4 La responsabilité « civile » de l’Etat

Pour citer: J. Matringe, « La responsabilité civile de l’Etat », in Droit international pénal et humanitaire, https://droitsafricainsonline.com/themes/droit-international-penal-et-humanitaire/3-la-responsabilite-civile-de-letat/, mis à jour le 02/09/2023

On distinguera l’engagement de la responsabilité de l’Etat, c’est-à-dire le fait générateur de l’obligation pour celui-ci de répondre d’une violation du droit international humanitaire et sa mise en œuvre qui consistera ici à analyser les voies de droit à la disposition des victimes de cette violation puisque la teneur de la réponse sera l’obligation de cesser le fait illicite s’il est continu et de réparer les dommages causés.

Plan

1. L’engagement de la responsabilité de l’Etat

  1. L’engagement de la responsabilité internationale de l’Etat naît de la survenance de ce que l’on appelle parfois le fait générateur de la responsabilité internationale, c’est-à-dire celui qui fait naître une obligation de réparation du dommage. Il faut trois éléments : la commission d’un fait internationalement illicite, que ce fait soit imputable à un Etat et qu’il ait causé un dommage à un autre sujet.
  2. On l’a dit, le droit international reconnaît cette obligation de l’Etat de réparer les dommages causés par ses violations du droit international comme du droit humanitaire. Les conditions de base de l’engagement de la responsabilité de l’Etat pour violation du droit international humanitaire, faute de disposition spécifique dans les instruments pertinents, sont celles du droit international général. Il est inutile d’y revenir ici.
  1. Il convient toutefois d’apporter quelques précisions sur les faits ou omissions de l’Etat qui peuvent engager sa responsabilité internationale en droit international humanitaire. Car il existe plusieurs hypothèses de responsabilité de l’Etat[1] qui tiennent à la teneur de ses obligations[2]. En effet, un Etat peut être responsable même s’il n’a pas lui-même violé le droit international des droits de l’homme ou le droit international humanitaire ou commis le crime dans le chef d’une personne, ce dont atteste l’arrêt CIJ, 26 février 2007, Affaire de l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c ; Serbie-et-Monténégro), § 379 au sujet des massacres commis dans la région de Srebrenica en 1995, lesquels, avait-elle estimé, étaient constitutifs du crime de génocide au sens de la Convention[3]. Si la Cour était en l’espèce liée par le texte de l’article III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, on peut dégager de son arrêt plusieurs formulations valant pour l’ensemble des violations graves du droit international humanitaire.

[1] En ce sens CIJ dans son arrêt sur les exceptions préliminaires du 11 juillet 1996 dans l’affaire de l’application de la convention pour la prévention et la répression du génocide, § 32 : « La Cour observera qu’en visant « la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III », l’article IX n’exclut aucune forme de responsabilité d’Etat. / La responsabilité d’un État pour le fait de ses organes n’est pas davantage exclue par l’article IV de la convention, qui envisage la commission d’un acte de génocide par des « gouvernants » ou des « fonctionnaires » ».

[2] Nations Unies, « Rapport de l’enquête indépendante des Nations Unies sur le Burundi (EINUB) établie conformément à la résolution S-24/1 du Conseil des droits de l’homme », A/HRC/33/37, traduction non officielle, 20 septembre 2016, § 16 : « Les Etats ont la responsabilité première de respecter, protéger et garantir les droits de l’homme à tous au sein de leur juridiction ».

[3] CIJ, 26 février 2007, Affaire de l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), § 379 : « il y a lieu à présent pour la Cour de rechercher si la responsabilité internationale du défendeur est susceptible d’être engagée, à un titre ou à un autre, en liaison avec les massacres commis dans la région de Srebrenica à la période considérée, lesquels, pour les raisons qui on été exposées, sont constitutifs du crime de génocide au sens de la Convention. A cette fin, la Cour pourra être appelée à examiner successivement les trois questions suivantes. En premier lieu, il convient de se demander si les actes de génocide commis pourraient être attribués au défendeur en application des règles du droit international coutumier de la responsabilité internationale des États ; cela revient à se demander si ces actes ont été commis par des personnes ou des organes dont le comportement est attribuable, dans le cas particulier des événements de Srebrenica, à l’État défendeur. En deuxième lieu, la Cour devra rechercher si des actes de la nature de ceux qui sont mentionnés à l’article III de la Convention, autres que le génocide lui-même, ont été commis par des personnes ou des organes dont le comportement est attribuable à l’État défendeur, selon ces mêmes règles du droit de la responsabilité internationale. Il s’agit des actes visés aux litt. b) à e) de l’article III, parmi lesquels figure la complicité de génocide [de même que l’entente en vue de commettre le génocide (art. III, litt. b)), l’incitation directe et publique à commettre le génocide (at. III, litt c)), la tentative de génocide (art. III, litt. d))]. Enfin, il y aura lieu pour la Cour de se prononcer sur la question de savoir si l’État défendeur a respecté sa double obligation de prévenir et de punir le génocide, découlant de l’article premier de la Convention ». Et la Cour de préciser qu’il faut respecter cet ordre d’examen, § 380 : « Ces trois questions doivent être abordées dans l’ordre qui vient d’être indiqué, en raison des liens qui existent être elles, et qui sont tels que la réponse donnée à l’une d’elles peut avoir un effet sur la pertinence ou la portée des autres. Ainsi, si et dans la mesure où l’examen de la première question conduit à la conclusion que certains actes de génocide sont attribuables à l’État défendeur, il serait superflu de rechercher si, pour les mêmes faits, la responsabilité de ce dernier d’être engagé au titre des litt. b) à e) de l’article III de la Convention. Même s’il n’est pas théoriquement impossible que puissent être attribués à un même État, au regard des mêmes faits, à la fois l’acte de génocide (visé a litt. a) de l’article III) et des actes d’entente en vue de commettre le génocide (art. III, litt. b)) ou d’incitation directe et publique à commettre le génocide (art. III, litt. c)), il ne serait guère utile, si les conditions d’attribution sont remplies au regard du litt. a), d’établir judiciairement qu’elles le sont aussi au regard des litt. b) et c), la responsabilité au titre du litt. a) absorbant les deux autres. Quant à l’éventualité de retenir cumulativement, à l’égard d’un même État et pour les mêmes faits, une responsabilité découlant de l’attribution à cet État d’actes qualifiés de « génocide » (art. III, litt. a)), de « tentative de génocide » (art. III, litt. d)) et de « complicité dans le génocide » (art. III, litt. e)), elle est exclue parce que logiquement et juridiquement impossible » ; § 381 : « En revanche, il n’est pas douteux que, si la Cour devait estimer que l’État défendeur ne saurait se voir attribuer des actes constitutifs de génocide au sens de l’article II et du litt. a) de l’article III de la Convention, elle ne serait pas dispensée pour autant de rechercher si la responsabilité du défendeur n’est pas susceptible d’être engagée néanmoins sur le fondement de l’attribution audit défendeur des actes ou de certains des actes, visés aux litt. b) à e) de l’article III ».

On dira ici que l’engagement de la responsabilité de l’Etat exige qu’on puisse lui imputer un fait contraire au droit international humanitaire. On verra quels sont les types de violations qu’on peut lui imputer.

1.1. L’exigence d’attribution de faits illicites à l’Etat

Une violation du droit international humanitaire comme du droit international des droits de l’homme peut être attribué à l’Etat et donc engager sa responsabilité internationale dans plusieurs hypothèses. On ne retiendra ici que celles qui ont fait l’objet d’une jurisprudence dans le cadre du droit international humanitaire ou du droit international pénal.

1.1.1. Attribution à l’Etat du comportement de ses agents et organes

  1. Une violation du droit international humanitaire peut être attribuée à un Etat et donc engager sa responsabilité internationale si la personne physique qui a commis le fait litigieux est un de ses organes ou agents en vertu de son droit interne dans la mesure où les organes et agents sont les instruments mêmes de son action[1].

[1] Ainsi en matière de droits de l’homme : Nations Unies, « Rapport de l’enquête indépendante des Nations Unies sur le Burundi (EINUB) établie conformément à la résolution S-24/1 du Conseil des droits de l’homme », A/HRC/33/37, traduction non officielle, 20 septembre 2016, § 13 : « En vertu du droit international des droits de l’homme, les Etats sont tenus de respecter les droits en question, et de veiller à ce que leurs propres agents ne violent pas ces droits, par exemple en utilisant la force de manière injustifiée ».

  1. La responsabilité internationale de l’Etat pour violation de ses obligations internationales en matière de droit humanitaire ou de droits de l’homme par ses organes et agents est une des manifestations du principe général de responsabilité de l’Etat pour manquement à ces obligations tel que celui-ci fut très clairement affirmé par la CPJI dans l’affaire de l’Usine de Chorzów[1], codifié dans les articles de la CDI sur la responsabilité des Etats pour fait internationalement illicite[2]et rappelé en notre matière par la CIJ notamment dans l’affaire du génocide[3].

[1] Voir aussi Palmagero Gold Fields5 RIAA at 298 (1931) ; Spanish Zones of Morocco Claims 2 RIIA 615 (1925) ; Russian Indemnity11 RIAA at 431 (1912) ; Martini2 RIIA 975 at 1002

[2] Article 4 – Comportement des organes de l’Etat : « 1. Le comportement de tout organe de l’Etat est considéré comme un fait de l’Etat d’après le droit international, que cet organe exerce des fonctions législative, exécutive, judiciaire ou autres, quelle que soit la position qu’il occupe dans l’organisation de l’Etat, et quelle que soit sa nature en qu’organe du gouvernement central ou d’une collectivité territoriale de l’Etat. / 2. Un organe comprend toute personne ou entité qui a ce statut d’après le droit interne de l’Etat ».

[3] CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 385 : la question de l’attribution du génocide de Srebrenica au défendeur à raison du comportement de ses organes « renvoie à la rège bien établie, et qui constitue une des pierres angulaires du droit de la responsabilité internationale, selon laquelle le comportement de tout organe de l’État est considéré comme un fait de l’État selon le droit international, et engage par suite la responsabilité dudit État s’il constitue une violation d’une obligation internationale qui s’impose à ce dernier ».

  1. Le droit international humanitaire retient ce principe de droit international général de l’engagement d’une responsabilité civile des Etats pour la violation de ses règles qui leur seraient imputables, en particulier celles commises par leurs forces armées.

Voir par exemple, l’article 3 de la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe, le Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 18 octobre 1907 : « La Partie belligérante qui violerait les dispositions dudit Règlement sera tenue à indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée ».

Voir également l’article 29 de la 4e convention de Genève de 1949 : « La partie au conflit au pouvoir de laquelle se trouvent des personnes protégées est responsable du traitement qui leur est appliqué par ses agents, sans préjudice des responsabilités individuelles qui peuvent être encourues ».

Voir encore l’article 91 du Protocole additionnel I : « La Partie au conflit qui violerait les dispositions des Conventions ou du présent Protocole sera tenue à indemnité, s’il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis par les personnes faisant partie de ses forces armées ».

Voir enfin dans les conventions de Genève de 1949, l’article 51 de la 1e convention, l’article 131 de la 3e convention et l’article 148 de la Convention IV disposent : « Aucune partie contractante ne pourra s’exonérer elle-même, ni exonérer une autre Partie contractante, des responsabilités encourues par elle-même ou par une autre Partie contractante en raison des infractions prévues à l’article précédent »[1].


[1] Formule existant déjà à l’article 52 de la Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées.

  1. En vertu du droit international général, il peut y avoir une telle attribution d’un fait illicite à un Etat dans deux hypothèses qu’il faut examiner dans l’ordre.

1.1.1.1 Attribution à l’Etat des comportements de ses agents et organes de droit, y compris ses forces armées

  1. Le plus souvent, l’Etat est appelé à répondre des faits litigieux commis par des personnes ou entités qui ont le caractère d’organes de l’Etat en vertu de son droit interne et agissent en cette qualité.

En ce sens, CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 386 et Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 168, § 213 : « Le comportement des UPDF est dans son ensemble clairement attribuable à l’Ouganda, puisqu’il s’agit du comportement d’un organe de l’Etat. Conformément à une règle de droit international bien établie, qui revêt un caractère coutumier, « le comportement de tout organe d’un Etat doit être regardé comme un fait de cet Etat » (Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 87, par. 62). Le comportement individuel des soldats et officiers des UPDF doit être considéré comme un comportement d’un organe d’Etat. De l’avis de la Cour, en vertu du statut et de la fonction militaire des soldats ougandais en RDC, le comportement de ces derniers est attribuable à l’Ouganda. L’argument selon lequel les personnes concernées n’auraient pas agi dans les circonstances de l’espèce en qualité de personnes exerçant des prérogatives de puissance publique est par conséquent dénué de fondement ».

  1. Etant précisé que l’expression « organe de l’Etat » s’applique à toutes les personnes ou entités qui entrent dans l’organisation de l’Etat et qui agissent en son nom[1], ce qui comprend notamment les autorités judiciaires, législatives et exécutives.

Ainsi, l’article 4 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite énonce : « 1. Le comportement de tout organe de l’Etat est considéré comme un fait de l’Etat d’après le droit international, que cet organe exerce des fonction législative, exécutive judiciaire ou autres, quelle que soit la position qu’il occupe dans l’organisation de l’Etat, et quelle que soit sa nature, en tant qu’organe du gouvernement central ou d’une collectivité territoriale de l’Etat. 2. Un organe comprend toute personne ou entité qui a ce statut d’après le droit interne de l’Etat ».


[1] CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 388.

Cette attribution est reconnue par la CIJ de manière générale ainsi que dans notre domaine ainsi qu’il résulte de l’affaire de l’Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Elle l’est également par la jurisprudence arbitrale en matière de droit des investissements internationaux[1].


[1] Voir ainsi Tribunal CIRDI, November 6, 2008, Jan de Nul NV & Dredging International NV c/ Egypte, ARB/04/13, Award, § 157. A cet égard, la jurisprudence semble écarter cette hypothèse quand l’entité a une personnalité juridique distincte de l’Etat. En ce sens, la sentence Tribunal CIRDI, 12 novembre 2008, L.E.S.I. S.p.A. et ASTALDI S.p.A. c/ République algérienne démocratique et populaire, affaire n° ARB/05/3, sentence, § 105.

