Pour citer : J. Matringe, « Les techniques de rejet par chaque système juridique des droits allogènes », in Approche macro-juridique de la gestion du pluralisme normatif en Afrique, https://droitsafricainsonline.com/themes/droits-africains-et-pluralisme-juridique-en-afrique/3-la-gestion-du-pluralisme-juridique-en-afrique/approche-macro-juridique-de-la-gestion-du-pluralisme-normatif-2/les-techniques-de-rejet-par-chaque-systeme-des-droits-allogenes/, à jour au 08/01/2023
Ces techniques peuvent être aussi variées que sont les modalités d’acceptation de ces droits.
1. Le refus d’assurer la justiciabilité d’un droit allogène
- Le principe de la supériorité du droit colonial et des valeurs qui le sous-tendaient en cas de contradiction fut posé en termes de non-justiciabilité des droits locaux notamment par l’article 75 du décret français du 10 novembre 1903 organisant la justice dans les territoires de l’AOF, aux termes duquel « La justice indigène appliquera en toutes matières les coutumes locales en tout ce qu’elles n’ont pas de contraire aux principes de la civilisation française »[1].
[1] JORF, 35e année, n° 319, 24 novembre 1903
- Ce genre de technique a pu être reprise par les droits étatiques africains. On songe notamment à la loi du 1er août 1987 de la République du Congo portant Code de la famille, spécialement ses art. 343 : « L’exécution des obligations incombant aux fiancés et à leurs parents respectifs selon la coutume applicable aux fiançailles, ne peut être poursuivie en justice », 624 : « […]. En aucun cas, une coutume subordonnant l’affiliation de l’enfant au mariage de ses parents ne peut être invoquée » et 382 : « Est irrecevable, la demande en versement du solde de la dot pour un mariage célébré en famille, s’il n’est pas enregistré »[1]. On songe également à l’article 31 de Constitution de la République populaire du Congo du 31 décembre 1969 : « La terre est propriété du Peuple. Nul droit foncier ou coutumier ne saurait être valablement opposé à toute initiative de mise en valeur de la terre par l’Etat ou les collectivités locales. Chacun dispose librement du produit de la terre, fruit de son propre travail. L’Etat au nom du Peuple réglemente en tant que de besoin la jouissance individuelle ou collective de la terre ».
[1] République démocratique du Congo, Loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille (modifié en 2016).
- De manière plus souple, les droits étatiques peuvent reconnaître des droits dits coutumiers en attendant que ceux-ci soient formalisés selon les procédures étatiques et deviennent des droits étatiques, seuls, à terme, susceptibles d’être opposés aux autres prétendants et à l’Etat[1].
[1] Article 5 du Décret n° 55-580 du 20 mai 1955 portant réorganisation foncière et domaniale en Afrique occidentale française et en Afrique équatoriale française, JORF du 21 mai 1955, Quatre-vingt-septième année, n° 121, p. 5079 : « Les droits coutumiers individuels ainsi constatés, quand ils comportent droit de disposition et emprise évidente et permanente sur le sol se traduisant par des constructions ou une mise en valeur régulière, sauf, le cas échéant, interruptions justifiées par les modes de culture, peuvent être grevés de droits nouveaux ou aliénés au profit de tous tiers. Dans ce cas, l’acquéreur définitif, s’il n’est soumis à un statut coutumier local, est tenu de requérir à son nom et sans délai l’immatriculation de l’immeuble. / Les droits ainsi constatés, quand ils comportent droits de disposition et emprise évidente et permanente sur le sol, peuvent également être transformés en droit de propriété au profit de leur titulaire qui requiert à cet effet leur immatriculation ».
2. L’invalidation
2.1. L’invalidation des normes allogènes incompatibles avec les normes endogènes
L’invalidation étant la privation d’effets juridiques, elle peut se manifester de plusieurs manières.
2.1.1. L’invalidation par annulation ou abrogation
2.1.1.1. Illustration 1. Les droits communautaires africains et le droit OHADA à l’égard du droit étatique
- Le double jeu de la primauté du droit communautaire et du droit OHADA et de leur effet direct a pour effet de gommer le pluralisme pouvant exister entre le droit international et le droit étatique dans la mesure où le premier se substitue au second en le rendant inapplicable.
