Gestion du pluralisme juridique en Afrique par les individus

Pour citer : J. Matringe, « Approche micro-juridique de la gestion des normes et autorités en Afrique », https://droitsafricainsonline.com/themes/droits-africains-et-pluralisme-juridique-en-afrique/1-introduction-aux-droits-africains-et-au-pluralisme-juridique-en-afrique/, à jour au 17/11/2023

C’est un lieu commun de souligner le décalage en Afrique entre le droit posé et les pratiques, comme si le monde du droit et celui des faits étaient largement étrangers l’un à l’autre1. Ce décalage obéit à plusieurs ordres de considérations. L’un d’eux, qui nous retiendra ici, est l’attitude des individus à l’égard de ce pluralisme non seulement normatif mais également institutionnel.

A cet égard, plusieurs analyses ont pu être faites. Certains considèrent que l’individu, entrant dans le champ d’application de plusieurs juridicités, est en réalité libre pour réguler son comportement de choisir de se placer sous l’empire de l’un et non des autres. Certains, encore plus convaincus de l’autonomie de l’individu et de sa capacité de choisir, estiment qu’il peut choisir les éléments qu’il désire voire appliquer en les prenant dans un ou plusieurs systèmes. D’autres, plus nuancés, avancent que l’individu est certes dans une certaine mesure libre de choisir le droit qui lui est applicable et l’autorité à laquelle il devra se soumettre, mais que cette liberté est tout de même contrainte par une multiplicité de facteurs. Il semble que la deuxième analyse reflète mieux les réalités africaines même si certains individus relèvent certainement de la première. En effet, la plupart du temps, les choix de droit ou d’autorité des individus sont conditionnés — mais en partie seulement — par les choix des systèmes desquels ils relèvent, ce qui peut expliquer en partie la grande variété des comportements des individus et la possible variation d’attitudes d’une même personne.

Plan

1. Prolégomènes sur la difficulté de la connaissance et de l’analyse

Une analyse fine du phénomène est toutefois particulièrement difficile à mener pour trois raisons principales.

1.1. Sur le caractère observable du phénomène

  1. D’une part, il est très difficile de mesurer l’ampleur et la nature du phénomène car il se produit généralement sans aucune manifestation officielle ou expresse susceptible d’être enregistrée et donc observée puis analysée, mais de manière informelle2.
  2. Ainsi, les énoncés exoétatiques et leurs modes de règlement des conflits ne sont pas centralisés, mais font appel à une pluralité d’entités agissant sur des groupes d’individus de tailles et compositions très différentes qui n’obéissent à aucune règle de publication, mais obéissent encore largement à une logique informelle de production de droit3. C’est le plus souvent dans le monde presque invisible des pratiques quotidiennes des populations qu’il faut chercher ces attitudes. Le juriste ne peut essayer de dissiper cette pénombre qu’avec l’aide de l’anthropologue et de l’ethnologue qui doivent enquêter sur le terrain des terres rurales et urbaines pour déceler les traces de ces attitudes4.
  3. Quant aux réactions des individus à l’égard des normes et autorités étatiques, le seul acte formel observable est l’enregistrement d’un acte ou d’une situation et le recours au juge, mais qui ne constituent qu’une infime partie des types d’attitudes existant réellement…

1.2. Sur la diversité de l’univers exo-étatique

Les sociétés africaines sont hétérogènes et le monde des acteurs non-étatiques est composé d’un très grand nombre d’entités. Il faut en outre prendre en compte la complexité des relations entre ceux-ci et à l’égard de l’Etat et des acteurs étrangers et internationaux.

1.2.1. La multiplicité des acteurs non étatiques

  1. Il y a bien sûr les organisations non gouvernementales (ci-après ONG) et autres associations de défense, notamment, des droits de la personne humaine, de l’environnement, de la démocratie ou d’intérêts collectifs plus restreints, agissant seules ou en réseaux ou coalitions pérennes ou ad hoc. Il y a également les groupes en exil, les partis politiques, les syndicats, les médias, les peuples autochtones, les populations locales, les lanceurs d’alerte, les organisations de villages et d’habitants de quartiers dans les villes, les églises et associations religieuses, les associations commerciales et professionnelles, les groupes d’affaires, les groupes armés, les chefs de guerre, les comités de vigilance, les associations d’étudiants, de femmes, les sociétés secrètes, etc. Il y a encore, bien sûr, les groupes traditionnels, religieux ou communautaires ainsi que leurs chefs et institutions. Il faudrait également ajouter à la liste les entreprises ainsi que les mouvements sociaux ou citoyens sporadiques et informels comme le « balai citoyen » au Burkina Faso ou « Y’en a marre » au Sénégal et « Filimbi » en RDC.
  2. En outre, ces acteurs ne sont pas toujours poreux les uns aux autres et ne poursuivent pas toujours les objectifs qu’ils affichent5. Certains, peuvent être créés, infiltrés ou manipulés par des acteurs extérieurs qui travestissent insidieusement leur fonctionnement. Ils peuvent également fonctionner en coalitions et réseaux plus ou moins formels et visibles et changer d’activités.
  3. Parmi ces acteurs, certains agissent à un niveau purement local, d’autres au niveau de l’Etat et d’autres encore au niveau international, seuls ou en réseaux ; certains sont formellement organisés tandis que d’autres sont purement informels et spontanés.

Or, les tensions sont constantes entre ces très nombreux acteurs. Au gré des circonstances, ceux-ci s’opposent ou collaborent sur le plan des normes juridiques et des champs décisionnels selon des configurations en perpétuel mouvement.

1.2.1.1. Interactions entre les acteurs non étatiques et étatiques

  1. Les acteurs non étatiques entretiennent des rapports ambivalents avec l’Etat. Ce sont souvent des relations conflictuelles ou de méfiance réciproque qui risquent d’exacerber une crise latente ou avérée de l’Etat de droit et de la démocratie. En effet, la plupart du temps, parce qu’ils sont autoritaires ou fragiles, les Etats voient les acteurs non étatiques comme des concurrents. Cela est en effet souvent le cas6. Bien sûr, il peut également y avoir des coopérations ou arrangements.
  2. La chose peut se complique encore avec le développement des « faux » acteurs non-étatiques, en particulier les « fausses ONG » ou « ONG serviles »7. En effet, certaines d’entre elles sont en réalité créées ou utilisées par des individus relevant de l’appareil d’Etat ou par l’Etat lui-même qui cherchent ainsi à accroître leur pouvoir et à s’enrichir sans risquer d’avoir à répondre de ce que ces acteurs font8. Ce type de phénomènes brouille les lignes entre ce qui est étatique et ce qui ne l’est pas. D’autres peuvent être créées par des acteurs étrangers et instrumentalisés par ceux-ci.

1.2.1.2. Interactions entre acteurs non étatiques

  1. Les acteurs non étatiques peuvent poursuivre des objectifs incompatibles. Il en est d’ailleurs ainsi de même au sein d’une catégorie9. Sur fond de concurrence pour l’obtention des fonds nécessaires à leurs activités respectives, leurs relations sont complexes, faites d’accommodements, influences et rejets réciproques. Souvent, les interactions entre ces acteurs seront réglées selon les seuls rapports de force entre eux et entre leurs soutiens étrangers et internationaux respectifs.
  2. Il faut donc connaître les jeux de pouvoir10 qui se font et se défont sans véritable visibilité et peuvent impliquer les autorités étatiques11.

1.2.2. La diversité des attitudes

  1. En outre, les Africains et Africaines ne réagissent pas de la même manière à l’égard des droits qui prétendent les régir. Leurs attitudes peuvent varier d’un moment à l’autre, d’une population à l’autre, d’une personne à une autre et d’un endroit à l’autre, allant du rejet pur et simple à l’acceptation voire la revendication de certains de ceux-ci, en passant par toute une gamme de variantes passant du conflit ouvert au compromis12. Il peut s’agir notamment d’opérer des hybridations entre les droits, l’individu « s’appropriant » la loi en l’interprétant d’une manière qui sert ses intérêts, ou de créer de nouvelles normativités — exo-étatiques — induites par les changements de perspectives apportés par les droits rencontrés ainsi que par les migrations qui font se rencontrer des populations aux droits différents et exigent donc de nouveaux modes de juridicités pour vivre ensemble.
  2. Il convient également de tenir compte du fait que les droits exoétatiques — que les droits coloniaux et des Etats indépendants ont souvent traités comme un ensemble indifférencié — sont eux-mêmes très divers et que les personnes qui en relèvent peuvent adopter des positions différentes à l’égard du droit étatique, du droit international et des autres droits exo-étatiques.
  • D’une part, ces droits et leurs autorités ont pu et peuvent encore connaître des tensions entre eux13. Les relations entre les droits traditionnels et les droits religieux sont en effet complexes, faites d’acceptations, influences et rejets réciproques14. Parfois, le droit religieux est adapté ou modelé à la culture, aux croyances et coutumes ou traditions qui lui préexistaient ou qui apparaissent ultérieurement à son implantation. Parfois, c’est l’inverse qui se produit.
  • D’autre part, l’acceptation par les individus de ces droits peut elle-même évoluer comme elle a pu évoluer pendant la colonisation. Ainsi, de plus en plus, certaines prescriptions coutumières et religieuses font l’objet de contestations de la part d’individus agissant seuls ou au moyen de manifestations collectives spontanées, associations et organisations non gouvernementales (notamment sur la question du statut de la femme et de l’enfant). En effet, les sociétés africaines sont en constant changement15, amenant des tensions au sein de chacun de ces droits et de chacune de ces sociétés16.
  • En outre, ces contestations internes à l’univers exo-étatique peuvent se faire avec le concours de l’Etat, contre celui-ci, ou encore avec son indifférence17.
  • Enfin, les droits exoétatiques eux-mêmes évoluent au gré de ces tensions et remises en cause.
  1. Les sociétés africaines ne sont pas homogènes. On l’a dit, le niveau non étatique est composé d’un grand nombre d’acteurs, même en évacuant ici les acteurs publics infra étatiques comme les communes, départements, régions et Etats fédérés en excluant également les villes dans la mesure où elles participent dans une certaine mesure du pouvoir étatique18.
  2. Hormis certaines autorités traditionnelles et religieuses, ces acteurs ne disposent pas d’autorités productrices de normes ni d’organes de contrôle propres qui permettraient la fabrication d’un ensemble normatif et institutionnel suffisamment cohérent et compréhensif pour former un nouveau droit exo-étatique19. Ces autres acteurs, en particulier les ONG et associations militantes abusivement érigées en « société civile » se réfèrent à des normes édictées (ou qu’elles souhaitent voir édicter) dans d’autres systèmes et recourent en matière de mise en œuvre, outre à l’opinion publique, aux autorités de ces systèmes. Il peut s’agir du droit et des autorités étatiques. Il peut s’agir également du droit international et ses institutions pour faire condamner voire abolir des normes étatiques (on ne connaît pas de recours contre des droits exoétatiques, ce qui serait pourtant concevable – indirectement – en alléguant une violation par l’Etat de son obligation de vigilance s’il tolère une norme contraire au droit international comme en atteste l’affaire opposant devant la Cour ADHP l’Association pour le progrès et la défense des droits des femmes maliennes (APDF) et l’Institute for Human Rights and Development in Africa (IHRDA) à la République du Mali20). On voit ainsi que presque tous les recours devant la Commission et la Cour africaines des droits de l’homme et des peuples viennent de ces entités, agissant régulièrement par la voie de l’actio popularis. Non sans lien avec cette utilisation du droit international contre le droit étatique ou les droits exoétatiques et dans le même but, ces organisations et associations peuvent intervenir pour inciter à la production de normes internationales, participer à celle-ci ou permettre la mise en œuvre des normes adoptées21.
  3. Ces acteurs bénéficient parfois, dans leurs revendications, du soutien de certaines organisations internationales, lesquelles peuvent ainsi récupérer de l’influence perdue au niveau interétatique du fait de la faiblesse des mécanismes de mise en œuvre des conventions internationales22. C’est ainsi que la Commission africaine des droits de l’homme a initié plusieurs coopérations avec des ONG et associations africaines afin d’améliorer la promotion et la protection des droits de l’homme sur le continent. Ces ONG et associations sont parfois également soutenues par des ONG et associations occidentales.
  4. Une caractéristique de certaines de ces associations et ONG est précisément leur dépendance financière et parfois intellectuelle avec les organisations internationales et ces ONG occidentales. Ce phénomène n’est certainement pas anodin quant au contenu des normes à réaliser. En effet, et sous réserve des nuances qu’on a développées au sujet de la dichotomie de ces deux univers juridiques (voir « Les droits « originellement » africains »), ces associations soutiennent souvent une conception individualiste ou « occidentale » des droits de l’homme qui n’est pas toujours compatible avec les droits exo-étatiques plus communautaristes et teintés, sinon de religion, de sacré23. Un certain nombre d’entre elles peuvent ainsi entrer en conflit non seulement avec les autorités étatiques, coutumières et traditionnelles, mais également avec certains mouvements religieux24.
  5. Toutefois, parce qu’elles critiquent également les violations des droits de l’homme commises par l’Etat, ses subdivisions et leurs agents, elles peuvent être victimes de répressions voire de persécutions de la part de ceux-ci (obstacles à leur enregistrement, difficultés administratives ou véritables harcèlements), ce qui peut favoriser indirectement la survie de normes issues d’autres univers qui pourtant peuvent être incompatibles avec les normes étatiques et internationales et que l’Etat combat également.
  6. On l’a compris, les ONG peuvent donc lutter à la fois contre le droit étatique et les droits exo-étatiques ou jouer du premier contre les seconds ou de ceux-ci contre celui-là avec l’éventuel appui du droit international, selon les intérêts qu’elles entendent défendre. Les équilibres toujours fragiles entre normes d’origine étatique et normes coutumières, traditionnelles et religieuses peuvent donc varier sous le poids des revendications de ces associations qui peuvent également pousser à l’adoption de nouvelles normativités dans les différents systèmes concernés. Le phénomène est ainsi continu de tensions entre un très grand nombre de normes et d’autorités — généralement non centralisées — qui, au gré des circonstances, s’opposent et/ou collaborent sur le plan des normes juridiques et des champs décisionnels selon des configurations en perpétuel mouvement.
  7. On imagine face à cet entremêlement d’imbrications mutuelles que personne ne saurait débrouiller le désarroi de l’Africain ou l’Africaine qui aura du mal à déterminer la norme applicable et l’autorité compétente à laquelle s’adresser. On verra cependant que la personne africaine sait également jouer de cet enchevêtrement dans son intérêt. En effet, beaucoup d’Africains et Africaines ne sont pas tant des victimes de ce genre de situations que des acteurs volontaires de celles-ci, s’inscrivant dans ces jeux de rôles selon leurs intérêts.