  1. Classiquement, cette attribution vaut quand cet organe, cette personne ou cette entité agit en cette qualité, même s’il ou elle viole le droit interne, notamment s’il ou elle outrepasse sa compétence ou contrevient à ses instructions[1]. Cette solution est continuellement réaffirmée en droit international des droits de l’homme par la Cour interaméricaine depuis les arrêts I/A Court H.R., Velásquez Rodríguez, Judgment of July 29, 1988 (Merits) Series C No. 4, paras. 164 et 170 and 1/A Court H.R., Godínez Cruz Case, Judgment of January 20, 1989. Series C No. 5, paras. 173[2] et 179 (voir aussi: I/A Court H.R., Constitutional Court case, Judgment of January 31, 2001, Series C No. 71, para. 109[3]; I/A Court H.R., Baena Ricardo et al. case. Judgment of February 2, 2001. Series C No. 72, para. 178), ainsi que par la Cour européenne in Cour EDH, 8 juillet 2004, Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie, n° 48787/99, § 319 : « Un Etat peut aussi être tenu pour responsable même lorsque ses agents commettent des excès de pouvoir ou ne respectent pas les instructions reçues. En effet, les autorités d’un Etat assument au regard de la Convention la responsabilité objective de la conduite de leurs subordonnés ; elles ont le devoir de leur imposer leur volonté et ne sauraient se retrancher derrière leur impuissance à la faire respecter (arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 64, § 159 ; article 7 du projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité des Etats pour les actes internationalement illicites (2001) (« les travaux de la CDI »), p. 104 ; affaire Caire, examinée par la Commission générale pour les plaintes, 1929 Recueil des sentences arbitrales (RSA), V, p. 516) ».

[1] Article 7 du projet CDI sur la responsabilité des Etats : « Le comportement d’un organe de l’Etat ou d’une personne ou entité habilitée à l’exercice de prérogatives de puissance publique est considérée comme un fait de l’Etat d’après le droit international si cet organe, cette personne ou cette entité agit en cette qualité, même s’il outrepasse sa compétence ou contrevient à ses instructions ».

[2] “Article 1 (1) is essential in determining whether a violation of the human rights recognized by the Convention can be imputed to a State Party. In effect, that article charges the States Parties with the fundamental duty to respect and guarantee the rights recognized in the Convention. Any impairment of those rights which can be attributed under the rules of international law to the action or omission of any public authority constitutes an act imputable to the State, which assumes responsibility in the terms provided by the Convention”. Voir également , respectivement, §§ 170 et 172 et § 181. Voir encore 1/A Court H.R., Velásquez Rodríguez, Judgment of July 29, 1988 (Merits), Series C No. 4, para. § 170 and 1/A Court H.R., Godínez Cruz Case, Judgment of January 20, 1989. Series C No. 5, para. 179 : “This conclusion is independent of whether the organ or official has contravened provisions of internal law or overstepped the limits of his authority: under international law a State is responsible for the acts of its agents undertaken in their official capacity and for their omissions, even when those agents act outside the sphere of their authority or violate internal law ». Voir également I/A Court H.R., Case of the 19 Merchants v. Colombia. Merits, Reparations and Costs. Judgment of July 5, 2004. Series C No. 109, § 140 : « It is a basic principle of the law on the international responsibility of the State, embodied in international human rights law, that this responsibility may arise from any act or omission of any State agent, body or power, independent of its hierarchy, which violates internationally enshrined rights [Case of “Five Pensioners”. Judgment of February 28, 2003. Series C No. 98, para. 163; and the Case of Juan Humberto Sánchez. Judgment of June 7, 2003. Series C No. 99, para. 142; the “Street Children” (Villagrán Morales et al.). Judgment of November 19, 1999. Series C No. 63, para. 220] ».

[3] “According to the rules of State international responsibility applicable to international human rights law, the act or omission of any public authority, whatsoever its rank, is an act which may be attributed to the State, and engages its responsibility in the terms established in the American Convention itself [ Cf. Bámaca Velásquez case. Judgment of November 25, 2000. Series C No. 70, para. 210] ».


  1. Le droit international humanitaire connaît une règle spéciale inscrite aux articles 3 et 4 de la quatrième convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre de 1907 et 91 du Protocole I et reconnue par la CIJ comme de nature coutumière[1]. Selon cette règle, chaque Etat partie est responsable « de tous les actes commis par les personnes faisant partie de ses forces armées », ce qui comprend les actes accomplis à titre personnel et au-delà de leur mandat et non seulement quand ils ont agi en qualité d’organes de l’Etat comme dans la règle générale.

[1] Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 168, § 214 : « Est en outre dépourvu de pertinence, pour l’attribution du comportement des UPDF à l’Ouganda, la question de savoir si les membres des UPDF on ou non agi d’une manière contraire aux instructions données ou ont outrepassé leur mandat. D’après une règle bien établie, de caractère coutumier, énoncée à l’article 3 de la quatrième convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre de 1907 ainsi qu’à l’article 91 du protocole additionnel I aux conventions de Genève de 1949, une partie à un conflit armé est responsable de tous les actes des personnes qui font partie de ses forces armées ».

Voir ainsi CPI, Chambre préliminaire I, 29 janvier 2007, Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, décision sur la confirmation des charges, N° ICC-01/04-01/06, § 216 : « La CIJ a considéré que le comportement des UPDF était dans son ensemble clairement attribuable à l’Ouganda, puisqu’il s’agissait du comportement d’un organe de l’Etat et que « le comportement de tout organe d’un Etat doit être regardé comme le fait de cet Etat »[1] »


[1] Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporter spécial de la Commission des droits de l’homme, Avis consultatif, CIJ Recueil 1999 (I), p. 87, par. 62. Voir également, Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), Arrêt du 19 décembre 2005, CIJ Recueil 2005, p. 69, par. 213.

1.1.1.2 Comportements de ses agents et organes de fait

  1. L’Etat peut également se voir attribuer les comportements de personnes – ou groupes de personnes – qui, sans avoir le statut juridique d’organes de cet Etat, agissent cependant en fait sous un contrôle tellement étroit de ce dernier qu’ils doivent être assimilés à des organes de celui-ci aux fins de l’attribution nécessaire à l’engagement de sa responsabilité, tous les comportements de cette personne ou de ce groupe de personnes pouvant lui être attribués, y compris ceux accomplis ultra vires[1].

[1] Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 168, § 214 : « Est en outre dépourvu de pertinence, pour l’attribution du comportement des UPDF à l’Ouganda, la question de savoir si les membres des UPDF on ou non agi d’une manière contraire aux instructions données ou ont outrepassé leur mandat. D’après une règle bien établie, de caractère coutumier, énoncée à l’article 3 de la quatrième convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre de 1907 ainsi qu’à l’article 91 du protocole additionnel I aux conventions de Genève de 1949, une partie à un conflit armé est responsable de tous les actes des personnes qui font partie de ses forces armées ».

  1. Le critère utilisé par la CIJ dans le cadre des conflits armés pour déterminer si une personne ou un groupe de personnes est un organe de fait de l’Etat est celui de la dépendance totale de ces personnes par rapport à l’appareil étatique dont elles ne constituent qu’un instrument[1].

[1] CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 392 : « selon la jurisprudence de la Cour, une personne, un groupe de personnes ou une entité quelconque peuvent être assimilés – aux fins de la mise en œuvre de la responsabilité internationale – à un organe de l’Etat même si une telle qualification ne résulte pas du droit interne, lorsque cette personne, ce groupe ou cette entité agit en fait sous la « totale dépendance » de l’Etat, dont il n’est, en somme qu’un simple instrument. En pareil cas, il convient d’aller au-delà du seul statut juridique, pour appréhender la réalité des rapports entre la personne qui agit et l’Etat auquel elle se rattache si étroitement qu’elle en apparaît comme le simple agent : toute autre solution permettrait aux États d’échapper à leur responsabilité internationale en choisissant d’agir par le truchement de personnes ou d’entités dont l’autonomie à leur égard serait une pure fiction » ; § 393 : « Cependant, une telle assimilation aux organes de l’Etat de personnes ou d’entités auxquelles le droit interne ne confère pas ce statut ne peut que rester exceptionnelle ; elle suppose, en effet, que soit établi un degré particulièrement élevé de contrôle de l’État sur les personnes ou entités en cause, que l’arrêt précité de la Cour [Nicaragua] a caractérisé précisément comme une « totale dépendance » ».

  1. La personne ou l’entité en cause est alors assimilée à un organe de l’Etat et tous ses comportements peuvent lui être attribués, y compris ceux ultra vires :

Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 168, § 214 : « Est en outre dépourvu de pertinence, pour l’attribution du comportement des UPDF à l’Ouganda, la question de savoir si les membres des UPDF on ou non agi d’une manière contraire aux instructions données ou ont outrepassé leur mandat. D’après une règle bien établie, de caractère coutumier, énoncée à l’article 3 de la quatrième convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre de 1907 ainsi qu’à l’article 91 du protocole additionnel I aux conventions de Genève de 1949, une partie à un conflit armé est responsable de tous les actes des personnes qui font partie de ses forces armées ».

1.1.2. Attribution à l’Etat du comportement d’une personne ou entité exerçant des prérogatives de puissance publique

  1. De plus en plus, les Etats, au lieu de gérer eux-mêmes des services publics ou d’exercer directement des prérogatives publiques confient ces missions à des personnes privées. Outre les questions de droit interne que ce genre de pratique peut soulever, l’enjeu est immense pour la protection des droits de l’homme et le respect du droit international humanitaire. Un Etat peut-il échapper à sa responsabilité au motif qu’il a délégué une partie de ses fonctions à une société privée, commerciale ou militaire ?
  2. Les articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite prévoient cette hypothèse dont la CIJ n’a pas voulu interroger le caractère coutumier dans l’affaire de l’Application de la Convention sur le génocide, mais qui est envisagée par certains tribunaux statuant en droit des investissements internationaux[1]. En effet, selon son article 5, « Le comportement d’une personne ou entité qui n’est pas un organe de l’Etat au titre de l’article 4, mais qui est habilitée à exercer des prérogatives de puissance publique, pour autant que, en l’espèce, cette personne ou entité agisse en cette qualité, est considérée comme un fait de l’Etat d’après le droit international ».

[1] Voir ainsi Tribunal CIRDI, November 6, 2008, Jan de Nul NV & Dredging International NV c/ Egypte, ARB/04/13, Award, § 157. Voir aussi Tribunal CIRDI, 12 novembre 2008, L.E.S.I. S.p.A. et ASTALDI S.p.A. c/ République algérienne démocratique et populaire, affaire n° ARB/05/3, sentence, § 106 :« La jurisprudence admet que la responsabilité de l’État peut être engagée dans des contrats passés par des entreprises de droit public distinctes de lui lorsque son influence n’en reste pas moins importante voire prédominante (décision sur la compétence du 25 janvier 2000, Emilio Maffezini c. Royaume d’Espagne, aff. CIRDI ARB/97/7, 16 ICSID Rev. 212 (2001), §§ 71-89 ; décision sur la compétence du 16 juillet 2001, Consortium R.F.C.C. c. Royaume du Maroc, aff. CIRDI ARB/00/6, §§ 28-35, JDI 2007, p. 260 […]) ».

De leur côté, conformément au droit international général de la responsabilité internationale des Etats, les Comités onusiens acceptent de connaître de recours contre des faits de personnes ou entités qui ne sont pas des organes de l’Etat si celles-ci ont exercé des prérogatives de puissance publique sur habilitation de celui-ci. Dans ce cas, en effet, la violation des droits de l’homme est imputée à l’Etat lui-même[1].


[1] Voir notamment le Comité des droits de l’homme dans l’affaire Carlos Cabal et Marco Pasini Bertran c. Australie. De même, le Comité DESC même s’il n’utilise pas l’expression « habilitation » : Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n° 5 (1994) – Personnes souffrant d’un handicap, E/1995/22, E/C.12/1994/20, Annexe IV, § 12 : « s’il convient que les gouvernements fassent appel à des groupes bénévoles privés afin qu’ils aident de diverses manières les personnes qui souffrent d’un handicap, de tels arrangements ne sauraient jamais dispenser les gouvernements de leur devoir de veiller à s’acquitter pleinement de leurs obligations en vertu du Pacte. Comme il est précisé dans le Programme d’action mondial concernant les personnes handicapées, « la responsabilité finale de remédier aux conditions qui mènent aux déficiences et de faire front aux conséquences de l’incapacité incombe partout aux gouvernements » [note : Programme d’action mondial concernant les personnes handicapées (adopté par l’Assemblée générale dans sa résolution 37/52 du 3 décembre 1982), par. 3] ».