Ainsi, la CJCEMAC précisa en Chambre judiciaire, dans l’arrêt du 31 mars 2011, Banque Atlantique du Cameroun, Autorité Monétaire du Cameroun c. arrêt n° 010/CJ/CEMAC/CJ/09 du 13 novembre 2009 et la Compagnie d’Assurance C.P.A, arrêt n° 012/2011 : « Attendu que la primauté évoquée est « une condition existentielle » du droit communautaire qui, « en raison de sa nature spécifique originale, ne peut se voir opposer un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la communauté elle-même. Que la norme interne incompatible est donc inapplicable, et de plein droit ; que selon la doctrine établie et la jurisprudence constante, tout juge de l’application du droit communautaire, toute autorité nationale ou communautaire a l’obligation absolue de la laisser inapplicable ».
Voir également CCJA, Avis n° 01/2001/EP, 30 avril 2001 sur la portée abrogatoire des Actes uniformes sur le droit interne des États parties, 1 : « a) L’article 10 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique contient une règle de supranationalité parce qu’il prévoit l’application directe et obligatoire dans les Etats parties des Actes uniformes et institue, par ailleurs, leur suprématie sur les dispositions de droit interne antérieures ou postérieures. B) En vertu du principe de supranationalité qu’il consacre, l’article 10 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique qui prévoit l’application directe et obligatoire des Actes uniformes dans les Etats parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure, contient bien une règle relative à l’abrogation du droit interne par les Actes uniformes » ; 2 : « a) Sauf dérogations prévues par les Actes uniformes eux-mêmes, l’effet abrogatoire de l’article 10 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique concerne l’abrogation de l’interdiction de l’adoption de toute disposition d’un texte législatif ou réglementaire de droit interne présent ou à venir ayant le même objet que les dispositions des Actes uniformes et étant contraires à celles-ci. Il y a lieu d’ajouter que cette abrogation concerne également les dispositions du droit interne identique à celles des Actes uniformes. / Selon les cas d’espèce, « la disposition » peut désigner un article d’un texte, un alinéa de cet article ou une phrase de cet article. B) Les dispositions abrogatoires dans les Actes uniformes sont conformes à l’article 10 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ». Cela, au point que, 3 b) : « Au regard des dispositions impératives et suffisantes des articles 9 et 10 du Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, sont superfétatoires les textes d’abrogation expresse du droit interne que pourraient prendre les Etats parties en application des Actes uniformes ».
2.1.1.2. Illustration 2. Les droits des Etats africains à l’égard des des normes exoétatiques
Il faudrait distinguer deux types de discours qui, en réalité, ne se distinguent guère d’un point de vue technique.
2.1.1.2.1. Le discours de l’invalidité de plein droit
- Selon un premier type d’énoncé, un droit étatique déclare invalide dans son ordre, c’est-à-dire nulle de plein droit, une norme existant dans un autre droit qui serait incompatible avec lui. Cela peut être posé par la Constitution ou par la loi. En ce sens, par exemple, Constitution of the Federal Democratic Republic of Ethiopia, 8 December 1994, Article 9 – Supremacy of the Constitution : “1. The Constitution is the supreme law of the land. Any law, customary practice or a decision of an organ of state or a public official which contravenes this Constitution shall be of no effect” et République démocratique du Congo, Loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille (modifié en 2016), art. 547 : “La dissolution du mariage par les autorités coutumières ou familiales est sans effet » [1].