1.3. Sur la qualification de l’attitude des individus

  1. La réception par les populations du droit colonial (comme de l’ensemble du phénomène colonial25) et du droit de l’Etat indépendant fut et reste contrastée, l’attirance le disputant au rejet26. Toutefois, le partage est souvent très difficile à faire entre l’indifférence, le rejet et l’acceptation.
  2. Ainsi, le seul fait pour les populations de se référer au droit colonial n’était pas nécessairement la manifestation de son acceptation, mais pouvait résulter d’un choix d’opportunité, d’une habitude, d’une contrainte familiale ou lignagère27 ou encore de la contrainte du colonisateur. Il en allait de même du rejet. Inversement, si, pendant cette période, la plupart des litiges étaient réglés à l’amiable et/ou « dans le ventre » de la famille, du clan ou du lignage, il n’est pas possible d’établir, sauf à examiner chaque cas, si cela provenait d’un rejet du droit colonial.
  3. De même aujourd’hui, il est difficile de déterminer ce que signifie le phénomène documenté de la continuation des mariages traditionnels et religieux en plus du mariage célébré par l’officier d’état civil quand la loi dit que seul ce dernier est reconnu. Assiste-t-on à un déclin des premiers pour le mariage étatique ou, au contraire, au dénigrement du « mariage de papier », seul le traditionnel ou le religieux ayant une signification juridique ?28 Seules des enquêtes de terrain permettent d’approcher la réalité et comprendre pourquoi telle ou telle personne ou population ne suit pas le droit étatique ou international pour suivre les droits locaux ou, au contraire, délaisse ceux-ci pour invoquer ceux-là. Il semble cependant, on y reviendra, que l’attitude principale des personnes – pourvu qu’elles en aient les moyens – se situe dans un entre-deux, fait d’utilisation et d’instrumentalisation des différents droits simultanément applicables, d’hybridation de ceux-ci et de production de nouvelles normativités et autorités29.
  4. Par ailleurs, que ce soit sous la colonisation ou après, le recours au juge par les populations ne signifie pas nécessairement son acceptation et celle du droit qu’il doit appliquer, mais peut au contraire constituer un instrument juridique qui vise, sinon à faire reconnaître un droit exo-étatique, à donner à voir le caractère inacceptable du droit d’origine étatique ou du comportement d’un acteur comme une autorité étatique ou une entreprise30.

2. L’acceptation des droits d’origine étatique

  1. Le phénomène d’une acceptation franche, voire d’une revendication active des normes et autorités étatiques ou internationales, est de grande ampleur en Afrique où l’on voit, notamment en milieu urbain, les sociétés changer aux contacts de plus en plus fréquents avec le monde extérieur. Les raisons de l’acceptation peuvent être multiples.
  • Il y a notamment un attrait diffus et parfois inconscient mais important exercé sur les populations africaines par les droits d’origine occidentale et les valeurs qu’ils portent31. Ils reflètent la civilisation occidentale qui a réussi à imposer sa domination sur l’Afrique et continue encore, avec le capitalisme, à dominer le monde.
  • Sur un autre plan, ils peuvent être perçus comme des vecteurs d’émancipation de personnes et groupes dominés32. Ainsi, l’individualisme qu’il porte peut attirer l’Africain et l’Africaine qui se sentent trop enserrés dans le communautarisme africain. De même, son égalitarisme peut séduire la femme prise dans une société patriarcale oppressive et chez le peuple autochtone ou la minorité discriminée. Inversement, le droit étatique et le droit international peuvent servir les intérêts d’un groupe et asseoir sa domination sur d’autres. Selon donc sa position dans la société, une personne ou un groupe pourra avoir intérêt à s’appuyer sur le droit étatique et le droit international.
  • D’une manière générale, en raison des migrations urbaines et internationales et de la constitution de diasporas, avec le développement des moyens de communication, les modèles extérieurs sont beaucoup plus visibles et peuvent attirer des personnes se sentant étouffer dans le cadre traditionnel ou religieux. On l’a dit également (« Introduction au pluralisme juridique en Afrique »), les représentations anthropologiques changent au contact du monde et peuvent rendre attrayant le nouveau droit et sa culture et au contraire repoussant le droit exoétatique33.
  • De même, on l’a déjà dit (« L’élaboration du droit des Etats africains nouvellement indépendants »), l’organisation des indépendances s’est faite avec le maintien d’une certaine influence des anciens Etats colonisateurs qui ont laissé des cadres dans l’organisation du nouvel Etat ainsi que dans l’éducation, instillant les « mérites » du droit d’origine étrangère dans la conscience de certaines populations africaines.
  • Les populations peuvent encore estimer que l’Etat et son droit leur apportent une protection plus grande que le groupe et leur permettent la fourniture de services que la société traditionnelle ou religieuse ne pourrait pas ou plus assurer.
  • Il peut enfin s’agir de chercher l’arbitrage de l’Etat quand les mécanismes exo-étatiques échouent à régler une difficulté34. Des individus pourront ainsi s’appuyer sur des autorités étatiques, y compris le chef de l’Etat, pour régler des différends sans pour autant leur demander d’appliquer le droit étatique. Ce peut être le cas quand sont en cause des personnes relevant d’autorités différentes et que n’existe pas un nouveau mécanisme exo-étatique idoine, dans la logique d’hybridation dont on a déjà parlé35. Ce peut cependant également être le cas quand, au sein d’un même groupe, un différend surgit que le groupe ne parvient pas à régler36. Indépendamment des hypothèses de conflit, les individus ou populations peuvent chercher à faire reconnaître leurs actions par l’Etat voire à obtenir le soutien de celui-ci pour réaliser leurs fins37.
  1. Toutefois, l’acceptation du droit d’origine étatique ne signifie pas nécessairement l’abandon par les individus et populations du droit traditionnel ou religieux. Il peut en effet s’agir de s’accommoder des deux types de droit38 et de se conformer aux deux au gré des circonstances. Il peut s’agir également d’opérer des hybridations entre le droit exo-étatique et le droit d’origine étatique et de négocier ; on y reviendra en notant déjà que ce genre de comportement se situe à la frontière de l’acceptation et du rejet, créant une sorte de zone grise qui ne se range pas dans cette dichotomie39.

3. Le rejet des droits d’origine étatique

  1. Les populations peuvent encore dans une large mesure vivre sous l’empire de « leurs » droits, sans tenir compte des contraintes étatiques40 et continuer, même dans les villes, à vivre selon les normes communautaires, traditionnelles ou religieuses41, non pas nécessairement par rejet exprès des premières, mais parce qu’il est plus facile de s’organiser différemment de ce que prescrit le droit d’origine étatique, parce que la contrainte de l’Etat est trop lâche pour conduire à abandonner le droit exoétatique au profit du sien ou simplement parce qu’on les ignore42. En tout état de cause, il semble que, de manière générale, plus le droit étatique s’éloigne dans son contenu des droits exoétatiques plus il peine à être appliqué par les populations sans le recours, généralement insuffisant, à la coercition43.

Ainsi, sous leurs différentes déclinaisons, les droits d’origine étatique et leurs institutions ont été, comme le droit colonial naguère, en bonne partie rejetés44.

3.1. Causes des résistances

  1. D’une part, l’opération menée à l’indépendance de construction d’un Etat-nation fut dans un très grand nombre de cas un échec, mettant en cause à la fois la légitimité de cette idéologie ainsi que celle de la figure de l’Etat et celle de ses dirigeants45.
  2. A cela s’ajoute que, derrière les apparences d’une volonté de mettre fin au fait ethnique, un certain nombre d’Etats ont au contraire exacerbé celui-ci et dévoyé de manière autoritaire le projet d’unité annoncé au profit de certains intérêts et appartenances exoétatiques (religieuses, ethniques ou régionales), mettant l’Etat dans les mains d’un groupe au détriment d’autres.
  3. Qu’il y eut ou non une telle « capture » de l’Etat, tout droit d’origine étatique, le droit étatique lui-même ou le droit international, est tenu par un grand nombre pour étranger à son groupe d’appartenance. En sorte que les populations ressentent les droits exoétatiques comme bien plus légitimes et contraignants et appliquent ceux-ci au détriment des droits d’origine étatique46. Le recours au droit traditionnel ou religieux permet ainsi la protection et l’autonomie du groupe que l’Etat européen et l’Etat africain moderne n’ont pas entièrement détruit47 et de son champ « décisionnel » vis-à-vis de l’extérieur. Ce droit est issu du groupe et le construit, contrairement au droit étatique et au droit international qui sont vus comme des instruments de dépossession de cette autonomie48 qui rompent l’harmonie de la vie communautaire construite entre soi49. En ce sens, recourir à l’Etat pour régler un différend entre membres d’un groupe peut être tenu par ce dernier comme un abandon de celui-ci et une interférence dans ses affaires internes qui peut parfois conduire à une sanction, sachant en outre que la solution allogène ne sera pas acceptée au sein du groupe50. La présence étrangère aux lendemains des indépendances, y compris jusque dans les juridictions sinon composées de personnes formées à l’école européenne, a pu conforter ce sentiment et nourrir le rejet du droit étatique et/ou international considéré comme non légitime51.
  4. Le recours à des modes exo-étatiques peut encore découler du manque de confiance en l’Etat tenu pour absent ou inefficace ou du caractère indisponible ou inaccessible de ses institutions ainsi que d’une incompréhension du système judiciaire et du droit qu’il a pour office d’appliquer qui est souvent écrit dans une autre langue que celle pratiquée par les individus. En outre, ce système judiciaire exige une procédure écrite et, surtout, obéit à une logique venue d’ailleurs et inventée pour une autre société52.
  5. Le non recours aux forces de police ou judiciaires de l’Etat peut également s’expliquer par des considérations propres à chaque affaire et résulter de stratégies des parties à un conflit. Les institutions étatiques ne sont pas identiquement disponibles et leurs relations avec les institutions exo-étatiques peuvent varier en sorte que l’individu pourra faire un calcul pour choisir la voie qui lui sera la plus favorable sans que le fait d’écarter l’une ou l’autre signifie un rejet de celle-ci53.
  6. D’ailleurs, les protagonistes pourront passer d’un mode de règlement du différend à un autre (sachant que tant le droit étatique que les droits exoétatiques peuvent « offrir » plusieurs modes et que certaines autorités relèvent des deux mondes). Il est même possible d’avoir recours simultanément à plusieurs d’entre eux, selon l’évolution du conflit, les rapports de force, le statut des personnes impliquées dans la famille, dans l’appareil d’Etat et/ou dans le groupe, de la présence (disponibilité et/ou pression) des autorités étatiques ou exo-étatiques, le coût financier, réputationnel et moral, etc. Toutes les configurations peuvent exister, le droit étatique et ses institutions restant une option à part entière ou mélangée à des mécanismes ou processus exo-étatiques. Dans ce cadre, toutefois, les individus parties à un conflit doivent prendre en compte l’appréciation par les tiers de la stratégie adoptée, la fin ultime recherchée étant la plupart du temps un règlement amiable qui satisfasse le plus grand nombre d’acteurs et non seulement ces individus (voir « La logique des compromis »). Nous sommes donc loin de ce qui pourrait constituer au premier regard une forme de chaos ou de pur « bricolage » dans la mesure où cela obéit généralement à une vraie rationalité54.
  7. Droit fondamentalement statocentré, le droit étatique ou international a également souffert de la fragilité de l’Etat lui-même et de son inefficacité générale. Outre sa corruption, son incapacité à réaliser les promesses faites de développement politique, économique et social ainsi que de subvenir aux besoins élémentaires de la population en raison de l’incompétence de ses cadres ou de la capture de l’Etat par certaines élites peut induire une méfiance à l’égard de l’ensemble des services qu’il administre, y compris l’édiction du droit et la justice55. Cette inefficacité est également due à la perte de pouvoir de l’Etat due à son ouverture internationale, à son adhésion à l’idéologie libérale et à la mondialisation56.
  8. En outre, on l’a dit, les droits traditionnels partagent généralement une conception de la vie de type communautaire qui repose largement sur des considérations surnaturelles. La conception individualiste et rationaliste du droit d’origine étatique peut donc être rejetée par les populations et donc le droit qu’elles sécrètent et appliquent, notamment en matière de statut personnel ou de droit de la terre.
  9. Il n’est pas non plus impossible que les condamnations par des juges internes ou internationaux de leurs pratiques, traditions et règles, exacerbe le rejet de ces autorités et des normes dont elles sont les gardiennes et renforce le maintien des premières, éventuellement sous couvert d’un discours pourfendant le « néo-colonialisme » et l’impérialisme dont ils seraient des vecteurs.
  10. On peut encore mentionner le renfermement des particularismes de tous bords qu’on observe partout dans le monde en réaction à l’universalisation de l’Etat-nation et à la mondialisation libérale57.
  11. Enfin, il ne faut pas mésestimer dans le contexte actuel le fait que ce droit que l’Etat africain veut imposer à sa population est perçu par une frange de celle-ci comme le décalque du droit européen importé par la violence dont les plaies ne sont pas cicatrisées, voire attisées par certaines personnes qui voient un intérêt personnel ou collectif dans leur lutte pour le pouvoir. Le droit étatique souffrirait ainsi d’une sorte de maladie congénitale.
  12. Plus pragmatiquement, les autorités exo-étatiques peuvent être dans une situation de force par rapport aux autorités étatiques de sorte que les individus, non convaincus de l’efficacité ou de l’impartialité des juridictions étatiques ou privilégiant l’appartenance non étatique à l’appartenance étatique, vont se détourner de ces dernières qui laisseront souvent les autorités exo-étatiques appliquer leur droit, fût-il contraire aux prescriptions étatiques.