La Cour EDH adopte une jurisprudence analogue considérant que la délégation d’une mission de service publique ou de l’exercice de prérogatives de puissance publique ne permet pas à l’Etat de se libérer de ses obligations. En ce sens, notamment : Cour EDH, 25 mars 1993, Costello-Roberts c. Royaume-Uni, n° 13134/87, § 27 : « l’Etat ne saurait se soustraire à sa responsabilité en déléguant ses obligations à des organismes privés ou des particuliers (voir mutatis mutandis, l’arrêt Van der Mussele c. Belgique du 23 novembre 1983, série A no 70, pp. 14-15, paras. 28-30 au sujet des conseils de l’ordre dotés de la personnalité juridique) » ; § 28 : « Dans la présente affaire, qui concerne le domaine particulier de la discipline scolaire, le traitement incriminé, encore qu’infligé par le chef d’un établissement privé, est donc de nature à engager la responsabilité du Royaume-Uni au regard de la Convention s’il se révèle incompatible avec l’article 3, l’article 8 ou les deux ». La Cour expliqua sa jurisprudence in Cour EDH, 1 mars 2005, Woś c. Pologne, n° 22860/02, § 60 : « l’Etat ne saurait se soustraire à sa responsabilité ratione personae en déléguant ses obligations à des organismes privés ou des particuliers (voir, mutatis mutandisCostello-Roberts c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1993, série A no 247-C, p. 58, § 27) » ; § 72 : « le fait qu’un Etat choisisse une forme de délégation selon laquelle certains de ses pouvoirs sont exercés par un autre organe ne suffit pas à trancher la question de la responsabilité de l’Etat ratione personae. Pour la Cour, l’exercice de pouvoirs étatiques ayant une influence sur des droits et libertés inscrits dans la Convention met en jeu la responsabilité de l’Etat, indépendamment de la forme sous laquelle ces pouvoirs se trouvent être exercés, fût-ce par une entité de droit privé. La Convention n’exclut pas le transfert de compétences à une telle entité en vertu d’un accord international, pourvu que les droits garantis par la Convention continuent d’être reconnus (voir, mutatis mutandisMatthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 32, CEDH1999-I). Pareil transfert ne fait donc pas disparaître la responsabilité de l’Etat défendeur » ; § 73 : « La Cour observe que l’Etat défendeur a décidé de déléguer à une entité de droit privé les obligations lui incombant en vertu d’accords internationaux. De l’avis de la Cour, pareille solution ne saurait soustraire l’Etat polonais aux responsabilités qui auraient été les siennes s’il avait préféré s’acquitter de ces obligations lui-même, comme il aurait fort bien pu le faire (voir, mutatis mutandisVan der Mussele c. Belgique, arrêt du 23 novembre 1983, série A no 70, pp. 14-15, §§ 28-30, et Costello-Roberts, arrêt précité, p. 58, § 27) » ; Cour EDH [GC], 3 avril 2012, Kotov c. Russie, n° 54522/00, § 92 : « La Cour a déjà statué sur le point de savoir si, sur le terrain de la Convention, l’Etat peut être tenu pour responsable des actes d’un particulier ou d’une société. Une première catégorie d’affaires (dont la présente espèce relève) porte sur la responsabilité ratione personae de l’Etat du fait d’un organe qui, au moins d’un point de vue formel, n’est pas une « autorité publique ». Dans son arrêt Costello-Roberts (précité, § 27), la Cour a dit que l’Etat ne pouvait se soustraire à sa responsabilité en déléguant ses obligations à des organismes privés ou des particuliers, en l’occurrence une école privée. De la même manière, dans l’arrêt Storck c. Allemagne (no 61603/00, § 103, CEDH 2005-V), elle a jugé que l’Etat demeurait tenu d’exercer une surveillance et un contrôle sur les établissements psychiatriques privés où des patients pouvaient été internés contre leur gré (voir également l’arrêt Evaldsson et autres c. Suède, no 75252/01, § 63, 13 février 2007, concernant l’organisation du marché du travail, l’arrêt Buzescu (précité, § 78), relatif aux barreaux d’avocats, et l’arrêt Woś (précité, §§ 71-74), portant sur le statut de la Fondation pour la réconciliation germano-polonaise) ».

1.1.2.1 L’entité doit être habilitée à exercer des prérogatives de puissance publique

  1. Il faudra donc regarder si le droit interne de l’Etat autorise l’habilitation à exercer les prérogatives en question. Si tel n’est pas le cas, l’habilitation éventuellement faite est illégale et invalide et il n’y aura pas attribution même si on pourra reprocher à l’Etat une délégation illégale et/ou un manque de diligence.
  2. Cela dit, l’article 7 des articles de la CDI précise qu’il y a attribution s’il y a bien eu délégation même si cette personne ou entité outrepasse sa compétence ou contrevient à ses instructions.
  3. Précisons encore que l’article 9 du projet d’articles de la Commission du droit international ajoute que « Le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes est considéré comme un fait de l’Etat d’après le droit international si cette personne ou ce groupe de personnes exerce en fait des prérogatives de puissance publique en cas d’absence ou de carence des autorités officielles et dans des circonstances qui requièrent l’exercice de ces prérogatives ».

Sur ce point : Cour ADHP, 3 juin 2016, Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. Libye, req. n° 002/2013, § 50 : « Ainsi que cela ressort du projet d’articles de la Commission du droit international des Nations Unies sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite : « Tout fait internationalement illicite de l’Etat engage sa responsabilité ». D’après l’article 9 du même projet : « Le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes est considéré comme un fait de l’Etat d’après le droit international si cette personne ou ce groupe de personnes exerce en fait des prérogatives de puissance publique en cas d’absence ou de carence des autorités officielles et dans des circonstances qui requièrent l’exercice de ces prérogatives ». Il incombe donc à « l’Etat responsable du fait internationalement illicite […] d’y mettre fin […] ». La Cour pénale internationale a adopté la même position que la Cour de céans en estimant que les perturbations affectant la Libye ne sauraient exonérer le Défendeur de son obligation de coopérer avec la CPI en lui remettant Saïf Al-Islam Kadhafi. La Chambre préliminaire affirme que : « La Chambre a conscience de l’instabilité des conditions politiques et de sécurité en Libye et est sensible aux graves difficultés auxquelles font actuellement face les autorités de ce pays, ainsi qu’à la nécessité pour elles de concentrer leurs efforts et leurs ressources sur le rétablissement de la stabilité et de l’ordre public, comme l’a avancé la Libye. Néanmoins, la Chambre ne saurait ignorer ses propres responsabilités dans le cadre des procédures et son devoir de faire tous les efforts possibles pour protéger les droits des parties et les intérêts des victimes »

1.1.2.2 Les agissements doivent avoir été adoptés dans l’exercice de telles prérogatives

  1. Il convient ensuite d’examiner si c’est bien dans l’exercice de ces prérogatives que l’entité (une société militaire privée par exemple) a agi. Si tel est le cas, le comportement sera attribué à l’Etat, sinon à l’entité (la SMP) elle-même[1].

[1] Voir ainsi, en droit international des investissements, Tribunal CIRDI, 12 novembre 2008, L.E.S.I. S.p.A. et ASTALDI S.p.A. c/ République algérienne démocratique et populaire, affaire n° ARB/05/3, sentence, § 111 : « En droit international, tous les actes exécutés par une entité habilitée à exercer des prérogatives de puissance publique ne relèvent pas nécessairement de la responsabilité de l’Etat. Conformément au critère fonctionnel, il convient encore d’examiner si ces actes ont une nature gouvernementale puisque seuls les actes réalisés par cette entité en cette qualité peuvent être imputés à l’Etat (cf. par ex. en ce sens la sentence Maffezini sentence du 13 novembre 2000, Emilio Maffezini c. Royaume d’Espagne, aff. CIRDI ARB/97/7, § 52 […]) » et § 118 : « Il découle des considérations qui précèdent qu’en application du critère structurel, l’ANB doit être considérée comme une entité dotée de prérogatives de puissance publique et que, conformément au critère fonctionnel, les actes qui lui sont reprochés sont de nature gouvernementale. Il en résulte que, dans cette mesure, les agissements litigieux de l’ANB sont propres à engager la responsabilité de l’État au sens de l’article 5 CDI ». En ce sens également : Tribunal CIRDI, November 6, 2008, Jan de Nul NV & Dredging International NV c/ Egypte, ARB/04/13, Award, § 167: “It is common ground that for an act of an independent entity exercising elements of governmental authority to be attributed to the State it must be shown that the act in question was an exercise of such governmental authority [note omitted]”, § 168 : “Relying on the functional test adopted by the Maffezini tribunal, this Tribunal “must establish whether specific acts or omissions are essentially commercial rather than governmental in nature or, conversely, whether their nature is essentially governmental rather than commercial. Commercial acts cannot be attributed to the State, while governmental acts should be so attributed (Maffezini v. Spain (ICSID Case No. ARB/97/7, Decision on Jurisdiction, 25 January 2000, § 52)” et § 170 : “What matters is not the “service public” element, but the use of “prerogatives de puissance public” or governmental authority”.

1.1.3 Attribution d’un comportement reconnu et adopté par l’Etat comme étant le sien

Les articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite prévoient cette hypothèse dont la CIJ n’a pas voulu interroger le caractère coutumier dans l’affaire de l’Applicationde la Convention sur le génocide, alors que cette hypothèse a été retenue par la Cour EDH dans plusieurs affaires[1]. Cette hypothèse a été reconnue par la Commission africaine dans son observation générale n° 3[2].


[1] Ainsi : Cour EDH, 2 octobre 2018, Mutu et Pechstein c. Suisse, n° 40575/10 et 67474/10, § 64 : « si les autorités d’un Etat contractant approuvent, formellement ou tacitement, les actes des particuliers violant dans le chef d’autres particuliers soumis à sa juridiction les droits garantis par la Convention, la responsabilité dudit Etat peut se trouver engagée au regard de la Convention (voir, mutatis mutandis, Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie [GC], no 48787/99, § 318 [« si les autorités d’un Etat contractant approuvent, formellement ou tacitement, les actes des particuliers violant dans le chef d’autres particuliers soumis à sa juridiction les droits garantis par la Convention, la responsabilité dudit Etat peut se trouver engagée au regard de la Convention (arrêt Chypre c. Turquie précité, § 81). Cela vaut d’autant plus en cas de reconnaissance par l’Etat en question des actes émanant d’autorités autoproclamées et non reconnues sur le plan international »], CEDH 2004-VII, et Solomou et autres c. Turquie, n° 36832/97, § 46, 24 juin 2008 [« the acquiescence or connivance of the authorities of a Contracting State in the acts of private individuals which violate the Convention rights of other individuals within its jurisdiction may engage that State’s responsibility under the Convention. Any different conclusion would be at variance with the obligation contained in Article 1 of the Convention (see Cyprus v. Turkey [GC], no. 25781/94, § 81, ECHR 2001-IV [« si les autorités d’un Etat contractant approuvent, formellement ou tacitement, les actes de particuliers violant dans le chef d’autres particuliers soumis à sa juridiction les droits garantis par la Convention, la responsabilité dudit Etat peut se trouver engagée au regard de la Convention. Toute autre conclusion serait incompatible avec l’obligation énoncée à l’article 1 de la Convention »]. This is particularly true in the case of recognition by the State in question of the acts of self-proclaimed authorities which are not recognised by the international community (see Ilaşcu and Others, cited above, § 318)) ».

[2] Commission ADHP, 12 décembre 2015, Observation générale n° 3 sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : le droit à la vie (article 4), § 9 : « La responsabilité d’un Etat peut également être engagée en cas de tueries par des acteurs non étatiques s’il approuve, soutient ou acquiesce ces actes ou s’il n’exerce pas la diligence requise pour empêcher ces tueries ou s’il ne veille pas à ce qu’il y ait une enquête en bonne et due forme et que les auteurs des actes en rendent dûment compte ».

En effet, selon son article 11, « Un comportement qui n’est pas attribuable à l’Etat selon les articles précédents est néanmoins considéré comme un fait de cet Etat d’après le droit international si, et dans la mesure où, cet Etat reconnaît et adopte ledit comportement comme sien » [1].


[1] De manière moins stricte, Nations Unies, « Rapport de l’enquête indépendante des Nations Unies sur le Burundi (EINUB) établie conformément à la résolution S-24/1 du Conseil des droits de l’homme », A/HRC/33/37, traduction non officielle, 20 septembre 2016, § 13 : « L’État est également responsable des actions d’acteurs non étatiques qui peuvent leur être attribuées, par exemple des groupes informels qui fonctionnent avec son approbation ou acquiescement [note : Voir chapitre II, Projet d’Articles sur la Responsabilité des États pour les Actes Internationalement Malveillants, Commission du droit international, 2001] ».

1.1.4. Attribution à l’Etat des comportements commis sur ses instructions ou sous son contrôle

  1. Un Etat peut encore être responsable si des personnes qui n’ont pas la qualité d’organes de l’Etat ni ne peuvent assimilés à de tels organes ont cependant agi sur ses instructions ou directives ou sous son contrôle. C’est ce qui ressort de l’article 8 des articles de la CDI : « Le comportement d’une personne ou d’un groupe de personnes est considéré comme un fait de l’Etat d’après le droit international si cette personne ou ce groupe de personnes, en adoptant ce comportement, agit en fait sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de cet Etat ». Cette attribution est reconnue par certains tribunaux statuant en matière de droit des investissements internationaux[1].

Voir ainsi Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 168, § 160 : « La Cour conclut qu’il n’existe aucun élément de preuve crédible qui donne à penser que l’Ouganda a créé le MLC. L’Ouganda a reconnu avoir dispensé un entraînement et accordé un soutien militaire, et des éléments de preuve existent à cet égard. Aucune preuve convaincante n’a été soumise à la Cour qui démontrerait que l’Ouganda contrôlait, ou pouvait contrôler, la manière dont M. Bemba utilisait cette assistance. De l’avis de la Cour, le comportement du MLC n’était ni celui d’un « organe » de l’Ouganda (article 4 du projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite (2001)), ni celui d’une entité exerçant des prérogatives de puissance publique pour son compte (article 5). La Cour a cherché à déterminer si le MLC avait agi « sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de » l’Ouganda (article 8) et estime ne disposer d’aucun élément probant que tel était le cas. Point n’est donc besoin, en l’espèce, de se poser la question de savoir s’il est satisfait aux critères requis pour considérer qu’un degré de contrôle suffisant était exercé à l’égard de paramilitaires (voir Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 62-65, par. 109-115) ».


[1] Voir notamment en matière d’investissements directs étrangers Tribunal CIRDI, November 6, 2008, Jan de Nul NV & Dredging International NV c/ Egypte, ARB/04/13, Award, sp. §§ 157 et 173.

  1. La CIJ pose pour cela un critère moins strict que celui de la « dépendance totale » qu’elle utilise pour savoir si une personne peut être assimilée à un organe de facto de l’Etat, mais exige toutefois un contrôle « effectif » sur les comportements litigieux et non un contrôle seulement « général » sur le groupe armé qui en est l’auteur :

Voir ainsi CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, CIJ Recueil 1986, p. 14, § 115 : « La Cour a estimé (paragraphe 110 ci-dessus) que, même prépondérante ou décisive, la participation des Etats-Unis à l’organisation, à la formation, à l’équipement, au financement et à l’approvisionnement des contras, à la sélection de leurs objectifs militaires ou paramilitaires et à la planification de toutes leurs opérations demeure insuffisante en elle-même, d’après les informations dont la Cour dispose, pour que puissent être attribués aux Etats-Unis les actes commis par les contras au cours de leurs opérations militaires ou paramilitaires au Nicaragua. Toutes les modalités de participation des Etats-Unis qui viennent d’être mentionnées, et même le contrôle général exercé par eux sur une force extrêmement dépendante à leur égard, ne signifieraient pas par eux-mêmes, sans preuve complémentaire, que les Etats-Unis aient ordonné ou imposé la perpétration des actes contraires aux droits de l’homme et au droit humanitaire allégués par 1’Etat demandeur. Ces actes auraient fort bien pu être commis par des membres de la force contra en dehors du contrôle des Etats-Unis. Pour que la responsabilité juridique de ces derniers soit engagée, il devrait en principe être établi qu’ils avaient le contrôle effectif des opérations militaires ou paramilitaires au cours desquelles les violations en question se seraient produites ».

