- La régulation de l’économie internationale – ainsi que celle des activités connexes[1] – est désormais le fait d’une myriade d’institutions, essentiellement informelles[2]. Ce caractère informel permet d’y faire participer et de se faire rencontrer tout type d’entités (organisations internationales, Etats, autorités étatiques de surveillance, instances de régulation indépendantes, personnes privées, experts) dans une logique de réseaux et permet l’édiction de toutes une gamme d’instruments que ne connaissent pas le droit international et les droits étatiques classiques. Il en résulte un phénomène de distanciation des Etats à l’égard des mécanismes et normes formels au profit d’instruments beaucoup plus souple qui touche non seulement la sphère internationale, mais également l’organisation interne des Etats. Dans toutes les sphères, ces nouveaux lieux se font mêler droit international, droit étatique et droit informel comme droit obligatoire et non obligatoire, normes techniques et règles de droit ou encore droit public et droit privé.
[1] Voir ainsi, en matière de lutte contre le financement du terrorisme, A. Gardella, « The fight against the financing of terrorism between judicial and regu- latory cooperation », Enforcing international law norms against terrorism, Oxford/Portland, Collection Studies in International Law, vol. 4, 2004
[2] Voir notamment M. Waibel, “Financial Crises and International Law” (June 1, 2019), University of Cambridge Faculty of Law Research Paper No. 18/2019, The Legal Implications of Global Financial Crises/Les implications juridiques des crises financières de caractère Mondial, Brill, 2020, SSRN: https://ssrn.com/abstract=3407483 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3407483, Section 3, § 18 et s.
- En effet, tant dans l’ordre étatique qu’international, l’organisation et la police des opérations économiques internationales se sont faites au prix d’un certain effacement des techniques classiques de « gouvernement » de l’économie au profit de nouvelles méthodes, techniques et institutions de police des opérations économiques dites souvent de « gouvernance » et/ou « régulation ». Celles-ci font intervenir de manière croissantes les opérateurs privés ainsi que d’autres entités, tant dans la production normative que dans la réalisation des normes édictées et la police des opérateurs et opérations économiques. Il en résulte une « gouvernance » de plus en plus informelle et diffuse des opérations économiques[1] et une place de plus en plus importante du droit privé[2]. Si ce phénomène caractérise de manière évidente la question financière[3], il se développe également dans les autres branches de l’économie et du développement.
[1] Voir toutefois M. Waibel, “Financial Crises and International Law” (June 1, 2019), University of Cambridge Faculty of Law Research Paper No. 18/2019, The Legal Implications of Global Financial Crises/Les implications juridiques des crises financières de caractère Mondial, Brill, 2020, SSRN: https://ssrn.com/abstract=3407483 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3407483, Section 3, § 7 : “Notwithstanding its diffuse nature, there is a discernible architecture to international financial governance, as Chris Brummer has described (C. Brummer, Soft Law and the Global Financial System: Rule Making in the 21st Century, Cambridge University Press, 2012, at p. 68). The entities involved can be characterised as: a. Agenda setters: primarily the G20 and Financial Stability Board (“FSB”); b. Standard-setting organisations: including the BCBS, IOSCO and International Association of Insurance Supervisors (“IAIS”); c. Implementers: national regulatory agencies, some of whom are members of standard-setting organisations; and d. Monitors: including the IMF, World Bank and peer review by States themselves”.
[2] Voir notamment G. Farjat, « Propos critiques et utopiques sur l’évolution du droit économique et de la mondialisation », Revue internationale de droit économique, 2003/3, t. XVII, pp. 511-531, 515 ; P. Behrens, « L’établissement des règles du marché mondial : De l’ouverture des marchés territoriaux aux règles communes des marchés globalisés », Revue internationale de droit économique, 2003/3 t. XVII, p. 339-356. DOI : 10.3917/ride.173.0339, p. 354.
[3] Voir C. Brummer, Soft Law and the Global Financial System: Rule Making in the 21st Century, Cambridge University Press, 2012
- De plus en plus de relations se déployant hors des réglementations étatiques ou interétatiques existantes ou dans leurs interstices[1], de nouvelles institutions, techniques et produits sont apparues qui échappent en partie à l’emprise des ordres juridiques étatiques et international. Ceux-ci, cependant, ne disparaissent pas ; il s’agit plutôt d’une superposition des normativités[2] quand bien même des indices révèlent une volonté supplanter les anciennes formes de réglementation par les nouveaux instruments de « régulation »[3].