3.2. Formes des résistances

  1. On assiste, comme ce fut le cas pour le droit colonial, à des contestations et résistances protéiformes mais partout présentes58. Il peut s’agir de contester et condamner ce droit59, notamment en ne le respectant pas, la référence aux droits traditionnels, coutumiers ou religieux pouvant être motivée par ce rejet des autres droits ou ne pas être motivée autrement que par recours à ceux-ci60.
  2. Il peut également s’agir de l’éviter en appliquant un autre droit et en se dirigeant vers des mécanismes exoétatiques qui peuvent prendre plusieurs formes.
    • Il peut s’agir de s’inspirer des mécanismes traditionnels en les adaptant aux nouvelles contingences, sans nécessairement faire appel au « chef » ou à l’imam ni s’en tenir à son « jugement », sans non plus se limiter à invoquer la règles traditionnelle ou religieuse, laquelle peut être absente de la querelle. Si l’issue principalement recherchée est l’apaisement et la conciliation, des sanctions peuvent être prononcées. La « procédure » peut comporter des éléments écrits. Un auteur a qualifié ce type de justice qu’on peut trouver en lieu rural comme en milieu urbain, de « justice néo-traditionnelle »61.
    • Il peut s’agir d’inventer de nouveaux mécanismes, notamment lorsque sont concernés des individus relevant de groupes ayant des mécanismes distincts.
  3. Il faut préciser le propos : le rejet peut porter sur une ou plusieurs règles particulières62 ; sur l’ensemble d’une branche du droit ou, comme on l’a vu, sur l’Etat lui-même et tout ce qui vient de lui63. Il pourra s’agir d’invoquer ouvertement les règles de droit religieux, coutumier et/ou traditionnel pour refuser d’obéir à la norme étatique ; il s’agira le plus souvent, on le verra, à défaut de pouvoir ignorer, de transiger et négocier.
  4. Il en résulte l’existence d’un très large système juridique « informel » qui se développe partout en Afrique dans la pénombre des autres droits64. Qu’on y songe, l’activité économique des Etats africains se fait à plus de 80% dans le secteur dit informel, c’est-à-dire hors de la réglementation économique étatique ! La presque totalité de la normativité en matière économique est donc non étatique sans être non plus d’origine précoloniale, les droits originellement africains étant anté-capitalistes.