Voir également, après l’arrêt Tadić déjà vu en matière de qualification des conflits armés internationaux, CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 400 : « Le critère ainsi défini se distingue de celui – exposé plus haut – qui permet d’assimiler à un organe d’un Etat une personne ou une entité à laquelle le droit interne ne confère pas ce statut. D’une part, il n’est plus nécessaire ici de démontrer que les personnes ayant accompli les actes prétendument contraires au droit international étaient en général placées sous la « totale dépendance » de l’Etat défendeur ; il convient de prouver que ces personnes ont agi selon les instructions ou sous le « contrôle effectif » de ce dernier. Mais, d’autre part, il est nécessaire de démontrer que ce « contrôle effectif » s’exerçait, ou que ces instructions ont été données, à l’occasion de chacune des opérations au cours desquelles les violations alléguées se seraient produites, et non pas en général, à l’égard de l’ensemble des actions menées par les personnes ou groupes de personnes ayant commis lesdites violations ».

  1. La position de la Cour internationale de Justice n’exclut cependant pas que, nonobstant l’absence d’un tel contrôle, un Etat puisse engager sa responsabilité internationale pour des faits illicites commis par lui en relation avec un groupe armé, notamment en donnant des instructions à celui-ci ou en exerçant une direction ou un contrôle sur ses agissements :

Ainsi, CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, CIJ Recueil 1986, p. 14, § 116 : « La Cour ne considère pas que l’assistance fournie par les Etats-Unis aux contras l’autorise à conclure que ces forces sont à tel point soumises aux Etats-Unis que les actes qu’elles pourraient avoir commis seraient imputables à cet Etat. Elle estime que les contras demeurent responsables de leurs actes et que les Etats-Unis n’ont pas à répondre de ceux-ci mais de leur conduite à l’égard du Nicaragua, y compris celle qui est liée aux actes en question. Ce que la Cour doit examiner, ce ne sont pas les griefs relatifs aux violations du droit humanitaire qu’auraient commises les contras et que le Nicaragua considère comme imputables aux Etats-Unis, mais plutôt les actes illicites dont ces derniers pourraient être directement responsables en relation avec les activités des contras. La licéité ou l’illicéité de tels actes des Etats-Unis est une question distincte de celle des violations du droit humanitaire dont les contras se seraient éventuellement rendus coupables ».

De même : CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 397 : « il [ne] résulterait nullement [de ces circonstances] que les auteurs des actes devraient être qualifiés d’organes de [l’Etat], ou assimilés à de tels organes. Il en résulterait seulement que la responsabilité internationale de [l’Etat] serait engagée à raison du comportement de ceux de ses propres organes qui ont donné les instructions ou exercé le contrôle ayant entraîné la commission d’actes contraires à ses obligations internationales. En d’autres termes, il n’est plus question à présent de rechercher si les personnes ayant directement commis [le fait illicite] agissaient en tant qu’organes de [l’Etat], ou pourraient être assimilés à de tels organes […]. Il s’agit de se demander si des organes de [l’Etat] – ayant sans contexte cette qualité selon le droit interne de cet Etat – ont pu être à l’origine du [fait illicite] en donnant des instructions aux auteurs de celui-ci ou en exerçant une direction ou un contrôle et si, par conséquent, le comportement des organes du défendeur, en étant la cause de la commission d’actes contraires à ses obligations internationales, a constitué une violation de celles-ci ».

  1. En revanche, dans son arrêt du 15 juillet 1999 rendu dans l’affaire Tadić, la Chambre d’appel du TPIY décida, en distinguant le cas des individus pris isolément et les groupes armés, de retenir un contrôle seulement « global » : « [i]l suffit donc, pour imputer à l’Etat les actes d’un groupe, que ce dernier soit, dans son ensemble, sous le contrôle global de l’Etat »[1].

[1] TPIY, Chambre d’appel, aff. N° IT-94-1-1, Le procureur c. Dusko Tadić, 15 juillet 1999, § 120.

1.1.5 Engagement pour complicité ou aide et assistance

  1. Un Etat peut être tenu responsable même s’il ne commet pas lui-même une violation du droit international humanitaire si peut lui être attribué un autre comportement lié à celle-ci : l’aide ou l’assistance à sa commission.

Cette règle est reflétée à l’article 16 des articles de la CDI relatif à l’aide ou assistance dans la commission du fait internationalement illicite. Selon celui-ci, « L’Etat qui aide ou assiste un autre Etat dans la commission du fait internationalement illicite par ce dernier est internationalement responsable pour avoir agi de la sorte dans le cas où : a) Ledit Etat agit en connaissance des circonstances du fait internationalement illicite ; et b) Le fait serait internationalement illicite s’il était commis par cet Etat ».

Notons que la CIJ a qualifié cette règle de coutumière dans son arrêt de 2007 dans l’affaire de l’ApplicationApplication de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro). Si elle traita de la complicité, concept utilisé par la convention contre le génocide, elle souligna que cette notion se rapproche de la catégorie coutumière de l’aide ou assistance à la commission d’un fait illicite[1].


[1] CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 381 : « il est clair que des actes de complicité dans le génocide pourraient être attribués à un Etat auquel pourtant aucun acte de génocide ne serait attribuable selon les règles de la responsabilité internationale des Etats » ; § 419 : « la « complicité » au sens litt. e) de l’article III de la Convention englobe sans nul doute la fourniture de moyens destinés à permettre ou à faciliter la commission du crime […]. Il y a lieu de relever que si la « complicité » est, comme telle, une notion absente de l’actuelle terminologie du droit de la responsabilité internationale, elle se rapproche d’une catégorie qui est présente dans les règles coutumières qui composent le droit de la responsabilité des Etats, celle de l’« aide ou assistance » fournie par un Etat à la commission d’un fait illicite par un autre Etat ». A ce titre, elle précisa, § 421 : « une dernière observation s’impose. Elle concerne le lien entre l’intention spécifique (dolus specialis) qui caractérise le crime de génocide et les mobiles qui poussent le complice (au sens de la personne fournissant aide et assistance aux auteurs directs du crime) à agir ainsi : la question se pose de savoir si la qualification de complicité suppose que le complice partage lui-même l’intention spécifique (dolus specialis) de l’auteur principal. Mais quelle que soit la réponse que l’on donne à cette question, il n’est pas douteux que le comportement d’un organe ou d’une personne qui fournit aide ou assistance à l’auteur du crime de génocide ne peut être qualifiée de complicité dans le génocide que si, à tout le moins, cet organe ou cette personne agit en connaissance de cause, c’est-à-dire, notamment, connaît l’existence de l’intention spécifique (dolus specialis) qui anime l’auteur principal. Si cette condition n’est pas remplie, cela suffit pour écarter la qualification de complicité ».

  1. Il y a aide ou assistance illicite notamment si un Etat fournit des armes à un autre Etat en conflit avec un troisième s’il avait connaissance de violations du droit international humanitaire commises par celui-ci et si celles-ci auraient engagé sa responsabilité s’il avait adopté le même comportement.
  2. En tout état de cause, un tel comportement violerait l’obligation énoncée à l’article 1er des quatre conventions de Genève de respecter et faire respecter ces conventions « en toutes circonstances ». En effet, cette obligation qui découle selon la CIJ dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires des principes généraux du droit humanitaire comprend celle de ne pas encourager des personnes ou des groupes prenant part » à un conflit (en l’espèce non international) à agir en violation du droit international humanitaire[1].

[1] Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats Unis d’Amérique), fond, arrêt 27 juin 1986, C.I.J. Rec. 1986, p. 14, § 220.

1.2. Consistance des faits susceptibles d’engager la responsabilité internationale de l’Etat

1.2.1. Les violations directes du droit international humanitaire

  1. Chaque fois qu’un organe, un fonctionnaire ou une entité publique comme les forces armées de l’Etat viole une règle de droit international humanitaire qui est opposable à ce dernier, cela constitue un manquement de l’Etat à son devoir de respecter le droit international humanitaire. La solution est communément acceptée par les organes internationaux de protection des DH et n’appelle pas de développements particuliers[1].

[1] En ce sens, notamment, la Cour interaméricaine des DH in 1/A Court H.R., Velásquez Rodríguez, Judgment of July 29, 1988 (Merits) Series C No. 4, para. 169 and 1/A Court H.R., Godínez Cruz Case, Judgment of January 20, 1989. Series C No. 5, para.178 : “According to Article 1 (1), any exercise of public power that violates the rights recognized by the Convention is illegal. Whenever a State organ, official or public entity violates one of those rights, this constitutes a failure of the duty to respect the rights and freedoms set forth in the Convention”.

1.2.2. Les manquements aux obligations de faire respecter le droit international humanitaire

  1. Il existe en réalité plusieurs hypothèses d’engagement de la responsabilité de l’Etat qui tiennent à la teneur de ses obligations. En effet, si un Etat doit évidemment répondre des atteintes qu’il porte lui-même au droit international humanitaire, il peut également être responsable même s’il n’a pas lui-même directement porté atteinte au droit international humanitaire.
  2. Certes, le droit international ne reconnaît pas la responsabilité de l’Etat du fait d’acteurs non étatiques sauf aux hypothèses qu’on a vues. En règle générale, un Etat n’est pas responsable des agissements des individus qui se situent sur son territoire ou qui ont sa nationalité et agissent à titre privé. Ces agissements ne peuvent pas lui être imputés en tant qu’ils n’agissent pas pour lui et il n’est pas non plus responsable de manière indirecte pour fait d’autrui.
  3. L’Etat peut cependant être responsable, non pas du fait même de cette entité – par exemple une société militaire privée -, mais d’un fait internationalement illicite consistant dans le manquement à ses obligations « positives » de prévenir et réagir à un fait illicite commis par une personne privée qui est sous son contrôle. En effet, le droit international humanitaire fait peser sur les Etats une obligation, outre de respecter, de « faire respecter » ses prescriptions. Ainsi, l’article 1 § 1 du Protocole I de 1977 énonce : « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à respecter et à faire respecter le présent Protocole en toutes circonstances »[1].

[1] Déjà, et plus précisément, l’article 28 de la convention du 27 juillet 1929 pour l’amélioration du sort des blessés et malades dans les armées en campagne dispose que les gouvernements des HPC, dont la législation ne serait pas déjà suffisante, prendront ou proposeront à leurs législatures les mesures nécessaires pour empêcher en tout temps l’utilisation indue de l’emblème de la Croix rouge. Sur cette question, voir notamment N. Levrat, « Les conséquences de l’engagement pris par les H.P.C. de ‘faire respecter’ les conventions humanitaires », in F. Kalshoven et Y. Sandoz (eds.), Implementation of International Humanitarian Law, Leiden, Martinus Nijhoff, 1989.

  1. Comme en DIDH, il y a deux grandes catégories d’obligations positives qui pèsent sur l’Etat qu’on peut ranger sous la catégorie des obligations de « faire respecter » et il existe donc deux grandes hypothèses d’engagement de la responsabilité de l’Etat : celui-ci a violé son obligation de prévention des violations du DIDH ou son obligation de poursuivre, juger et punir celles qui ont eu lieu.

1.2.2.1. Manquement à l’obligation de prévention de violations du droit international humanitaire

1.2.2.1.1. Affirmation et teneur de l’obligation
  1. Certains traités ayant pour objet l’incrimination d’un comportement particulier énoncent l’obligation pour les Etats parties de prendre des mesures afin de prévenir cet acte. C’est le cas notamment de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ainsi que de la convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984

Article 2 § 1 : « Tout Etat partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction »[1].


[1] Voir encore la convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents diplomatiques de 1973 (art. 4) et la convention pour la répression des attentats terroristes à l’explosif de 1997 (art. 15).

  1. Cette obligation de prévention est une obligation de moyen ; elle consiste en une obligation pour l’Etat de mettre en œuvre, dans la mesure de ses capacités, les moyens propres à prévenir la survenance d’une violation du droit international des droits de l’homme ou du droit international humanitaire ou la commission d’un crime et non en une obligation de garantir que la violation n’aura pas lieu.

En ce sens, CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 427 et surtout § 430 : « il est clair que l’obligation dont il s’agit est une obligation de comportement et non de résultat, en ce sens que l’on ne saurait imposer à un Etat quelconque l’obligation de parvenir à empêcher, quelles que soient les circonstances, la commission d’un génocide : l’obligation qui s’impose aux Etats parties est plutôt celle de mettre en œuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition en vue d’empêcher, dans la mesure du possible, le génocide. La responsabilité d’un Etat ne saurait être engagée pour la seule raison que le résultat recherché n’a pas été atteint ; elle l’est, en revanche, si l’Etat a manqué manifestement de mettre en œuvre les mesures de prévention du génocide qui étaient à sa portée, et qui auraient pu contribuer à l’empêcher ».

  1. L’Etat n’a donc pas à répondre de la survenance de tout fait illicite mais seulement de ceux dont il avait connaissance avant qu’ils se produisent et qu’il aurait pu raisonnablement prévenir.
  2. Ainsi que reflété à l’article 14 § 3 des articles de la CDI, « La violation d’une obligation internationale requérant de l’Etat qu’il prévienne un événement donné a lieu au moment où l’événement survient et s’étend sur toute la période durant laquelle l’événement continue et reste non conforme à cette obligation », la CIJ ayant précisé :

CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 431 « l’obligation de prévention et le devoir d’agir qui en est le corollaire prennent naissance, pour un Etat, au moment où celui-ci a connaissance, ou devrait normalement avoir connaissance, de l’existence d’un risque sérieux de commission d’un génocide. Dès cet instant, l’Etat est tenu, s’il dispose de moyens susceptibles d’avoir un effet dissuasif à l’égard des personnes soupçonnées de préparer un génocide, ou dont on peut raisonnablement craindre qu’ils nourrissent l’intention spécifique (dolus specialis), de mettre en œuvre ces moyens, selon les circonstances », étant précisé § 432 : « un Etat peut être considéré comme ayant violé son obligation de prévenir même s’il n’avait pas acquis la certitude, au moment où il aurait dû agir mais s’en est abstenu, qu’un génocide était sur le point, ou en train, d’être commis : il suffit, pour que sa responsabilité internationale soit susceptible d’être engagée à ce titre, qu’il ait eu connaissance, ou eût dû normalement avoir connaissance, de l’existence d’un risque sérieux de commission d’actes de génocide ».

