Petite histoire du droit international humanitaire et du droit international pénal

Pour citer : J. Matringe, « Petite histoire du droit international humanitaire et du droit international pénal », https://droitsafricainsonline.com/themes/droit-international-penal-et-humanitaire/1-histoire-des-interactions-entre-les-branches%EF%BF%BC/, mis à jour le 30/01/2023

  1. Le droit international humanitaire et le droit international pénal, comme ce qu’on appelle le droit international des droits de l’homme, sont aujourd’hui étroitement liés et ce lien paraît évident. Cependant, ce phénomène de rapprochement n’a pas toujours existé et ne doit pas cacher les différences entre ces branches du droit international. Leur histoire a longtemps été séparée, reposant sur des fondements différents. En outre, ils n’ont pas le même champ d’application, ne s’adressent pas tout à fait aux mêmes entités, ne posent pas les mêmes contraintes de fond ni n’ont des mécanismes de mise en œuvre semblables. Enfin, la structure de leurs énoncés est différente : imposition d’obligations de protection pour le droit international humanitaire, affirmation de droits individuels pour le droit international des droits de l’homme, énoncé d’infractions et peines pour le droit international pénal.
  1. Il faut passer par cette histoire pour les comprendre et mieux mesurer leurs forces et faiblesses respectives. Dans le monde du droit international de la personne humaine, c’est en réalité le droit des étrangers qui est apparu en premier, suivi du droit international humanitaire ainsi que du droit international des droits de l’homme et du droit international pénal, ces deux derniers étant nés presque simultanément même si le droit international des droits de l’homme s’est vite développé, contrairement au droit international pénal. On ne s’intéressera ici qu’au droit international humanitaire et au droit international pénal.

1. L’apparition et le développement du droit international humanitaire

1.1. Logique générale de l’apparition du droit international humanitaire

1.1.1. La rencontre d’un double mouvement

1.1.1.1. L’adoption de règles protectrices des personnes

1.1.1.2. L’adoption de règles relatives à la conduite des hostilités

1.1.2. Jus in bello v. jus ad bellum et jus post bellum

1.1.3. Droits des personnes v. droits des belligérants

1.1.4. L’absence originelle de logique pénale

1.2. Les principales règles de fond du droit international humanitaire

1.2.1. Le principe de distinction et les règles de protection

1.2.1.1. Distinction des combattants et non-combattants

1.2.1.2. Distinction des biens de caractère civil et des objectifs militaires

1.2.2. Le principe de précaution

1.2.3. Le principe de proportionnalité

2. L’avènement et le développement du droit international pénal et de la justice pénale internationale

2.1. Les prémisses

2.2. Les tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et Tokyo

2.3. Les tribunaux pénaux internationaux

2.4. Les tribunaux hybrides

2.5. La Cour pénale internationale

2.5.1. La Cour comme instrument de paix

2.5.2. Les ambivalences de la situation de la Cour

2.5.2.1. Le rôle du Conseil de sécurité et de ses membres tiers au Statut

2.5.2.2. Les limites d’une activité se déroulant en cours de crise

3. Complexité des relations entre le droit international et le droit international pénal

3.1. Le droit international pénal au soutien du droit international humanitaire

3.2. L’autonomie des deux branches

1. L’apparition et le développement du droit international humanitaire

  1. Henri Dunant, homme d’affaires suisse naturalisé français, assista par hasard, lors d’un voyage d’affaires, à une des dernières grandes batailles napoléoniennes, la bataille de Solférino qui opposa, le 24 juin 1859, 300 000 hommes partagés entre les Autrichiens, d’un côté, et une coalition franco-sarde, de l’autre. Stupéfié par la férocité des combats et l’ampleur des massacres, il prit des notes dans un petit journal qui n’était pas destiné à la publication. Ces notes furent cependant très rapidement distribuées sous la forme d’un livre intitulé Un souvenir de Solférino[1].

[1] H. Dunant, Un souvenir de Solférino, Comité international de la Croix-Rouge, 1862, https://www.icrc.org/fr/publication/0361-un-souvenir-de-solferino

  1. Ce livre marqua profondément les esprits et constitua un moment déclencheur de l’apparition du droit moderne applicable aux guerres puis du droit international humanitaire. Car, après avoir décrit la bataille monstrueuse de Solférino, Henri Dunant présenta les efforts accomplis par une multitude de personnes bénévoles pour soigner et sauver ou, au moins, soulager comme elles le pouvaient les souffrances des combattants souffrant ou agonisant l’impossibilité de leur tâche faute d’une organisation préalable.

« Des cantinières s’avancent comme de simples troupiers sous le feu même de l’ennemi, elles vont relever de pauvres soldats mutilés qui demandent de l’eau avec insistance, et elles-mêmes sont blessées en leur donnant à boire et en essayant de les soigner »[1].


[1] Ibid., p. 22.

Et alors que la bataille fut terminée :

« Dans le silence de la nuit on entend des gémissements, des soupirs étouffés pleins d’angoisse et de souffrance, et des voix déchirants qui appellent au secours. Qui pourra jamais redire les agonies de cette horrible nuit ! »[1].

« Le soleil du 25 éclaira l’un des spectacles les plus affreux qui se puissent présenter à l’imagination. Le champ de bataille est partout couvert de cadavres d’hommes et de chevaux ; les routes, les fossés, les ravins, les buissons, les prés sont parsemés de corps morts, et les abords de Solférino en sont littéralement criblés. […] ; les maisons sont trouées, lézardées, détériorées ; leurs habitants qui ont passé près de vingt heures cachés et réfugiés dans leurs caves, sans lumière et sans vivres, commencent à en sortir, leur air de stupeur témoigne du long effroi qu’ils ont éprouvé »[2].

« Les malheureux blessés qu’on relève pendant toute la journée sont pâles, livides, anéantis ; les uns, et plus particulièrement ceux qui ont été profondément mutilés, ont le regard hébété et paraissent ne pas comprendre ce qu’on leur dit, ils attachent sur vous des yeux hagards, mais cette prostration apparente ne les empêche pas de sentir leurs souffrances ; les autres sont inquiets et agités par un ébranlement nerveux et un tremblement convulsif ; ceux-là, avec des plaies béantes où l’inflammation a déjà commencé à se développer, sont comme fous de douleur, ils demandent qu’on les achève et ils se tordent, le visage contracté, dans les dernières étreintes de l’agonie »[3].

« Ailleurs, ce sont des infortunés qui non seulement ont été frappés par des balles ou des éclats d’obus qui les ont jetés à terre, mais encore dont les bras ou les jambes ont été brisés par les roues des pièces d’artillerie qui leur ont passé sur le corps »[4].

« Celui qui parcourt cet immense théâtre des combats de la veille y rencontre à chaque pas, et au milieu d’une confusion sans pareille, des désespoirs inexprimables et des misères de tous genres »[5].

« En plusieurs endroits les morts sont dépouillés par des voleurs qui ne respectent même pas toujours de malheureux blessés encore vivants ; les paysans lombards sont surtout avides de chaussures, qu’ils arrachent brutalement des pieds enflés des cadavres »[6].

« Le manque d’eau se fait de plus en plus sentir, les fossés sont desséchés, les soldats n’ont pour la plupart qu’une boisson malsaine et saumâtre pour apaiser leur soif, et sur presque tous les points où l’on trouve une fontaine, des factionnaires, l’arme chargée, en gardent l’eau pour les malades »[7].

« Parmi les morts, quelques soldats ont une figure calme, ce sont ceux qui, soudainement frappés, ont été tués sur le coup ; mais un grand nombre sont restés contournés par les tortures de l’agonie, les membres raidis, le corps couverts de taches livides, les mains creusant le sol, les yeux démesurément ouverts, la moustache hérissée, un rire sinistre et convulsif laissant voir leurs dents serrées »[8].

« Combien de jeunes hommes hongrois, bohêmes ou roumains, enrôlés depuis quelques semaines, qui se sont jetés à terre de fatigue et d’inanition, une fois de la portée du feu, et qui ne se sont plus relevés, ou qui affaiblis par la perte de leur sang, quoique peut-être légèrement blessés, ont péri misérablement d’épuisement et de faim ! »[9].

« Alors commencent des scènes aussi lamentables que celles de la veille, quoique d’un genre tout différent ; il y a de l’eau et des vivres et pourtant les blessés meurent de faim et de soif ; il y a de la charpie en abondance, mais pas assez de mains pour l’appliquer sur les plaies ; la plupart des médecins de l’armée ont dû partir pour Cavriana, les infirmiers font défaut, et les bras manquent dans ce moment si critique. Il faut donc, tant bien que mal, organiser un service volontaire […] »[10].

« Pendant les journées du 25, du 26 et du 27, que d’agonies et de souffrances ! Les blessures, envenimées par la chaleur et la poussière et par le manque d’eau et de soins, sont devenues plus douloureuses ; des exhalaisons méphitiques vicient l’air, en dépit des louables efforts de l’Intendance pour faire tenir en bon état les locaux transformés en ambulances, et l’insuffisance du nombre des aides, des infirmiers et des servants se fait cruellement sentir […] »[11].

« Quelque activité que déploient un chirurgien en chef et deux ou trois personnes qui organisent des transports réguliers sur Brescia ; quel que soit l’empressement spontané de ceux des habitants de Brescia qui, possédant des voitures viennent réclamer des malades, et auxquels on confie les officiers, les départs sont bien inférieurs aux arrivées, de sorte que l’entassement ne fait qu’augmenter »[12].

« Sur les dalles des hôpitaux ou des églises de Castiglione ont été déposés, côte à côte, des hommes de toues nations, Français et Arabes, Allemands et Slaves ; provisoirement enfouis au fond des chapelles, ils n’ont plus la force de remuer, ou ne peuvent plus bouger de l’espace étroit qu’ils occupent. Des jurements, des blasphèmes et des cris qu’aucune expression ne peut rendre, retentissent sous les voûtes des sanctuaires. […]. Malgré les fatigues qu’ils ont endurées, malgré les nuits qu’ils ont passées sans sommeil, le repos s’est éloigné d’eux ; dans leur détresse ils implorent le secours d’un médecin, ou se roulent de désespoir dans des convulsions qui se termineront par le tétanos et la mort »[13].

« Quoique chaque maison soit devenue une infirmerie, et que chaque famille ait assez à faire de soigner les officiers qu’elle a recueillis, j’avais néanmoins réussi, dès le dimanche matin, à réunir un certain nombre de femmes du peuple qui secondent de leur mieux les efforts qu’on l’on fait pour venir au secours des blessés ; il ne s’agit en effet ni d’amputations ni d’aucune autre opération, mais il faut donner à manger et avant tout à boire à des gens qui meurent de faim et de soif ; puis il faut panser leurs plaies, ou laver ces corps sanglants, couverts de boue et de vermine, et il faut faire cela au milieu d’exhalaisons fétides et nauséabondes, à travers des lamentations et des hurlements de douleur, et dans une ambiance brûlante et corrompue. Bientôt un noyau de volontaires s’est formé, et les femmes lombardes courent à ceux qui crient le plus fort sans être toujours les plus à plaindre ; je m’emploie à organiser, aussi bien que possible, les secours dans celui des quartiers qui paraît en être le pus dépourvu […]. En attendant nous avons gagné des recrues qui se joignent à nous »[14].

« les femmes de Castiglione, voyant que je ne fais aucune distinction de nationalité, suivent mon exemple en témoignant la même bienveillance à tous ces hommes d’origines si diverses, et qui leur sont tous également étrangers. Tutti fratelli », répétaient-elles avec émotion. Honneur à ces femmes compatissantes, à ces jeunes filles de Castiglione ! rien ne les a rebutées, lassées ou découragées, et leur dévouement modeste n’a voulu compter ni avec les fatigues, ni avec les dégoûts, ni avec les sacrifices »[15].

« La pensée morale de l’importance de la vie d’un homme, le désir d’alléger un peu les tortures de tant de malheureux ou de relever leur courage abattu, l’activité forcée et incessante que l’on s’impose dans des moments pareils, donnent une énergie nouvelle et suprême qui crée comme une véritable soif de porter du secours au plus grand nombre possible »[16].


[1] Ibid., p. 35.

[2] Ibid., p. 35.

[3] Ibid., p. 36.

[4] Ibid., p. 36.

[5] Ibid., p. 37.

[6] Ibid., p. 37.

[7] Ibid., pp. 38-39.

[8] Ibid., p. 40.

[9] Ibid., p. 43.

[10] Ibid., p. 52.

[11] Ibid., p. 54.

[12] Ibid., pp. 54-55.

[13] Ibid., p. 55.