4. L’hybridation des droits et la création de nouveaux droits informels

  1. Il peut y avoir des influences mutuelles des normativités, de sorte que des normes peuvent passer d’un ordre à un autre et exister dans différents ordres ou que des normes s’hybrident. Les individus procèdent en effet souvent dans les relations qu’ils entretiennent entre eux à des mélanges entre les droits exoétatiques et entre ceux-ci et ceux d’origine étatique, inventant des modes d’organisation entre ceux coutumiers et religieux, d’une part, et ceux étatiques, d’autre part65. Cela dit, l’invention peut également se faire sans égard à ces différentes normativités existantes et en s’en distinguant66, bien qu’il soit difficile d’imaginer que celles-ci n’aient aucune influence.
  2. On a déjà vu (« L’introduction du droit islamique en Afrique ») que, naguère, certaines populations d’Afrique avaient pu conserver leurs rites et coutumes tout en adhérant à la foi musulmane et en se soumettant au droit musulman que ces rites et coutumes ne respectaient pas toujours et qu’il en a résulté des hybridations entre droits « originels » et droit musulman67.
  3. Elles font de même avec les inventions de l’Etat, se les « appropriant » dans un sens qui n’était pas celui réputé voulu par ce dernier. Elles peuvent en effet réinterpréter les droits d’origine étatique en les modifiant ou en en inférant d’autres effets que ceux initialement prévus par leurs concepteurs68.
  4. Il peut s’agir également de produire un nouveau droit à base coutumière ou religieuse mais transformé par l’influence du droit moderne ou inversement. En effet, on l’a dit (« Les droits « originellement » africains »), la « coutume » appliquée par les populations n’est pas la tradition précoloniale69, mais a toujours été un droit en perpétuelle évolution. Ce droit a été modifié, adapté et repensé par l’arrivée des droits religieux, des droits coloniaux puis des droits étatiques des Etats indépendants et du droit international. Il est désormais fait d’un mélange de références au passé et à la « modernité » qui, à la fois, s’inspire et se détache de celle du nouvel Etat70.
  5. Sur un autre plan, les phénomènes de regroupement au sein de centres urbains de milliers voire millions de personnes relevant de droits coutumiers et religieux différents a pu favoriser d’autres hybridations et l’apparition de règles destinées à assurer leur coexistence. En effet, les droits exo-étatiques étant très divers et les énoncés et modes de réalisation de ceux-ci non centralisés, faisant appel à une pluralité d’entités agissant sur des groupes d’individus très différents, il fallait — il faut encore — inventer des juridicités aptes à permettre la cohabitation des populations et des droits qui les régissaient et les régissent. Ce phénomène d’urbanisation conduisit — et conduit encore — à une évolution de plus en plus rapide des coutumes et à la construction de nouvelles « juridicités » destinées à régir des situations et relations nouvelles dans un contexte de relâchement des liens communautaires traditionnels et religieux ainsi que des liens familiaux sous les assauts de l’individualisme. On songe notamment aux « coutumes urbaines » qui sont une des modalités de résolution des différends entre personnes ne relevant pas des mêmes droits exo-étatiques71.
  6. Un autre phénomène, qui peut être concomitant au premier, consiste pour les individus qui sont en mesure de le faire à jouer du pluralisme et à développer de véritables stratégies juridiques en décidant de se placer sous tel ou tel droit selon leurs intérêts, ce que, on l’a vu, le droit étatique permet lui-même dans une certaine mesure, ou de « négocier » l’application de l’un ou l’autre, voire d’un nouveau droit72. Déjà sous la colonisation, dans l’enchevêtrement de normativités plus ou moins effectives qu’on a vu (« L’arrivée des droits des Etats européens en Afrique »), se développèrent des normativités nouvelles nées de l’hybridité des droit préexistants et du droit colonial ou dans leurs interstices73.
  7. En somme, se sont affirmées et développées d’autres normativités de sources différentes qui interagissent entre elles74. Il en résulte souvent un ensemble juridique informel non cohérent et non homogène de règles, institutions, techniques et concepts provenant de systèmes juridiques et non juridiques différents, un pluralisme désordonné parcouru de tensions75. Il en résulte également que les nouveaux Etats africains n’ont pas plus réussi que les anciens colonisateurs à pénétrer entièrement la vie des Africains et à se substituer aux modes communautaires traditionnels et désormais nouveaux d’organisation de la vie sociale.
  1. Par exemple E. Le Roy, Le jeu des lois. Une anthropologie « dynamique » du droit, Paris, LGDJ, 1999, p. 74 : « le droit n’étant pas tant ce qu’en disent les textes que ce qu’en font les acteurs-citoyens » ; C. Moumouni & M. Gazibo, « La sociologie de l’Etat et la constitution en Afrique », in M. Kamto & J. Matringe (dir.), Droit constitutionnel des Etats africains, à paraître, Paris, Pedone, 2024, p. 62 : « Si l’Etat africain est un produit d’importation, il en est donc aussi du droit qui organise ses pouvoirs, à savoir la constitution. Selon l’adage romain au fronton des études de droit, « ubi societas, ibi jus » : là où est la société, là est le droit. Autrement dit, le droit est consubstantiel ou inhérent à la société. Or, la constitution – à laquelle toute l’architecture juridique est subordonnée – n’est pas tout à fait en Afrique contemporaine le produit de la société africaine. C’est ce qui explique que l’Etat africain et la société africaine, plutôt que d’être en symbiose par l’interface de la constitution, évoluent au contraire dans deux mondes parallèles qui sont connectés la plupart du temps par des normes et pratiques existentialistes, chacun luttant pour sa survie (Dans ce contexte, l’anthropologie de l’Etat est aussi nécessaire que la sociologie de l’Etat pour rendre compte des dysfonctionnements de l’Etat africain et sa disjonction avec la société. Victor Topkanou a montré, par exemple, comment la logique de survie et de sécurité individuelles des fonctionnaires, avec leurs référents traditionnels, a des répercussions sur le rapport qu’ils entretiennent avec l’Etat béninois : V. Topkanou, Introduction à la sociologie politique du Bénin, Paris, L’Harmatan, 2013, 118 p.). Dans un grand nombre de pays, l’ordre constitutionnel et étatique se juxtapose ou se superpose à l’ordre social ». ↩︎
  2. Voir également en matière économique, B. Hibou, « De la privatisation des économies à la privatisation des Etats. Une analyse de la formation continue de l’Etat », in B. Hibou (dir.), La privatisation des Etats, Paris, Karthala, coll. Recherches internationales, 1999, pp. 11-67, 15 : « Il faut notamment être particulièrement attentif aux relations occultes, au fonctionnement des différents réseaux d’appartenance (régionale, religieuse, ethnique, éducative, etc.) et à la dimension de l’invisible ». ↩︎
  3. W. Lehnert, “The Role of the Courts in the Conflict Between African Customary Law and Human Rights”, South African Journal on Human Rights, 2005, pp. 241-277, 271-272: “Contrary to the basic assumption of the principle of the separation of powers, African customary law is not created by the legislator in the same way as Western law. Customary law develops from practices in the community which are considered binding. This means that African customary law introduces a fourth actor to the trio of the legislature, executive and judiciary – the people or the communities who live by and create customary law. Although the legislature can codify the rules of customary law and the judiciary can lay down rules in precedents, neither institution creates, they merely reproduce or ascertain customary law. Hence, the doctrine of the separation of powers in its classic form does not appear to be appropriate in a customary law context. / Nonetheless, the doctrine may still serve as a guideline for finding a balance between the functions of the judiciary and the legislature in reforming the form of customary law applied by the state. Finding an exact definition of the different roles of the legislature and the judiciary in a constitutional democracy is one of the most difficult problems of constitutional law. For an abstract determination, it is thus helpful to recall one of the main ideas behind the separation of powers: the democratic principle. While the legislature as the organ with a higher democratic legitimacy is qualified to make the fundamental decisions in the state, the judiciary is precluded from adopting too active a role in creating law and is generally limited to interpreting it. However, since customary law is created neither by the legislature nor by the judiciary but by the communities themselves, the higher democratic legitimacy of the legislature can hardly be used as an argument in favour of its occupying a more important position in laying down customary law. Once again, the principle of the separation of powers is not helpful in determining different spheres of influence of the legislature and the judiciary”; p. 273: “Moreover, it is generally questionable whether the broad codification of customary law is even desirable [footnote omitted]. A written version of customary law mainly reflects contemporary conceptions of it and is in danger of falling rapidly behind social practices. The slow pace of legislative reform aggravates this problem. Furthermore, a written code ossifies customary law and thereby deprives it of one of its major advantages – its ability to adapt to changing circumstances (T.W. Bennett & T. Vermeulen, “Codification of Customary Law” (1980) 24 J of African Law 206; […]). Furthermore, a general code of customary law is not able to accommodate the major differences between different customary laws, in particular those between urban and rural areas and between different tribes”. ↩︎
  4. Pour une même analyse de l’importance de l’études des pratiques en économie, B. Hibou, L’Afrique est-elle protectionniste ? Les chemins de la libéralisation extérieure, Paris, Karthala, 1996, 334 p., 24 : « Les pratiques, c’est « ce que les gens font réellement » et l’objectif de leur description est « d’expliciter les combinatoires d’opérations qui composent aussi une « culture » et d’en extraire les modèles d’action caractéristiques ». En reprenant les expressions particulièrement éclairantes de M. de Certeau, la protection peut être alors considérée, non pas seulement comme l’ensemble des droits de douane et des barrières non tarifaires à l’importation, mais aussi en tenant compte des « manières d faire quotidiennes » de la protection ; autrement dit, en essayant de voir, très concrètement, comment les gens « l’utilisent, la subissent, la contournent, la modifient ». L’objectif de la description des pratiques de la protection est de montrer comment « les usagers « bricolent » avec et dans l’économie culturelle dominante », comment ils fabriquent aussi à leur manière la protection ; de révéler « les innombrables et infinitésimales métamorphoses de sa sa loi en celle de leurs intérêts et de leurs règles propres » ; de distinguer les opérations quasi microbiennes qui prolifèrent à l’intérieur des structures technocratiques et en détournent le fonctionnement par une multitude de « tactiques » articulées sur les « détails » du quotidien ou encore d’« exhumer les formes subreptices que prend la créativité dispersée, tactique et bricoleuse des groupes ou des individus (Toutes ces expressions sont tirées de M. de Certeau, 1980 (deuxième édition, 1990) ». ↩︎
  5. Sur cette porosité et les difficultés à catégoriser les phénomènes A. Daniel & D. Neubert, “Civil Society and Social Movements: Conceptual Insights and Challenges in African Contexts”, Critical African Studies, Vol. 11, No. 2, 2019, pp. 176-192. ↩︎
  6. Soit que ces acteurs défient l’autorité de l’Etat par principe (mouvements rebelles et indépendantistes, mouvements religieux fanatiques), soit qu’ils le contestent sur certains points (ONG, syndicats), soit encore qu’ils apparaissent et fonctionnent précisément pour combler des lacunes et failles des appareils étatiques et infra-étatiques. ↩︎
  7. O. de Frouville, « Une société servile à l’ONU ? », Revue générale de droit international public, 2006/2, p. 391 et s. ↩︎
  8. Sur ce phénomène, voir G. Mohan, “The Disappointments of Civil Society: The Politics of NGO Intervention in Northern Ghana”, Political Geography, Vol. 21, 2002, pp. 125-154, spéc. p. 145 et s. ↩︎
  9. Par exemple, une ONG de défense de l’environnement qui, pour protéger des forêts, exigera (parfois avec le soutien de grands émetteurs étrangers de carbone) que des peuples autochtones n’y aient plus accès ou ne puissent pas en jouir, s’opposera à une ONG dont le but est de protéger ces populations et de préserver leur mode de vie autochtone. ↩︎
  10. Sur ceux-ci entre les chefs et les projets, Jean-Pierre Olivier de Sardan, « L’espace public introuvable. Chefs et projets dans les villages nigériens », Revue Tiers Monde, vol. 40, n° 157, 1999, pp. 139–167. ↩︎
  11. Un certain nombre d’ONG peuvent ainsi entrer en conflit non seulement avec les autorités étatiques, mais également traditionnelles avec certains mouvements religieux, mais également collaborer avec eux. Sur ce point, entre autres J. Crystal, “The Human Rights Movement in the Arab World”, Human Rights Quarterly, Vol. 16, No. 3, 1994, pp. 448-449, au sujet des tensions, également politiques, entre l’AOHR et les islamistes qui réussirent toutefois à entretenir des relations de travail. ↩︎
  12. Voir notamment L. Bank & R. Southall, “Traditional Leaders in South Africa’s New Democracy”, Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 37, 1996, pp. 407-430 montrant la diversité des attitudes des chefs traditionnels à l’égard du droit étatique (sous l’apartheid et ensuite), les conflits et compromis entre les jeunes et les chefs (notamment au moyen d’une « justice mixte ») qui prennent des configurations différentes selon les régions et dans le temps et ont pu conduire le Président Mandela à intervenir pour amener les acteurs non étatiques à négocier. ↩︎
  13. Sur l’hétérogénéité des sociétés coloniales, voir notamment G. Balandier, « La situation coloniale : approche théorique », Cahiers internationaux de sociologie, Vol. 11, 1951, pp. 44–79, sp. pp. 61-62 et 69-70. ↩︎
  14. Voir ainsi T. Khalfoune, « Système juridique en Algérie – Un pluralisme normatif désordonné » Revue internationale de droit comparé Vol. 67 N° 2, 2015. La comparaison en droit public. Hommage à Roland Drago. pp. 409-436, 433 ss. ; S. Sait, “Not Just another ‘Custom’: Islamic Influence on African Land Laws”, in R. Home (ed), Essays in African Land Law, Pretoria University Law Press, 2011, 207 p., pp. 91-111, passim. ↩︎
  15. E. Cotran, “The Unification of Laws in East Africa”, The Journal of Modern African Studies, Vol. 1, No. 2, 1963, pp. 209-220, 214: “It is agreed that many rules of customary law are unacceptable in modern African societies. The unification of customary law, if coupled with reforms to meet modern conditions, will be a most useful step to get away from the antiquated past. The movements of the population and the mixing of peoples of different ethnic groups, particularly in urban areas, require that common rules regulating their affairs should emerge”. ↩︎