  1. L’appréciation se fait au cas par cas et dépend du contrôle que l’Etat exerce sur les individus qui ont commis la violation et/ou le territoire où celle-ci est commise et le caractère prédictible de celle-ci.

En ce sens, CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 427 et surtout § 430 : « En la matière, la notion du « due diligence », qui appelle une appréciation in concreto, revêt une importance cruciale. Plusieurs paramètres entrent en ligne de compte quand il s’agit d’apprécier si un Etat s’est correctement acquitté de l’obligation en cause. Le premier d’entre eux est évidemment la capacité, qui varie grandement d’un Etat à l’autre, à influencer effectivement l’action des personnes susceptibles de commettre, ou qui sont en train de commettre, un génocide. Cette capacité est elle-même fonction, entre autres, de l’éloignement géographique de l’Etat considéré par rapport au lieu des événements, et de l’intensité des liens politiques et de tous ordres entre les autorités dudit Etat et les acteurs directs de ces événements. Par ailleurs, la capacité d’influence de l’Etat doit être évaluée aussi selon des critères juridiques, puisqu’il est clair que chaque Etat ne peut déployer son action que dans les limites de ce que lui permet la légalité internationale ; de ce point de vue, la capacité d’influence dont dispose un Etat peut varier selon la position juridique qui est la sienne à l’égard des situations et des personnes concernées par le risque, ou la réalité, du génocide. Peu importe, en revanche, que l’Etat dont la responsabilité est recherchée allègue, voire qu’il démontre, que s’il avait mis en œuvre les moyens dont il pouvait raisonnablement disposer, ceux-ci n’auraient pas suffi à empêcher la commission du génocide ».

Voir également Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 246 : « La Cour conclut qu’il existe suffisamment d’éléments de preuve étayant l’affirmation de la RDC selon laquelle l’Ouganda a manqué à son devoir de vigilance en ne prenant pas les mesures adéquates pour s’assurer que ses forces armées ne se livreraient pas au pillage et à l’exploitation des ressources naturelles de la RDC. Ainsi que cela a déjà été noté, il est manifeste qu’en dépit des instructions du président ougandais de veiller à ce que cesse le comportement fautif des soldats des UPDF, et malgré les assurances du général Kazini qu’il prendrait la situation en main, aucune mesure n’a été prise par ce dernier et le Gouvernement ougandais n’a rien fait pour s’assurer que les ordres étaient respectés (voir paragraphes 238 et 239 ci-dessus). La Cour relève en particulier que la commission Porter indique dans son rapport qu’ «[i]l ressort de tout ceci une situation d’indiscipline délibérée et persistante des commandants sur le terrain, tolérée et même encouragée et couverte par le général Kazini, comme l’indiquent l’incompétence ou l’absence totale d’enquête et l’incapacité de remédier efficacement au manque de discipline aux niveaux supérieurs» (les autres passages pertinents du rapport de la commission Porter sont les paragraphes 13.1 «Officiers des UPDF menant des opérations commerciales», 13.5 «Contrebande» et 14.5 «Allégations contre le général Kazini».) Il en résulte qu’en manquant ainsi d’agir l’Ouganda a violé ses obligations internationales, engageant par là sa responsabilité internationale. En tout état de cause, quelles qu’aient été les mesures prises par ses autorités, la responsabilité de l’Ouganda était engagée dès lors que les actes illicites étaient commis par ses forces armées (voir paragraphe 214 ci-dessus) ». En revanche : « 247. Quant à l’argument selon lequel l’Ouganda n’aurait pas non plus prévenu les actes de pillage et d’exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC par des groupes rebelles, la Cour a déjà établi que ces derniers n’étaient pas sous le contrôle de l’Ouganda (voir paragraphe 160 ci-dessus). Aussi, s’agissant des activités illégales de tels groupes en dehors de l’Ituri, la Cour ne peut conclure que l’Ouganda a manqué à son devoir de vigilance » ; § 248 : « La Cour observe en outre que, du fait qu’il était la puissance occupante dans le district de l’Ituri (voir paragraphe 178 ci-dessus), l’Ouganda était tenu de prendre des mesures appropriées pour prévenir le pillage et l’exploitation des ressources naturelles dans le territoire occupé, non seulement par des membres de ses forces armées, mais également par les personnes privées présentes dans ce district », § 250 : « La Cour conclut qu’elle dispose de suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour considérer que l’Ouganda a engagé sa responsabilité internationale à raison des actes de pillage et d’exploitation des ressources naturelles de la RDC commis par des membres des UPDF sur le territoire de la RDC, de la violation de son devoir de vigilance s’agissant de ces actes et du manquement aux obligations lui incombant en tant que puissance occupante en Ituri, en vertu de l’article 43 du règlement de La Haye de 1907, quant à l’ensemble des actes de pillage et d’exploitation des ressources naturelles commis dans le territoire occupé ».

Voir encore Cour EDH., 8 juillet 2004, Ilaşcu et autres c. Moldova et Russie, n° 48787/99, § 331 : « même en l’absence de contrôle effectif sur la région transnistrienne, la Moldova demeure tenue, en vertu de l’article 1 de la Convention, par l’obligation positive de prendre les mesures qui sont en son pouvoir et en conformité avec le droit international – qu’elles soient d’ordre diplomatique, économique, judiciaire ou autre – afin d’assurer dans le chef des requérants le respect des droits garantis par la Convention » ; § 333 : « La Cour considère que, si un Etat contractant se trouve dans l’impossibilité d’exercer son autorité sur l’ensemble de son territoire par une situation de fait contraignante, comme la mise en place d’un régime séparatiste accompagnée ou non par l’occupation militaire par un autre Etat, l’Etat ne cesse pas pour autant d’exercer sa juridiction au sens de l’article 1 de la Convention sur la partie du territoire momentanément soumise à une autorité locale soutenue par des forces de rébellion ou par un autre Etat. / Une telle situation factuelle a néanmoins pour effet de réduire la portée de cette juridiction, en ce sens que l’engagement souscrit par l’Etat contractant en vertu de l’article 1 doit être examiné par la Cour uniquement à la lumière des obligations positives de l’Etat à l’égard des personnes qui se trouvent sur son territoire. L’Etat en question se doit, avec tous les moyens légaux et diplomatiques dont il dispose envers les Etats tiers et les organisations internationales, d’essayer de continuer à garantir la jouissance des droits et libertés énoncés dans la Convention ».

1.2.2.1.2. Caractère subsidiaire de cette responsabilité en droit international humanitaire
  1. Il faut dire deux mots sur les rapports entre la responsabilité pour manquement à l’obligation de prévention et celle pour participation à la commission du fait internationalement illicite. Ainsi que la CIJ le déclara dans son arrêt du 27 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 382 : C’est seulement si on répond par la négative à la question de la responsabilité de l’Etat pour commission directe du fait illicite qu’il faudra se demander s’il a satisfait à son obligation de prévention. Si en effet un Etat est reconnu responsable d’un fait illicite, la question de savoir s’il a respecté son obligation de prévention au regard des mêmes faits est dépourvue d’objet, car un Etat ne saurait logiquement avoir satisfait à l’obligation de prévenir un génocide auquel il aurait activement participé. En revanche, l’absence de responsabilité d’un Etat pour commission par lui d’un fait illicite n’exclut pas que sa responsabilité puisse être recherchée sur le fondement de la violation de l’obligation de prévention.
  2. S’agissant des rapports entre le manquement à l’obligation de prévention et la complicité, la CIJ déclara dans le même arrêt, § 432, que la complicité comprend une action, la fourniture d’aide ou assistance aux auteurs principaux du fait illicite alors que la violation de l’obligation de prévention résulte de la simple abstention de prendre et mettre en œuvre les mesures adéquates pour empêcher celui-ci. La première constitue donc la violation d’une obligation négative, la seconde la violation d’une obligation positive. En outre, si la complicité n’est retenue que si l’Etat a connaissance du fait internationalement illicite, la violation de l’obligation de prévention est commise même sans certitude au moment de l’abstention que le fait était sur le point d’être commis ou était commis. Il suffit que l’Etat ait eu connaissance, ou eût dû normalement avoir connaissance, d’un risque sérieux de commission du fait illicite.

1.2.2.2. Manquement à l’obligation d’enquête, de poursuite et de punition des responsables de violations du droit international humanitaire

1.2.2.2.1. Affirmation et teneur de l’obligation
  1. Un certain nombre de conventions internationales font expressément peser sur les Etats parties une obligation de punir les responsables de violations de certaines normes. On y reviendra mais on peut déjà citer l’article V de la convention de 1951 sur le génocide : « Les Parties contractantes s’engagent à prendre, conformément à leurs constituions respectives, les mesures législatives nécessaires pour assurer l’application des dispositions de la présente Convention, et notamment à prévoir des sanctions pénales efficaces frappant les personnes coupables de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III ».
  1. L’obligation « positive » d’enquêter et de poursuivre [de punir et réparer] a été inférée dans le silence des traités de protection des droits de l’homme par les organes de protection des droits de l’homme des dispositions des conventions dont elles ont la garde[1]. Il semble que l’on puisse considérer qu’une telle obligation existe également en droit international humanitaire même à défaut d’énoncé conventionnel exprès en ce sens.

[1] Voir notamment Commission ADHP, 12 décembre 2015, Observation générale n° 3 sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : le droit à la vie (article 4), § 7 : « En vertu de la Charte, il incombe aux États d’élaborer et de mettre en œuvre un cadre juridique et pratique pour respecter, protéger, promouvoir et réaliser le droit à la vie. Les Etats doivent adopter des mesures aussi bien pour prévenir les privations arbitraires de la vie que de mener des enquêtes rapides, impartiales, approfondies et transparentes sur toute privation de ce type ayant pu se produire, en amenant les responsables à répondre de leurs actes et en fournissant un recours et des réparations effectifs à la victime ou aux victimes, y compris, s’il y a lieu, à leurs famille et personnes à charge », § 9 : « La responsabilité d’un Etat peut également être engagée en cas de tueries par des acteurs non étatiques s’il approuve, soutient ou acquiesce ces actes ou s’il n’exerce pas la diligence requise pour empêcher ces tueries ou s’il ne veille pas à ce qu’il y ait une enquête en bonne et due forme et que les auteurs des actes en rendent dûment compte », § 15 : « L’incapacité de l’Etat de prendre de façon transparente toutes les mesures nécessaires pour enquêter sur des morts suspectes et sur toute exécution perpétrée par des agents de l’État et d’identifier des personnes ou des groupes responsables de violations du droit à la vie et de les placer devant leurs responsabilités constitue, en soi, une violation de ce droit par l’Etat. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’il existe une tolérance de la culture de l’impunité. Toute enquête doit être menée de manière prompte, impartiale, approfondie et transparente », § 16 : « Des systèmes et des procédures légales efficaces d’enquête policière (y compris la capacité de recueillir et d’analyser des preuves médico-légales) et de reddition des comptes (y compris des mécanismes indépendants de contrôle) devraient être mis en place là où ils n’existent pas encore », § 17 : « En ce sens, l’obligation de rendre des comptes exige de enquêtes et, si nécessaire, des poursuites pénales. Dans certains cas, des commissions d’enquête ou des commissions de la vérité indépendantes, impartiales et dûment constituées, peuvent jouer un rôle, pour autant qu’elles n’accordent pas ou ne donnent pas lieu à une impunité pour des crimes internationaux. L’obligation de rendre des comptes couvre aussi des mesures telles que la réparation, la garantie de non-répétition, l’adoption de mesures disciplinaires, faire connaître la vérité, un examen et si nécessaire une réforme institutionnels. Les États doivent veiller à ce que les victimes aient accès à des recours efficaces contre ces violations. Les États devraient coopérer avec les mécanismes internationaux pour garantir l’obligation de rendre des comptes », § 20 : « Bien que les Etats puissent rencontrer des difficultés particulières à garantir l’obligation de rendre des comptes dans des situations de conflit armé, ils doivent adopter toutes les mesures possibles pour garantir l’obligation de rendre des comptes et le respect du droit à la vie. Invoquer la sécurité nationale ou le secret d’État ne constitue en aucun cas une base légitime pour ne pas s’acquitter de l’obligation de placer les responsables de privations arbitraires de la vie devant leurs responsabilités, y compris durant un conflit armé ou des opérations antiterroristes », § 38 : « Les Etats adopteront les mesures qui s’imposent pour enquêter sur les cas de disparition forcée commis par des personnes ou des groupes agissant sans l’autorisation, le soutien ou l’acquiescement de l’Etat et pour traduire les responsables en justice » ; Nations Unies, « Rapport de l’enquête indépendante des Nations Unies sur le Burundi (EINUB) établie conformément à la résolution S-24/1 du Conseil des droits de l’homme », A/HRC/33/37, traduction non officielle, 20 septembre 2016, § 13 : « En outre, l’État doit au minimum engager la responsabilité pénale des auteurs de violations et abus graves des droits de l’homme [note : Article 2 (3) PIDCP]. Si un État ne parvient pas à assurer la justice pour la privation arbitraire de la vie, un tel échec constitue en soi une violation distincte du droit à la vie [note : Comité des Droits de l’Homme, Commentaire Général n° 31, para. 18. Voir aussi Commentaire Général No. 3 de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : Le Droit à la vie (Article 4) (2015) para.15] » ; § 101 : « L’État a l’obligation d’assurer la reddition des comptes pour les violations des droits de l’homme. Le Gouvernement du Burundi a constamment failli à respecter ses obligations d’engager promptement, sérieusement et en toute impartialité des enquêtes et des poursuites sur ces violations; de traduire en justice leurs auteurs présumés et de sanctionner ceux qui sont reconnus coupables à des peines proportionnelles à la gravité de leurs actes, y compris ceux qui occupent des positions d’autorité, d’apporter des recours efficaces aux victimes et de leur assurer une réparation appropriée; et de prendre des mesures pour prévenir la répétition de ces actes ».

  1. Ainsi, en présence ou non d’un disposition spécifique à ce sujet dans le traité, les organes internationaux de protection des droits de l’homme ont développé une pratique énonçant comme faisant partie de chaque droit, indépendamment de la clause générale obligeant à offrir un recours effectif, une obligation pour les Etats d’offrir une voie de recours aux victimes de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises sur un espace ou contre des personnes sous leur contrôle[1].