[14] Ibid., pp. 56-58.

[15] Ibid., p. 67.

[16] Ibid., pp. 67-68.

  1. Le livre de Henri Dunant avait pour objet principal l’appel à une organisation des secours qui devait commencer en temps de paix, décrivant la limite de ceux, admirables mais seulement improvisés, assurés au lendemain de cette bataille. En effet, dans une note de bas de page de ce qui fut certainement une correction, il écrivit :

« Ah ! Combien eussent été précieux dans ces villes de la Lombardie une centaine d’infirmiers et d’infirmières volontaires, expérimentés et bien qualifiés pour une pareille œuvre ! Ils auraient rallié autour d’eux des secours épars et des forces disséminées qui auraient eu besoins d’une direction éclairée […]. En effet, que pouvaient faire, isolées et disséminées, une poignée de personnes de bonne volonté, vis-à-vis d’une œuvre si grande et si pressante ! […]. Mais des infirmiers volontaires bien choisis et capables, envoyés par des sociétés, ayant la sanction et l’approbation des autorités, auraient surmonté sans peine toutes les difficultés et fait incomparablement plus de bien »[1].

« si ces pages pouvaient faire naître, ou développer et presser la question, soit des secours à donner aux militaires blessés en temps de guerre, soit des soins immédiats à leur prodiguer après un engagement, et si elles pouvaient attirer l’attention des personnes douées d’humanité et de philanthropie, en un mot si la préoccupation et l’étude de ce sujet si important devaient, en le faisant avancer de quelques pas, améliorer un état de choses où de nouveaux progrès et des perfectionnement ne sauraient jamais être de trop, même dans les armées les mieux organisées, j’aurais pleinement atteint mon but »[2].


[1] Ibid., pp. 97-100.

[2] Ibid., p. 68.

  1. Et l’auteur formula des questions presque naïves qui furent, dans une certaine mesure, entendues par les Etats :
  • N’y aurait-il pas moyen, pendant une époque de paix et de tranquillité, de constituer des sociétés de secours dont le but serait de faire donner des soins aux blessés en temps de guerre ? Ne serait-il pas à souhaiter que les princes de l’art militaire profitent de leurs congrès pour formuler quelque principe international, conventionnel et sacré, lequel, une fois agréé et ratifié, servirait de base à des Sociétés de secours pour les blessés ?[1]

[1] « L’humanité et la civilisation demandent impérieusement une œuvre comme celle qui est indiquée ici ; il semble qu’il y ait même là un devoir, à l’accomplissement duquel tout homme exerçant quelque influence doit son concours, et tout homme de bien au moins une pensée », ibid., p. 125.

  • De même : « [A] une époque où l’on parle tant de progrès et de civilisation, et puisque malheureusement les guerres ne peuvent être toujours évitées, n’est-il pas urgent d’insister pour que l’on cherche, dans un esprit d’humanité et de vraie civilisation, à en prévenir, ou tout au moins à en adoucir les horreurs ? »[1].

[1] Ibid., p. 126.

Et Henri Dunant de finir avec des phrases prémonitoires :

« Si les nouveaux et terribles moyens de destruction dont les peuples disposent actuellement, paraissent devoir, à l’avenir, abréger la durée des guerres, il semble que les batailles n’en seront, en revanche, que beaucoup plus meurtrières ; et dans ce siècle où l’imprévu joue un si grand rôle, des guerres ne peuvent-elles pas surgir, d’un côté ou d’un autre, de la manière la plus soudaine ou la plus inattendue ? – N’y a-t-il pas, dans ces considérations seules, des raisons plus que suffisantes pour ne pas se laisser prendre au dépourvu ? »[1].


[1] Ibid., p. 127.

  1. Henri Dunant posa dès son livre ce qui devinrent certains des principes fondateurs de la future Croix-Rouge qui, si elle avait existé en 1859, aurait sauvé de nombreuses vies humaines, ce que ne pouvaient faire des dévouements isolés :

« Des sociétés de ce genre, une fois constituées, et avec une existence permanente, demeureraient naturellement inactives en temps de paix, mais elles se trouveraient tout organisées vis-à-vis d’une éventualité de guerre ; elles devraient non seulement obtenir la bienveillance des autorités du pays où elles auraient pris naissance, mais elles auraient à solliciter, en cas de guerre, auprès des Souverains des puissances belligérantes, des permissions et des facilités pour conduire leur œuvre à bonne fin. Ces sociétés devraient donc renfermer dans leur sein, et pour chaque pays, comme membres du comité supérieur dirigeant, les hommes les plus honorablement connus et les plus estimés. Ces comités feraient appel à toute personne qui, pressée par des sentiments de vraie philanthropie, consentirait à se consacrer momentanément à cette œuvre de charité, laquelle consisterait à apporter, d’accord avec les Intendances militaires, c’est-à-dire avec leur appui et leurs directions au besoin, des secours et des soins sur un champ de bataille au moment même du conflit ; puis à continuer dans les hôpitaux ces soins aux blessés jusqu’à leur entière convalescence »[1].

Car « il faut […] des infirmiers et des infirmières volontaires, diligents, préparés et initiés à cette œuvre et qui, reconnus par les chefs des armées en campagne, soient facilités et soutenus dans leur mission. […]. Il faut inévitablement recourir au public : on y est forcé, et on y sera constamment forcé, car ce n’est que par la coopération du public qu’on peut espérer d’atteindre le but dont il s’agit. C’est par conséquent un appel qu’il faut faire et une supplique qu’il faut adresser aux hommes de tout pays et de tout rang, aux puissants de ce monde comme aux plus modestes artisans […] »[2].


[1] Ibid., p. 116.

[2] Ibid., p. 123.

1.1. Logique générale de l’apparition du droit international humanitaire

  1. On peut définir le droit international humanitaire — ou droit des conflits armés — comme l’ensemble des règles d’origine internationale qui ont pour objet spécifique de résoudre les problèmes humanitaires qui découlent directement de conflits armés internationaux ou non internationaux en limitant le droit des parties belligérantes d’utiliser les moyens et méthodes de guerre de leur choix et en protégeant les personnes et les biens qui sont, ou peuvent être, affectés par ledit conflit[1].

[1] Y. Sandoz, C. Swinarski & B. Zimmerman (eds.), Commentary on the Additional Protocols of 8 June 1977 to the Geneva Conventions of 12 August 1949, ICRC/Martinus Nijhoff Publishers, Geneva, 1987, p. xxvii., definition reprise par Y. Sandoz, “The Dynamic but Complex Relationship between International Penal Law and International Humanitarian Law”, in J. Doria, H.-P. Gasser & M. Cherif Bassiouni (eds.), The Legal Regime of the International Criminal Court. Essays in Honour of Professor Igor Blishenko, International Humanitarian Law Series, Vol. 19, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2009, p. 1049.

Certes, on pourrait examiner les différentes aires de civilisation et remonter à l’Antiquité et peut-être avant pour trouver ses origines dans l’édiction de règles régissant les combats entre entités politiques[1]. En effet, l’élaboration de règles protégeant les personnes à l’occasion d’un conflit et régissant la conduite des conflits est ancienne. Cependant, le droit international humanitaire moderne naquit au milieu du XIXe siècle de la rencontre de deux mouvements qui ont conduit de manière décisive à l’apparition d’un corpus de droit international en la matière[2].


[1] Voir ainsi pour l’Afrique Y. Diallo, « Traditions africaines et droit humanitaire », Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol. 58, n° 692, 1976, pp. 451-466, spéc. p. 464 : « Cette étude nous a permis de dégager un certain nombre de règles communes à l’Afrique occidentale et de constater qu’énoncées sous forme de proverbes ou de maximes populaires, elles ne sont rien d’autre que l’expression des mêmes principes humanitaires qui ont animé les auteurs des conventions de Genève » et p. 465 : « Ainsi, de nombreux principes qui inspirent les conventions de Genève se retrouvent dans le code de la guerre en vigueur auparavant dans l’Afrique précoloniale. C’est avec l’introduction de la traite et la pénétration coloniale en Afrique, au sud du Sahara, que les sociétés traditionnelles sont entrées dans un processus de désintégration qui a fait tomber en désuétude tout un code de l’honneur devenu inapplicable dans ce contexte. Ces principes d’honneur survivent toutefois dans les mémoires grâce aux récits des conteurs et pourraient, éventuellement, être remis en vigueur pour tenter d’humaniser les conflits actuels ».

[2] Voir notamment H.-P. Gasser, “The Changing Relationship between International Criminal Law, Human Rights Law and Humanitarian Law”, in J. Doria, H.-P. Gasser & M. Cherif Bassiouni (eds.), The Legal Regime of the International Criminal Court. Essays in Honour of Professor Igor Blishenko, International Humanitarian Law Series, Vol. 19, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2009, pp. 1111-1117. Voir également, entre autres, C. Greenwood, “Historical Development and Legal Basis”, in D. Fleck (ed.), The Handbook of International Humanitarian Law, 2nd ed., Oxford, Oxford UP, 2008, pp. 1 et s.

1.1.1. La rencontre d’un double mouvement

Il s’agit de l’adoption de règles protectrices des personnes affectées par les conflits et de l’adoption de règles régissant la conduite des hostilités pendant de tels conflits.

1.1.1.1. L’adoption de règles protectrices des personnes

  1. En Europe, la publication de l’ouvrage Un souvenir de Solférino qui appela les Etats à adopter des règles permettant d’humaniser les guerres initia le début d’un mouvement aboutissant à la création du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) si important dans l’élaboration et le contrôle du respect du droit international humanitaire, même si le premier texte international en la matière est plus ancien, la Déclaration de Paris de 1856 sur le droit maritime.

En 1863, devançant les Etats, Henri Dunant créa avec d’autres personnalités le Comité international de secours aux militaires blessés qui devint le Comité international de la Croix Rouge. Le CICR se présentait comme une association privée reposant sur 17 comités nationaux de secours aux blessés (désormais presque 190 en comptant le Croissant-Rouge qui forme avec le CICR et la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge). Il est devenu, malgré l’absence initiale de personnalité juridique internationale, un des grands architectes du droit international humanitaire jusqu’à nos jours.

L’année suivante, Le comité organisa à Genève un congrès réunissant les représentants de 16 Etats qui recommanda la création de « Sociétés volontaires de secours », la protection de certains édifices, du personnel sanitaire des armées et volontaires et l’établissement d’un signe distinctif commun pour les personnes et biens protégés.

En 1864 encore, le comité réussit à convaincre le Conseil fédéral suisse de réunir une conférence diplomatique, laquelle adopta le 22 août la Convention de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne plus tard ratifiée par presque tous les Etats ; c’était la naissance de ce qui devint plus tard une des deux branches principales du droit international humanitaire qui, à son origine, était étranger à toute logique pénale et dont le cœur est aujourd’hui les 4 Conventions de Genève de 1949 et les deux protocoles additionnels à ces Conventions adoptés en 1977. Ce traité international prescrit de recueillir les blessés et malades, de protéger les personnes en charge de cette fonction distinguées par un drapeau et un brassard portant croix rouge sur fond blanc. Il s’agit essentiellement d’assurer le secours à apporter aux soldats.

Le CICR fut ensuite à l’initiative d’un grand nombre de conventions ayant le même objet puis élargissant la protection à toutes les victimes des guerres, le Comité développant quant à lui son activité en temps de paix.

