appuiera pour ce faire sur un tiers droit. En effet et par exmple, pour des raisons stratégiques, les deux droits étatiques et exoétatiques concernés peuvent en appeler au droit international pour qu’il tranche en leur faveur.
  2. D’un côté, les droits étatiques africains invoqueront celui-ci pour justifier la non-reconnaissance, invalidation ou modification d’un droit exoétatique. D’un autre côté, des individus peuvent avoir recours aux mécanismes du droit international pour faire sanctionner une norme étatique ou amener à une modification de celui-ci. On reviendra sur ces pratiques en temps voulu.

Cosidération 4. Entre acceptation et rejet

  1. Tout système de droit peut théoriquement adopter trois grands types d’attitude à l’égard des autres normativités : l’indifférence, le rejet ou l’acception (conditionnée ou non). Il ne s’agit bien sûr que de modèles. En tout état de cause, aucun n’adopte une seule position, mais combine simultanément les trois attitudes au gré des normes en jeu, de l’influence des personnes et autorités concernées ainsi que des circonstances, des rapports de force, voire du « bon plaisir » de telle ou telle autorité[1].

[1] Sur le « bon plaisir » de l’administrateur colonial, E. Pollet, « Du pluralisme dans le droit colonial. Etude d’un cas en République du Mali », in J. Gilissen (dir.), Le pluralisme juridique, Bruxelles, Ed. de l’Université de Bruxelles, 1972, pp. 273-288, 277-278 : “En effet, 1° quant au droit français, si la législation coloniale prévoyait que le régime juridique d’une terre devait suivre celui de son « propriétaire », les règles posées par les autorités métropolitaines s’appliquant aux citoyens français et le droit coutumier aux indigènes, en pratique, les administrateurs s’en tenaient à une manière tout empirique de rendre la justice, maintenant à leur gré tel principe coutumier ou islamique, ou préférant au contraire faire valoir un article du Code civil ; 2° quant au droit islamique, la situation était moins claire encore, car son application était soumise à une double alternative : savoir d’abord si l’on appliquerait ou non le droit français ; décider ensuite, dans la négative, si l’islam devait ou non l’emporter sur les principes coutumiers proprement dits. Sur ces points non plus, aucune règle fixe ne déterminait le choix que le bon plaisir de l’administrateur-président du tribunal », 287 : « Le droit changeait selon les circonstances et avec les administrateurs successifs. Un même administrateur jouait parfois de deux systèmes incompatibles, adoptant ou refusant de façon arbitraire telle règle d’un droit donné pour en refuser une autre du même droit ».

  1. En réalité, l’hypothèse de l’indifférence est difficilement tenable dans le temps. En effet, si la constitution et les lois peuvent ne pas interdire ou reconnaître des droits exoétatiques, il arrive toujours un moment où ces droits, même non pris en considération par la constitution ou la loi, arriveront au prétoire du juge étatique qui ne pourra pas, lui, être indifférent et devra décider de leur donner effet ou non et régler un éventuel conflit de normes entre ces droits et le droit étatique, voire le droit international. Il en est de même, réciproquement, de la part des autres droits à l’égard du droit étatique et entre eux et quand bien cela se fera très souvent de manière informelle, les individus auront régulièrement à trancher entre l’application de leur droit et le droit étatique. En somme, tout comme le droit étatique ne peut pas rester indéfiniment indifférent aux droits exoétatiques, ceux-ci ne peuvent ignorer celui-là, ne pouvant échapper à sa rencontre.
  2. Ainsi, comme le fit ultérieurement le droit colonial européen, le droit islamique a composé avec le droit antérieur. La manière de considérer la coutume ne fut pas uniforme en Afrique et dépendait de plusieurs facteurs. Cependant, il toléra expressément et accepta le maintien des pratiques coutumières et institutions préexistantes compatibles avec la Shari’a et ne bouleversa pas le droit antérieur.
  3. Ces normes et institutions ont même eu une influence sur la formation d’institutions musulmanes qui les ont si bien assimilées qu’on ne peut plus faire le départ entre ce qui est proprement musulman et ce qui l’est devenu[1]. D’autant que les coutumes locales ont également changé au contact du droit musulman et que les populations locales mêlaient anciennes croyances et nouvelle foi avec le cortège de pratiques qui allaient avec, les populations locales étant tiraillées entre l’attirance pour le nouveau système et l’attachement aux règles ancestrales[2].

[1] En ce sens, entre autres, G.-H. Bousquet, Le droit musulman, Paris, Armand Colin, 1963, 206 p., 47. Sur cette question, J. Schacht, “Foreign Elements in Ancient Islamic Law”, Journal of Comparative Legislation and International Law, Vol. 32, No. 3/4, 1950, pp. 9-17, 10.