[1] Nations Unies, « Rapport de l’enquête indépendante des Nations Unies sur le Burundi (EINUB) établie conformément à la résolution S-24/1 du Conseil des droits de l’homme », A/HRC/33/37, traduction non officielle, 20 septembre 2016, § 13 : « En outre, l’État doit au minimum engager la responsabilité pénale des auteurs de violations et abus graves des droits de l’homme [note : Article 2 (3) PIDCP]. Si un État ne parvient pas à assurer la justice pour la privation arbitraire de la vie, un tel échec constitue en soi une violation distincte du droit à la vie [note : Comité des Droits de l’Homme, Commentaire Général n° 31, para. 18. Voir aussi Commentaire Général No. 3 de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : Le Droit à la vie (Article 4) (2015) para.15] » ; § 101 : « L’État a l’obligation d’assurer la reddition des comptes pour les violations des droits de l’homme. Le Gouvernement du Burundi a constamment failli à respecter ses obligations d’engager promptement, sérieusement et en toute impartialité des enquêtes et des poursuites sur ces violations; de traduire en justice leurs auteurs présumés et de sanctionner ceux qui sont reconnus coupables à des peines proportionnelles à la gravité de leurs actes, y compris ceux qui occupent des positions d’autorité, d’apporter des recours efficaces aux victimes et de leur assurer une réparation appropriée; et de prendre des mesures pour prévenir la répétition de ces actes ».

  1. Là encore, il s’agit d’une obligation de moyen. L’Etat n’engagera sa responsabilité que s’il ne pas pris les mesures raisonnablement exigées de lui pour qu’il enquête et poursuive selon ses moyens disponibles.
1.2.2.2.2. Rapports entre le manquement à l’obligation de réagir et la violation directe
  1. Sur les rapports entre le manquement à l’obligation de punition et la commission du crime, voir CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Recueil 2007, p. 43, § 383 : Il est parfaitement possible que la responsabilité internationale d’un Etat soit engagée à la fois à raison de la commission par lui d’un fait internationalement illicite ou de complicité ou incitation à commettre celui-ci, et à raison de la violation par lui de son obligation de punir l’auteur dudit acte. Il y aura dans ce cas deux faits internationalement illicites distincts attribuables à cet Etat, susceptibles d’être retenus cumulativement à sa charge comme fondement de sa responsabilité internationale.

2. La Mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat

La mise en œuvre de sa responsabilité peut en principe avoir lieu dans l’ordre juridique international et dans un ordre juridique étatique même si elle est rare.

2.1. Mise en œuvre dans l’ordre international

Même quand il prévoit la responsabilité de l’Etat en cas de violation de ses prescriptions, le droit international humanitaire ne prévoit pas, contrairement à ce qui peut se passer en droit international des droits de l’homme de mécanismes de recours internationaux contre un Etat à la disposition des individus qui seraient victimes de faits illicites de celui-ci[1]. Seuls les Etats en disposent, que ce soit pour faire valoir leurs droits propres ou ceux de leurs nationaux par la voie de la protection diplomatique ou de la représentation. La question de la responsabilité est généralement réglée au moyen d’un accord interétatique bilatéral[2]. Le voile de l’Etat hérité d’une conception originellement statocentrée du droit international reste présent et le rapport contentieux reste un rapport bilatéral classique, le droit à réparation restant largement un droit étatique.


[1] Voir notamment Y. Naqvi, « Droits de l’homme » in Van Steenberghe R. (dir.), Droit international humanitaire : un régime spécial de droit international ?, Bruxelles, Bruylant, coll. Organisation internationale et relations internationales, 2013, pp. 225-266, 233-234.

[2] Voir ainsi F. Parodi, « Les fonds internationaux en faveur des victimes », in Ascensio H., Decaux E., Pellet A. (dir.), Droit international pénal, Deuxième édition révisée, Paris, Pedone, 2012, pp. 719-724, 720-721.

2.1.1. Le contentieux interétatique classique

Il peut être enclenché à deux titres.

2.1.1.1 Pour réparation d’un dommage immédiat

  1. Bien sûr, un Etat victime de violations du droit international humanitaire peut demander réparation à un autre Etat pour faire valoir son dommage propre et son droit à réparation.
  2. L’Etat peut également lier ce genre de prétentions à d’autres telles que la violation de son intégrité territoriale ou l’interdiction de l’usage de la force comme dans les affaires des activités militaires au Congo opposant la RDC à l’Ouganda devant la CIJ et la Commission africaine des droits de l’homme.

2.1.1.2. Pour réparation d’un dommage dommage médiat : les mécanismes de la représentation et de la protection diplomatique

  1. On l’a dit, si le droit international humanitaire comprend une obligation des Etats de respecter et faire respecter ses prescriptions, les individus victimes d’éventuelles violations de ces obligations ne peuvent pas agir directement dans l’ordre international contre l’Etat auteur de la violation sauf à recourir aux mécanismes du droit international des droits de l’homme. Ces individus sont entièrement démunis face à leur Etat de nationalité et doivent, s’ils veulent obtenir réparation de la part d’un autre Etat, se tourner vers leur Etat de nationalité. Celui-ci peut alors intervenir, en vertu d’un accord conclu avec l’Etat mis en cause[1], en représentation de ses ressortissants, ce qui est toutefois exceptionnel.

[1] F. Parodi, « Les fonds internationaux en faveur des victimes », in Ascensio H., Decaux E., Pellet A. (dir.), Droit international pénal, Deuxième édition révisée, Paris, Pedone, 2012, pp. 719-724, 720-721.

  1. Sinon, on le sait, l’individu alléguant une violation de ses droits par un Etat dont il n’a pas la nationalité doit saisir les tribunaux de cet Etat puis, en cas d’échec, a pour seul recours de se tourner vers son Etat de nationalité, censé le protéger, pour qu’il endosse sa demande. Il en résulte, vous le savez, un contentieux purement interétatique dans le cadre duquel, l’Etat national qui accepte cet endossement fait en réalité valoir, non pas le droit subjectif de l’individu, mais son droit propre à voir celui-ci traité par l’autre Etat conformément au droit international humanitaire. Mais puisque l’Etat n’a à invoquer qu’un dommage propre, il a totale liberté pour mettre en œuvre la responsabilité internationale de l’autre Etat[1] et n’est nullement tenu de verser l’éventuelle réparation obtenue au profit de son national.

[1] Voir cependant des limites à cette discrétion in, entre autres,English Court of Appeal’s judgment in R (Abassi) v Secretary of State for Foreign Affairs2002 EWCA Civ 1598 and the South African Constitutional Court’s judgment in Kaunda v President of the Republic of South Africa10 BCLR 1009.

  1. Ainsi qu’il a été dit, un tel schéma révèle clairement la nature stato-centrée du droit international, en vertu de laquelle l’offense faite à un national d’un Etat est tenue pour une offense indirecte à cet Etat lui-même. Le terme de « protection » repose sur l’idéologie dominante en droit international classique selon laquelle l’Etat est protecteur de ses nationaux. Cette technique fut largement utilisée en notre matière au lendemain des deux guerres mondiales mais ne l’est plus guère désormais bien qu’elle reste disponible.
  2. En effet, ont été développés des mécanismes ad hoc de recours internationaux en réparation ouverts aux victimes contre les Etats. Dans certains cas, l’Etat pourra intervenir en tant que représentant de ses nationaux.

2.1.2. Les mécanismes ad hoc

C’est finalement ainsi que la plupart des différends se règlent désormais, qui concernent généralement des contentieux de masse, à l’issue d’un conflit.

  1. La question des réparations faisait traditionnellement l’objet d’un chapitre des traités de paix et de réparation des dommages de guerre conclus à l’issue des guerres ou d’autres accords visant au règlement de différends découlant de conflits armés internationaux. Dans une logique purement interétatique, ceux-ci prévoyaient généralement l’obligation de réparation des Etats vaincus et le montant de celle-ci, généralement global, était versé à l’Etat vainqueur qui pouvait répartir la réparation à ses ressortissants.
  2. Certains traités, cependant, comme le traité de Versailles de 1919 avec la Commission des réparations (art. 231-244 et annexes sur les réparations) ; le Traité de Lausanne de 1923 avec les tribunaux arbitraux mixtes et le Traité de paix conclu avec l’Italie en 1947 avec les commissions de conciliation, ont institué des mécanismes de réclamations à la disposition des individus victimes de violations du droit international[1]. Souvent, quand étaient instituées de tels organes internationaux chargés de statuer sur ces réparations, le traité prévoyait, outre la faculté des individus de porter des réclamations en propre, la possibilité pour les Etats vainqueurs de saisir l’organe international en représentation de leurs ressortissants.

[1] Nguyen Quoc Dinh, P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, 8e éd., Paris, L.G.D.J., 2009, 1709 p., § 438.

  1. La pratique ultérieure au règlement des deux guerres mondiales est cependant restée limitée concernant les plaintes individuelles pour réparations des dommages résultant de violations du droit international humanitaire[1].

[1] Voir M. Frulli, “When are States Liable Towards Individuals for Serious Violations of Humanitarian Law? The Marković Case », Journal of International Criminal Justice, Vol. 1, 2003, pp. 406-427.

Voir ainsi la Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie[1] créée par l’Accord d’Alger du 12 décembre 2000 dont l’article 5 énonçait qu’elle était chargée de rendre une sentence arbitrale sur toutes les demandes en dommages et intérêts formées par l’un ou l’autre ou les deux Etats ou par les ressortissants de ceux-ci, personnes physiques ou personnes morales de droit privé ou de droit public […] b) résultant d’une violation des règles du droit international humanitaire, ou encore des dispositions des conventions de Genève de 1949 ou des règles de droit international »[2]. Cette Commission fonctionnait selon un mécanisme de représentation par l’Etat de nationalité des victimes puisque seuls les deux Etats pouvaient la saisir, que ce soit en leur nom propre ou au nom de leurs ressortissants.


[1] E. Jouannet, « Le règlement de paix entre l’Ethiopie et l’Erythrée : ‘Un succès majeur pour l’ensemble de l’Afrique’ ? », RGDIP, 2001, p. 876 ; P. d’Argent, « La Commission des réclamations Erythrée-Ethiopie : suite et fin », AFDI, 2009, pp. 279-297.

[2] Cité in Nguyen Quoc Dinh, P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, 8e éd., Paris, L.G.D.J., 2009, 1709 p., § 438.

Voir également la Commission de compensation de l’ONU instituée par la résolution 692 du Conseil de sécurité pour apurer le contentieux des dommages ayant découlé de l’invasion du Koweït par l’Irak. Ce mécanisme accordait la faculté aux individus de demander réparation de leurs dommages à l’Etat irakien mais seulement à l’expiration d’un délai pendant lequel seuls les Etats pouvaient présenter des réclamations, mais issues de la violation du jus ad bellum[1].


[1] Voir P. d’Argent, « Le Fonds et la Commission de Compensation des Nations Unies », RBDI, 1992, pp. 485-518.

2.1.3. Le recours aux mécanismes du droit international des droits de l’homme

  1. On l’a vu, un certain nombre de violations du droit international humanitaire peuvent également constituer des violations du droit international des droits de l’homme. En conséquence, les victimes ont de plus en plus recours aux mécanismes internationaux de ce dernier pour obtenir réparation des préjudices qu’ils ont souffert à l’occasion d’un conflit armé.
  2. Le droit international des droits de l’homme étant dans une certaine mesure applicable en période de conflit armé (voir « Articulation des règles de protection de la personne humaine »), ce type de recours peut constituer un palliatif à l’absence de mécanisme dédié à la réparation des dommages résultant de violations du droit international humanitaire. Il est en effet souvent possible de traduire des violations du droit international humanitaire sous le vocabulaire des droits de l’homme, de sorte à obtenir réparation.
  1. Les juridictions de protection des droits de l’homme ont ainsi accepté, bien que de manières différentes, d’appliquer certaines normes du droit international humanitaire ou d’appliquer le droit international des droits de l’homme en tenant compte des règles du droit international humanitaire. Ce faisant, elles ont pu condamner l’Etat défendeur à réparer les préjudices occasionnés par leurs violations du droit international humanitaire[1].

[1] Par exemple : Comm. ADHP, 29 mai 2003, République Démocratique du Congo c. le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda, n° 227/99, http://caselaw.ihrda.org/fr/doc/227.99/view/ ; Inter-Am.C.H.R., April 13, 1998, Juan Carlos Abella v. Argentina, Case 11.137, OEA/Ser.L/V/II.98 doc. 6 rev., §§ 157 ss. ; Cour EDH [GC], 7 juillet 2011, Al-Jedda c. Royaume-Uni, req. n° 27021/08, § 107. Voir, entre autres, J.-M. Henckaerts, “Concurrent Application of International Humanitarian Law and Human Rights Law”: A Victim Perspective”, in R. Arnold & N. Quénivet (eds.), International Humanitarian Law and Human Rights Law. Towards a New merger in International Law, Leiden, Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2008, 596 p., pp. 237 ss., 242.

2.2. Mise en œuvre dans les ordres étatiques

  1. La mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat par des individus devant un juge étatique pour violation du droit international des droits de l’homme est devenue banale. Ce n’est pas le cas, en revanche, de la mise en œuvre de sa responsabilité pour violation du droit international humanitaire[1]. Les juges étatiques sont en effet très réticents à admettre que les individus puissent directement demander réparation des dommages subis et n’admettent que très rarement d’ordonner des réparations dans ce cadre.
  2. Il faut cependant affiner l’analyse pour comprendre ces réticences et distinguer selon que le juge saisi est celui de l’Etat mis en cause ou celui d’un autre Etat.

[1] Voir notamment S. Weill, The Role of National Courts in Applying International Humanitarian Law, Oxford, Oxford UP, International Law in Domestic Courts, 2014, 221 p.

2.2.1. Mise en oeuvre devant le juge de l’Etat mis en cause

Du point de vue du droit international, ce juge, étant compétent, est tenu de connaître de tels recours en vertu de l’obligation de son Etat de respecter et faire respecter le droit international humanitaire. Il reste que les juges étatiques répugnent à cela. Présentons-ici deux des principaux obstacles dressés par le juge à cette mise en œuvre.