  16. Voir notamment, sous l’angle de la formation des conflits collectifs, J. Gilbert, “Indigenous Peoples and Litigation: Strategies for Legal Empowerment”, Journal of Human Rights Practice, Vol 12, 2020, pp. 301-320, 305-306: “Overall, the first hurdle of legal standing is already a significant step in the litigation process. It requires communities to counteract individualistic approaches to litigation and come up with solutions to name representatives. There are different ways to do so, but commonly one key element is the need to have strong, efficient and cohesive decision-making processes, since the cases involve collective decisions and nomination of representative plaintiffs. Engaging with litigation requires efficient decision-making structures within a community; traditional processes may require reinforcement or replacement by contemporary structures in order to adhere to the time-bound collective agreements required in litigation. It is also important to note that this process of nomination and representation is not always necessarily at ease with some of the individual rights of members of the concerned communities. In collective claims there is always a danger of the clash with individual rights. This is particularly acute when it comes to ensuring women’s rights, as the processes could be dominated by patriarchal systems of representation. As noted by Sylvain: ‘[W]hile collective rights can serve to promote and protect culture, women’s rights are often designed to protect women from the claims of culture. This tension becomes particularly problematic for indigenous women’ (R. Sylvain, “At the Intersections: San Women and the Rights of Indigenous Peoples in Africa”, International Journal of Human Rights, Vol. 15, No., 1, 2011, pp. 89–110, 91). There is no ready-made solution to address this as each situation differs, but the case of the Batwa in Uganda is a good illustration of how this could be addressed. The long process of community meetings to decide to go to court and to decide who should act as representative of the claim was time-consuming because it engaged the whole community, ensuring that the voices of the older, younger and women members of the community were integrated. As a result, many of the representative petitioners are women. Moreover, even where claims on behalf of a group or class are permitted, they will often need to be brought in the names of a subset of the group’s individual members, heightening the personal risk of reprisals against those individuals and weakening the collective framing of the claim. There have been increased levels of harassment, reprisal and violence against indigenous defenders. In 2019, Front Line Defenders recorded the killing of 304 human rights defenders, 40 per cent of whom were working on land rights, indigenous peoples’ rights and environmental rights (Front Line Defenders 2020: 7). Engaging in litigation and putting their name forward often attracts reprisals, something to bear in mind when engaging in litigation and putting the names of selected community representatives to the claim”. ↩︎
  17. A.A. Said, « Precept and Practice of Human Rights in Islam », Universal Human Rights, Vol. 1, No. 1, 1979, pp. 63-79, p. 69: “The national state model has required Islamic governments to enter into competition with traditional authority. This in turn has prompted the attempt to inject new values, interests, and goals in an effort to supplant those traditionally held or accepted. The majority of the Islamic states have not been able to institutionalize themselves firmly enough so as to make possible the normal functioning of government and the establishment of legitimacy”. ↩︎
  18. Sur les villes, The Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 51, Issue 2, 2019 – Special Issue: Cities and the contestation of human Rights between the Global and the Local ↩︎
  19. Pour une analyse de leur faiblesse dans les pays arabe, A.A. An-Na’im, “Human Rights in the Arab World: A Regional Perspective”, Human Rights Quarterly, Vol. 23, No. 3, 2001, pp. 701-732. ↩︎
  20. Requête n° 046/2016, arrêt du 11 mai 2018. ↩︎
  21. Ainsi certaines ONG organisent-elles ou participent-elles à des séminaires et ateliers avec la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et d’autres instances, notamment étatiques, universitaires ou encore onusiennes ainsi que des CER. Certains conduisent à l’adoption par ces différents acteurs de « Déclarations ». Voir par exemple Commission ADHP, 17 septembre 2004, Déclaration de Prétoria sur les droits économiques, sociaux et culturels en Afrique. Voir par exemple L. Guignard, « Le rôle des acteurs non-gouvernementaux dans la mobilisation juridique en faveur du Protocole de Maputo », Annuaire africain des droits de l’homme, 2017, pp. 107-124. Sur les ONG dans le cadre africain, voir dans ce blog « Bibliographie indicative – ONG et « société civile ». ↩︎
  22. Voir Mirna E. Adjami, “African Courts, International Law, and Comparative Case Law: Chimera or Emerging Human Rights Jurisprudence”, Michigan Journal of International Law, Vol. 24, 2002, pp. 103-167, 129. ↩︎
  23. Sur ce point au sujet des ONG dans les pays arabes, A.A. An-Na’im, “Human Rights in the Arab World: A Regional Perspective”, Human Rights Quarterly, Vol. 23, No. 3, 2001, pp. 701-732. Voir aussi M. Mubiala, Le système régional africain de protection des droits de l’homme, op. cit., pp. 115-116. ↩︎
  24. Sur ce dernier point, entre autres J. Crystal, “The Human Rights Movement in the Arab World”, Human Rights Quarterly, Vol. 16, No. 3, 1994, pp. 435-454, 448-449, au sujet des tensions, également politiques, entre l’AOHR et les islamistes qui réussirent toutefois à entretenir des relations de travail. ↩︎
  25. Voir notamment G. Balandier, « La situation coloniale : approche théorique », Cahiers internationaux de sociologie, Vol. 11, 1951, pp. 44–79, 49 et s. ↩︎
  26. « Dès le début du XIXe siècle, l’ensemble des pays sous-développés vont découvrir la modernité des sociétés occidentales par la pénétration coloniale. D’une part, cette découverte, et l’exaltation qui s’en est suivie, furent mêlés à des sentiments de malaise et d’inquiétude car la rationalité, qui a permis aux sociétés européennes de se développer, a servi également les colons dans l’exploitation et la domination de leurs colonies. D’autre part, les populations locales, exclues de ce mouvement d’épanouissement, ne pouvaient pas accéder à ce mode de vie et de pensée que les autorités coloniales ne cessaient d’ériger en mythe et en but de son entreprise de « civilisation » », H. Ben Hammouda, L’économie politique du post-ajustement, Paris, Karthala, 1999, 393 p., 18. ↩︎
  27. voir par exemple A. Yade, « Stratégies matrimoniales au Sénégal sous la colonisation. L’apport des archives juridiques », Cahiers d’études africaines [En ligne], 187-188 | 2007, mis en ligne le 15 décembre 2010, consulté le 18 juin 2020. ↩︎
  28. Dans ce second sens, V. Kangulumba Mbambi, Les droits originellement Africains dans les récents mouvements de codification : le cas des pays d’Afrique francophone subsaharienne, Les Cahiers de droit, Vol. 46, No. 1-2, 2005, pp. 315-358, 330-331 : « Les codes ne reconnaissent comme mariage valable que celui qui a été célébré par l’officier d’état civil, alors que, sur le plan pratique, cela n’est pas suivi par un très grand nombre de personnes. Ainsi, ni les époux intéressés, ni encore moins leurs familles respectives, ni non plus la société, personne ne peut dire que deux personnes sont mariées alors qu’elles ne sont pas passées par les formalités coutumières ! Le certificat de mariage ou l’acte d’enregistrement n’est pas une condition de fond du mariage. / « L’on ne se marie pas sur papier », est-il courant de dire en Afrique pour souligner que le mariage est d’abord et plus une affaire de deux groupes ou de deux familles. Il consacre l’alliance entre deux groupes. Cette alliance n’est valablement établie que par la remise de certaines valeurs matérielles ou symboliques (dot) et selon une procédure coutumière déterminée. Une union simplement célébrée par un officier d’état civil sans qu’elle ait été consacrée coutumièrement ne bénéficiera d’aucune « légitimité » auprès des premiers intéressés (d’abord les conjoints et, ensuite, leurs familles respectives) et même à l’égard de la société. / Cette conviction est suffisamment ancrée dans la pratique et le vécu quotidiens des Africains au point où le seul mariage véritable est le mariage coutumier. Le mariage civil n’est véritablement considéré que dans les rapports Etat-individu et non dans les rapports internes des familles. Au fond, il s’agit d’une question d’opposabilité ou d’effets. Le mariage enregistré ou célébré par l’officier de l’état civil est opposable à tous. Cependant, le mariage coutumier ne l’est qu’à l’égard de ceux qui ont assisté aux cérémonies [note omise] ». ↩︎
  29. G. Woodman, « Droit comparé général », in W. Capeller, T. Kitamura (dir.)., Une introduction aux cultures juridiques non occidentales autour de Masaji Chiba, Bruxelles, Bruylant, Bibliothèque de l’Académie européenne de théorie du droit, 1998, 288 p., 117-150, 129-130 : « un droit coutumier peut exister à l’extérieur et à côté de l’Etat, plutôt qu’être incorporé à l’intérieur du droit étatique. C’est souvent le cas dans les pays africains où le droit étatique a la prétention de remplacer ou de transformer le droit coutumier. L’Etat étant un contrôleur relativement inefficace des comportements sociaux, les gens ont tendance à continuer à agir en accord avec leurs droits coutumiers dans de telles circonstances, et le nouveau droit étatique risque d’être respecté seulement dans des situations qui sont entièrement à l’intérieur ou contrôlées sous tous égards par les institutions étatiques. Pour reprendre les exemples qu’on vient d’énoncer, le droit étatique peut, plutôt que d’accorder « reconnaissance » au droit coutumier, contenir des textes censés régler la succession, le mariage et les transferts de propriété foncière par des normes qui diffèrent de façon significative de celles du droit coutumier ; mais les gens peuvent en général continuer à suivre les normes coutumières dans ces domaines d’activité. Dans cet exemple, le droit étatique n’est pas tant l’arène pour les drames de pluralisme juridique qu’un des joueurs dans un drame plus étendu. Cette situation peut être qualifiée de pluralisme juridique profond ». ↩︎
  30. J. Gilbert, “Indigenous Peoples and Litigation: Strategies for Legal Empowerment”, Journal of Human Rights Practice, Vol 12, 2020, pp. 301-320, 317: “Equally important is the fact that litigation is only one chapter of a much larger struggle for justice. It should not become the only vehicle to seek justice. It must be part of a broader campaign that includes parallel processes of social mobilization. In these broader campaigns, litigation can be an important tool for indigenous communities who are politically, economically, and legally marginalized and discriminated. When used as part of a successful campaign, litigation challenges the perception that law and legal institutions are on the side of the powerful against indigenous peoples, and can constitute a significant empowering tool. To be empowering, litigation has to be placed in the larger struggle of indigenous peoples against encroachment on their lands and territories by corporations and investors which have an interest in exploiting their territories. This is an important element to bear in mind, as one obvious limitation of human rights litigation is the fact that corporations, investors and other private actors involved in violations of indigenous rights are largely not directly concerned. Although human rights litigation is important to challenge public authorities’ lack of respect and enforcement of indigenous rights, it has not yet become a strong platform to challenge the acts of private actors on indigenous territories. There is change on its way with increased focus on the responsibilities of private actors for human rights violations, and there is no doubt that litigation on indigenous rights will push the agenda even further. Until human rights law becomes able to also address these violations, it will remain a very limited platform of action for addressing this significant and growing threat to the realization of indigenous peoples’ rights”. ↩︎
  31. John W. Van Doren, “Death African Style: The Case of S.M. Otieno”, The American Journal of Comparative Law, Vol. 36, 1988, pp. 329-350, 347: “Common law reflects Western values, and there is in Kenya at least some unconscious aspiration toward those values. It is, after all, the capitalist model that has given common law its present character (note omitted). And international capitalism is the power that holds sway in the world. However, as Otieno indicates, Western liberalism’s professed credo of individualism and equality are at odds with the basic structure of traditional society. These traditional norms include much that is good-for example, communitarian concern within the ethnic group. Traditional society, however, also reflects male domination and its correlative sex discrimination (note omitted). The value conflict could not be clearer. / Finally, viewing these matters on a continuum, Western society has a legal structure which reflects the individualism on which it is based. There are remnants of communitarianism which reflect the contradiction in that society. On the other hand, Kenya reflects a communitarian ethic in its customary law’ (note omitted) with the superimposed Western ethics of individualism and capitalism in its legal system providing and creating contradiction in Kenyan society (note omise)”. ↩︎
  32. Voir notamment R. Bachand, Les subalternes et le droit international, Paris, Pedone, 2018. ↩︎
  33. Voir G. Hesseling, E. Le Roy, « Avant-Propos », Politique africaine, vol. 40, 1990, pp. 2-11, 11. ↩︎
  34. Voir par exemple l’affaire portée devant la Cour suprême d’appel d’Afrique du Sud et réglée par elle en application du droit étatique au sujet de la désignation d’un chef traditionnel : #The Supreme Court of Appeal of South Africa, 7 June 2017, Judgment, Sigcau and Another v Minister of Cooperative Governance and Traditional Affairs and Others (612/2016) [2017] ZASCA 80; [2017] 3 All SA 608 (SCA), Dambuza JA (Shongwe ADP, Navsa and Zondi JJA and Gorven AJA concurring). ↩︎