[2] L. Milliot, F.-P. Blanc, Introduction à l’étude du droit musulman, 2e éd., Paris, Sirey, 1987, 669 p., § 173.

  1. De même, après le premier mouvement des indépendances, comme le firent naguère les Etats européens (voir supra), les nouveaux droits étatiques durent assez vite, à des rythmes variés, se résoudre à laisser une place aux droits traditionnels, religieux et coutumiers, essentiellement en matière de droit des personnes et de droit foncier[1].

[1] Voir par exemple The Constitution of the Kingdom of Swaziland Act 2005, Preamble: “Whereas it is necessary to blend the good institutions of traditional Law and custom with those of an open and democratic society so as to promote transparency and the social, economic and cultural development of our Nation”. Lire M. Alliot, « Ce que repenser les droits africains veut dire », in C. Kuyu (dir.), Repenser les droits africains pour le XXIe siècle, Yaoundé, Menaibuc, 2001, pp. 51-64, rééd. in Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie, Paris, Karthala, 2003, 400 p., 95-102, 100 : « Dans la dynamique de l’indépendance des nouveaux Etats africains, les années 1960 avaient vu paraître des centaines de codes civils, pénaux, de procédures … et s’affirmer un droit du développement dont on attendait un grand succès économique et social. Parfois les deux se combinaient : les grandes lois ivoiriennes de 1964 visaient à introduire en Côte d’Ivoire les règles françaises du mariage et des successions pour unifier le droit des sociétés ivoiriennes et briser des structures traditionnelles considérées comme des entraves au développement. Mais la confiance retombait rapidement. Dès la décennie suivante, les codes civils du Togo et du Congo légalisaient respectivement le mariage traditionnel de successions et le rôle des lignages dans les alliances matrimoniales. / La désillusion, au Nord comme au Sud, s’accompagnait moins d’un désir de rejeter le droit que d’une volonté de le contrôler et le maîtriser ». V. Kangulumba Mbambi, Les droits originellement Africains dans les récents mouvements de codification : le cas des pays d’Afrique francophone subsaharienne, Les Cahiers de droit, Vol. 46, No. 1-2, 2005, pp. 315-358, 319 : « c’est seulement vers le début des années 70 que bon nombre d’Etats africains ont commencé le mouvement de remise en question des textes de la loi d’inspiration ou d’origine coloniale par des réformes ou des adaptations substantielles de certaines matières à très forte connotation culturelle : le droit des personnes, des biens, des sociétés, des obligations ou le droit pénal ».

Ce mouvement s’inscrivait ou était parallèle à un mouvement de contestation du droit hérité du colonisateur et de retour aux tradition et pratiques africaines, les populations se référant très largement aux autres droits que le droit étatique. Ainsi les Etats africains ont-ils en partie réformé leur droit pour prendre en considération ces droits exoétatiques. Cette acceptation des droits et institutions traditionnels, coutumiers et/ou religieux devait toutefois être seulement temporaire, en attendant le succès de la modernité… Le mouvement s’est ensuite développé, surtout dans les Etats d’héritage anglophone, indépendamment de contexte contestataire.

  1. Cependant, l’acceptation et le rejet de droits exogène ne sont jamais totaux ; aucun droit n’exclut ou ne reconnaît entièrement un droit exogène pris comme système, mais s’intéresse plutôt à des éléments de celui-ci. Ainsi peut-il rejeter certains éléments en en reconnaissant d’autres, ces dites positions pouvant elles-mêmes épouser des modalités différentes et obéir à des conditions distinctes. On songe notamment à la position des droits étatiques et du droit international public à l’égard des normes exoétatiques.
  2. En outre, parce que les droits évoluent (voir « Introduction au pluralisme juridique en Afrique »), un droit pris comme système peut modifier les règles d’articulation de ses normes à l’égard des autres. En ce sens, la Constitution ougandaise de 2006 a supprimé le § 6 de la section 33 de la version de1995 qui disposait : « Laws, cultures, customs or traditions which are against the dignity, welfare or interest of women or which undermines their status, are prohibited by this Constitution ».
  3. De manière générale, donc, comme on va le voir, souvent, droit et acceptation sont concomitants et sont le fait des mêmes techniques. Ainsi, la clause de primauté présuppose une acceptation du droit inférieur, celui-ci étant toutefois exclu dans la mesure de sa non-conformité au droit qui se dit supérieur. On verra que les concessions sont généralement non explicites et relèvent souvent de la « transaction », de l’« arrangement » et de l’hybridation.