  1. Peuvent notamment constituer des obstacles à ce genre de poursuite des doctrines jurisprudentielles comme la doctrine des actes de gouvernement ou de l’irresponsabilité de la puissance publique qu’on trouve notamment en France et en Italie de même que les doctrines des Political questions qu’on trouve aux Etats-Unis ou celle des Royal Prerogatives au Royaume-Uni.
  1. Toutes ces inventions du juge étatique empêchent la justiciabilité de certaines décisions prises par le pouvoir exécutif et la recevabilité de contentieux qui relèvent pourtant de sa compétence. De la sorte, un certain nombre de questions qui s’inscrivent en particulier dans les relations internationales échappent à l’empire de l’examen juridictionnel pour rester dans le jeu purement politique[1].

[1] Voir notamment S. Weill, “Building Respect for IHL through National Courts”, International Review of the Red Cross, Vol. 96 (895/896), 2014, pp. 859-879, 865.

Ainsi, en février 2002, la Cour de cassation italienne a rejeté la compétence du juge italien sur ce fondement au sujet d’un recours civil de ressortissants de la République fédérale de Yougoslavie (Dusko Markovand others) demandant réparation pour la mort et autres dommages subis par leurs parents après le bombardement par l’OTAN d’une station de radio en 1999 au Kosovo[1]. Elle déclara que le choix des moyens et méthodes de combats relèvent des « actes de gouvernement », lesquels constituent la manifestation et l’exercice d’une fonction politique qui sont, par leur nature, non justiciables. Elle ajouta, pour soutenir sa décision, que les règles internationales relatives à la conduite des hostilités et protégeant les populations civiles en cas d’attaque s’appliquent seulement dans les relations interétatiques En particulier, le Protocole I et la Convention européenne des droits de l’homme prévoient que les juridictions internationales sont les organes appropriés pour se prononcer sur la question de la responsabilité de l’Etat pour violation des dispositions qui y sont incluses. En conséquence, selon elle, les règles mettant en œuvre ces traités dans le système juridique italien ne confèrent pas aux individus le droit d’intenter une action en réparation pour les dommages subis du fait de violations du droti international humanitaire par l’Etat italien ni ne fournissent une procédure de plainte ad hoc. En tout état de cause, une telle disposition serait incompatible avec l’idée que l’exercice des fonctions politiques ne peut par lui-même conduire à des violations de droits ou intérêts des individus[2]. Si les requérants sont allés ensuite devant la Cour européenne des droits de l’homme pour contester l’application à eux de cette jurisprudence, la Cour a admis qu’un Etat pouvait faire valoir ce genre d’argument sans violer le droit à un procès équitable des victimes.


[1] Sur cette affaire : M. Frulli, “When are States Liable Towards Individuals for Serious Violations of Humanitarian Law? The Marković Case », Journal of International Criminal Justice, Vol. 1, 2003, pp. 406-427.

[2] In ibid., p. 409.

Voir également la jurisprudence française sur principe d’irresponsabilité de l’Etat en cas d’action militaire à l’étranger rappelée sans ambiguïté par le Conseil d’Etat in 23 juillet 2010, Société Touax et Société Touax Rom, n° 328757, publié au Recueil Lebon : « Considérant […] que les opérations militaires ne sont, par nature, pas susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat, y compris sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques ; que les préjudices résultant d’opérations présentant ce caractère ne sauraient ainsi ouvrir aux victimes droit à réparation à la charge de l’Etat que sur le fondement de dispositions législatives expresses ».

  1. Certains juges refusent également de faire droit à des demandes au motif que la question de la réparation a été réglée par un traité de paix.

2.2.2. Mise en œuvre devant le juge d’un Etat autre que celui mis en cause

Le développement d’un tel type de contentieux dans l’ordre des autres Etats se heurte également à un certain nombre de limites qui concernent en particulier la compétence du juge étranger, les questions d’immunités de l’Etat, de ses démembrements et de ses émanations, la question des Political questions, la doctrine de l’Act of State, celle du Forum non conveniens ou encore la question de l’invocabilité du droit international devant le juge étatique… Les recours individuels contre un Etat devant les juges d’un autre Etat échouent ainsi la plupart du temps.

2.2.2.1. Obstacles tenant à la compétence du juge et à la recevabilité des demandes

  1. Pour que le recours puisse prospérer, il faudra tout d’abord que l’Etat ait incriminé le comportement litigieux dans son ordre interne. Or, il est exceptionnel qu’un droit étatique incrimine les comportements d’Etats étrangers.
  2. Il faudra de même qu’il ait établi la compétence de son juge pour connaître de tels comportements.

Sur ce point, voir CAA Marseille, 6 mai 2008, n° 06MA01509, RGDIP, 2009.466, note J. Matringe : « Considérant qu’en application du principe de souveraineté des Etats dans l’ordre international, la juridiction administrative française n’est pas compétente pour prononcer la condamnation d’un Etat étranger, et en l’espèce de l’Etat allemand, à supposer même que sa responsabilité soit recherchée en qualité d’employeur ; que les conclusions susanalysées doivent ainsi être rejetées sans que puissent y faire obstacle les circonstances que la France ait été occupée par l’Allemagne et que cette dernière [en établissant le service du travail obligatoire] ait méconnu les conventions internationales qu’elle avait ratifiées, notamment la convention n° 29 de l’Organisation internationale du travail du 28 juin 1930 et la convention du 25 septembre 1926 relative à l’esclavage » (voir également dans le même sens CAA Marseille, 6 ai 2008, n° 06MA01351).

Voir déjà CAA Paris, 27 juin 2006, n° 05PA00117 : « Considérant que Mme X soutient que l’action introduite par son défunt mari tend à la condamnation de la République fédérale d’Allemagne, solidairement avec l’Etat français, à l’indemniser des dommages subis du fait du travail obligatoire auquel il a été contraint pendant la deuxième guerre mondiale ; que toutefois, par application du principe de souveraineté des Etats dans l’ordre international, la juridiction administrative française n’est pas compétente pour prononcer la condamnation d’un Etat étranger ; que les conclusions susanalysées doivent donc être rejetées ».

  1. Il faudra encore que la plainte obéisse aux conditions de recevabilité posées par l’ordre interne. Dans ce cadre, les obstacles sont nombreux. Peuvent ainsi constituer des obstacles à ce genre de poursuite des doctrines jurisprudentielles comme l’Act of State aux Etats-Unis qui interdit au juge américain de juger les actes pris par un Etat étranger en tant que souverain sur son territoire.
  1. Enfin est-il parfois rétorqué aux plaignants que le droit de demander réparation ne peut pas être exercé directement par les individus mais seulement au moyen de la protection diplomatique[1]. Dans un autre registre, le juge peut opposer aux individus la prescription de l’action[2].

[1] M. Frulli, “When are States Liable Towards Individuals for Serious Violations of Humanitarian Law? The Marković Case », op. cit. note 154, p. 420.

[2] Ibidem.

2.2.2.2. L’obstacle du jeu des immunités de l’Etat étranger

Le jeu des immunités de juridiction et d’exécution de l’Etat mis en cause est un obstacle particulièrement important, ainsi qu’illustré par l’affaire des Immunités juridictionnelles de l’Allemagne ayant opposé l’Italie et l’Allemagne devant la CIJ, sachant que les actes de guerre sont traditionnellement considérés comme relevant des actes d’imperium qui bénéficient de telles immunités[1].


[1] A. Gattini, “To What Extent are State Immunity and Non-Justiciabiliity Major Hurdles to Individuals’ Claims for War Damages”, Journal of International Criminal Justice, Vol. 1, No. 2, 2003, pp. 348-367.

Par un arrêt du 4 mai 2000, la Cour de cassation grecque avait confirmé un arrêt d’un tribunal de première instance grec condamnant l’Allemagne pour un massacre commis au village de Distomo par les troupes allemandes d’occupation, le tribunal ayant écarté le bénéfice de l’immunité de juridiction du défendeur en raison de la violation de normes de jus cogens par celui-ci. (Préfecture de Voiotia c. République fédérale d’Allemagne, arrêt n° 11/2000) ». Face au refus du ministre grec de la justice d’autoriser l’exécution forcée et les juridictions grecques appliquant l’immunité d’exécution de l’Allemagne, les demandeurs, parents de victimes, allèrent en Italie.

Le juge italien accepta d’ordonner l’exécution de la décision grecque sur des propriétés allemandes en Italie en avançant que si la règle de l’immunité de juridiction et d’exécution des Etats étrangers était de nature coutumière, il fallait qu’elle évolue car on ne pouvait considérer qu’un Etat jouisse de telles immunités pour échapper à leur responsabilité en cas de violation du jus cogens (arrêt Ferrini c/ République Fédérale d’Allemagne du 11 mars 2004 de la Cour de cassation italienne (trad. in 128 International Law Reports, pp. 659-675).

L’Allemagne saisit la CIJ pour violation par l’Italie de ses immunités. Dans son arrêt du 3 février 2012, la CIJ déclara que l’Italie avait manqué à son obligation de respecter l’immunité reconnue à la RFA par le droit international en permettant que soient intentées à son encontre des actions civiles fondées sur des violations du droit international humanitaire commises par le Reich allemand entre 1943 et 1945 ainsi qu’en prenant des mesures d’exécution forcée visant une propriété allemande en Italie et en déclarant exécutoires sur le territoire italien des décisions judiciaires grecques fondées sur lesdites violations. Elle rejeta notamment l’argument de l’Italie visant à faire plier l’immunité en cas de violation du jus cogens car, selon la Cour, la règles d’immunité joue au stade de la recevabilité d’une affaire tandis que la question de la violation du jus cogens est une question de fond. Les deux règles se situant à des moments différents du raisonnement juridique, l’invocation du jus cogens ne peut pas faire plier la règle de l’immunité[1].


[1] Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J., Recueil 2012, p. 99, § 83 et § 93 : « […] la Cour doit néanmoins rechercher si le droit international coutumier a évolué au point d’interdire à un Etat de se prévaloir de son immunité en cas de violations graves des droits de l’homme ou du droit des conflits armés. Hormis les décisions de la justice italienne qui font l’objet de la présente instance, il n’existe quasiment aucune pratique étatique qui puisse être considérée comme étayant la proposition selon laquelle un Etat serait privé de son droit à l’immunité en pareil cas. […] A supposer, aux fins du présent examen, que les règles du droit des conflits armés qui interdisent de tuer des civils en territoire occupé ou de déporter des civils ou des prisonniers de guerre pour les astreindre au travail forcé soient des normes de jus cogens, ces règles n’entrent pas en conflit avec celle qui régissent l’immunité́ de l’Etat. Ces deux catégories de règles se rapportent en effet à des questions différentes. Celles qui régissent l’immunité́ de l’Etat sont de nature procédurale et se bornent à déterminer si les tribunaux d’un Etat sont fondés à exercer leur juridiction à l’égard d’un autre. Elles sont sans incidence sur la question de savoir si le comportement à l’égard duquel les actions ont été engagées était licite ou illicite. […] le fait de reconnaître l’immunité́ d’un Etat étranger conformément au droit international coutumier ne revient pas à juger licite une situation créée par la violation d’une règle de jus cogens ».

Cet arrêt fut à l’origine d’un revirement de jurisprudence du juge grec. En effet, dans un arrêt du 8 novembre 2013, la Cour de cassation confirma le rejet d’une nouvelle demande en réparation contre l’Allemagne par la Communauté israélite de Thessalonique pour des préjudices résultant de comportements des organes du troisième Reich pendant la seconde guerre mondiale. Elle reprit la position de la Cour suprême spéciale à laquelle elle avait renvoyé l’affaire : « il existe, à l’époque actuelle, une règle du droit international généralement reconnue selon laquelle des poursuites contre la République fédérale d’Allemagne ne peuvent être engagées devant les juridictions grecques aux fins d’indemnisation des préjudices sur le sol grec impliquant de quelconque manière des forces armées allemandes ; l’Allemagne jouit de l’immunité de juridiction. Par conséquent, la Cour saisie doit rejeter la demande en réparation au motif qu’elle n’a pas compétence pour la juger » [1].


[1] Grèce, Cour de cassation, arrêt n° 2013/2013 du 8 novembre 2013, RGDIP 2015.869, note M. Paschou

De leur côté, les juges italiens maintinrent leur position, inventant même le concept de delicta imperii[1].

La Cour de cassation française reconnaît quant à elle l’immunité de juridiction de l’Allemagne en matière de service du travail obligatoire ; voir Cass. 1e civ., 16 décembre 2003, M. Bucheron, n° 02-45961, Bull. 2003 I, n° 258, p. 206 ; RGDIP, 2004.259, note F. Poirat : « [C]’est à juste titre que la Cour d’appel a décidé que les faits qu’elle énonce et consistant à contraindre des personnes requises au titre du service du travail obligatoire, à travailler en pays ennemi, avaient été accomplis à titre de puissance publique occupante par le Troisième Reich, dont la RFA est successeur, et qu’en l’absence de traité auquel la France est partie, ils n’étaient pas de nature à faire échec au principe de l’immunité juridictionnelle de la RFA selon la pratique judiciaire française ».


[1] Voir Italie, Cour constitutionnelle, 3 mars 2015, ordonnance 30/15. Cour de cassation, 6 mai 2015, République fédérale d’Allemagne c. Région Sterea Ellada (n° 9097/15), et 28 octobre 2015, Francine Flatow et a. c. République islamique d’Iran, Ministère de l’information et de la sécurité de l’Iran et Ministère des affaires étrangères d’Italie (n° 21946/15), RGDIP 2015.870, note E. Castellarin.

  1. Or, face à l’arrêt de la CIJ, on pourrait imaginer déqualifier certains comportements classiquement considérés comme relevant de l’imperium de l’Etat de manière à faire tomber l’immunité comme le juge français l’a fait au sujet de la voie de fait qui constitue une déqualification de certains actes administratifs au regard du caractère manifeste de leur irrégularité. On imagine cependant mal le droit international évoluer vers cette solution dans les années à venir.

2.2.3. L’obstacle commun du refus du juge interne de reconnaître un effet direct à l’obligation de réparation et l’existence d’un droit corollaire des individus à réparation

Les juges étatiques sont réticents à reconnaître un droit à réparation aux victimes de violations du droit international humanitaire[1]. Constitue un obstacle à lui seul le refus de reconnaître un effet direct à l’obligation d’indemnisation et un droit direct à demander réparation.


[1] Voir M. Cherif Bassiouni, “International Recognition of Victims’ Rights”, Human Rights Law Review, Vol. 6, No. 2, 2006, pp. 203-279, 205.

  1. Certains juges estiment que le droit international humanitaire ne comprend pas de norme conférant un droit à réparations aux individus victimes de conflits armés[1].