[1] Voir également Afrique du Sud,Constitution de 1996 tel qu’amendée en 2017, art. 2 – Supremacy of Constitution: « This Constitution is the supreme law of the Republic ; law or conduct inconsistent with it is invalid, and the obligations imposed by it must fulfilled », section 39 (3) « The Bill of Rights does not deny the existence of any other rights or freedoms that are recognised or conferred by common law, customary law or legislation, to the extent that they are consistent with the Bill »; Angola, Constitution du 21 janvier 2010, préambule : « Nous approuvons la présente Constitution comme Loi Suprême et Fondamentale de la République d’Angola », art. 6 : « 1. La Constitution est la loi suprême de la République d’Angola. […]. 3. La validité des lois, des traités et de tous les actes accomplis par l’Etat, le pouvoir local ou toute autre personne de droit public, dépend de leur conformité à la Constitution » et art. 7: « La validité et la force juridique de la coutume est reconnue si elle n’est pas contraire à la Constitution et ne porte pas atteinte à la dignité humaine » ; l’art. 7 de la Constitution du Burkina Faso du 11 juin 1991, modifiée le 12 novembre 2013 : « La liberté de croyance, de non croyance, de conscience, d’opinion religieuse, philosophique, d’exercice de culte, la liberté de réunion, la pratique libre de la coutume ainsi que la liberté de cortège et de manifestation sont garanties par la présente Constitution, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des bonnes mœurs et de la personne humaine » ; Constitution of the Republic of the Gambia, 1997, reprinted 2002, Section 4: “This Constitution is the Supreme Law of the Gambia and any other law found to be inconsistent with any provision of this Constitution shall, to the extent of the inconsistency, be void” et section 254 du projet de nouvelle Constitution de la Gambie intitulée « Principles of land, environment and natural resources policy”: « 1. Land, environment and natural resources in The Gambia shall be held, used and managed in a manner that is equitable, efficient, productive and sustainable, and in accordance with the following principles – […] i. Encouragement of communities to settle land disputes through recognized local community initiatives consistent with this Constitution and other laws”. ; Ghana, 1992 Constitution as amended by the Constitution of the Republic of Ghana (Amendmen) Act, 1996, art. 2 : “This Constitution shall be the supreme law of Ghana and any other law found to be inconsistent with any provision of this Constitution shall, to the extent of the inconsistency, be void” ; Kenya, 2010 Constitution, Section 2 : “(1) This Constitution is the supreme law of the Republic and binds all persons and all State organs at both levels of government. […]. (4). Any law, including customary law, that is inconsistent with this Constitution is void to the extent of the inconsistency, and any act or omission in contravention of this Constitution is invalid. […]. (6) Any treaty or convention ratified by Kenya shall form part of the law of Kenya under this Constitution” ; Nigeria, 1999 Constitution, Section 1 : “(1) This Constitution is supreme and its provisions shall have binding force on the authorities and persons throughout the Federal Republic of Nigeria. […]. (3) If any other law is inconsistent with the provisions of this Constitution, this Constitution shall prevail, an that other law shall, to the extent of the inconsistency, be void”; Constitution of the Republic of Uganda [As at 15th February 2006], art. 2 : « (1) This Constitution is the Supreme Law of Uganda and shall have binding force on all authorities and persons throughout Uganda. (2) If any law or any custom is inconsistent with any of the provisions of this Constitution, the Constitution shall prevail, and that other law or custom shall, to the extent of the inconsistency, be void »; An Act to amend the Constitution of Zambia, Act No. 2 of 2016, 5th January 2016, Part I – Supremacy of Constitution, Section 1: “(1) This Constitution is the supreme law of the Republic of Zambia and any other written law, customary law and customary practice that is inconsistent with its provisions is void to the extent of the inconsistency”; Constitution of Zimbabwe Amendment (No. 20) Act, 2013, Section 2 – Supremacy of Constitution: “(1) This Constitution is the supreme law of Zimbabwe and any law, practice, custom or conduct inconsistent with it is invalid to the extent of the inconsistency”.
- Le droit en question peut emprunter plus précisément au vocabulaire de l’abrogation. On songe notamment à l’article 1030 du nouveau Code des personnes et de la famille du Bénin qui dispose : « Les coutumes cessent d’avoir force de loi en toutes matières régies par le présent code »[1]. Voir encore République démocratique du Congo, Loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille (modifié en 2016), art. 545 : « Sont abrogées les coutumes prescrivant le payement d’une indemnité de décès à l’occasion de la mort de l’un des époux. […] ».
[1] Loi n° 2002-07 du 14 juin 2004 portant Code des personnes et de la famille
- La loi du Botswana va même jusqu’à conditionner l’appellation droit coutumier à cette conformité[1].
[1] Voir Customary Law Act (Chapter 16:01), Act 51 – An Act to provide for the application of customary law in certain actions before the courts of Botswana, to facilitate the ascertainment of customary law and to provide for matters ancillary thereto, 22 August 1969 (date of consolidation/reprint 31 December 2008), Section 2: “ »customary law » means, in relation to any particular tribe or tribal community, the customary law of that tribe or community so far as it is not incompatible with the provisions of any written law or contrary to morality, humanity or natural justice ».