  1. Les normes de 1864 firent l’objet de développements, compléments et améliorations progressives pendant la fin du XIXe siècle et le XXe siècle grâce à de nombreux traités et aux interprétations du CICR pour constituer le droit applicable à la protection des personnes ne participant pas ou plus aux combats, appelé le droit de Genève, du nom de son lieu de gestation. Il s’agit notamment de la Convention de 1899 pour l’adaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève de 1864 et du très important Règlement de 1907 sur les lois et coutumes de la guerre sur terre qui s’intéressa également à la conduite des combats.
  2. En 1949, une conférence fut à nouveau réunie par la Suisse à l’initiative du CICR qui fut très influent dans sa préparation pour réviser les conventions antérieures et adopter une nouvelle convention relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre qui devait élargir encore le droit applicable aux conflits et la gamme de leurs bénéficiaires, toujours dans la logique originaire de protection.
  3. Elle se conclut par l’adoption simultanée des quatre Conventions de Genève de 1949 applicables aux seuls conflits armés internationaux – c’est-à-dire les guerres interétatiques – à l’exception de leur article 3 commun qui énonce les règles minimum « applicables en tout temps et en tout lieu », c’est-à-dire non seulement aux conflits armés internationaux mais également aux conflits armés non internationaux. Les règles énoncées à cet article 3 commun correspondent à ce qu’on appelle le noyau dur du droit international des droits de l’homme sans toutefois en adopter la logique. La Convention I protège les blessés et malades des forces armées sur terre, la Convention II les blessés, malades et naufragés des forces armées sur mer, la Convention III les prisonniers de guerre et la Convention IV les populations civiles. Avec cette dernière Convention, le droit de Genève traite de questions de droits de l’homme auxquelles elle donne une solution adaptée à la situation de conflit armé.
  4. Aujourd’hui, ces quatre Conventions lient en tant que traités la presque totalité des Etats. Elles ont été en outre reconnues par la Cour internationale de justice en 1986 dans son arrêt dans l’affaire Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci comme reflétant le droit coutumier pour leur plus grande part.
  5. Ces Conventions furent à leur tour complétées par plusieurs autres dont les deux Protocoles additionnels de 1977 relatifs, l’un, aux conflits armés internationaux et, l’autre, aux conflits armés non internationaux qui changent un peu la logique de ce droit dit de Genève en embrassant non seulement des dispositions protectrices des victimes des conflits mais également des dispositions relatives à la conduite des hostilités.
  6. Ces deux protocoles furent élaborés, toujours à l’initiative et sous forte influence du CICR, pour tenir compte de l’évolution des méthodes et moyens de combat et de la diversification des conflits nés en particulier de la guerre froide et de la décolonisation. Le deuxième protocole, relatif aux conflits armés non internationaux, est nettement moins développé que le premier car vise des conflits dans le cadre desquels les Etats n’ont pas voulu une trop forte intrusion du droit international ni la reconnaissance d’un statut international aux insurgés qui les combattent (ainsi le statut de prisonnier de guerre n’existe-t-il pas dans ces conflits).

1.1.1.2. L’adoption de règles relatives à la conduite des hostilités

  1. Parallèlement, sur d’autres initiatives, apparut un autre corps de règles qu’on a appelé « lois et coutumes de la guerre » ou « droit de la guerre ». Ces règles ont pour objet de régir la conduite des hostilités elle-même.

En particulier, en 1863, les Etats-Unis d’Amérique élaborèrent des instructions pour le gouvernement des armées des Etats-Unis en campagne, connues sous le nom de code Lieber du nom de celui qui supervisa ce travail de codification fait à la demande du Président Abraham Lincoln à l’occasion de la Guerre de Sécession américaine et que le Président érigea en loi[1]. Il s’agissait de limiter l’emploi de la force armée à ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs militaires décidés. Ce texte inspira d’autres réglementations étatiques ainsi que le Manuel d’Oxford de 1880 de l’Institut de droit international avant d’être en partie repris dans plusieurs conventions internationales adoptées à La Haye, ce qui fit appeler ce corps de règles : le « droit de La Haye »[2].


[1] Instructions de 1863 pour les armées en campagne des Etats-Unis d’Amérique (Lieber Code)

[2] Voir toutefois, déjà, dans l’Afrique pré-coloniale, Y. Diallo, « Traditions africaines et droit humanitaire », Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol. 58, n° 692, 1976, pp. 451-466, spéc. p. 458 : « Si des règles précises s’appliquaient aux non-belligérants, d’autres règles strictes devaient être respectées par es combattants. C’était une sorte de code de la guerre qui limitait les exactions qu’on aurait pu commettre ».

Le 11 décembre 1868, fut adoptée la Déclaration de Saint Pétersbourg à l’effet d’interdire l’usage de certains projectiles en temps de guerre, premier instrument international interdisant l’usage de certaines armées en période de guerre.

  1. Plus tard, sur proposition de la Russie, se tinrent deux Conférences de la paix à La Haye en 1899 et 1907. Si ces conférences ne parvinrent pas à établir un consensus sur les mesures à prendre pour assurer la paix, elles apportèrent des développements majeurs au droit de la guerre en adoptant une série de conventions relatives à la conduite des combats. La plus importante est certainement la Convention IV concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son annexe portant règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre.

Notons que si cette Convention régit la conduite des hostilités et préfigure les considérations relatives aux droits de l’homme qu’on connaît aujourd’hui, personne ne se référa à l’époque au besoin de protéger la dignité des êtres humains en général. Dit autrement, nous n’étions pas là dans la logique qui inspira le droit international des droits de l’homme.

  1. En somme, le droit applicable aux guerres fut longtemps constitué de deux corps de règles distincts, celui relatif à l’usage des méthodes de combat et celui relatif à la protection des non combattants.

On le voit, cependant, ces deux corps de règles sont en réalité intimement liés et exercent une influence réciproque à tel point que l’on trouvera, selon les auteurs, leur analyse dans telle ou telle branche du droit des conflits armés. Surtout, entre les deux guerres mondiales et particulièrement après la seconde, notamment grâce aux 2 Protocoles de 1977 qui comprennent des règles relevant de ces deux droits et les ont donc rapprochés, ces deux branches s’entremêlèrent de plus en plus au point que la CIJ déclara dans son avis du 8 juillet 1996 sur la Licéité de la menace ou de l’emploi des armes nucléaires :

« Ces deux branches du droit applicable dans les conflits armés ont développé des rapports si étroits qu’elles sont regardées comme ayant fondé graduellement un seul système complexe, qu’on appelle aujourd’hui droit international humanitaire »[1].


[1] Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, avis consultatif du 8 juillet 1996, CIJ Recueil 1996, p. 66, § 75.

1.1.2. Jus in bello v. jus ad bellum et jus post bellum

  1. Jusqu’à récemment, le recours unilatéral à la force armée était licite en droit international. Le droit international humanitaire n’avait pas pour objet de l’interdire. Il s’agissait seulement de modérer ses effets nuisibles.
  1. Désormais, depuis 1945 et l’adoption de la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire s’inscrit dans un nouveau contexte, celui de l’interdiction du recours unilatéral à la force armée par les Etats. Cependant, l’abandon du droit de faire la guerre n’ayant pas fait disparaître celle-ci, le droit applicable à la guerre a survécu à ce bouleversement du droit international et l’on distingue toujours la question du droit de recourir à la force et d’entrer en conflit armé, le jus ad bellum, du droit applicable à son usage, c’est-à-dire à la conduite des hostilités durant un conflit armé, le jus in bello[1]. Le droit international humanitaire ne régit pas la question du droit de recourir à la force mais, une fois le conflit déclenché, l’usage de celle-ci. Dit autrement, il est indifférent à la licéité du recours à la force pour ne règlementer que cet usage en lui-même. A ce titre, les différentes parties sont tenues aux mêmes obligations, quel que soit leur droit à utiliser la force armée. La question de la responsabilité pour le recours à la force se règlera indépendamment en vertu du jus ad bellum (ou jus contra bellum) en cas de conflit international ou du droit interne en cas de conflit non international, non du jus in bello, c’est-à-dire du droit international humanitaire[2]. Notons que la question du jus ad bellum a intégré le droit international pénal avec l’incrimination en 1945 des crimes contre la paix et celle dans le Statut de la CPI du crime d’agression.

[1] Certains y ajoutent désormais le jus post bellum, c’est-à-dire la gestion de l’après conflit, mais celui-ci est à peine en formation et comprend un champ tellement vaste et hétérogène de règles et institutions qu’il est difficile de lui donner une identité.

[2] Sur les rapports entre jus ad bellum, jus in bello et jus post bellum, voir, entre autres, C. Greenwood, “The Relationship between ius ad bellum and ius in bello, Rev. Int’l Stud., 1983, pp. 221-234 ; A. Bouvier, “Assessing the Relationship Between Jus in Bello and Jus ad Bellum : An “Orthodox” View”, ASIL Proc., 2006, pp. 109-112; A. Orakhelashvili, “Overlap and Convergence: The Interaction Between Jus ad Bellum and Jus in Bello”, JCSL, 2007, pp. 157-196 ; M. Sassoli, “Ius ad Bellum and Ius in Bello – The Separation between the Legality of the Use of Force and Humanitarian Rules to be Respected in Warfare: Crucial or Outdated?”, in M.N. Schmitt & J. Pejic (eds.), International Law and Armed Conflict: Exploring the Faultlines. Essays in honour of Yoram Dinstein, Leiden, Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2007, pp. 241-264 ; A. Zimmermann, “The Second Lebanon War: Jus ad bellum, jus in bello and the Issue of proportionality”, Max Planck UNYB, 2007, pp. 99-141 ; R. Giladi, “The Jus ad Bellum/Jus in Bello Distinction and the Law of Occupation”, Isr. L. Rev., 2008, pp. 246-301 ; J. Moussa, “Can jus ad bellum override jus in bello? Reaffirming the Separation of the Two Bodies of Law”, RICR, 2008, pp. 963-982 ; R.D. Sloane, “The Cost of Conflation: The Dualism of Jus ad Bellum and Jus in Bello in the Contemporary Law of War”, Yale J. Int’l L., 2009, pp. 48-112 ; K. Okimoto, The Distinction and Relationship between Jus ad Bellum and Jus in Bello, Oxford, Portland, Hart Publishing, 2011, 389 p. ; J. d’Aspremont & J. de Hemptine, Droit international humanitaire, Paris, Pedone, 2012, pp. 355 et s.

1.1.3. Droits des personnes v. droits des belligérants

  1. Les règles principales du droit international humanitaire relèvent toutes de la même problématique d’ensemble qui est au cœur de cette branche du droit international.
  2. Postulant l’existence d’un conflit qui n’a pas pu être empêché, le droit international humanitaire ne peut que prendre acte de l’existence de celui-ci et de sa logique ultime : la nécessité d’affaiblir et de vaincre l’ennemi. Il serait vain de vouloir plus et interdire le recours à la force ou mettre fin à celui-ci ; c’est l’objet d’autre branches du droit international qui, par principe, si le conflit existe, ont échoué.
  3. Il s’agit en revanche de « domestiquer » au maximum la conduite des hostilités et, pour ce faire, tenir déjà compte de cette nécessité plutôt que de s’y opposer au risque que celle-ci puisse l’emporter et justifier juridiquement des atteintes aux principes d’humanité.

Ainsi le CICR a-t-il pu écrire : « Le droit des conflits armés […] s’exprime habituellement sous la forme d’interdictions qui tiennent déjà compte des nécessités militaires »[1]. Voir également CPI, Chambre de première instance VI, 4 janvier 2017, Le Procureur c. BoscoNtaganda, Deuxième décision relative à l’exception d’incompétence de la Cour soulevée par la Défense s’agissant des chefs 6 et 9, Affaire n° ICC-01/04-02/06 : « 48. La Chambre considère en outre que limiter la portée de la protection comme le propose la Défense est contraire à la raison d’être du droit international humanitaire, qui vise à limiter les souffrances résultant des conflits armés sans pour autant interdire aux belligérants d’utiliser la force armée l’un contre l’autre ou compromettre leur capacité de mener des opérations militaires efficaces. Ce faisant, le droit international humanitaire admet que l’objectif des parties de vaincre l’adversaire occasionnera certaines souffrances, dommages et préjudices, mais il impose spécifiquement que de telles conséquences ne découlent que d’actions qui relèvent de la nécessité militaire ou qui apporteront un avantage militaire certain. Le viol et l’esclavage sexuel d’enfants de moins de 15 ans[2], ou même de quiconque, ne sauraient apporter quelque avantage militaire admis, et aucune nécessité ne saurait justifier l’adoption de tels comportements[3]. 49. Certes, le droit international humanitaire autorise les combattants à participer directement aux hostilités[4] et, dans le cadre de cette participation, à prendre pour cible les combattants membres des forces adverses ainsi que les civils participant directement aux hostilités, et il prévoit en outre certaines justifications pour des comportements causant des dommages matériels[5] ou la mort de personnes ne pouvant légitimement être prises pour cible[6], mais il n’y a jamais de justification pour la commission de violences sexuelles contre quiconque, et ce, que cette personne puisse ou non, au regard du droit international humanitaire, être prise pour cible ou tuée[7] ».


[1] Y. Sandoz, C. Swinarski & B. Zimmermann (dir.), Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, Genève, CICR, 1987, para. 1389 cité in J. D’Aspremont & J. Hemptine, op. cit., p. 220.

[2] La Chambre rappelle ici qu’il existe en droit international humanitaire des règles spécifiques visant à protéger les enfants des effets des conflits armés. Voir article 50 de la Quatrième Convention de Genève de 1949 ; article 77 du Protocole additionnel I ; et article 4-3 du Protocole additionnel II.

[3] Sivakumaran écrit que « [TRADUCTION] [l]es violences sexuelles, que ce soit contre des civils, des membres des forces armées ou des membres du groupe armé, sont interdites ». S. Sivakumaran, The Law of Non-International Armed Conflict, Oxford University Press, 2012, p. 249.