  35. Voir ainsi Prosper N. Mvondo, « La justice parallèle au Cameroun : la réponse des populations camerounaises à la crise de la Justice de l’Etat », Droit et Société, 2002/2-3, n° 51-52, pp. 369-381, 374-375 : « il y a longtemps que l’Administration étatique s’est substituée au pouvoir traditionnel dans l’esprit des populations camerounaises. Les espaces territoriaux autrefois gérés par les autorités traditionnelles se sont transformés en circonscriptions administratives avec, à leur tête, un administrateur qui sait s’imposer, au besoin par la force. Les populations ont adopté ces nouveaux « chefs » à qui l’on a finalement transféré des pouvoirs dévolus autrefois aux chefs traditionnels, entre autres le pouvoir de régler les litiges. / Au Cameroun, on entendra ainsi parler de « chef de terre » pour désigner le gouverneur de province [note omise], le préfet ou le sous-préfet ; non pas seulement parce que ces autorités ont une grande influence dans la distribution des terres du domaine national [note omise], mais aussi parce que les populations voient en ces personnalités de vrais remplaçants des chefs traditionnels qui autrefois se chargeaient aussi de la distribution des terres et… du règlement des litiges. / C’est la même image que l’on a du fonctionnaire chargé du maintien de l’ordre. Tout homme en uniforme de police ou de gendarmerie est appelé avec révérence « chef », ceci parce que, à l’image du chef traditionnel, il est l’incarnation de la force et de l’autorité. Il faut d’ailleurs noter que, de toutes les administrations, les plus sollicitées sont celles de la police et de la gendarmerie. Ceci s’explique aussi par la très forte implantation de ces services à travers le territoire. […]. Les citoyens en litige, dès lors qu’ils ne peuvent pas s’adresser à la justice officielle ou à toute autre instance informelle, transforment les bureaux des préfectures et sous-préfectures, les postes de police et de gendarmerie, en véritables « palais de justice ». On y dit un droit qui n’est pas toujours celui de l’Etat, mais les litiges y sont tout de même réglés à la grande satisfaction des plaideurs. / En prenant l’exemple des techniques de règlement des litiges utilisés par la police ou la gendarmerie, on constate que le procédé est simple. Une plainte est rédigée et déposée au poste de police. Quelquefois, les parties se présentent ensemble et exposent verbalement leur version des faits qui est consignée dans un « procès-verbal ». Le policier qui reçoit la plainte sait bien qu’il s’agit d’une affaire purement civile relevant de la juridiction civile, mais il a compris que les parties entendent faire de lui un juge dans un cadre purement informel. / Le procès ici n’est pas public. L’audience se tient dans le bureau du policier où celui-ci convoque les témoins et les entend. Il lui arrive parfois de faire des descentes sur le terrain. Le policier ici apparaît comme un arbitre du conflit. Si les parties ne s’entendent pas, il sera bien obligé de trancher le litige d’autorité. Pour l’exécution de la décision issue de ce procès, le policier va faire usage des instruments de l’Etat à des fins de coercition. C’est ainsi que la partie qui sera reconnue débitrice d’une somme d’argent, par exemple, sera incarcérée dans une cellule du poste de police jusqu’à ce qu’un parent ou un ami apporte ce qu’il faut pour le libérer. Au débiteur d’une obligation de faire, il est donné un délai pour s’exécuter. A défaut, il sera arrêté et incarcéré. Et c’est cette menace d’incarcération qui donne toute son efficacité à ce mode de règlement de litiges (Voir A. Mignot, « La justice traditionnelle, une justice parallèle », Penant, 1982, p. 29. Selon cet auteur, qui a observé la même pratique ailleurs en Afrique, « c’est […] cette possibilité de détention qui donne toute son efficacité à ce mode de règlement de litige ») ». Voir également M. Kamto, « La justice entre tradition et modernité », in J. Du Bois De Gaudusson & G. Conac (dir.), La justice en Afrique, Afrique contemporaine, n° spécial, 1990, p. 57 et s. ↩︎
  36. Namibia, Supreme Court, 18 June 2013, Erastus Tjiundikua Kahuure & another v. Minister of Regional and Local Government and Housing and Rural Development & others, Case No. SA 28/2012, Shivute CJ (Maritz JA et Mainga JA concurring) [Chefs – Autorités traditionnelles ¾ Règles coutumières locales ¾ Communautés traditionnelles] ; 1 : « This appeal arises from protracted legal proceedings essentially concerning a deeply regrettable and polarising dispute over the succession to the chieftaincy of the Ovambanderu Traditional Community”; 2: “The events giving rise to the proceedings may be summarised as follows: The Ovambanderu community has a proud lineage of leadership succession extending into history for many generations. To regulate the process, the community developed customary rules and practices by which a successor is determined after the passing of a Chief. The most recent undisputed Chief in that line of succession was the late Chief Munjuku II Nguvauva, who passed away on 16 January 2008. On his passing, the unfortunate dispute arose as to who should succeed him »; 3: “Shortly after his father’s passing, Keharanjo II Nguvauva was designated as successor to the chieftaincy by a section of the community and an application was subsequently made to the first respondent, the Minister of Regional and Local Government and Housing and Rural Development (the Minister), to have him recognised as Chief of the Mbanderu Traditional Authority in terms of the relevant provisions of the Traditional Authorities Act, 25 of 2000 (the Act). His claim to succession as Chief was, however, disputed by another section of the community which supported the third respondent’s succession to the position because he was the elder of the two and because the late Chief had allegedly proclaimed that to be his wish. The opposing factions submitted written petitions pursuant to s 12 of the Act to the Minister in which he was urged to investigate and resolve the dispute »; “[4] The Minister appointed a Ministerial Investigating Committee (the committee) to investigate the matter. After public hearings, the committee concluded that, according to the customary rules of succession applicable to the Ovambanderu Traditional Community, a child born of a Chief’s marriage is considered senior for purposes of succession to one born out of wedlock and that only a male child may be the ‘rightful successor to his father’. The committee found that Keharanjo II Nguvauva, who was born in wedlock, was the ‘senior son’ in the order of succession and recommended that he, rather than the third respondent, should be recognised as the Chief of the Ovambanderu Community »; “[5] In the alternative and ‘in the event that there is an objection about the senior son succeeding his father,’ the committee recommended that the dispute be resolved by invoking s 5(10)(b) of the Act ‘since Government was not there to exercise customary law on behalf of any traditional authority’. Paraphrased, the above section provides that, in the event of uncertainty or disagreement amongst the members of a traditional community regarding the applicable customary law, the members of the community may elect, subject to the approval of the Minister, a chief or head of the community by a majority vote »; puis peripeties et recours”; “[19] […] it is necessary first to preface the consideration of that issue with the discussion of the legal basis for the designation of a person as chief or head of a traditional community or traditional authority”; “[20] The designation of a chief or head of a traditional community is not exclusively a customary law issue. The process is also regulated by the Act. [détails]”; “[21] The Ovambanderu Traditional Community has adopted a constitution that appears to have codified certain aspects of its customary law, particularly in relation to the succession of a chief or head of the community. The constitution, titled ‘Ovambanderu Constitution’, has been relied upon by the parties on both sides and it is quite evident that its validity was not an issue in the Court below nor is it an issue in this Court. It has thus become necessary to refer to pertinent provisions of the Ovambanderu constitution. Evidently informed by Article 19 of the Namibian Constitution which provides that every person is entitled to enjoy, practise, profess, maintain and promote any culture, language, tradition or religion subject to the Constitution and to the rights of others or the national interest, the Preamble to the Ovambanderu constitution records that the community has established an Authority with the aim to promote unity, culture and ‘traditional development’. Chapter 9 of the Ovambanderu constitution provides for the designation, powers and functions of the Chief of the Community (styled in the constitution as the Paramount Chief or Ombara Otjiuru). However, nothing turns on the nomenclature, because due recognition is given in the Ovambanderu constitution that the statutory designation of the Paramount Chief is ‘Chief’. Clause 9.1(b) of the Ovambanderu constitution sets out the legal basis for the designation of the Chief essentially reciting the provisions of s 3(1) of the now repealed Traditional Authority Act, 1995 which had provided that the members of a traditional community may designate one person from amongst themselves, in accordance with the customary law of that community, who shall be instituted as chief of that community. The equivalent provision to section 3(1) of the repealed law can be found in s 4 of the Act, although the latter is much wider in its scope and ambit”; “[48 (Conclusion)] The principal issue in contention in the High Court was that of succession to the chieftaincy of the Mbanderu Traditional Authority. Since the second appellant wishes to defend her purported designation as Chief of Ovambanderu Traditional Community in customary law, she was required to establish a prima facie case that she was eligible to be designated as the chief or head of that community in accordance with the stipulations of the Ovambanderu constitution. This she has failed to do. To the extent that she sought to join the proceedings on the alternative basis as an ordinary member of the Ovambanderu Traditional Community, she did not make averments other than those made in relation to the allegation that she had been designated as chief of the community in customary law and the alternative ground should fail for the same reasons. She has, therefore, not established a prima facie case for standing to intervene in the counter-application. As regards the first appellant, the abandonment of the relief relating to the constitutionality of the rule of customary law then impugned in the counter-application of the second and third respondents has left the first appellant without any interest in the remaining prayers in the counter-application. He will accordingly not have any role to play in what remains of the counter-application. The appeal must accordingly be dismissed in respect of both appellants”. ↩︎
  37. M. Marks, J. Wood, J. Azzopardi & T. Xaba, “Reconfiguring State and Non-State Actors in the Provision of Safety in (South) Africa: Implications for Bottom-Up Policing Arrangements and for Donor Funding”, The Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, 43:63, 2011, pp. 49-72, 55-57. ↩︎
  38. C. Ntampaka, Introduction aux systèmes juridiques africains, travaux de la Faculté de droit de Namur, Presses universitaires de Namur, Namur, 2005, 190 p., 41 : « Parfois, on observe la pratique conjointe de la règle coutumière et du droit écrit, les personnes concernées n’osent pas enfreindre le droit traditionnel tout en se voyant obligées de suivre le droit écrit. […] ; il subsiste encore des résistances à l’introduction des règles étrangères » ; K. Adjamagbo, « Pluralisme juridique et pratiques successorales loméenne », Politique africaine, n° 40, décembre 1990, pp. 12-20, 12-13 : « Gardons-nous cependant de trop rapidement conclure à un rejet total des dispositions successorales modernes au profit des coutumes qui seraient appliquées exclusivement [dans le cadre d’un système déclarant la loi applicables aux seules personnes qui auront déclaré renoncer à leur statut coutumier] ! En réalité, cette situation d’absence de règles impératives va offrir à la pratique l’occasion de combiner les valeurs traditionnelles et modernes. Cette initiative laissée aux individus de choisir la solution juridique qui leur convient est saisie pour utiliser de façon sélective les normes – comme cela a d’ailleurs toujours été le cas avant l’adoption du code – selon qu’elles leur permettent ou non d’atteindre leurs objectifs [note omise]. Ainsi, les référents modernes et traditionnels s’imbriquent les uns dans les autres et, par leur action conjuguée, font la spécificité de pratiques urbaines qu’on pourrait qualifier de néo-communautaires ». ↩︎
  39. G. Hesseling & E. Le Roy, « Avant-Propos », Politique africaine, vol. 40, pp. 2-11, 5-6 : « des hommes de coutume, se sont saisis des opportunités qu’offrait le nouveau discours de l’Etat pour l’apprivoiser à la manière du « petit prince » de Saint-Exupéry devant apprendre à domestiquer le renard. / Ce que la littérature présentait au début des années soixante comme « les résistances traditionnelles au droit moderne (M. Alliot, « Les résistances traditionnelles au droit moderne dans les Etats d’Afrique francophone et à Madagascar », in J. Poirier (dir.), Etudes de droit africain et de droit malgache, Paris, Editions Cujas, 1965, pp. 235-256), puis comme une acculturation juridique forcée, ou « occidentalisation », se révèle maintenant autrement plus complexe. / En particulier, les modèles binaires dont parle S. Falk Moore (S. Falk Moore, Social Facts and Fabrications. Customary Law on Kilimanjaro, 1880-1980, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 231 (The Lewis Henry Morgan Lectures 1981) ont été ruinés. Il est aussi vain de raisonner en termes de centre et de périphérie ou de tradition et de modernité, que de coutume et de loi ». ↩︎
  40. M. Alliot, « Le miroir noir. Images réfléchies de l’Etat et du droit français », Bulletin de liaison du LAJP, n° 2, 1980, pp. 76-86 ; rééd. in Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie, Paris, Karthala, 2003, 400 p., 105-111, 110 ; M. Thioye, « Part respective de la tradition et de la modernité dans les droits de la famille des pays d’Afrique noire francophone », Revue internationale de droit comparé, Vol. 57, n° 2, 2005, pp. 345-397, 350 : « Les droits africains originels de la famille, qui sont d’une existence et d’une originalité certaines, demeurent plus que jamais vivaces même s’ils ont connu des agressions et des métamorphoses incontestables ». ↩︎
  41. C. Ntampaka, Introduction aux systèmes juridiques africains, travaux de la Faculté de droit de Namur, Presses universitaires de Namur, Namur, 2005, 190 p., 41 : « Contrairement à ce qu’on espérait au début, l’influence européenne n’est pas totale. Même dans les villes, les habitants continuent à vivre suivant des représentations religieuses traditionnelles, des méthodes de travail propres à des structures politico-sociales à mi-chemin entre les pratiques et les traditions (note : J. Jahn, Muntu l’homme africain et la culture négro-africaine, Paris, Seuil, 1961, p. 7] » ; p. 80 : « Actuellement, les règles de droit écrit cèdent devant les pratiques généralisées, parfois contra legem, entretenues par la population avec la complicité des juridictions et même de l’administration. Ce pluralisme de droit a cessé d’être légal, mais s’impose de fait dans les règles régissant l’organisation familiale, le domaine foncier, les successions, etc. » ; J. Pauwels, « Le droit urbain de Kinshasa », Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 42, 1998, pp. 9-20., p. 10 : « Dans ce domaine des droits particuliers, surtout en matière de droit civil, la grande majorité des rapports juridiques entre Africains, ruraux comme citadins, est régie par le droit coutumier. Pourtant ils pourraient soumettre leurs rapports juridiques au droit écrit. Mais en pratique peu usent de cette faculté, surtout en matière familiale […] ». Voir l’exemple des Chaga in Sally F. Moore, “Law and Social Change: The Semi-Autonomous Social Field as an Appropriate Subject of Study”, Law and Society Review, Vol. 7, No. 4, 1973, pp. 719-746, 729 ss., sp. 734: “It is only insofar as law changes the relationships of people to each other, actually changes their specific mutual rights and obligations, that law effects social change. […]. Most Chagga are living where they lived before 1963 as they lived before 1963. The semi-autonomous social field that dominates rural Chagga life is the local lineage-neighborhood complex; that complex of social relationships having much to do with land rights continues intact and almost unchanged by the 1963 Act ». ↩︎