2.1.1.2.2. Le discours de l’invalidation
- Selon un second type d’énoncé, une règle de droit peut déclarer la fin de la validité d’une norme allogène contraire[1]. Elle peut également confier à ses autorités le pouvoir de rendre invalide un élément juridique exogène dont la teneur et/ou les effets seront tenus pour incompatibles avec le droit étatique. On peut citer en ce sens République démocratique du Congo, Loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille (modifié en 2016) au sujet des mariages même contractés en famille en vertu de la coutume, art. 396 : « La nullité d’un mariage, à titre de sanction de violation des conditions du mariage [qui peuvent être fixées par la coutume selon l’art. 394], ne peut être prononcée que dans les cas prévus par la loi ou lorsque le mariage a été contracté en violation de l’article 330 de la présente loi »[2].
[1] Par exemple Côte d’Ivoire, Loi n° 64-381 du 7 octobre 1964, relative aux dispositions diverses applicables aux matières régies par les lois sur le nom, l’état civil, le mariage, le divorce et la séparation de corps, la paternité et la filiation, l’adoption, les successions, les donations entre vifs et les testaments, et portant modification des articles 11 et 21 de la loi no. 61-415 du 14 décembre 1961 sur le Code de la nationalité, art. 1 § 2 : « A compter du jour où [les lois nouvelles concernant le nom, l’état civil, le mariage, le divorce et la séparation de corps, la paternité et la filiation, l’adoption, les successions, les donations entre vifs et les testaments] seront devenues exécutoires, les lois, les règlements et les coutumes antérieurement applicables cesseront d’avoir effet, dans les matières qui sont l’objet desdites lois »; art. 20 : « Par exception à ce qui est dit à l’alinéa 2 de l’article premier, l’institution de la dot, qui consiste dans le versement au profit de la personne ayant autorité sur la future épouse, par le futur époux ou la personne ayant autorité sur lui, d’avantages matériels conditionnant la réalisation du mariage traditionnel, est immédiatement abolie ».
[2] Voir également Botswana, Tribal Land Act (Chapter 32:02), 1 January 1968 ; date of consolidation/reprint 31 December 2008, art. 15 ; #•Côte d’Ivoire, Loi n° 64-381 du 7 octobre 1964, relative aux dispositions diverses applicables aux matières régies par les lois sur le nom, l’état civil, le mariage, le divorce et la séparation de corps, la paternité et la filiation, l’adoption, les successions, les donations entre vifs et les testaments, et portant modification des articles 11 et 21 de la loi no. 61-415 du 14 décembre 1961 sur le Code de la nationalité, art. 13 : « L’époux polygame ne pourra contracter un nouveau mariage, sous l’empire de la loi nouvelle, qu’autant que tous les mariages dans lesquels il se trouvait engagé auront été précédemment dissous. / En cas de violation de la disposition contenue à l’alinéa précédent, la nullité du nouveau mariage sera prononcée. L’action en nullité sera exercée dans les conditions prévues à l’article 32 de la loi sur le mariage. / Elle s’éteindra si les mariages antérieurs viennent à être dissous avant que le jugement ou l’arrêt prononçant la nullité soit devenu définitif ».
- Cela peut être en tout état de cause, dans le système étatique, le fait du juge[1]. En effet, si le juge peut être expressément invité à procéder à une telle invalidation par la Constitution ou la loi, il y procède parfois sans habilitation expresse en ce sens. Cela se comprend, né de la Constitution, il ne peut faire plier celle-ci au profit d’une règle étrangère et peut donc décider de faire primer la Constitution sur les règles exoétatiques.
[1] Voir M. Alliot, « Ce que repenser les droits africains veut dire », in C. Kuyu (dir.), Repenser les droits africains pour le XXIe siècle, Yaoundé, Menaibuc, 2001, pp. 51-64, rééd. in Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie, Paris, Karthala, 2003, 400 p., 95-102, 98 : « au Cameroun par exemple, l’étude du mariage coutumier ne pouvait ignorer l’action de la Cour suprême qui, en cas de litige sur les conséquences d’un divorce, mettait fin aux règles traditionnelles au nom des principes énoncés ou reconnus dans la Constitution, notamment celui de l’égalité des hommes et des femmes ».