[4] Voir article 43-2 du Protocole additionnel I.

[5] Voir notamment article 23-g du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, en annexe de la Convention (IV) de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, 18 octobre 1907.

[6] Voir, p. ex., articles 51-5-b et 57-2-b du Protocole additionnel I, qui tolèrent une certaine proportion de dommages incidents (ou collatéraux), dès lors qu’ils ne sont pas excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu. Le principe de proportionnalité fait partie du droit international humanitaire coutumier et s’applique également en matière de conduite des hostilités dans les conflits armés non internationaux. Voir notamment règle 14 et pratique sous-jacente dans l’étude du CICR.

[7] A cet égard, la Chambre souligne qu’elle analyse ici si la protection contre le viol et l’esclavage sexuel est limitée de façon à exclure les membres des propres forces de l’auteur (en particulier les enfants de moins de 15 ans), et qu’elle n’a pas à examiner la question de savoir si une personne est protégée en droit international humanitaire contre le fait d’être tuée par les membres de sa propre force.

  1. Ce droit est donc bâti sur un déséquilibre qu’il s’agit de tempérer entre l’intérêt des belligérants et la protection de ceux qui ne participent pas aux combats. Il s’agit, autrement dit, d’élaborer des compromis entre les exigences humanitaires et les nécessités du conflit militaire[1].

[1] J. D’Aspremont & J. Hemptine, op. cit., p. 217 ; G. Aïvo, Le statut de combattant dans les conflits armés non internationaux. Etude critique de droit international humanitaire, Thèse de doctorat, Université de Genève, 2011, p. 41.

Voir déjà en ce sens le préambule de la Déclaration de Saint Pétersbourg à l’effet d’interdire l’usage de certains projectiles en temps de guerre, 11 décembre 1868 : « Sur la proposition du cabinet impérial de Russie, une commission militaire internationale ayant été réunie à St-Pétersbourg, afin d’examiner la convenance d’interdire l’usage de certains projectiles en temps de guerre entre les nations civilisées, et cette commission ayant fixé, d’un commun accord, les limites techniques où les nécessités de la guerre doivent s’arrêter devant les exigences de l’humanité, les soussignés sont autorisés, par les ordres de leurs gouvernements, à déclarer ce qui suit : Considérant que les progrès de la civilisation doivent avoir pour effet d’atténuer autant que possible les calamités de la guerre ; Que le seul but légitime que les Etats doivent se proposer, durant la guerre, est l’affaiblissement des forces militaires de l’ennemi ; Qu’à cet effet, il suffit de mettre hors de combat le plus grand nombre d’hommes possible ; Que ce but serait dépassé par l’emploi d’armes qui aggraveraient inutilement les souffrances des hommes mis hors de combat ou voudraient leur mort inévitable ; Que l’emploi de pareilles armes serait, dès lors, contraire aux lois de l’humanité ».

  1. Le postulat principal de ce droit relatif à la conduite des hostilités est en effet que, une fois un conflit déclenché, les parties à un conflit armé sont libres d’user des méthodes de combat aptes à nuire à l’ennemi. Cependant, la Déclaration et les instruments ultérieurs limitent cette liberté en posant des restrictions qui concernent les armes et les méthodes de combat. Ainsi, elle énonça que le seul but légitime de la guerre est l’affaiblissement des forces militaires de l’ennemi. Ce but serait dépassé par l’emploi d’armes qui aggraveraient inutilement les souffrances des hommes ou rendrait leur mort inévitable. C’est le standard général qui fut ensuite précisé pour être opératoire par plusieurs conventions internationales visant des armes particulières.

Ainsi, la Convention IV de 1907 prohibe l’utilisation des moyens de guerre qui provoquent des souffrances cruelles et inutiles de même qu’il enjoint au respect de certains droits des habitants des territoires occupés et pose un traitement humain des prisonniers de guerre. Notons cependant que cette interdiction vise essentiellement à protéger les combattants adverses et les personnes qui participent directement aux combats. Les populations et personnes ne participant pas directement aux hostilités sont protégées en tout temps contre toute attaque.

De même, le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève interdit l’utilisation des armes, des projectiles et matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus, ces maux étant aussi bien physiques que psychologiques. Il a été développé par la Convention de Genève du 10 octobre 1981 sur l’interdiction de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination. Il faut citer également la Convention de Paris du 13 janvier 1993 sur l’interdiction de la mise au point, de la production et du stockage des armes chimiques et sur leur destruction ainsi que la Convention d’Ottawa du 14 décembre 1997 qui limite l’utilisation des mines anti-personnel.

Toutefois, on l’a vu, la Cour internationale de Justice déclara que si les armes de destruction massive sont en général contraires au droit des conflits armés, leur usage n’est cependant pas interdit d’une manière générale. Elle déclara ainsi que l’usage de l’arme nucléaire pouvait être licite dans les circonstances extrêmes de légitime défense quand la survie même de l’Etat serait en cause. Certes, elle pose que cet usage doit obéir au principe de proportionnalité et satisfaire aux exigences du droit des conflits armés dont les principes et règles du droit humanitaire. Il reste que c’est là faire primer les droits des Etats sur ceux des personnes.

1.1.4. L’absence originelle de logique pénale

  1. A l’origine, le droit de la guerre était étranger à toute logique pénale. En effet, aucun des instruments originels ne prévoyait une responsabilité pénale individuelle des auteurs de violation de ses prescriptions ni aucune obligation des Etats de poursuivre et punir ces violations[1]. Il s’agissait seulement d’alléger les souffrances des personnes ou, dans la suite de Kant ou Hegel mais également dans des conceptions africaines traditionnelles, préparer la paix qui devait inévitablement advenir à la fin des hostilité, préparation qui exige qu’on ne dépasse pas certaines limites dans la conduite de la guerre, toute guerre conduisant à la paix[2].

[1] H.-P. Gasser, “The Changing Relationship between International Criminal Law, Human Rights Law and Humanitarian Law”, in J. Doria, H.-P. Gasser, M. Cherif Bassiouni (eds.), The Legal Regime of the International Criminal Court. Essays in Honour of Professor Igor Blishenko, International Humanitarian Law Series, Vol. 19, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2009, pp. 1111-1112.

[2] Voir au sujet de l’Afrique précoloniale Y. Diallo, « Traditions africaines et droit humanitaire », Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol. 58, n° 692, 1976, p. 458.

  1. Ce n’est qu’ultérieurement que le droit international humanitaire se colora d’une empreinte pénale avec, notamment, l’obligation pour les Etats parties aux traités, non seulement de « respecter » eux-mêmes les prescriptions de ceux-ci en s’abstenant de les violer, mais également, de les « faire respecter » dans le chef des combattants. Or cette obligation de « faire respecter le droit humanitaire » comprend entre autres, on y reviendra, l’obligation pour les Etats d’incriminer dans leur ordre interne certains comportements — les « infractions graves » et « violations graves » du droit international humanitaire —, voire de poursuivre, juger et punir les auteurs de tels comportements ou, à défaut, de les remettre à un Etat ou une juridiction internationale compétent(e).

1.2. Les principales règles de fond du droit international humanitaire

  1. On l’a dit, la distinction entre les règles protectrices des personnes et les règles relatives à la conduite des hostilités a perdu beaucoup de sa pertinence tant les deux sont liées. On le verra en examinant quelques-unes des principales règles du droit international humanitaire qui, toutes, relèvent des deux logiques et s’appliquent, sauf quelques exceptions, aussi bien aux conflits armés internationaux qu’aux conflits non internationaux. En effet, si les instruments conventionnels sont bien plus développés pour les conflits armés internationaux, la jurisprudence des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, le CICR et la doctrine estiment que leur transposition aux seconds, sous réserve de certaines adaptations, a été globalement opérée par le droit coutumier.

1.2.1. Le principe de distinction et les règles de protection

  1. Le droit international humanitaire est fondé sur une certaine logique de la guerre qui postule une distinction fondamentale, pierre angulaire du droit international humanitaire[1], entre les combattants et les non combattants ainsi qu’entre les objectifs militaires et les objectifs civils. Cette obligation de distinction — de nature coutumière — est la condition de la réalisation d’être du droit international humanitaire. Elle fut affirmée dans le Règlement annexé à la Convention de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre, puis rappelée et précisée en particulier par le premier Protocole de 1977 qui en fait une règle fondamentale de la protection générale contre les effets des hostilités ainsi que, de manière moins explicite, par le deuxième Protocole :

Protocole additionnel I, Article 48 – Règle fondamentale : « En vue d’assurer le respect et la protection de la population civile et des biens de caractère civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu’entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires ».

Protocole additionnel II, Article 13 – Protection de la population civile : « 1. La population civile et les personnes civiles jouissent d’une protection générale contre les dangers résultant d’opérations militaires. En vue de rendre cette protection effective, les règles suivantes seront observées en toutes circonstances. 2. Ni la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne devront être l’objet d’attaques. Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. 3. Les personnes civiles jouissent de la protection accordée par le présent Titre, sauf si elles participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation ».


[1] J. d’Aspremont & J. de Hemptine, Droit international humanitaire, Paris, Pedone, 2012, p. 175.

  1. Cela dit, le caractère souvent déstructuré des conflits internes et les méthodes de combat qui y sont utilisées avec une forte imbrication des populations civiles rend l’application du principe de distinction particulièrement difficile à mettre en œuvre tant il est difficile de déterminer qui peut avoir la qualité de combattants et qui peut bénéficier de la protection due aux non-combattants.
  2. La Cour internationale de Justice a toutefois pu réaffirmer ce principe cardinal de la distinction entre combattants et non-combattants contenu dans les textes formant le tissu du droit international humanitaire aux fins de protection de la population civile et les biens de caractère civil. A ce titre,

« les Etats ne doivent jamais prendre pour cible des civils, ni en conséquence utiliser des armes qui sont dans l’incapacité de distinguer entre cibles civiles et cibles militaires »[1].


[1] Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, C.I.J. Rec. 1996, p. 226, § 78.

1.2.1.1. Distinction des combattants et non-combattants

  1. Les populations civiles se voient accorder une protection générale contre les dangers résultant d’opérations militaires[1]. La 4e Convention de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et le Protocole I précisent les obligations des parties au conflit à l’égard de la population civile dans les conflits armés internationaux. Le Protocole II en reprend les règles essentielles pour les conflits non internationaux. Cela dit, on y reviendra, du fait de la jurisprudence du TPIY, l’essentiel de la protection prévue pour les conflits internationaux est désormais applicable aux seconds. Il semble en être ainsi de la règle coutumière établissant l’obligation de distinguer entre les combattants et les personnes civiles[2].

[1] Art. 51 § 1 du Protocole additionnel I de 1977 : « La population civile et les personnes civiles jouissent d’une protection générale contre les dangers résultant d’opérations militaires. En vue de rendre cette protection effective, les règles suivantes, qui s’ajoutent aux autres règles du droit international applicable, doivent être observées en toutes circonstances ». Voir déjà dans l’Afrique précoloniale Y. Diallo, « Droit humanitaire et droit traditionnel africain », Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 686, 1976, pp. 69-75, 73 : « Lorsque deux tribus sont en conflit, les blessés faits prisonniers sont confiés à la garde des femmes qui les soignent et s’en occupent. Le seul fait pour ces personnes d’être désarmées et dans le camp adverse, les place dans la situation de l’étranger. Nous connaissons tous la place faite à l’étranger en Afrique. Et si hostiles qu’aient pu être les relations intertribales, nul Africain ne se serait permis de tuer un étranger sans motif, tant est grande la crainte des conséquences possibles. Ainsi au Fonta, on entend très souvent la sentence suivante : Si tu as versé le sang de l’étranger, ne t’étonne pas si les vautours viennent. Chez les Peuhls du Mali on dit : Il n’y a pas d’eau pour laver le sang d’un étranger ».

[2] En ce sens, J.-M. Henckaerts & L. Doswald-Beck (eds.), Customary International Humanitarian Law. Volume I: Rules, Cambridge, ICRC/Cambridge University Press, 2005, p. 3.

  1. Cette population doit être en tout temps protégée des dangers découlant des combats et non pas seulement si elle est prisonnière ou blessée[1]. Ainsi, ni la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne doivent être l’objet d’attaques[2] ; le fait d’attaquer délibérément des populations civiles qui ne participent pas directement aux hostilités constitue un crime de guerre en tant que violation grave du droit des conflits armés, tant dans les conflits armés internationaux que non-internationaux[3]. Sont également interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile[4], les attaques sans discrimination et qui causent des dommages indiscriminés[5] ainsi que les représailles contre la population civile ou des personnes civiles[6]. Est encore interdit le fait d’utiliser la population civile ou les personnes civiles comme boucliers humains[7]. Les populations civiles ne peuvent pas non plus faire l’objet de déportations et déplacements forcés[8].