[1] A. Pellet, “Postface”, in Chemain R. (dir.), La refondation du système monétaire et financier international. Evolutions réglementaires et institutionnelles, Paris, Pedone, coll. Cahiers internationaux, 2011, 358 p., 347-356 [Site] , 354-355 : « les grandes lignes du système de l’« avant-crise » perdurent. Le décalage demeure entre la globalisation de l’économie et la parcellisation du droit qui, elle-même, facilite l’expansion rampante de la lex mercatoria, ce droit d’origine privée – qui n’a rien de répréhensible en soi, du moins lorsqu’elle est convenablement encadrée, mais dont la prégnance illustre l’importance de l’espace que les Etats laissent à un encadrement purement privé (avec tous les risques que cela implique lorsque l’on pense à la liberté – la licence ? – qui en résulte pour les hedge funds ou les agences de notation ».
[2] En ce sens, R. Descoings, « La nécessité d’une réflexion générale et croisée sur la régulation », in M.-A. Frison-Roche, (dir.), Les régulations économiques : légitimité et efficacité, Paris, Presses de Sciences Po et Dalloz, coll. Droit et économie de la régulation, Vol. 1, 2004, pp. 3-6, 4 : « Si on prend la notion de régulation au sens large, on dira qu’il s’agit de fournir des règles pour organiser des comportements, pour ordonner des espaces, pour faire coexister les intérêts légitimes de personnes concernées dans tel ou tel secteur à telle ou telle échelle. Cette régulation au sens large renvoie à la question du gouvernement des nouveaux espaces que la seule puissance des Etats isolés ne suffit plus – plus totalement en tout cas – à saisir. Il s’agit alors de gouvernance mondiale, qui renvoie à la création, à l’organisation et au pouvoir des institutions supranationales comme l’Organisation mondiale du commerce [sic], la Banque mondiale, le Fonds monétaire international. C’est ainsi qu’il en est pour la gouvernance des marchés, qui renvoie à un rapport moins unilatéral entre le pouvoir de l’Etat et la force des marchés, essentiellement celle des marchés financiers. Cette appréhension-là de la régulation renvoie à un bouleversement de l’organisation du politique, dans un rapport que dans un lieu universitaire on nommerait dialectique, avec les mouvements économiques. Mais les moyens utilisés par le politique peuvent rester tout à fait classiques. Pour fournir des règles de comportement, pour proposer des formes sur lesquelles les institutions se construisent, c’est le droit qui est requis. La régulation renvoie alors à la définition traditionnelle du droit, à savoir des règles contraignantes organisant les relations entre les personnes de sorte que leurs intérêts respectifs et réciproques soient préservés. Le droit produit des équilibres en intervenant pour maîtriser des effets de purs rapports de force. On mesure ainsi que la régulation au sens large tout à la fois résulte d’un souci provoqué par des nouveaux espaces de pouvoirs qu’il s’agit d’ordonner, souvent étroitement liés à la mondialisation, et puis aussi appelle un usage d’instruments juridiques relativement traditionnels ».
[3] Voir en ce sens la Déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement formulée à l’issue du Sommet de Pittsburgh du G 20 des 24-25 septembre 2009 : « Nous avons désigné le G20 comme étant le forum prioritaire de notre coopération économique internationale » (§ 19).
3.1. Circulations et hybridations du droit privé et du droit public
3.1.1. La production unilatérale du droit par les opérateurs économiques privés
Le phénomène d’une production du droit économique par les opérateurs est ancien[1]. Il permit longtemps à ceux-ci d’étendre leur liberté d’entreprendre en contournant ou en se substituant aux droits classiques à la faveur d’un droit sectoriel taillé à leurs intérêts. On songe notamment à la lex mercatoria et à ses dérivés comme la lex petrolea ou la lex extractiva. On songe également au recours plus récent aux « meilleures pratiques » (best practices) d’un secteur économique. Désormais, avec le mouvement de la RSE et tant que celui-ci n’est pas transformé en droit dur imposé aux opérateurs, un autre mouvement se dessine par lequel cette production consisterait en une certaine auto-limitation de ces opérateurs afin de limiter les externalités négatives de leurs activités.
[1] Voir notammentE. Brousseau, « Les marchés peuvent-ils s’autoréguler ? », in « Concurrence et régulation des marchés », Cahiers français, mars-avril 2003, n° 313, pp. 64-70. https://prepaecocarnot.files.wordpress.com/2008/09/lesmarchespeuventilss_autoreguler.doc.