En ce sens, par exemple : Botswana, Court of Appeal, Lobatse, 3 July 1992 (No. 4/91), The Attorney-General v. Unity Dow, 1992, BLR 119 (CA) ; (1992) LRC (Const) 623 ; (1998) 1 HRLRA 1 ; (2001) AHRLR 99 (BwCA 1992), 1992 BLR, Amissah P, p137 E-F (§ 49) : “Our attention has been drawn to the patrilineal customs and traditions of the Botswana people to show, I believe, that it was proper for Parliament to legislate to preserve or advance such customs and traditions. Custom and tradition have never been static. Even then, they have always yielded to express legislation. Custom and tradition must a fortiori, and from what I have already said about the pre-eminence of the constitution, yield to the Constitution of Botswana. A constitutional guarantee cannot be overridden by custom. Of course, the custom will as far as possible be read so as to conform to the constitution. But where this is impossible, it is custom not the constitution which must go”.
De même, Uganda, Court of Appeal/Constitutional Court, 28 July 2010, Law & Advocacy for women in Uganda v. Attorney General (Constitutional Petition No. 8 of 2007), [2010] UGCC, A. Twinomujuni, p. 17 : “The meaning and effect of the above quoted provisions of the Constitution cannot be mistaken. Any person is free to practice any culture, tradition or religion as long as such practice does not constitute disrespect for human dignity of any person, or subject any person to any form of torture or cruel, inhuman or degrading treatment or punishment” ; p. 20 : “From the foregoing, it is clear that the practice of Female Genital Mutilation is condemned by both the Constitution of Uganda and International Law [The treaties covenants, conventions and protocols to which Uganda is a party]. […]” ; p. 21 : “The practice of Female Genital Mutilation is a custom which is wholly inconsistent with the above mentioned provisions and it is now the duty of this court to declare the custom void”.
- Il peut également arriver que le juge étatique, même statuant en matière coutumière et devant appliquer celle-ci, déclare pouvoir l’écarter pour non-conformité au droit étatique et au droit international[1].
[1] En ce sens, Niger, Cour suprême, Chambre judiciaire, 18 mai 2006, Aïssata Wangueye c. Abdoulkarim Dodo Boukari SCPA Nazir-Chaibou, arrêt n° 06-142, la chambre statuant pour les affaires coutumières sur pourvoi contre jugement du Tribunal régional : « Attendu que par ailleurs, l’application d’une coutume (en l’espèce touarègue) implique sa conformité à l’ordre public et, si nécessaire, compte tenu du caractère fondamentalement évolutif de toute norme coutumière, s’adapter à l’évolution générale du pays. Qu’ainsi, toute coutume qui n’est pas conforme aux conventions internationales régulièrement ratifiées doit être écartée ; qu’en tout état de cause, il doit être tenu compte de l’intérêt des enfants ; que cet intérêt a été édicté dans des conventions internationales régulièrement ratifiées par le Niger ».
2.1.1.2.3. Rejet de la distinction
Il convient toutefois de ne pas tenir cette distinction pour fondamentale.
- D’une part, certains textes ne permettent pas de déterminer avec précision dans quelle hypothèse nous nous trouvons[1].
[1] Voir ainsi la section 254 du projet de nouvelle Constitution de la Gambie intitulée « Principles of land, environnement and natural resources policy: « 1. Land, environment and natural resources in The Gambia shall be held, used and managed in a manner that is equitable, efficient, productive and sustainable, and in accordance with the following principles – […] k. elimination of discrimination in laws, customs and practices related to land or interests in land based on gender” De même, Constitution du Malawi de 1994, Section 24(2): “Any law that discriminates against women on the basis of gender or marital status shall be invalid and legislation shall be passed to eliminate customs and practices that discriminate against women […]”.