[1] Voir déjà dans l’Afrique précoloniale M. Mubiala, « Les Etats africains et la promotion des principes humanitaires », Revue internationale de la Croix-Rouge, vol. 71, n° 776, 1989, pp. 97-116, 104 : « Auprès des peuples animistes, en plus de la protection spéciale déjà accordée à la femme, à l’enfant et au vieillard, il faut signaler que la coutume interdisait l’attaque des personnes ne participant pas aux combats (cas de la Haute Volta, maintenant Burkina Faso) [note omise]. Les populations christianisées, quant à elles, ont fait leurs les enseignements de l’Eglise sur l’amour du prochain. Au moment de la pénétration chrétienne et coloniale, les conflits interethniques ou intertribaux sont généralement une occasion pour les populations indigènes évangélisées de démontrer leur adhésion à un tel principe ».

[2] Art. 51 § 2 du Protocole additionnel I.

[3] Statut de Rome, art. 8 § 2 : « Aux fins du Statut, on entend par « crimes de guerre » : […] ; b) les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international, à savoir […] i) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités ; […] e) Les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international, dans le cadre établi du droit international, à savoir […] i) Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des personnes civiles qui ne participent pas directement aux hostilités […] ».

[4] Art. 51 § 2 du Protocole additionnel I.

[5] Art. 51 § 4 du Protocole additionnel I.

[6] Art. 51 § 6 du Protocole additionnel I.

[7] Article 51 § 7 du Protocole additionnel I : « La présence ou les mouvements de la population civile ou de personnes civiles ne doivent pas être utilisés pour mettre certains points ou certaines zones à l’abri d’opérations militaires, notamment pour tenter de mettre des objectifs militaires à l’abri d’attaques ou de courir, favoriser ou gêner des opérations militaires. Les Parties au conflit ne doivent pas diriger les mouvements de la population civile ou des personnes civiles pour tenter de mettre des objectifs militaires à l’abri des attaques ou de couvrir des opérations militaires ».

[8] Voir l’article 17 du Protocole additionnel II – Interdiction des déplacements forcés : « 1. Le déplacement de la population civile ne pourra pas être ordonné pour des raisons ayant trait au conflit sauf dans les cas où la sécurité des personnes civiles ou des raisons militaires impératives l’exigent. Si un tel déplacement doit être effectué, toutes les mesures possibles seront prises pour que la population civile soit accueillie dans des conditions satisfaisantes de logement, de salubrité, d’hygiène, de sécurité et d’alimentation. 2. Les personnes civiles ne pourront pas être forcées de quitter leur propre territoire pour des raisons ayant trait au conflit ».

  1. Le noyau dur de la protection des personnes civiles est énoncé à l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949. Cet article institue une obligation de traitement minimum valable pour tous les conflits, tant internationaux qu’internes. Ce noyau correspond au noyau dur des droits de l’homme même si c’est dans une logique différente : :

« […] 1) Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue. A cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus :

a) les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ;

b) les prises d’otages ;

c) les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ;

d) les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés. 2) Les blessés et malades seront recueillis et soignés. […] ».

  1. Certaines personnes civiles se voient accorder une protection spéciale comme les femmes, les journalistes et les enfants, femmes enceintes et vieillards, ainsi que les réfugiés et apatrides. Cette protection particulière semble ancienne ; on la trouverait déjà, notamment, dans l’Afrique précoloniale[1].

[1] Voir ainsi Y. Diallo, « Droit humanitaire et droit traditionnel africain », Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 686, 1976, p. 71 : « Ainsi, il était interdit en cas de conflit avec un autre groupe de s’en prendre à une femme, à un enfant ou à un vieillard. Un guerrier peuhl se serait senti déshonoré s’il tuait une femme ou un enfant » ; Y. Diallo, « Traditions africaines et droit humanitaire », Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol. 58, n° 692, 1976, p. 457 : « Il est très rare que des femmes prennent part aux combats. Le cas des Amazones du Dahomey reste exceptionnel. En revanche, les femmes avaient souvent la charge de porter de l’eau aux combattants ou alors de chanter pour les encourager. Généralement, elles restaient au village et, comme les combats se déroulaient toujours à l’extérieur de ceux-ci, le groupe des combattants assurait leur protection ainsi que celle des enfants et des vieillards. Ou alors on les mettait à l’abri dans certains endroits, de manière à ce qu’ils ne souffrent pas des combats ». Voir également M. Mubiala, « Les Etats africains et la promotion des principes humanitaires », Revue internationale de la Croix-Rouge, vol. 71, n° 776, 1989, p. 102 : « Enfin, les femmes, considérées à juste titre comme le « berceau » de la société africaine et les enfants, qui sont tenus pour des innocents, sont protégés spécialement contre les maux de la guerre [note omise] ».

  1. Les personnes mises hors de combat – malades, naufragés, blessés, prisonniers de guerre – doivent être respectées et protégées comme les civils si elles ne tentent pas de s’évader ou ne commettent pas d’hostilité. Ainsi, la 1e Convention de Genève de 1949 est relative à l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne et le Protocole I de 1977 régissent la protection des blessés en campagne et la 2e Convention de Genève de 1949 est relative à l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer. Ces deux types de personnes doivent être recueillies par les parties aux conflits et soignées par elles. La 3e Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre et le Protocole I de 1977 régissent le sort des prisonniers de guerre et des blessés. Ceux-ci ont droit à la vie et doivent être traités avec humanité ; ils doivent être détenus dans des conditions décentes, ont droit à une correspondance et ne doivent pas être soumis à exploitation. Leur capture doit être notifiée à l’Etat ennemi. Ils ne peuvent être utilisés à des fins militaires ni faire l’objet de mesures de représailles ni de peines collectives. Ils doivent être rendus au plus tôt après la fin du conflit. Les malades et blessés capturés doivent être soignés. Les prisonniers de guerre peuvent cependant être soumis à des obligations disciplinaires. La tentative d’évasion est conforme à l’honneur militaire et ne doit donc pas être réprimée de manière trop rigoureuse. Ils doivent respecter les lois et règlements des forces armées de la puissance détentrice. Ils doivent être informés des règles des Conventions de Genève et bénéficier des droits de la défense.
  1. En revanche, les combattants sont des cibles légitimes des opérations militaires et peuvent être tués et être faits prisonniers même si cela est sous certaines conditions. La qualification de combattant est cependant protectrice. En effet, le combattant n’engage pas sa responsabilité pour le seul fait d’avoir pris les armes, mais, éventuellement, s’il a commis des crimes sans relation avec le conflit armé ou s’il a violé le droit international humanitaire. En outre, le droit international humanitaire lui a accordé un statut protecteur, notamment le statut de prisonnier de guerre s’il est capturé, étant précisé que ce statut de combattant est bien plus développé en cas de conflit armé international qu’en cas de conflit armé non international[1].

[1] Voir G. Aivo, Le statut de combattant dans les conflits armés non internationaux. Etude critique de droit international humanitaire, Thèse de doctorat, Université de Genève, 2011, 585 p.

  1. En outre, la Cour internationale de Justice, interrogée sur la licéité de l’utilisation des armes nucléaires, put déclarer qu’en vertu du second principe cardinal contenu dans les textes formant le tissu du droit humanitaire,

« il ne faut pas causer de maux superflus aux combattants ; il est donc interdit d’utiliser des armes leur causant de tels maux ou aggravant inutilement leurs souffrances ; en application de ce second principe, les Etats n’ont pas un choix illimité quant aux armes qu’ils emploient »[1] ; « Conformément aux principes susmentionnés, le droit humanitaire a très tôt banni certaines armes, soit parce qu’elles frappaient de façon indiscriminée les combattants et les populations civiles, soit parce qu’elles causaient aux combattants des souffrances inutiles, c’est-à-dire des souffrances supérieures aux maux inévitables que suppose la réalisation d’objectifs militaires légitimes ». Plus encore, « Dans le cas où l’emploi envisagé d’une arme ne satisferait pas aux exigences du droit humanitaire, la menace d’un tel emploi contreviendrait elle aussi à ce droit »[2].


[1] Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, C.I.J. Rec. 1996, p. 226, § 78.

[2] Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, C.I.J. Rec. 1996, p. 226, § 78.

Réciproquement, seuls les combattants ont le droit d’accomplir des actes licites de guerre, pourvu, bien sûr, qu’ils respectent les règles du droit humanitaire. Autrement dit, ils ne peuvent être sanctionnés par le droit interne des Etats pour avoir pris les armes au contraire des civils considérés comme étrangers à la guerre et donc interdits d’y participer.

  1. On notera cependant qu’avec l’évolution des conflits non internationaux et la porosité croissante entre populations civiles et combattants et groupes armés – quand les populations ne se battent pas elles-mêmes -, cette distinction pose de sérieuses difficultés dans la jurisprudence internationale comme en doctrine[1]. De même, le recours aux sociétés privées, militaires ou non mais aidant une partie au conflit, pose-t-il des difficultés à cet égard[2]. Cela dit les protocoles ne protègent que les populations civiles qui ne participent pas directement aux hostilités en sorte que les autres seront soumises au droit applicable aux combattants. Il reste donc la catégorie « grise » de ceux qui participent mais non directement.

[1] J. d’Aspremont & J. de Hemptine, Droit international humanitaire, Paris, Pedone, 2012, p. 175.

[2] Ibidem, p. 176.

1.2.1.2. Distinction des biens de caractère civil et des objectifs militaires

  1. L’article 48 du Protocole additionnel I précise et érige en Règle fondamentale non seulement la distinction des personnes civiles et combattants déjà vue, mais également la distinction entre les biens de caractère civil et les objectifs militaire. Les parties au conflit ne doivent donc diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires, cela afin d’assurer le respect et la protection de la population civile et des biens de caractère civil[1].

[1] « En vue d’assurer le respect et la protection de la population civile et des biens de caractère civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu’entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires ». Voir déjà l’article 25 du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, La Haye, 18 octobre 1907 : « Il est interdit d’attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus ».

  1. Ainsi, les biens de caractère civil, définis comme ceux qui ne sont pas des objectifs militaires, ne doivent être l’objet ni d’attaques – c’est-à-dire d’actes de violence, offensifs ou défensifs, contre l’adversaire – ni de représailles (§ 1). Les attaques doivent donc être strictement limitées aux objectifs militaires définis par une double condition : ce sont des biens qui, par leur nature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution effective à l’action militaire et dont la destruction, la capture ou la neutralisation offre un avantage militaire précis. En cas de doute, un bien normalement affecté à un usage civil, comme un lieu de culte, une maison ou autre type d’habitation ou une école, est présumé ne pas être utilisé en vue d’apporter une contribution effective à l’action militaire. Cette règle a acquis une valeur coutumière et semble être applicable à ce titre aux conflits non internationaux[1].

[1] En ce sens J. D’Aspremont & J. Hemptine, op. cit., p. 228.

  1. Le Protocole additionnel I développe ensuite, à l’article 52 le principe de la protection générale des biens de caractère civil[1] puis aux articles suivants des protections spécifiques : à l’article 53 la protection des biens culturels et des lieux de culte[2], l’article 54 celle des biens indispensables à la survie de la population civile[3]. L’article 55 interdit l’utilisation des armes, projectiles et matières ainsi que des méthodes de guerre conçus pour causer ou dont on peut attendre qu’ils causeront des atteintes étendues, durables et graves à l’environnement naturel[4] et l’article 56 protège les ouvrages et installations qui, comme les barrages ou centrales nucléaires, contiennent des forces dangereuses[5].

[1] Article 52 – Protection générale des biens de caractère civil : « 1. Les biens de caractère civil ne doivent être l’objet ni d’attaques ni de représailles. Sont biens de caractère civil tous les biens qui ne sont pas des objectifs militaires au sens du paragraphe 2. / 2. Les attaques doivent être strictement limitées aux objectifs militaires. En ce qui concerne les biens, les objectifs militaires sont limités aux biens qui, par leur nature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution effective à l’action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offre en l’occurrence un avantage militaire précis. / 3. En cas de doute, un bien qui est normalement affecté à un usage civil, tel qu’un lieu de culte, une maison, un autre type d’habitation ou une école, est présumé ne pas être utilisé en vue d’apporter une contribution effective à l’action militaire ».