  42. F. Loureiro Bastos, « Customary Law in Lusophone Africa (Angola, Guinea-Bissau and Mozambique”, in M. Kamto et J. Matringe (dir.), Droit constitutionnel des Etats africains, à paraître, Paris, Pedone, 2024, p. 13: “The constitutional framework of these issues is, however, only the starting point for an appropriate approach to the problems that are posed by the existence of customary law and also by the traditional mechanisms of conflict resolution based on those norms. It should be emphasized that the use of traditional mechanisms of conflict resolution based on customary law does not seem to be a way to counteract a judiciary system of western origin but rather a way to overcome their inadequacy, or their absence, in many parts of the territories of Angola and Mozambique. Because of its consonance with the cultural identity of the people they cover, the traditional mechanisms of conflict resolution have functioned without their institutionalization being necessary, despite the incompatibilities that they may have in relation to the written law of western origin”. ↩︎
  43. E. Cotran, “The Unification of Laws in East Africa”, The Journal of Modern African Studies, Vol. 1, No. 2, 1963, pp. 209-220, 218-219: « should the new law depart too much from the customary law, it is unlikely to be followed. A glaring example is to be found in the three East African Marriage Ordinances, each of which contains a provision forbidding Africans from marrying under native law and custom if they had previously contracted a marriage under the Ordinance. It is no secret that in fact the majority do so marry again and are never prosecuted. Another example from Kenya is that, despite provisions to the contrary in the registered land areas, succession under native law and custom still takes place ». ↩︎
  44. J. Vanderlinden, « Production pluraliste du droit et reconstruction de l’Etat africain » (première version d’un texte à paraitre), Afrique contemporaine, 2001, p. 2-3 [En ligne]. https://bit.ly/2Wyi74D, § 1 : « Non seulement les solutions préconisées dans les formulations législatives ont été considérées comme totalement étrangères – ce qu’elles étaient objectivement – aux conceptions locales, mais encore ceux qui avaient, dans le système étatique, la responsabilité de les appliquer – donc les juges – se sont vus discrédités d’abord, ignorés ensuite par les justiciables » ; T. Khalfoune, « Système juridique en Algérie – Un pluralisme normatif désordonné » Revue internationale de droit comparé Vol. 67 N° 2, 2015. La comparaison en droit public. Hommage à Roland Drago. pp. 409-436, 424-425 : « Si, très souvent, le droit antérieur sert de « texte martyr », de première ébauche, il subit en revanche fréquemment de profondes modifications au point où il finit parfois par s’écarter substantiellement des règles originales. Il n’y a à cela rien d’étonnant, car comme dans tout phénomène d’emprunt, les concepts recueillis sont réinterprétés en fonction du contexte d’accueil. Un concept juridique, une fois sorti de son contexte, doit composer avec des réalités juridiques locales. / L’influence d’un droit sur un autre ne peut, en réalité, dépasser certaines limites parce qu’il existe des mécanismes spontanés de résistance propre à chaque système de droit, qui font que toute réception d’un concept n’a quasiment aucune chance de se reproduire tel quel. Le contexte politique, économique et social, dans lequel il s’s’insère, lui fait nécessairement subir des transformations qui sont parfois loin d’être superficielles. / Même si le droit algérien demeure pour l’essentiel un droit de tradition juridique française, la réalité telle qu’elle se dégage des faits et des différents textes est un peu plus complexe : il est frappant de constater que l’on est en présence non pas d’une seule source de normativité, mais de multiples sources formant un pluralisme normatif complexe et syncrétique ». ↩︎
  45. H. Ben Hammouda, L’économie politique du post-ajustement, Paris, Karthala, 1999, 393 p., 19. ↩︎
  46. B. Ibhawoh, “Between Culture and Constitution: Evaluating the Cultural Legitimacy of Human Rights in the African State”, Human Rights Quarterly, vol. 22, n° 3, 2000, pp. 838-860, 845. “National human rights provisions have not had full effect on African society because cultural practices persist that have great limitations on constitutional human rights guarantees. Constitutional and legal forms for recognizing and protecting human rights manifest shortcomings that result from the continuing conflicts with « traditional » cultural definitions and practices” et p. 849: “as the African preparatory meeting for the Beijing Women’s Conference concluded in its report on the conditions of women’s rights, « constitutional rights [in Africa] are abrogated by customary and/or religious laws and practices » (note: U.N. Draft African Platform for Action, Fifth African Regional Conference on Women, Dakar Senegal, 16-23 Nov. 1994, Doc. E/ECA/ACW.V/EXP/WP.6/Rev.4, (1994))”. ↩︎
  47. J.-F. Bayart, I. Poudiougiou & G. Zanoletti, L’État de distorsion en Afrique de l’Ouest. Des empires à la nation, Paris, Karthala, 2019, 158 p., 62 : « Les sociétés maliennes actuelles sont pour l’essentiel issues des structures qui ont prévalu à l’époque des grands empires ouest-africains, et particulièrement de l’empire du Mali. La stratification sociale et la répartition du travail ont une influence considérable sur la destinée de chacun des groupes qui composent actuellement le pays. Ces structures sociales ont connu des mutations dans le temps, mais sans pour autant perdre de leur performativité depuis plusieurs siècles. Le cas de Djenné s’inscrit dans cette dynamique de groupes socialement distingués selon leurs métiers d’origine, mais qui ont fini par prendre des formes plus rigides, laissant une impression d’homogénéité au sein de ceux-ci. / Les Bozo, les Peulhs du Perou et les Djennenké s’inscrivent d’une manière ou d’une autre dans ces dynamiques. Ce qui est frappant n’est pas le fait que chaque groupe ait un récit qui lui soit propre. C’est plutôt que ces différents récits constituent des moyens auxquels les trois groupes ont recours pour se tailler une position sociale. Ces récits ont des fonctions opératoires dans des situations précises, et constituent une sorte de mémoire collective partagée par les membres qui constituent le groupe ». ↩︎
  48. M. Alliot, « Modèles sociétaux : les communautés », Bulletin de liaison du LAJP, n° 2, 1980, pp. 87-93 ; rééd. in Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie, Paris, Karthala, 2003, 400 p., 73-78, 76. ↩︎
  49. C. Ntampaka, Introduction aux systèmes juridiques africains, travaux de la Faculté de droit de Namur, Presses universitaires de Namur, Namur, 2005, 190 p., p. 10 : « Il se crée ainsi un fossé entre le droit que le peuple suit et le droit que le législateur impose ; ce dernier est ressenti comme un élément extrinsèque pouvant porter atteinte à la cohésion sociale. La domestication du droit occidental rencontre ainsi des obstacles non seulement d’ordre technique mais également d’ordre psychologique, parce qu’il ne représente pas toujours le juste, l’idéal de la justice recherché » ; Sally E. Merry, “Legal Pluralism.” Law and Society Review, Vol. 22, No. 5, 1988, pp.869-896, 871-872: “As post-colonial societies endeavor to adopt uniform state law, however, they meet with pockets of intense resistance from these groups whose law has been preserved in some fashion (see further, Geerts, 1983:228)”. ↩︎
  50. E. Alber & J. Sommer, « Quand l’application du droit national est déterminée par la demande locale », Cahiers d’études africaines, Vol. 44, Cahier 175, 2004, pp. 659-680, 661. ↩︎
  51. “The presence of white, expatriate, or English-trained judges on the courts of southern African States was also considered by some to be a vestige of colonialism, diminishing the judiciary’s legitimacy as an indigenous postcolonial institution (See Chidi Anselm Odinkalu, « The Judiciary and the Legal Protection of Human Rights in Common Law Africa: Allocating Responsibility for the Failure of Post-Independence Bills of Rights », 8 African Society of International & Comparative Law Proceedings 124 (1996), at 131. Furthermore, Odinkalu notes that certain judiciaries « looked to the wrong sources for guidance » in interpreting their national constitutions, such as the parliamentary system in England and to the jurisprudence of apartheid South Africa. See id.) », Mirna E. Adjami, “African Courts, International Law, and Comparative Case Law: Chimera or Emerging Human Rights Jurisprudence”, Michigan Journal of International Law, Vol. 24, 2002, pp. 103-167, 125. ↩︎
  52. Voir notamment Prosper N. Mvondo, « La justice parallèle au Cameroun : la réponse des populations camerounaises à la crise de la Justice de l’Etat », Droit et Société, 2002/2-3, N° 51-52, pp. 369-381, 370. ↩︎
  53. E. Alber & J. Sommer, « Quand l’application du droit national est déterminée par la demande locale », Cahiers d’études africaines, Vol. 44, Cahier 175, 2004, pp. 659-680, 662. ↩︎
  54. Ibid., pp. 666-668. ↩︎
  55. J. Vanderlinden, « Production pluraliste du droit et reconstruction de l’Etat africain » (première version d’un texte à paraitre), Afrique contemporaine, 2001, p. 2-3 [En ligne]. https://bit.ly/2Wyi74D, § 1 : « Dire le droit a, dans le modèle juridique imposé par le colonisateur en Afrique, toujours été tellement associé à la fonction étatique, qu’il était impossible que le déclin de l’un fût sans incidence sur l’autre et vice-versa » ; G. Hesseling & E. Le Roy, « Avant-Propos », Politique africaine, vol. 40, 1990, pp. 2-11, 11 « Tant que les performances des instances juridiques, administratives et judiciaires étatiques n’auront pas apporté l’assurance d’une plus grande efficacité des dispositifs et des formalismes officiels, le plus grand nombre des acteurs continuera à recourir à des formes plus ou moins métissées et coutumières d’encadrement des sociétés ». ↩︎
  56. H. Ben Hammouda, L’économie politique du post-ajustement, Paris, Karthala, 1999, 393 p., 7 « La déstructuration de l’univers de légitimation de l’Etat est accentuée par le dépouillement de ses prérogatives en matière de décision économique, de choix de développement et de régulation sociale par des instances supranationales (FMI, Banque mondiale) dans le cadre de la mondialisation ». ↩︎
  57. J.-F. Bayart, I. Poudiougiou & G. Zanoletti, L’Etat de distorsion en Afrique de l’Ouest. Des empires à la nation, Paris, Karthala, 2019, 158 p., 7 : « Cette séquence [d’une combinatoire associant l’expansion du mode de production capitaliste et l’universalisation de l’Etat-nation comme mode d’organisation politique] , dont nous ne sommes pas sortis […], s’est paradoxalement accompagnée de la cristallisation et de l’exacerbation de formes particularistes d’identification sociale, dont l’ethnicité et la confession religieuse sont les deux principales manifestations sur l’ensemble du continent africain ». ↩︎
  58. Sally E. Merry, “Legal Pluralism”, Law and Society Review, Vol. 22, No. 5, 1988, pp. 869-896, 871-874: “Yet, on closer inspection, even dominant colonial legal orders failed to penetrate fully, encountered pockets of resistance, and were absorbed and co-opted, as Kidder has shown clearly in the Indian case (1974; 1979)”. ↩︎
  59. M. Alliot, « Le miroir noir. Images réfléchies de l’Etat et du droit français », Bulletin de liaison du LAJP, n° 2, 1980, pp. 76-86 ; rééd. in Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie, Paris, Karthala, 2003, 400 p., 105-111, 110. ↩︎
  60. F. Okafor, “From Praxis to Theory: A Discourse on the Philosophy of African Law”, Cambrian Law Review, Vol. 37, 2006, pp. 37-48, 43 : “even though the courts have declared such customs a repugnant to natural justice or morality, such declaration does not significantly change things. Ogundare, J.S.C. reaffirmed this fact when he stated in Okonkwo v. Okagbue [No internet 07/09/2023] that: A declaration by the courts that a particular custom is repugnant to natural justice, equity and good conscience, does not necessarily imply that such customary law is illegal, for sometimes the practice goes on publicity after the judges decision. In such a case, all that the courts can legitimately do, and have done, is to refuse to enforce the customary law in question. » / The practice goes on after the judges’ decision because the laws and custom in question derive their authority from the ancestors”. Voir également M. Ndulo, “African Customary Law, Customs, and Women’s Rights”, Indian Journal of Global Legal Studies, Vol. 18, 2011, pp. 87-120 : « In a typical African country, the great majority of people conduct their personal activities in accordance with and subject to customary law”. ↩︎
  61. Prosper N. Mvondo, « La justice parallèle au Cameroun : la réponse des populations camerounaises à la crise de la Justice de l’Etat », Droit et Société, 2002/2-3, N° 51-52, pp. 371 et s. ↩︎
  62. On songe notamment à l’interdiction des mutilations génitales féminines. Ainsi, malgré les développements du droit international en la matière et le fait que les Etats africains se réfèrent à lui dans les droits internes et ont établi des normes en ce sens, malgré également quelques condamnations par des juges internes, on observe un maintien des droits coutumiers et traditionnels prescrivant ou tolérant les mutilations génitales féminines. ↩︎
  63. Voir notamment M. Alliot, « Le miroir noir. Images réfléchies de l’Etat et du droit français », Bulletin de liaison du LAJP, n° 2, 1980, pp. 76-86 ; rééd. in Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie, Paris, Karthala, 2003, 400 p., 105-111, 110. ↩︎
  64. « Dans la mesure où le droit officiel est peu appliqué, on ne peut que présumer l’existence d’un vaste secteur juridique informel, aucune société ne pouvant vivre sans droit. […]. Il est difficile de connaître ce secteur autrement que par des enquêtes sociologiques, puisqu’il n’existe pas légalement : ni les textes, ni les jugements n’en tiennent directement compte », N. Rouland, Aux confins du droit. Anthropologie juridique de la modernité, op. cit., p. 194. ↩︎
  65. Voir notamment K. Nubukpo, Une solution pour l’Afrique. Du néoprotectionnisme aux biens communs, Paris, Odile Jacob, 2022, 295 p., 77 : Entre la règle coutumière et la législation foncière « un droit hybride, composite, métissé, se forme en marge du système de droit positif grâce à la sédimentarisation d’un ensemble de pratiques opportunistes, dictées par l’apparition d’enjeux nouveaux et très souvent promus par les administrations dont le niveau de délitement n’a d’égal que le dénuement où elles se trouvent » ; Jean-Pierre Olivier de Sardan, « L’espace public introuvable. Chefs et projets dans les villages nigériens », Revue Tiers Monde, vol. 40, n° 157, 1999, pp. 139–167, 144 : « Le chef de canton juge en appel des chefs de villages, pour toute une série de conflits et contestations, pour l’essentiel des litiges fonciers, des querelles d’héritage, des affaires de divorce ou d’adultère, des bagarres entre individus, des larcins, des conflits entre éleveurs et agriculteurs. Il applique, le plus souvent sans l’aide d’un « cadi », un mélange de droit coutumier et de droit islamique, aux frontières imprécises, avec une large marge d’évaluation personnelle ». ↩︎