- D’autre part, puisque rien n’est invalide de plein droit, tout n’est que susceptible d’invalidation, que ce soit par le pouvoir constituant, législatif ou réglementaire ou par le juge. Comme exemple de la première forme, on peut citer l’article 31 de la Constitution de la République populaire du Congo (Brazzaville) du 8 juillet 1979 : « Sur toute l’étendue de la République Populaire du Congo, la terre est propriété du peuple. Tous les titres fonciers et les droits coutumiers sont abolis. Tout usage de ces titres et droits est contraire à la Constitution et puni par la loi ».
- Il faut donc considérer qu’en déclarant nuls les éléments des autres droits préexistants — c’est-à-dire en utilisant le premier registre de discours mentionné supra —, en réalité,le constituant les annule, soit rétroactivement quand ils préexistaient, soit de manière préventive s’agissant des droits à venir. Si l’on veut toutefois garder cette idée d’une distinction à faire, le premier discours semble mieux refléter l’idée de non-reconnaissance : le droit en question décide « tout simplement » de ne pas reconnaître l’existence dans son monde (la validité) de telle ou telle norme ou institution.
- Quand la norme existait, il s’agira cependant le plus souvent d’une abrogation, l’effet de l’invalidation portant pour l’avenir. On songe en ce sens aux droits étatiques décidant, nonobstant l’existence de droits fonciers préexistants, la détention de tout pouvoir en matière foncière à l’Etat[1] quand il ne s’agit pas, plus fondamentalement, de reconnaître que celui-ci est le propriétaire de toute terre sur son territoire, mettant ainsi fin dans l’ordre étatique à la validité des droits fonciers coutumiers[2].
[1] Par exemple : Loi n° 43/2013 du 16 juin 2013 portant régime foncier au Rwanda, art. 3 : « […]. Nonobstant les droits reconnus aux gens, seul l’Etat dispose d’un droit suprême de gestion de l’ensemble des terres situées sur le territoire national, qu’il exerce dans l’intérêt général de tous en vue d’assurer le développement rationnel économique et social de la manière définie par la loi./A ce titre, l’Etat est seul habilité à accorder les droits d’occupation et d’usage de la terre. Il a aussi le droit d’ordonner l’expropriation pour des fins d’intérêt général ».
[2] République démocratique du Congo, Loi n° 73-021 portant régime général des biens, régime foncier et régime des sûretés, art. 53 : « Le sol est la propriété exclusive, inaliénable et imprescriptible de l’Etat » ; art. 387 : « Les terres occupées par les communautés locales deviennent, à partir de l’entrée en vigueur de la présente Loi, des terres domaniales ».
2.1.2. L’invalidation par modification des droits allogènes
- Il pouvait ainsi suffire au législateur colonial de modifier les droits exoétatiques, notamment en matière familiale[1]. Ainsi, l’article 18 de la loi organique portugaise précitée sur l’administration civile des provinces d’outre-mer disposait : « les modifications de ces us et coutumes (locaux), en vue de les améliorer, ne seront introduites que progressivement, afin qu’elles puissent être pleinement comprises et assimilées »[2].
[1] A. Yade, « Stratégies matrimoniales au Sénégal sous la colonisation. L’apport des archives juridiques », op. cit., sp. § 14.
[2] F. Loureiro Bastos, « Customary Law in Lusophone Africa (Angola, Guinea-Bissau and Mozambique”, in M. Kamto et J. Matringe (dir.), Droit constitutionnel africain, Paris, Pedone, à paraître.
- Cette modification peut également être le fait du juge.