[2] Voir également l’article 16 du Protocole II – Protection des biens culturels et des lieux de culte : « Sous réserve des dispositions de la Convention de La Haye du 14 mai 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, il est interdit de commettre tout acte d’hostilité dirigé contre les monuments historiques, les œuvres d’art ou les lieux de culte qui constituent le patrimoine culturel ou spirituel des peuples et de les utiliser à l’appui de l’effort militaire ». Voir déjà dans l’Afrique précoloniale Y. Diallo, « Droit humanitaire et droit traditionnel africain », Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 686, 1976, p. 72 : « De même, est très strictement interdite la profanation de lieux que l’on vénère soi-même, car dit-on : « Mon mal est le mal de l’homme ». Ainsi les tombeaux des chefs et des ancêtres, mosquées, édifices sur des tombes de personnes considérées comme saintes, doivent être respectées en raison de l’adage : « Les morts ne sont dans aucun camp ».

[3] Voir également l’article 14 du Protocole II – Protection des biens indispensables à la survie de la population : « Il est interdit d’utiliser contre les personnes civiles la famine comme méthode de combat. Il est par conséquent interdit d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de mettre hors d’usage à cette fin des biens indispensables à la survie de la population civile, tels que les denrées alimentaires et les zones agricoles qui les produisent, les récoltes, le bétail, les installations et réserves d’eau potable et les ouvrages d’irrigation ». Voir déjà M. Mubiala, « Les Etats africains et la promotion des principes humanitaires », Revue internationale de la Croix-Rouge, vol. 71, n° 776, 1989, p. 101 : « En outre, à cause de la conception cosmogonique et vitale de la nature en Afrique déjà mentionnée, on attache une importance capitale à certains biens comme l’eau, le bétail et la terre. D’où leur appropriation et leur exploitation collective [note omise]. Le bétail, les récoltes, les points d’eau, dans la mesure où ils sont destinés, de par la tradition, à la survie aussi bien de leurs propriétaires, du groupe social auxquels ils appartiennent que des étrangers même de passage, voire des adversaires, sont, en général, épargnés des vicissitudes de la guerre ».

[4] Voir aussi Principe 24 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de juin 1992 : « La guerre exerce une action intrinsèquement destructrice sur le développement durable. Les Etats doivent donc respecter le droit international relatif à la protection de l’environnement en temps de conflit armé et participer à son développement, selon que de besoin ».

[5] Voir déjà l’article 27 du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, La Haye, 18 octobre 1907 : « Dans les sièges et bombardements, toutes les mesures nécessaires doivent être prises pour épargner, autant que possible, les édifices consacrés aux cultes, aux arts, aux sciences et à la bienfaisance, les monuments historiques, les hôpitaux et les lieux de rassemblement de malades et de blessés, à condition qu’ils ne soient pas employés en même temps à un but militaire. / Le devoir des assiégés est de désigner ces édifices ou lieux de rassemblement par des signes visibles spéciaux qui seront notifiés d’avance à l’assiégeant ». Voir également l’article 15 du Protocole II – Protection des ouvrages et installations contenant des forces dangereuses : « Les ouvrages d’art ou les installations contenant des forces dangereuses, à savoir les barrages, les digues et les centrales nucléaires de production d’énergie électrique, ne seront pas l’objet d’attaques, même s’ils constituent des objectifs militaires, lorsque ces attaques peuvent entraîner la libération de ces forces et causer, en conséquence, des pertes sévères dans la population civile ».

Il est également interdit de s’en prendre aux personnels et installations sanitaires qui présentent un signe distinctif universel comme la Croix rouge[1]. Sont encore interdits les sévices, les pillages ou les peines collectives.


[1] Voir déjà H. Dunant, Un souvenir de Solférino, Genève, 1862, rééd. CICR, Genève, p. 30 « Lors d’une bataille un drapeau noir, fixé sur un oint élevé, indique ordinairement le poste des blessés ou les ambulances des régiments engagés dans l’action, et par un accord tacite et réciproque on ne tire pas dans ces directions ; quelquefois néanmoins les bombes y arrivent, sas épargner les officiers comptables et les infirmiers, ni les fourgons chargés de pain, de vin, et de viande destinée à faire du bouillon pour les malades ».

1.2.2. Le principe de précaution

  1. Principe implicitement à l’œuvre dans un certain nombre de règles, il est lié aux principes de distinction et de proportionnalité. En effet, d’une part, il se réfère parfois à ces principes ; d’autre part, il en est en quelque sorte une condition de réalisation en ce sens que c’est en prenant les précautions dues que les belligérants respecteront l’obligation de distinguer entre les cibles humaines et matérielles civiles et militaires et pourront respecter l’exigence de proportionnalité.
  1. Ce principe couvre deux obligations : l’obligation pour l’assaillant de prendre des précautions dans l’attaque et celle pesant sur la partie attaquée de prendre des précautions contre les effets d’une attaque.

L’article 57 du Protocole 1 indique les précautions à prendre dans l’attaque — obligations de nature coutumière et applicables aux deux types de conflits —, étant précisé (§ 5) le principe déjà vu au titre de la protection des populations civiles que rien dans cette disposition ne peut être interprété comme autorisant des attaques contre la population civile, les personnes civiles ou les biens de caractère civil.

Il s’agit d’abord de veiller constamment à épargner la population civile, les personnes civiles et les biens de caractère civil (§ 1) étant précisé que ce principe s’applique non seulement aux attaques proprement dites mais aussi, plus généralement, à toute opération militaire. En outre (§ 2), ceux qui préparent ou décident une attaque doivent : 1° faire tout ce qui est pratiquement possible pour vérifier que les objectifs à attaquer ne sont ni des personnes civils, ni des biens de caractère civil, et ne bénéficient pas d’une protection spéciale, mais qu’ils sont bien des objectifs militaires dont le DIH n’interdit pas l’attaque ; 2° prendre toutes les précautions pratiquement possibles quant au choix des moyens et méthodes d’attaque pour éviter et, en tout cas, réduire au minimum les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures aux personnes civiles et les dommages aux biens de caractère civil qui pourraient être causés incidemment ; 3° s’abstenir de lancer une attaque dont on peut attendre qu’elle cause incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu.

Lorsqu’il apparaît (§ 3) que l’objectif d’une attaque n’est pas militaire ou qu’il bénéficie d’une protection spéciale ou que celle-ci risque de causer incidemment les dommages susdits, cette attaque doit être annulée ou interrompue. Lorsqu’une attaque peut affecter la population civile, un avertissement doit être donné en temps utile et efficacement, à moins que les circonstances ne le permettent pas.

L’article 58 indique quant à lui les précautions à prendre contre les effets des attaques. Il dispose ainsi que, dans toute la mesure de ce qui est pratiquement possible, les parties aux conflits : 1° s’efforcent d’éloigner du voisinage des objectifs militaires la population civile, les personnes civiles et les biens de caractère civil soumis à leur autorité ; 2° doivent éviter de placer des objectifs militaires à l’intérieur ou à proximité des zones fortement peuplées ; 3° doivent prendre les autres précautions nécessaires pour protéger la population civile, les personnes civiles et les biens de caractère civil soumis à leur autorité contre les dangers résultant des opérations militaires.

1.2.3. Le principe de proportionnalité

  1. Voilà un autre principe fondamental de la conduite des hostilités qui a un lien évident avec la protection des populations civiles et le principe de distinction déjà vus même s’il admet, par principe, que des attaques causant des dommages à des personnes et biens civils puissent sous certaines conditions être acceptées. En effet, l’interdiction des attaques disproportionnées suppose une acceptation de celles qui ne le sont pas. On a là une manifestation du principe de nécessité militaire déjà vu.
  1. L’article 51 § 5 b) du 1er Protocole additionnel stipule ainsi que sont interdites, en tant qu’effectuées sans discrimination « les attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu ». On a vu ce principe énoncé à l’article 57 dans le cadre du principe de précaution.

De même peut-on citer la règle, également énoncée dans le Protocole au titre du principe de précaution (art. 57 § 3), selon laque lorsque le choix est possible entre plusieurs objectifs militaires pour obtenir un avantage militaire équivalent ce choix doit porter sur celui dont on peut penser que l’attaque présente le moins de danger pour les personnes civiles ou pour les biens de caractère civil.

  1. Ce principe est considéré comme de nature coutumière et comme s’appliquant aussi bien aux conflits armés internationaux qu’aux conflits armés non internationaux[1]. Il s’agit selon ce principe de trouver l’équilibre entre l’avantage militaire et les dommages civils, opération souvent très délicate qui dépend des circonstances de chaque espèce.

[1] J. D’Aspremont & J. Hemptine, op. cit., p. 256.

1.2.4. La « clause Martens »

  1. Notons enfin qu’en sus de ces principes et règles d’origine conventionnelle devenues parfois de nature également coutumière s’appliquent des règles valables même à défaut d’être énoncées. C’est l’objet de la fameuse clause Martens qu’on observe dans plusieurs traités.

A l’instigation du professeur Frédéric de Martens, alors délégué russe à la Conférence de la Paix de La Haye de 1899, elle fut introduite pour la première fois dans le préambule de la Convention II de La Haye de 1899 relative aux lois et coutumes de la guerre sur terre. Elle disposait : « En attendant qu’un code plus complet des lois de la guerre puisse être édicté, les Hautes Parties contractantes jugent opportun de constater que, dans les cas non compris dans les dispositions réglementaires adoptées par elles, les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l’humanité et des exigences de la conscience publique ».

Il s’agissait de régler indirectement une question épineuse pour les Etats négociateurs — celle du statut des personnes civiles qui combattent une force occupante (sont-ce des civils qui n’ont pas le droit de prendre les armes et engagent donc leur responsabilité de ce fait ou doivent-ils être assimilés aux combattants réguliers ?). Un tel genre de clause fut ensuite introduit régulièrement dans différents traités sous des formulations variables, notamment dans les « dispositifs » des Conventions de 1949 et Protocoles additionnels de 1977[1] mais avec suffisamment de cohérence et de constance pour que ces fameuses lois de l’humanité ou principe d’humanité aient été considérées comme de nature coutumière et s’imposant en tout temps et en tout lieu notamment par la CIJ et le TIDM. Comme l’a souligné la Cour en 1996, cette clause — de nature coutumière — présente notamment l’avantage de régir des situations que des traités n’ont pas encore eu le temps de régir, ce qui arrive souvent en matière de conduite des hostilités, tant les progrès technologiques vont vite. La portée de la clause est toutefois encore débattue. S’agit-il de « combler » un silence conventionnel par le recours au seul droit coutumier — ce qui paraît acquis — ou, plus fondamentalement, de « dépasser » les deux au nom de ces « usages établis entre nations civilisées, lois de l’humanité et exigences de la conscience publique » ? De même la question se pose-t-elle toujours des instruments auxquels il convient de se référer pour « découvrir » ces lois ou principes d’humanité de même que la question de savoir si ce droit est du droit international positif ou du droit naturel…


[1] Voir ainsi le préambule du Protocole additionnel II : « Rappelant que, pour les cas non prévus par le droit en vigueur, la personne humaine reste sous la sauvegarde des principes de l’humanité et des exigences de la conscience publique ».

2. L’avènement et le développement du droit international pénal et de la justice pénale internationale

  1. On peut définir rapidement le droit international pénal comme la branche du droit international public qui érige certaines violations du droit international public — pas seulement du droit international humanitaire — en infractions et prescrit et organise la poursuite, le jugement et la punition de leurs auteurs dans l’ordre juridique international, c’est-à-dire devant et par des organes internationaux. Il faut donc le distinguer du droit pénal international qui est du droit pénal interne relatif à des crimes internationaux.
  1. Pour renforcer la mise en œuvre du droit international humanitaire, l’idée était émise depuis longtemps d’adosser une sanction pénale à ses violations. A défaut pour les Etats d’accepter l’engagement de leur propre responsabilité pénale, s’est développée l’institution d’une responsabilité pénale des individus prônée déjà en 1870 par Gustave Moynier co-fondateur et longtemps président du CICR. Cette responsabilité pénale individuelle, instituée partiellement presque un siècle plus tard, ne permet toutefois pas à l’heure actuelle une garantie complète du respect du droit internationale humanitaire qu’elle dépasse sur d’autres plans en reconnaissant, outre certains crimes spécifiques, les crimes contre l’humanité et de génocide qui peuvent être commis hors d’un conflit armé.