  66. N. Rouland, Aux confins du droit. Anthropologie juridique de la modernité, Paris, Odile Jacob, 1991, 318 p., 144-145 : « Les droits populaires (ils existent aussi dans nos sociétés occidentales) occupent une aire étendue, au moins aussi grande que celle du droit étatique, mais difficile à explorer en raison de leur caractère non officiel. Catégorie maximale du pluralisme juridique, ils se forment en dehors des instances étatiques, aussi bien en zone urbaine que rurale. Ils s’éloignent également assez souvent des droits traditionnels et de leurs solutions héritées du passé, car ils sont essentiellement innovants. Leçon à bien retenir, et à répéter aux partisans volontaristes du « tout Etat » : le droit issu du peuple n’est pas seulement celui qu’il tire du passé, mais un droit qu’il sait aussi bien inventer que le législateur moderne (l’anthropologue sait bien que les mythes ont une histoire, se transforment et se créent à toute époque ; l’historien du droit se souvient de l’adage médiéval « Coutume se remue », preuve qu’elle n’est pas que la fossilisation du passé). D’ailleurs ces différentes catégories de droit ne sont pas étanches : telle une comète, une règle peut passer de l’une à l’autre, et un système subir la force d’attraction de ses voisins. Les politiques d’authenticité juridique élaborées depuis quelques années par certains Etats africains mélangent d’ailleurs des dispositions issues du droit étatique et des droits traditionnels ou coutumiers, preuve que ces derniers peuvent modifier le premier, s’opposant au mouvement inverse que nous avons trop tendance à seul considérer ». ↩︎
  67. Voir également G.-A. J. Kouassigan, Quelle est ma loi ? Tradition et modernité dans le droit de la famille en Afrique noire francophone, Paris, Pedone, 1974, 311 p., 103 : « les coutumes négro-africaines semblent avoir renoncé depuis longtemps à délimiter ceux qui demeurent soumis à leur compétence. En effet elles faisaient une plus stricte application du principe de la personnalité des lois en raison de la conception ethno-endogamique du mariage ; la filiation déterminait la coutume applicable à chaque individu et la coutume tirait sa force de la tradition selon laquelle chaque individu devait suivre la loi de ses ancêtres. Mais l’entrecroisement progressif des ethnies a fait perdre à celles-ci leur individualité et le passage du système matrilinéaire au système patrilinéaire de filiation a provoqué de profonds changements dans la détermination de la coutume compétente pour chaque personne. On ne remonte plus aux ancêtres, on s’arrête au père qui transmet sa loi à ses enfants. La fusion progressive des ethnies a fait perdre à chaque système coutumier primitivement défini dans le cadre d’une culture homogène, son originalité. Il s’est alors dégagé un fond commun coutumier. Et cette fusion des coutumes se réalise d’autant plus facilement que les écarts différentiels de culture entre les diverses ethnies ne sont pas grands. Ce fond commun se constitue à partir des pratiques et des mœurs en vigueur dans chaque région. C’est l’évolution, non voulue et inconsciente, vers la conception territoriale de la loi. Il se constitue une « consuetudo loci » dont on s’inspire pour régler les litiges même lorsqu’on affirme formellement qu’on applique les règles d’une coutume déterminée ». ↩︎
  68. N. Rouland, Aux confins du droit. Anthropologie juridique de la modernité, Paris, Odile Jacob, 1991, 318 p., 144-145 : « Le droit local résulte souvent de mécanismes de réinterprétation d’institutions étatiques : l’Etat post-colonial crée des entités nouvelles, que les autochtones comprennent et font fonctionner à leur manière, qui n’est pas forcément celle qu’avait prévue l’administration. Le phénomène est fréquent en matière de réformes foncières : sous le brillant de sigles forgés dans les bureaux climatisés des fonctionnaires et désignant des personnes morales de droit public, on voit vite réapparaître, à l’initiative des paysans, d’anciens modes d’exploitation de la terre et de règlement des litiges fonciers » ; M. Alliot, « Ce que repenser les droits africains veut dire », in C. Kuyu (dir.), Repenser les droits africains pour le XXIe siècle, Yaoundé, Menaibuc, 2001, pp. 51-64, rééd. in Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie, Paris, Karthala, 2003, 400 p., 95-102, 98-99 : « Fernand Braudel nous a appris à discerner la longue durée sous les variations de l’instant. Et l’on voyait bien que les institutions récemment venues du Nord étaient d’autant plus facilement importées qu’elles étaient ré-interprétées en fonction de réflexes séculaires puissants, bien que les institutions auxquelles ces derniers avaient été liés fussent disparues depuis parfois longtemps. Le temps de la mentalité dépasse celui des institutions auxquelles elle a donné sens : il continue à donner sens à celles qui les remplacent. Le passé de la société qui importe une institution du Nord, lieu où celle-ci accompagnait des pratiques avec un sens déterminé, génère d’autres pratiques avec un sens différent ». Voir également V. Kangulumba Mbambi, « Les droits originellement Africains dans les récents mouvements de codification : le cas des pays d’Afrique francophone subsaharienne », Les Cahiers de droit, Vol. 46, No. 1-2, 2005, pp. 315-358, 328 : « là où elle est interdite, [la polygamie] se pratique impunément et même sous de nouveaux labels comme celui de « bureau ». Il en est ainsi, spécialement, dans les villes de Congo/Kinshasa et de Congo/Brazzaville, d’une pratique sociale ayant donné naissance à un type d’union matrimoniale appelée « bureaugamie ». ↩︎
  69. J. Pauwels, « Le droit urbain de Kinshasa », Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 42, 1998, pp. 9-20, p. 9 : « Qui dit coutume évoque la tradition, les lois des ancêtres, les rites et procédés où l’élément juridique se distingue à peine de la magie et du folklore. Cette conception hélas trop répandue témoigne d’une ignorance générale de la richesse et de la variété du droit coutumier » ; p. 10 : « droit coutumier ou africain ne signifie pas nécessairement droit basé sur les usages de la communauté. Ce terme quelque peu confus désigne l’ensemble des règles et solutions juridiques sanctionnées par les tribunaux coutumiers. Or ces tribunaux ont fait œuvre créatrice. Leur jurisprudence s’est non seulement inspirée des solutions traditionnelles, mais a aussi largement puisé aux sources du droit occidental ; […]. Par conséquent, il serait souvent plus heureux de désigner ce droit coutumier par le terme ‘droit jurisprudentiel’ ». ↩︎
  70. Voir notamment G. Hesseling, E. Le Roy, « Avant-Propos », Politique africaine, vol. 40, 1990, pp. 2-11, 10 : « Il y a là un dualisme apparent qu’il faut savoir interpréter. La « loi du village » dont parle cet informateur sénégalais n’est plus […] une coutume conçue comme la stricte application de normes issues de la période précoloniale et expression de la volonté des ancêtres. Dans le nord comme dans le sud du Sénégal (E. Le Roy, « L’esprit de la coutume et l’idéologie de la loi à travers des exemples contemporains », La connaissance du Droit en Afrique, Bruxelles, ARSOM, 1984, p. 210.), de l’ouest à l’est de l’Afrique, nous avons pu constater que cette coutume précoloniale a été repensée, réexpliquée et adaptée à des situations nouvelles. La « loi du village » n’est plus la coutume mais une expression normative spécifique produite par l’effet novateur des normes exogènes imposées à ces sociétés depuis l’époque coloniale » ; N. Rouland, Aux confins du droit. Anthropologie juridique de la modernité, Paris, Odile Jacob, 1991, 318 p., 144-145. ↩︎
  71. A. Chaibou, « La Jurisprudence nigérienne en droit de la famille et l’émergence de la notion de coutume urbaine », Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 42, 1998, pp. 157-170. ; M.-C. Foblets & F. Reyntjens, « Champs Normatifs Urbains en Afrique Contemporaine », Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 42, 1998, pp. 5-8, 5 : « L’hétérogénéisation croissante de la population stabilisée dans les centres urbains est devenue une réalité structurelle de la ville africaine : des noyaux importants de civilisation rurale ont été drainés vers les centres urbains et industrialisés. En raison de l’implantation en ville de dizaine de milliers de ressortissants liés à des cultures et ethnies éparses et de la profonde transformation de la nature des relations sociales que cette implantation en ville entraîne, les pouvoirs en place et les autorités judiciaires, pour autant que ces dernières soient instrumentées, sont acculés depuis quelques années à revoir leurs politiques dans le sens d’un pluralisme inédit, de traditions et de civilisations ethniques éparses, mieux adapté aux nouvelles réalités sociologiques de la ville africaine. […]. Les vagues successives d’immigration mettent en présence des expressions de civilisations juridiques profondément divergentes et souvent incompatibles entre elles et qui rendent extrêmement délicate et complexe la recherche du droit à leur appliquer » ; Jan M. Otto, “The Supreme Court of Niger and Polynormativism in Urban Centres – A Comment on Abdourahaman Chaibou”, Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 30, Issue 42, 1998, pp. 171-178. ; J. Eckert, “Urban governance and emergent forms of legal pluralism in Mumbai”, Journal of legal pluralism and unofficial law, Vol. 50, 2004, pp. 29-60. ↩︎
  72. M.-C. Foblets & F. Reyntjens, « Champs Normatifs Urbains en Afrique Contemporaine », Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 42, 1998, pp. 5-8, 6 : « Certains auteurs, à travers leurs observations de terrain voient fonctionner des formules de droit négocié. Formules qui consistent à laisser aux justiciables le soin de faire eux-mêmes le choix du système de droit à leur appliquer. L’electio juris – bien connue des techniques de conflits de lois et de juridiction – ou, selon les cas, la négociation du droit, clairement posées, seraient en quelque sorte mieux à même d’intervenir directement pour désigner la loi applicable, lui garantissant une plus grande légitimité aux yeux des parties impliquées. Sur le plan anthropologique, ces solutions touchent à la structure même de la société africaine, lui fournissant des règles de gestion qui soient plus proches, plus familières des collectivités impliquées. La multiplication des situation de droit, caractérisées par une concurrence de systèmes normatifs qui leur sont potentiellement applicables, dans l’évolution du droit dans la plupart des villes africaines, laissant dans de nombreux secteurs du droit des plages toujours plus larges à la volonté des parties, légitime de l’avis de certains auteurs que l’option de droit, voire l’auto-régulation, deviennent davantage la règle de base du règlement des conflits impliquant des collectivités urbaines ». ↩︎
  73. G. Otis, « Les figures de la théorie pluraliste dans la recherche juridique », in G. Otis (dir.), Méthodologie du pluralisme juridique, Paris, Karthala, coll. 4 vents, 2012, pp. 9-24, 13 : « Les situations coloniales et postcoloniales ont constitué un laboratoire privilégié d’étude plurale du droit notamment en raison de la prégnance des traditions juridiques non occidentales avec lesquelles les droits occidentaux sont entrés en contact à la faveur de l’entreprise de colonisation des peuples d’outre-mer. On a dès lors pu montrer l’altérité parfois profonde des cultures juridiques non occidentales, les flux et reflux des moments de résistance, de collaboration, de métissage et de conflit qui ont marqué les rapports entre les univers culturels et juridiques fortement différenciés cohabitant sur le territoire colonial (Voir notamment N. Rouland, L’anthropologie juridique, Paris, PUF, 1990, chap. III). On a aussi pu constater que dans le vide souvent laissé par l’ineffectivité de l’Etat et la dislocation du droit autochtone ont pu fleurir des normativités nouvelles (L’article de référence sur ce point est sans doute celui d’Etienne Le Roy et Mamadou Wade, « La formation des droits « non étatiques », in Encyclopédie juridique de l’Afrique, t. 1, Abidjan, Nouvelles éditions africaines, 1982, pp. 353-391) ». ↩︎
  74. J. Vanderlinden, « Production pluraliste du droit et reconstruction de l’Etat africain » (première version d’un texte à paraitre), Afrique contemporaine, 2001, p. 2-3 [En ligne]. https://bit.ly/2Wyi74D, § 1 : « On constate donc – et le constat est presque unanime – que, dans l’Afrique d’aujourd’hui, des réseaux normatifs se sont créés, fondés sur toutes espèces de solidarités personnelles et sur l’émergence de personnalités vers lesquelles les individus se sont tournés plus ou moins spontanément pour satisfaire leur besoin de justice dans leur vie quotidienne. Se juxtaposent ainsi un grand nombre de réseaux normatifs, complémentaires ou concurrents (dont celui de l’Etat en certains cas) qui, précisément, contribuent à la constitution, dans le chef des individus, de situations caractéristiques du pluralisme juridique ». ↩︎
  75. Voir notamment T. Khalfoune, « Système juridique en Algérie – Un pluralisme normatif désordonné » Revue internationale de droit comparé Vol. 67 N° 2, 2015. La comparaison en droit public. Hommage à Roland Drago. pp. 409-436, sp. pp. 425-427 : « Apparaît, ici, donc, la deuxième singularité du droit algérien : un droit pluriel et syncrétique qui s’entend comme la solution dans laquelle « au même moment, dans le même espace social, coexistent officiellement ou en pratique, plusieurs systèmes juridiques, le système étatique certes, mais d’autres avec lui, indépendants de lui, éventuellement ses rivaux (J. Carbonnier, Sociologie juridique, coll. Quadrige, Paris, PUF, 1994, p. 356.). Cette définition pourrait parfaitement s’appliquer au cas qui nous occupe. La marque syncrétique du droit en Algérie imprimée à l’initial résistera à toutes les réformes » ; « Au système communautaire d’avant et pendant la domination ottomane et la période précoloniale s’est greffé l’organisation politico-administrative de la colonisation, puis l’avènement de l’Etat postcolonial dont la construction est, en quelque sorte, une combinaison de références diverses. Les unes sont locales, les autres sont puisées à la fois de l’Occident (l’ex-URSS, la France, l’ex-Yougoslavie) (et) des pays dits arabo-musulmans en particulier l’Egypte, puisque le baathisme ou le nationalisme arabe apparaissait, pendant les années 1960 et 1970, comme un modèle de développement de référence » ; « A l’instar de nombreux Etats africains, l’Algérie est bien marquée par la cohabitation conflictuelle de multiples droits » ; p. 430 : « mieux vaut dans ces conditions reconnaître que l’on est bien en présence d’un désordre normatif que de nombreux auteurs ont relevé et dont les contradictions sont parfois tellement flagrantes que le doute est permis sur l’existence même d’un authentique système juridique. Dans ces conditions, il est difficile de parler d’un droit national, comme constituant un ensemble d’application générale. / La pratique législative et réglementaire combine parfois ces composantes, et l’accent est mis, selon les cas, sur les unes ou sur les autres. En dépit de la variété des solutions qu’elles permettent, ce procédé ne manque pas cependant d’engendrer bien des ambiguïtés. De même que leur variété ne favorise pas la construction d’un système juridique homogène » ; p. 434 : « Par conséquent, il est vain de trouver une quelconque cohérence dans le droit positif algérien, car il se construit selon une méthode de juxtaposition et non suivant une logique pyramidale (note omise). Or un assemblage, sans cohérence, d’éléments puisés dans différentes conceptions juridiques ne peut tenir lieu de système juridique. Le premier écueil à éviter pour le juriste qui entend aborder le thème du droit algérien est d’entreprendre une analyse formelle en faisant comme s’il avait développé sa propre cohérence » ; C. Ntampaka, Introduction aux systèmes juridiques africains, travaux de la Faculté de droit de Namur, Presses universitaires de Namur, Namur, 2005, 190 p., 82 : « un pluralisme de fait permet une ouverture de la société vers des règles nouvelles, car le droit traditionnel ne fournit plus la solution de tous les problèmes ; par contre il favorise la paix intérieure dans la mesure où la population, à plus de 90% rurale, continue d’appliquer des règles traditionnelles mieux connues, mieux comprises, et encore capables de gouverner les rapports sociaux ». ↩︎