Voir ainsi : Tanzania, High Court at Mwanza, 22 February 1990 (Civil Appeal No. 70 of 1989), Ephraim v Pastory (1990) 87 I.L.R. 106 ; (2001) AHRLR 236 (TzHC 1990), Mwalusanya J. Une femme avait hérité d’une terre clanique par un testament valide de son père. Constatant qu’elle devenait vieille et sénile et n’avait personne pour s’occuper d’elle, elle vendit la terre du clan à un étranger à celui-ci. Le requérant introduisit un recours demandant que la vente soit déclarée nulle au motif qu’en vertu du droit coutumier haya, les femmes n’ont pas le pouvoir de vendre des terres du clan. Le tribunal de première instance donna raison au requérant et déclara la vente nulle, la veuve devant rembourser l’acheteur. Le premier juge de district adopta une position différente, plus protectrice des femmes, déclarant : “What I can say here is that the respondents’ claim is to bar female clan members on clan holdings in respect of inheritance and sale. That female clan members are only to benefit or enjoy the fruits from the clan holdings. I may say that this was the old proposition. With the Bill of Rights of [1984] female clan members have the same rights as male clan members”. Le juge a donc estimé que la veuve avait le droit, en vertu de la Constitution, de vendre des terres appartenant à son clan et que le requérant était libre de racheter ces terres sur paiement du prix d’achat. Ce dernier fit appel devant la haute Cour, en faisant valoir que la décision du tribunal de district était contraire à la loi. Le juge de la Haute Cour constata que le droit coutumier était clair sur la question, le § 20 de la Déclaration de droit coutumier de 1963 prévoyant que les femmes peuvent hériter, à l’exception des terres du clan, qu’elles peuvent recevoir en usufruit mais ne peuvent pas vendre. Toutefois, s’il n’y a pas d’homme de ce clan, les femmes peuvent hériter de ces terres en pleine propriété. Ayant cité des précédents donnant effet à cette coutume et d’autres s’y opposant et ayant constaté que le droit coutumier n’avait pas changé, le juge invoqua, § 10, le Bill of Rights incorporé dans la Constitution (Act No. 15 of 1984, by article 13(4)) et le droit international (Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 considérée comme intégrée à la Constitution en vertu de l’article 9(1)(f) de la Constitution, Pacte international sur les droits civils et politiques, Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination contre les femmes de 1979 et Charte africaine de 1981, traités ratifiés par la Tanzanie) qui interdisent la discrimination à l’égard des femmes et fondées sur le sexe, pour affirmer : “The principles enunciated in the above-named documents are a standard below which any civilised nation will be ashamed to fall. It is clear from what I have discussed that the customary law under discussion flies in the face of our Bill of Rights as well as the international conventions to which we are signatories”. Or, § 11, “Courts are not impotent to invalidate laws which are discriminatory and unconstitutional. The Tanzania Court of Appeal both in the case of Rukuba Nteme and Haji Athumani Issa agreed that the discriminatory laws can be declared void for being unconstitutional by filing a petition in the High Court under article 30(3) of the Constitution” ; [15] : “It is the Court’s duty to determine the validity of any statute which is alleged to be unconstitutional, because no law that contravenes the Constitution can be suffered to survive, and the authority to determine whether the legislature has acted within the powers conferred upon it by the Constitution is vested in the Court. The Court’s primary concern, therefore, in any case where a contravention of the Constitution is invoked is to ensure that it be redressed as conveniently and speedily as possible” ; § 19 : “It has been provided by section 5(1) of the Constitution (Consequential, Transitional and Temporary Provisions) Act, 1984 (Act no 16 of 1984) that with effect from March 1988 the courts will construe the existing law, including customary law with such modifications, adaptations, qualifications and exceptions as may be necessary to bring it into conformity with the provisions of the Fifth Constitutional Amendment Act, 1984, ie the Bill of Rights’” ; § 28 : “There can be no doubt that Parliament wanted to do away with all oppressive and unjust laws of the past. It wanted all existing laws (as they existed in 1984) which were inconsistent with the Bill of Rights to be inapplicable in the new era or be treated as modified so that they would be in line with the Bill of Rights. It wanted the courts to modify by construction those existing laws which were inconsistent with the Bill of Rights such that they were in line with the new era. We have had a new Grundnorm since 1984, and so Parliament wanted the country to start with a clean slate. That is clear from the express words of section 5 (1) of Act 16 of 1984. The mischief it intended to remedy is all the unjust existing laws, such as the discriminatory customary law now under discussion. I think the message the Parliament wanted to impart to the courts under section 5(1) of Act 16 of 1984 is loud and clear and needs no interpolations” ; § 40 : “I am inclined to think that if Lord Denning MR was confronted with the present problem now at hand he would have unhesitatingly said: This wide provision should, I think be liberally construed. It is a recognition that the law existing before the introduction of the Bill of Rights cannot be applied in the new era without considerable qualification. It has many principles of manifest justice and good sense which are not suited to a country with a Bill of Rights. Theses offshoots must be cut away. The people must have a law which they understand and which they will respect. The law existing prior to the introduction of the Bill of Rights cannot fulfil this role except with considerable qualifications. The task of making these qualifications is entrusted to the judges of Tanzania. It is a great task. I trust that they will not fail therein” ; pour conclure, § 42 : “I have found as a fact that section 20 of the Rules of Inheritance of the Declaration of Customary Law, 1963, is discriminatory of females in that, unlike their male counterparts, they are barred from selling clan land. That is inconsistent with article 13 (4) of the Bill of Rights of our Constitution which bars discrimination on account of sex. Therefore under section 5(1) of Act 16 of 1984 I take section 20 of the Rules of Inheritance to be now modified and qualified such that males and females now have equal rights to inherit and sell clan land. Likewise the Rules Governing the Inheritance of Holdings by Female Heirs (1944) made by the Bukoba Native Authority, which in rules 4 and 8 entitle a female who inherits self-acquired land of her father to have usufructuary rights only (rights to use for her lifetime only) with no power to sell that land, is equally void and of no effect” ; § 43 : “Females just like males can now and onwards inherit clan land or self-acquired land of their fathers and dispose of the same when and as they like. The disposal of the clan land to strangers without the consent of the clansmen is subject to the fact that any other clan member can redeem that clan land on payment of the purchase price to the purchaser. That now applies to both males and females. Therefore the District Court of Muleba was right to take judicial notice of the provisions of section 5(1) of Act 16 of 1984 and to have acted on them in the way it did” ; § 44 : “From now on, females all over Tanzania can at least hold their heads high and claim to be equal to men as far as inheritances of clan land and self-acquired land of their fathers is concerned. It is part of the long road to women’s liberation” et § 47 : “Like the District Court I hold that the sale was valid. The appellant can redeem that clan land on payment of shs 300 000. I give the appellant six months from today to redeem the clan land, otherwise, if he fails, the land becomes the property of the purchaser – the second respondent. The appeal is dismissed with costs”.
2.2. L’invalidation des normes endogènes
- Beaucoup plus rarement, ce peut être un élément endogène qui soit invalidé pour contrariété avec une norme exogène.
Ainsi, au Niger, le juge devant appliquer la coutume des parties dans certains affaires encourt l’invalidation de son jugement s’il viole ladite coutume[1].
[1] Voir ainsi Niger, Cour suprême, Chambre judiciaire, statuant pour les affaires coutumières, 22 juin 2006, Ousseini Zakaria c. Dame Mariama Illiassou, arrêt n° 06-183 : « – Sur le deuxième moyen de cassation tiré de la violation de la coutume, en ce que celle-ci ne prévoit pas la communauté des biens ; Attendu qu’en coutume Ad, il est de règle que « dans un foyer conjugal, chaque époux vient avec ses propres biens. Ceux acquis pendant la vie conjugale sont toujours supposés appartenir à l’époux en sa qualité de chef de famille » ; Attendu en l’espèce que le juge d’appel a rappelé cette règle coutumière mais n’en a pas tiré les conséquences de droit qui lui permettraient de se déclarer incompétent dès lors qu’il a reconnu lui-même que la coutume Ad ne prévoit pas la communauté des biens; qu’il s’en suit qu’en décidant malgré tout que l’immeuble litigieux est un bien commun, le juge d’appel a violé ladite coutume; que sa décision encourt en conséquence cassation ».
3. La logique de la responsabilité
- La logique d’une responsabilité civile est la seule logique qu’adopte le droit international général quand un Etat adopte un comportement contraire à ses prescriptions ou proscriptions, fût-ce en vertu de son propre droit.
- Depuis toujours, en effet, le droit international considère qu’il prime les droits étatiques. Comme on l’a vu, il ne pourrait en aller autrement ; s’il subordonnait son existence et sa mise en œuvre à la volonté des Etats, ses destinataires principaux, il ne pourrait gouverner leur conduite et donc constituer du droit. Cela ne veut pas dire que le droit étatique contraire au droit international serait invalide de plein droit ou pourrait être invalidé. Cela signifie que toute norme ou tout comportement de l’Etat contraire au droit international engage sa responsabilité ; il doit en répondre en réparant le dommage qui en découlerait. C’est notamment à cette fin que furent institués la Commission et la Cour africaine des droits de l’homme.