2.1. Les prémisses

  1. Dès la commission de ce qu’on appela ensuite le génocide arménien de 1915, la France, la Russie et la Grande-Bretagne adoptèrent une déclaration solennelle qualifiant les massacres de « crimes de lèse-humanité » et affirmant que les membres du gouvernement qui les avaient ordonnés devraient être tenus pour responsables. Le principe de cette responsabilité de type pénal fut posé par les articles 226 à 230 du traité de Sèvres qui prévoyait des poursuites devant les tribunaux militaires des Puissances alliées ainsi que devant des tribunaux composés de membres appartenant aux tribunaux militaires des Puissances intéressées voire devant un tribunal à constituer par la SdN[1]. Cependant le Traité de Sèvres n’entra jamais en vigueur faute des ratifications requises à cette fin

[1] Traité de paix entre les Puissances alliées et associées et la Turquie, Sèvres, 10 août 1920, article 226 : « Le Gouvernement ottoman reconnaît aux Puissances alliées la liberté de traduire devant leurs Tribunaux militaires les personnes accusées d’avoir commis des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre. Les peines prévues par les lois seront appliquées aux personnes reconnues coupables. Cette disposition s’appliquera nonobstant toutes procédures ou poursuites devant une juridiction de la Turquie ou de ses Alliés. / Le Gouvernement ottoman devra livrer aux Puissances alliées, ou à celle d’entre elles qui lui en adressera la requête, toutes personnes qui, étant accusées d’avoir commis un acte contraire aux lois et coutumes de la guerre, lui seraient désignées soit nominativement, soit par le grade, la fonction ou l’emploi, auxquels ces personnes auraient été affectées par les autorités ottomanes » ; article 227 : « Les auteurs d’actes contre les ressortissants d’une des Puissances alliées seront traduits devant les tribunaux militaires de cette Puissance. / Les auteurs d’actes contre les ressortissants de plusieurs puissance alliées seront traduits devant des tribunaux militaires composés de membres appartenant aux tribunaux militaires des Puissances intéressées. / Dans tous les cas, l’accusé aura droit à désigner lui-même son avocat » ; article 230 : « Le Gouvernement ottoman s’engage à livrer aux Puissances alliées les personnes réclamées par celles-ci comme responsables des massacres qui, au cours de l’état de guerre, ont été commis sur tout territoire faisant, au 1er août 1914, partie de l’Empire ottoman. / Les Puissances alliées se réservent le droit de désigner le tribunal qui sera chargé de juger les personnes ainsi accusées, et le Gouvernement ottoman s’engage à reconnaître ce Tribunal. / Dans le cas où la Société des Nations aurait constitué en temps utile un tribunal compétent pour juger lesdits massacres, les Puissances alliées se réservent le droit de déférer lesdits accusés devant ce tribunal et le Gouvernement ottoman s’engage également à reconnaître de tribunal. […] ».

  1. L’article 227 du Traité de Versailles avait quant à lui « mis en accusation publique » l’ex-Empereur Guillaume II. Celui-ci devait être traduit devant une cour internationale pour « offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités ». Le Traité prévoyait qu’un tribunal serait constitué « pour juger l’accusé », composé de cinq juges nommés par cinq puissances alliées[1]. Guillaume II ne fut toutefois pas jugé, s’étant réfugié aux Pays-Bas qui refusèrent de l’extrader au motif que le crime dont il était accusé constituait une délit politique exclu de l’extradition. Les autres personnes accusées d’avoir commis des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre pouvaient quant à elles être jugées devant les tribunaux militaires des puissances alliées et associées ou des tribunaux militaires composés de membres appartenant aux tribunaux militaires des puissances intéressées[2].

[1] Traité de Versailles, 1919, article 227 : « Les Puissances alliées et associées mettent en accusation publique Guillaume II de Hohenzollern, ex-empereur d’Allemagne, pour offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités. / Un tribunal spécial sera constitué pour juger l’accusé en lui assurant les garanties essentielles du droit de la défense. Il sera composé de cinq juges, nommés par chacune des cinq puissances suivantes, savoir les Etats-Unis d’Amérique, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie et le Japon. / Le tribunal jugera sur motifs inspirés des principes les plus élevés de la politique entre les nations avec le souci d’assurer le respect des obligations solennelles et des engagements internationaux ainsi que de la morale internationale. Il lui appartiendra de déterminer la peine qu’il estimera devoir être appliquée. Les puissances alliées et associées adresseront au Gouvernement des Pays-Bas une requête le priant de livrer l’ancien empereur entre leurs mains pour qu’il soit jugé ».

[2] Traité de Versailles, 1919, article 228 : « Le Gouvernement allemand reconnaît aux puissances alliées et associées la liberté de traduire devant leurs tribunaux militaires les personnes accusées d’avoir commis des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre. Les peines prévues par les lois seront appliquées aux personnes reconnues coupables. Cette disposition s’appliquera nonobstant toutes procédures ou poursuites devant une juridiction de l’Allemagne ou de ses alliés. / Le Gouvernement allemand devra livrer aux puissances alliées et associées, ou à elle d’entre elles qui lui en adressera l requête, toutes personnes qui, étant accusées d’avoir commis un acte contraire aux lois et coutumes de la guerre, lui seraient désignées soit nominativement, soit par le grade, la fonction ou l’emploi auxquels les personnes auraient été affectées par les autorités allemandes » ; article 229 : « Les auteurs d’actes contre les ressortissants d’une des puissances alliées et associées seront traduites devant les tribunaux militaires de cette puissance. / Les auteurs d’actes commis contre des ressortissants de plusieurs puissances alliées et associées seront traduites devant des tribunaux militaires composés de membres appartenant aux tribunaux militaires des puissances intéressées. / Dans tous les cas, l’accusé aura droit à désigner lui-même son avocat ».

2.2. Les tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et Tokyo

  1. Ce fut à l’issue de la seconde guerre mondiale que le droit international a connu le profond bouleversement qu’a constitué l’institution des deux tribunaux internationaux de Nuremberg et de Tokyo qui marquèrent l’avènement du droit international pénal et de la justice pénale internationale stricto sensu.
  1. Cela ne se fit pas sans débat. En effet, ainsi que noté par N. Eisikovits [1], l’idée même d’instituer un tel tribunal fit l’objet de controverses, notamment aux Etats-Unis, entre ceux prônaient une « vengeance » sans merci contre les nazis et ceux qui exigeaient la tenue d’un procès équitable, la lutte menée contre l’Allemagne nazie l’ayant été au nom de la liberté, de la démocratie et de la Rule of Law. Il s’agissait également de ne pas humilier l’Allemagne et et de miser sur l’effet dissuasif de procès irréprochables.

[1] Voir N. Eisikovits, “Transitional Justice”, The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Spring 2009 Edition), Edward N. Zalta (ed.), http://plato.stanford.edu/archives/spr2009/entries/justice-transitional/

  1. Finalement, au moyen de l’Accord de Londres du 8 août 1945 « concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l’Axe », les Etats alliés instituèrent un tribunal international, mécanisme répressif propre à l’ordre juridique international entièrement soustrait à l’ordre interne des Etats, pour poursuivre et juger les grands criminels de guerre de l’Axe.
  1. La compétence du Tribunal militaire international de Nuremberg était (art. 6) de juger et punir toutes personnes qui, agissant pour le compte des pays européens de l’Axe, avaient commis, individuellement ou à titre de membres d’organisations, trois catégories de crimes — véritables infractions internationales , étant précisé que ces crimes entraînaient une responsabilité individuelle : le crime contre la paix[1], le crime de guerre[2] et le crime contre l’humanité[3].

[1] « c’est-à-dire la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d’une guerre d’agression, ou d’une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l’accomplissement de l’un quelconque des actes qui précèdent » (art. 6 a)).

[2] « c’est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées, l’assassinat les mauvais traitements et la déportation pou des travaux forcés ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l’exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires » (art. 6 b))

[3] « c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du tribunal, ou en liaison avec ce crime » (art. 6 c)).

  1. Dans la logique de la Déclaration de Moscou de 1943, il fut institué comme moyen de juger les criminels de guerre dont les crimes étaient « sans localisation géographique précise » à la place des tribunaux nationaux. En revanche, était laissé à ces tribunaux nationaux et des tribunaux d’occupation alliés le soin de compléter la tâche en traduisant en justice les criminels dont les crimes étaient circonscrits à un territoire étatique. Ainsi, le tribunal de Nuremberg n’a poursuivi que 22 personnes et condamné 19 personnes (12 condamnations à mort dont celles de Goering, Ribbentrop et Rosenberg).
  1. Par une déclaration du Commandant suprême des Forces alliées le 19 janvier 1946, un autre tribunal international, le Tribunal militaire international pour l’extrême orient ou de Tokyo, fut institué, chargé de poursuivre et juger certains criminels de guerre japonais. Le Tribunal de Tokyo devait juger les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par les dirigeants japonais entre le 1er janvier 1928 et le 1er septembre 1945 (le verdict fut rendu le 12 novembre 1948 : 7 condamnations à mort dont l’ancien premier ministre et général ; seize réclusions à perpétuité, une peine de prison de 20 ans et une autre de 7).
  1. La justice pénale internationale a ensuite connu une profonde léthargie pendant la guerre froide, laquelle paralysa toute tentative du même genre et d’établissement d’une cour pénale permanente..
  1. Ce n’est que récemment, après la fin de la guerre froide et à la suite de la commission de massacres de masse en ex-Yougoslavie et au Rwanda, que le mouvement de la justice pénale internationale s’est développé à nouveau. On assiste ainsi depuis les années 1990 à la prolifération de nouvelles juridictions appelées à poursuivre et juger les individus responsables de crimes internationaux qui consistent, notamment mais pas seulement, en des violations graves du droit international humanitaire. Ces crimes sont, essentiellement, les crimes de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
  1. Ce mouvement a épousé deux grandes formes, toutes deux distinctes de celle des deux grands tribunaux d’après-guerre. Le schéma directeur resta toutefois le même de l’institutionnalisation d’un tribunal international après le déclenchement d’un conflit où de tels crimes ont pu être commis. Une distinction s’impose cependant entre, d’une part, les juridictions proprement internationales – les deux tribunaux pénaux internationaux créés par le Conseil de sécurité – et, d’autre part, des juridictions en partie étatiques, en partie internationales, dites juridictions hybrides.

2.3. Les tribunaux pénaux internationaux

  1. La première grande forme de ce nouveau mouvement fut la création par le Conseil de sécurité de l’ONU des deux tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, ce dernier ayant été le premier tribunal international à connaître du crime de génocide. Leur compétence était limitée à la poursuite et au jugement d’individus responsables de certains crimes internationaux dans certains conflits déterminés dans un espace donné pendant une période déterminée. En ce sens, ils s’inscrivaient dans le même mouvement que les tribunaux militaires internationaux.
  1. Le TPIY reçut compétence pour poursuivre et juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, c’est-à-dire pendant un conflit armé international. Selon sa jurisprudence, une violation du droit international humanitaire est dite « grave » et relève de sa compétence si elle constitue une infraction à une règle protégeant des valeurs importantes et que cette infraction emporte de graves conséquences pour la victime[1], par exemple une attaque contre la population civile ou des civils qui fait des morts et des blessés parmi eux[2].

[1] TPIY, Chambre de première instance I, 5 décembre 2003, Le procureur c. Stanislav Galić, IT-98-29-T, jugement et opinion, § 106. Citant TPIY, Chambre d’appel, Le Procureur c. Dusko Tadić, alias « Dule », arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, par. 94 : « la violation doit être grave, c’est-à-dire qu’elle doit constituer une infraction aux règles protégeant des valeurs importantes et cette infraction doit entraîner de graves conséquences pour la victime. Ainsi, par exemple, le fait qu’un combattant s’approprie simplement un pain dans un village occupé ne constituerait pas une “violation grave du droit international humanitaire” bien que cet acte puisse relever du principe fondamental énoncé à l’article 46 par. 1 des Règles de La Haye (et de la règle correspondante du droit coutumier) selon laquelle “les biens privés doivent être respectés” par toute armée occupant un territoire ennemi ».

[2] Ibidem, § 108.

  1. Le TPIR devait quant à lui poursuivre et juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’Etats voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994. Il ne devait donc, quant à lui s’occuper que d’un conflit armé non international[1].

[1] F. Viljoen, “Africa’s Contribution to the Development of International Human Rights and Humanitarian Law”, African Human Rights Law Journal, Vol. 1, No. 1, 2001, p. 32.

  1. Ces deux tribunaux ad hoc furent créés par des résolutions du Conseil de sécurité prises en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies qui lui donne le pouvoir de décider, en cas de menace à la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression, quelles mesures seront prises pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Il s’agit pour le TPIY des résolutions 808 et 827 de 1993 et pour le TPIR de la résolution 955 de 1994.