[1] Voir Allemagne. Cour constitutionnelle, 13 août 2013, 2 BvR 2660/06[1]. — Jeu de la clause d’incorporation (article 25 de la Loi fondamentale). Immédiateté du droit international. Responsabilité [interne] de l’Etat à raisons d’opérations à l’étranger. Recensé in R.G.D.I.P. 2014/4. Voir également la jurisprudence japonaise, notamment in M. Cherif Bassiouni, “International Recognition of Victims’ Rights”, Human Rights Law Review, Vol. 6, No. 2, 2006, pp. 203-279, 222 s.

D’autres placent l’obstacle à un autre niveau : quand bien même une obligation de réparer existerait en droit international humanitaire, celle-ci ne serait pas d’effet direct dans le droit étatique et ne donnerait donc pas naissance dans cet ordre à un droit de réparation. L’argument principalement avancé par les juges est que l’obligation de réparation posée par le droit international humanitaire conventionnel est une obligation qui ne vaut qu’à l’égard des autres Etats. Sa mise en œuvre doit donc être interétatique[1] et ne peut être faite au niveau étatique car les dispositions prévoyant l’obligation d’indemnisation ne conféreraient aucun droit subjectif aux individus susceptible d’être invoqués devant un juge étatique faute d’être self executing.


[1] En ce sens, M. Frulli, “When are States Liable Towards Individuals for Serious Violations of Humanitarian Law? The Marković Case », Journal of International Criminal Justice, Vol. 1, 2003, pp. 406-427, 418 s.

Dans les systèmes dits dualistes, tout dépendra de l’incorporation des normes conventionnelles par un acte du pouvoir législatif. Dans les Etats dits monistes où le traité est censé produire immédiatement ses effets en droit étatique pour peu qu’il soit publié, les juges recourent régulièrement à la doctrine de l’effet direct pour refuser l’invocabilité des traités humanitaires.

Telle fut la position les tribunaux japonais à propos des actes commis par le Japon pendant la guerre du grand Orient[1]. Telle a pu également être la position du juge américain[2] et du juge allemand[3] ou encore du français dans l’affaire du tramway de Jérusalem[4].


[1] Voir M. Frulli, op. cit., p. 420.

[2] US Court of Appeals, Fourth Circuit, Goldstar (Panama) v. United States, 16 June 1992, 967 F 2d 965 : “10. International treaties are not presumed to create rights that are privatively enforceable. See Head Money Cases, 112 U.S. 580, 598–99, 5 S.Ct. 247, 253–54, 28 L.Ed. 798 (1884) ; Foster v. Neilson, 27 U.S. (2 Pet.) 253, 314, 7 L.Ed. 415 (1829). Courts will only find a treaty to be self-executing if the document, as a whole, evidences an intent to provide a private right of action. United States v. Thompson, 928 F.2d 1060, 1066 (11th Cir.), cert. denied, ___ U.S. ___, 112 S.Ct. 270, 116 L.Ed.2d 222 (1991); Diggs v. Richardson, 555 F.2d 848, 851 (D.C.Cir.1976). The Hague Convention does not explicitly provide for a privately enforceable cause of action. Moreover, we find that a reasonable reading of the treaty as a whole does not lead to the conclusion that the signatories intended to provide such a right. 11. Significantly, the United States Supreme Court has recently construed a provision of the Geneva Convention similar to the presently contested Hague Convention language. The Geneva Convention provides that an illegally boarded merchant ship “shall be compensated for any loss or damage that may have been sustained.” Geneva Convention of the High Seas, Apr. 29, 1958, art. 22(3), 13 U.S.T. 2312, 2319. Interpreting this language, the Supreme Court found that the “conventions … only set forth substantive rules of conduct…. They do not create private rights of action….” Argentine Republic v. Amerada Hess Shipping Corp., 488 U.S. 428, 442, 109 S.Ct. 683, 692, 102 L.Ed.2d 818 (1989). We can discern no reason why the Hague Convention language, at issue in the present case, should be construed any differently. 12. Furthermore, Article 1 of the Hague Convention states, “[t]he Contracting Powers shall issue instructions to their armed 969*969 land forces which shall be in conformity with the Regulations….” Hague Convention, art. 1, 36 Stat. at 2290. This language must be taken as further evidence that the Hague Convention is not self-executing, and that, instead, the signatories contemplated that individual nations would take subsequent executory actions to discharge the obligations of the treaty. 13. In sum, we hold that the Hague Convention is not self-executing and, therefore, does not, by itself, create a private right of action for its breach. As a result, we find that neither the Hague Convention nor, derivatively, the Alien Tort Statute, constitutes a waiver of sovereign immunity for the type of action advanced by Goldstar. Accordingly, Goldstar cannot establish subject matter jurisdiction under the terms of the Alien Tort Statute”.

[3] Voir, par exemple, l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande du 13 août 2013 au sujet de la destruction d’un pont dans la ville serbe de Varvarin le 30 mai 1999 dans le cadre de l’opération « Forces alliées » de l’OTAN qui avait tué 10 personnes civiles, 17 autres ayant été grièvement blessées. Des ayants droits des premières et une partie des secondes avaient réclamé une indemnisation à l’Allemagne. Après rejet de leurs demandes par les juridictions civiles, « La Cour constitutionnelle conclut […] à l’inexistence d’une coutume internationale conférant un droit à réparation aux individus victimes de conflits armés. Selon elle, d’abord, la disparité des précédents étatiques de dédommagement des victimes de conflits armés par l’Etat responsable les empêche d’être à l’origine d’une coutume. Ensuite, la pratique juridictionnelle ne permet pas d’identifier une coutume : tandis que la CIJ avait laissé la question ouverte dans l’affaire Allemagne c/ Italie (3 févr. 2012, § 108), les juridictions étrangères tendent à rejeter les prétentions fondées sur le droit international public dans le domaine des réparations de guerre. Enfin, l’article 33, § 2, du projet d’articles de la commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, qui doit être considéré comme une codification du droit coutumier, écarte à ses yeux le droit que les individus tiendraient de la coutume internationale d’engager devant les juridictions internes la responsabilité d’un Etat qui n’est ni leur Etat national, ni l’Etat sur le territoire duquel les faits reprochés ont eu lieu. Cependant, dans le contexte de l’application de l’article 25 de la Loi fondamentale, se pose la question de savoir si l’article 3 de la Quatrième convention de La Haye et l’article 91 de son premier Protocole expriment une règle coutumière. La Cour constitutionnelle ne la tranche pas considérant qu’en tout état de cause ces instruments ne s’adressent qu’aux Etats. Autrement dit, faute pour la règle conventionnelle d’être « self-executing », son éventuel pendant coutumier ne confèrerait aucun droit international au particulier d’obtenir réparation en cas de violation du droit international humanitaire. […]. En revanche, la Cour constitutionnelle admet que la responsabilité de l’Allemagne puisse être engagée pour des opérations militaires allemandes à l’étranger en vertu des normes internes relatives à la responsabilité délictuelle de l’Etat. En l’espèce, elle juge que les forces allemandes n’ont pas méconnu le droit applicable », Allemagne. Cour constitutionnelle, 13 août 2013, 2 BvR 2660/06[3]. — Jeu de la clause d’incorporation (article 25 de la Loi fondamentale). Immédiateté du droit international. Responsabilité [interne] de l’Etat à raisons d’opérations à l’étranger. Recensé in R.G.D.I.P. 2014/4, p. 951. Voir également Cour d’appel de Cologne, 30 avril 2015 (n° 7 U 4/14), note E. Castellarin, RGDIP, 2015.860 sur une plainte contre l’Etat allemand : « Confirmant le raisonnement du tribunal de première instance, la Cour d’appel de Cologne considère que le droit international humanitaire n’établit pas un droit individuel à la réparation devant les juridictions nationales. En revanche, poursuit-elle, les requérants peuvent rechercher la responsabilité de l’Etat du fait du comportement fautif de ses agents (Amtshafung) au titre du droit allemand [pour un rejet au fond de la plainte] ».

[4] La Cour d’appel de Versailles (CA Versailles, 22 mars 2013, Association France-Palestine Solidarité (AFPS), Organisation de Libération de la Palestine (OLP) c. Société Alstom Transport SA, Société Alstom SA, SA Veolia Transport, R.G. n° 11/05331, ILDC 2036 (FR 2013)) considéra : « Les conventions et traités ont en France une autorité supérieure à la loi en vertu de l’article 55 de la Constitution de 1958, dans la mesure où ils ont reçu l’approbation prévue et n’ont pas besoin d’être complétées par une mesure d’application [exigence absente pourtant dudit article]. A cet égard, les Conventions de Genève, le Règlement ainsi que la Convention de La Haye sont entrés en vigueur et applicables en droit interne français ». Pour la Cour, toutefois, « De façon générale en l’absence de mention précise, pour conférer des droits aux particuliers, la norme doit contenir des éléments permettant de déduire l’intention des rédacteurs de faire produire un tel effet et être suffisamment expressive dans la désignation des individus comme destinataires ». Or, elle estima : « L’analyse des articles contenus dans [la quatrième convention de Genève] « ne permet pas de retenir l’existence d’un droit accordé aux particuliers. Les articles 49 et 53 s’adressent à la « puissance occupante » et ne prévoient des obligations qu’à la charge des Etats : art 49 : « la puissance occupante » ne pourra procéder… ; article 53 : il est interdit à la « puissance occupante » à l’exclusion de tout droit accordé à des particuliers ». De même, « Les articles 23 et 46 du Règlement de La Haye du 18 octobre 1907 se référant aux « puissances contractantes », l’article 4 de la Convention de La Haye du 14 mai 1954 et l’article 53 du protocole additionnel n° I aux Conventions de Genève, mentionnant les engagements des « hautes parties contractantes », ne créent d’obligations qu’entre les Etats parties à la convention à l’exclusion des individus qui n’en sont pas les destinataires ». S’agissant des articles 49-6 et 53 de la Convention de Genève, « il est nécessaire que la norme permette de créer des droits et obligations pour les particuliers dans l’ordre interne et à cette fin contiennent des éléments suffisamment précis quant aux individus qui peuvent en bénéficier ». Or « Dans la IVème Convention de Genève, l’individu n’est pas visé. Il n’est fait état que des groupes « les personnes protégées » ou « la population… ». Pour asseoir néanmoins l’existence de droits subjectifs particuliers, en l’espèce, l’appelante procède à l’assimilation intégrale entre la protection accordée à titre humanitaire et la protection de droits de l’homme alors que seules quelques dispositions consacrent la protection accordée par les Droits de l’Homme et, à ce titre, concernent les individus (cas de génocide, torture, esclavage…). Or les droits revendiqués dans le cadre des conventions internationales invoquées ne sont pas de cette nature (transfert de population, destruction de biens…) ». Il en ressortit : « Aussi, il ne peut être considéré que ces normes internationales conventionnelles ouvrent aux particuliers ou à l’entité (le peuple palestinien) que l’OLP indique représenter, le droit de les invoquer directement devant une juridiction ».

  1. Voir cependant le Jugement du 6 septembre 2013 de la Cour suprême des Pays-Bas dans l’affaire Nuhanovic c. Pays-Bas établissant la responsabilité des Pays-Bas pour les agissements du bataillon DutchBat III, mis à la disposition de l’ONU pour assurer la sécurité de Srebrenica, ayant entraîné la mort de plusieurs personnes[1]. Le bataillon, débordé avait en effet dû évacuer du camp des casques bleus de Potacari d’environ 300 hommes, les exposant à l’armée serbe et à des groupes paramilitaires. Après l’abandon des poursuites individuelles, le juge administratif avait obligé l’Etat à indemniser un militaire souffrant de troubles post-traumatiques. En sus, la procédure entamée par quelques victimes contre l’Etat néerlandais s’acheva par la décision de la Cour suprême qui ne retint cependant pas la responsabilité des Pays-Bas à l’égard de l’ensemble de la population musulmane bosniaque, mais seulement envers deux individus, personnels bosniaque attachés au bataillon et ce, sur le fondement du droit européen des droits de l’homme. Toutefois, à la suite de cet arrêt, à l’occasion d’un recours porté par des parents des victimes et l’association Mères de Srebrenica relatif à la mort des 300 autres personnes évacuées par le bataillon, le tribunal d’arrondissement de La Hayea établi la responsabilité de l’Etat pour les faits ayant entraîné la mort d’une partie des hommes évacués.

[1] R.G.D.I.P. 2013-4, « Chronique des faits internationaux », p. 920 et Cour Suprême des Pays-Bas, 6 septembre 2013, Nuhanovic c. Pays-Bas—. Tribunal d’arrondissement de la Haye, 16 juillet 2014, Stichting Mothers of Srebrenica et autres c. Pays-Bas—. Responsabilité de l’Etat du fait d’opérations engagées dans le cadre d’une organisation internationale.Imputation. Contrôle effectif. Application « extraterritoriale » de la Conv. EDH, Recensé in R.G.D.I.P. 2014/4, p. 962, note E. Castellarin.

2.2.4. Un dépassement par le recours au droit des droits de l’homme ?

  1. On assiste toutefois à une meilleure mise en œuvre du droit international humanitaire par les juridictions étatiques qui, saisies d’un nombre de contentieux de plus en plus élevé tendent à exercer un rôle plus actif sur le fondement du droit des droits de l’homme[1], même si ces juridictions semblent plus enclines à connaître de contentieux relatifs à la violation de droits des personnes civiles de la nationalité de leur Etat que de ceux contestant la conduite des hostilités qui mettent en cause des questions politiques[2]. Enoncés dans le droit interne, en particulier la Constitution, les droits de l’homme s’avèrent en tout état de cause plus aisément justiciables, ce qui peut expliquer ce nouvel activisme judiciaire

[1] En ce sens : S. Weill, “Building Respect for IHL through National Courts”, International Review of the Red Cross, Vol. 96 (895/896), 2014, pp. 859-879, 865.

[2] Ibid., p. 873.

  1. Ce mouvement d’ouverture à la mise en œuvre de la protection des personnes via le recours aux droits de l’homme est certainement facilité par la convergence des jurisprudences internationales affirmant l’applicabilité de ces droits même en période de conflit armé et le fait qu’un certain nombre de juges étatiques peuvent voir leurs décisions remises en cause devant une juridiction internationale, ce qui n’est pas le cas pour le droit international humanitaire.