Dans la résolution 808 (1993) du 22 février 1993 portant décision de créer le TPIY, le Conseil affirma que la situation de violations généralisées du droit international humanitaire sur le territoire de l’ex-Yougoslavie « constitue une menace à la paix et à la sécurité internationales » et se déclara convaincu que dans les circonstances de l’espèce, la création d’un tribunal international permettrait d’atteindre l’objectif de mettre fin à de tels crimes et que poursuivre en justice les personnes qui en portent la responsabilité et contribuerait à la restauration et au maintien de la paix. La résolution 827 (1993) du 25 mai 1993 s’inscrit dans la même veine.

De même, dans la résolution 955 créant le TIPR et adoptant son statut, le Conseil constata des actes de génocide et autres violations flagrantes, généralisées et systématiques du droit international humanitaire commis au Rwanda et déclara que cette situation continuait de faire peser une menace sur la paix et la sécurité internationales, ce qui justifiait qu’il crée le tribunal sur le fondement du Chapitre VII.

  1. Le fonctionnement de ces deux tribunaux et la fin de la guerre froide ont permis de relancer la réflexion sur la création d’une juridiction permanente à compétence générale en matière de crimes internationaux qui était à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations Unies depuis 1946…
  1. On leur a reproché notamment le fait qu’ils n’opéraient pas sur les lieux des crimes, ce qui aurait créé une coupure entre les personnes qui ont souffert et la procédure par laquelle leurs souffrances était examinée[1]. Cela a en partie justifié l’établissement d’une nouvelle forme de justice plus proche des justiciables qui n’est pas purement internationale mais hybride.

[1] N. Eisikovits, “Transitional Justice”, The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Spring 2009 Edition), Edward N. Zalta (ed.), http://plato.stanford.edu/archives/spr2009/entries/justice-transitional/

2.4. Les tribunaux hybrides

  1. D’une manière générale, jusque récemment, les mécanismes nationaux de poursuite et de répression des crimes internationaux n’ont pas ou très peu fonctionné ; on y reviendra. Les rares procès menés devant des tribunaux étatiques furent relatifs à la violation du droit international humanitaire pendant la seconde guerre mondiale (affaires Barbie, Demjanjuk, Touvier, Papon, etc.). Un réveil de la pratique put cependant avoir lieu dans l’entraînement des TPI et de la CPI avec la poursuite de personnes pour crimes commis en ex-Yougoslavie (en Allemagne), au Rwanda (en Belgique et France) et autre part (affaire Pinochet), cela sur le fondement, principalement, de la compétence universelle.
  1. Ce manque d’activisme des juges étatiques qui manifeste, on le verra, un manque de volonté politique de leurs Etats, couplé avec le manque de volonté des Etats de financer de nouveaux tribunaux internationaux ad hoc a conduit à une nouvelle catégorie de juridictions qui embrasse ce qu’on appelle des « tribunaux nationaux internationalisés », « mixtes » ou « hybrides », c’est-à-dire des juridictions qui comportent à la fois des éléments nationaux et des éléments internationaux.
  1. Il s’agit notamment du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, du Tribunal pour le Timor-Leste, de la Chambre des crimes de guerre de Bosnie, des chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens ou encore des chambres extraordinaires établies au Sénégal. Ces institutions présentaient plusieurs points communs même s’il a pu exister des variantes sur chaque point :
  • Elles furent instituées à la suite de graves crises au cours desquelles furent commis des crimes de masse en l’absence de mécanismes internationaux utilisables. L’idée générale était de confier à la justice nationale la poursuite et le jugement de crimes internationaux mais en leur insufflant une dose d’internationalité qui devait permettre de surpasser les éventuels blocages nationaux et d’assurer que les standards internationaux en la matière soient respectés.
  • Elles avaient compétence pour réprimer non seulement des crimes de droit international, mais également des crimes prévus par le droit national.
  • Elles exerçaient un office judiciaire régi par les principes fondamentaux qui gouvernent tout tribunal international.
  • Elles siégeaient dans l’Etat sur le territoire duquel les faits se sont déroulés.
  • Elles avaient une composition mixte, comprenant des juges nationaux de l’Etat sur le territoire duquel le procès se tient et des juges internationaux.
  1. La logique conduisant à leur institution fut toutefois différente.
  • Le tribunal spécial pour la Sierra Leone (2002-2013) fut créé par un accord international, l’accord entre l’ONU et la Sierra Leone sur la création d’un Tribunal spécial, signé le 16 janvier 2002 et ratifié par le Parlement de Sierra Leone. Il fut institué dans le système juridique de la Sierra Leone, mais en dehors de son système judiciaire normal. Il était compétent pour juger les personnes qui portaient la responsabilité des plus graves violations du droit international humanitaire et du droit de la Sierra Leone commises sur le territoire de cet Etat depuis le 23 novembre 1996 jusqu’à une date à déterminer. Sa compétence matérielle couvrait les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et autres violations sérieuses du droit international humanitaire dont la caractérisation était largement calquée sur celles de la CPI et des TPI.
  • Les autres tribunaux sont des tribunaux nationaux dits internationalisés en ce sens qu’ils faisaient partie du système judiciaire national avec des éléments internationaux, soit intégrés en vertu du droit national (Cambodge) soit imposés par l’ONU, l’Etat étant jugé « défaillant ».

Les chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, encore en fonctionnement, ont pour objet de réaliser la coopération entre l’ONU et le Cambodge pour traduire en justice les dirigeants du Kampuchea démocratique et les principaux responsables des crimes et graves violations du droit pénal cambodgien, des règles et coutumes du droit international humanitaire et des conventions internationales auxquelles le Cambodge est partie, commis pendant la période comprise entre le 17 avril 1975 et le 6 janvier 1979. La coopération onusienne consiste dans la présence minoritaire de juges non cambodgiens dans les formations de jugement ainsi que par l’application des standards procéduraux internationaux.

La situation au Kosovo et au Timor oriental est encore différente puisque, ici, les cours et panels établis le furent dans le cadre d’une administration internationale intérimaire assurée par l’ONU en vertu de décisions du Conseil de sécurité dans une logique de reconstruction des systèmes judiciaires internes.

La logique qui a présidé à la création de la chambre spéciale des crimes de guerre au sein de la Cour d’Etat de Bosnie-Herzégovine était encore différente. Cette création, sur accord du Conseil de sécurité et par adoption d’une loi établissant la Chambre en Bosnie en décembre 2004 s’est faite dans le cadre d’une stratégie d’achèvement des travaux du TPIY ; il s’agissait de « délocaliser » certaines affaires du TPIY vers les juridictions des Etats issus de l’ex-Yougoslavie afin que le premier finisse son travail au plus tôt. L’idée était de concentrer la mission du TPIY sur la poursuite et le jugement des plus hauts responsables, les affaires moins importantes pouvant être déférées devant les juridictions nationales compétentes, principalement celles de la Bosnie-Herzégovine.

Sur un autre plan, au Timor Oriental, l’ONU a pris en charge la réorganisation de la justice, créant entre autres des chambres spéciales composées d’un juge du Timor et de deux juges étrangers au sein de la Cour de Dili et une Cour d’appel de même composition pour juger certains crimes commis entre 1999 et 2000. Les panels pour crimes graves de la Cour de district de Dili ont une compétence qui englobe deux catégories de crimes : les crimes internationaux (y compris le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre tels que définis dans le statut de la CPI, ainsi que la torture) et les crimes nationaux.

Voir encore, en dehors de toute intervention officielle de l’ONU, les chambres africaines extraordinaires au sein du système sénégalais pour juger Hissène Habré. Leur origine est l’accord conclu le 22 août 2009 entre l’Union africaine et le Sénégal portant création des « Chambres africaines extraordinaires » au sein des Juridictions du Sénégal. Elles furent ensuite intégrées à l’ordre juridique du Sénégal par la loi n° 2012-29 du 28 décembre 2012 qui modifia l’article 1er de la loi 84-20 du 2 février 1984 fixant l’organisation judiciaire.

2.5. La Cour pénale internationale

  1. La dernière grande forme de ce nouveau mouvement fut l’institution de la Cour pénale internationale à laquelle compétence est confiée à l’égard « des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale » (préambule du Statut et art. 5). A ce titre, elle a compétence à l’égard des crimes suivants : le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les crimes d’agression. Ces crimes ne se prescrivent pas et sont définis par le Statut ainsi que par un document ultérieur intitulé « Eléments des crimes ». Il était en outre prévu une révision du Statut pour éventuellement intégrer à la compétence de la Cour d’autres crimes, certains Etats négociateurs ayant proposé le terrorisme, le trafic de drogue ou des délits économiques graves.
  1. Cette institution fut effectuée au moyen de la Convention de Rome du 17 juillet 1998 portant Statut de la Cour pénale internationale, lequel Statut est entré en vigueur le 1er juillet 2002. Finalement, donc, cette juridiction internationale prévue au lendemain des traités de paix de 1920 et par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 est née, son temps de gestation étant corrélé au caractère très délicat de la question.
  1. Toutefois, aux termes de l’article 13 du Statut, la Cour ne peut exercer sa compétence à l’égard d’un crime visé par ledit statut que dans 3 hypothèses :
    • 1° Si une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par un Etat partie.
    • 2° Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
    • 3° Si le Procureur de la Cour a ouvert une enquête sur le crime de sa propre initiative.
  1. En outre, aux termes de l’article 12, la Cour ne peut exercer sa compétence dans les hypothèses 1 et 3 que si l’Etat sur le territoire duquel le comportement s’est produit (ou, si le crime a été commis à bord d’un navire ou aéronef, l’Etat du pavillon ou l’Etat d’immatriculation) ou l’Etat de nationalité de l’accusé est partie au Statut (un Etat devenant partie acceptant par là même la compétence de la Cour) ou a accepté que la Cour exerce sa compétence à l’égard d’un crime relevant de la compétence de la Cour. On a là un système évidemment commandé par une logique de compromis mais qui ne laisse pas d’étonner. En effet, « la Cour ne jouit pas de la compétence universelle pourtant reconnue par le droit international à tout parquet dans tout Etat pour les infractions visées au Statut. / […]. En quelque sorte, [hormis cas d’un renvoi par le CS] la compétence de la Cour apparaît comme une subrogation de la compétence territoriale ou de la compétence personnelle active que pourrait exercer ou bien l’Etat du lieu de l’infraction, ou bien l’Etat de la nationalité de son auteur »[1].

[1] E. David, « La Cour pénale internationale », RCADI, t. 313, 2005, p. 342.

Il n’existe qu’une seule hypothèse où l’accord des Etats concernés n’est pas exigé, celle dans laquelle c’est le Conseil de sécurité qui renvoie une situation au Procureur de la Cour en vertu du Chapitre VII, hypothèse réalisée en 2005 pour la situation au Darfour et en 2011 pour la situation en Libye.

2.5.1. La Cour comme instrument de paix

  1. Tout comme les juridictions internationales antérieures, la CPI poursuit un double objectif : un objectif bien sûr judiciaire, mais également politique, de participation au maintien de la paix et de la sécurité internationales[1].

[1] Sur l’idée qu’il y a deux cours en une : une cour pénale classique et une Cour à la disposition de l’ONU qui fonctionnent différemment, George P. Fletcher & Jens D. Ohlin, “The ICC – Two Courts in One?”, Journal of International Criminal Justice, Vol. 4, 2006, pp. 428-433.

D’une part, cela est clairement affirmé dans son préambule : « Reconnaissant que des crimes d’une telle gravité menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde ».

D’autre part, cela découle de ses rapports avec le Conseil de sécurité. Ainsi, on l’a dit, l’article 13 du Statut de la Cour prévoit que le Conseil de sécurité peut décider en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies de renvoyer une situation à la Cour[1], ce qu’il fit pour la Lybie et le Soudan. On est dans la logique de la création des TPI selon laquelle le déclenchement de l’action pénale pourrait servir le maintien ou le rétablissement de la paix. Dans la logique, cette fois-ci, où la justice pourrait gêner la recherche de la paix, l’article 16 du Statut de la CPI énonce qu’aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en vertu du Statut pendant les 12 mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du chapitre VII de la Charte ; la demande peut être renouvelée par le Conseil dans les mêmes conditions.

Dans son jugement dans l’affaire de la remise par la Jordanie à la Cour du Président Al-Bashir, la Chambre d’appel a ainsi clairement reconnu que le Statut fait d’elle un instrument à la disposition du Conseil de sécurité[1].


[1] CPI, The Appeals Chamber, 6 May 2019, Judgment in the Jordan Referral re Al-Bashir Appeal, No. ICC-02/05-01/09 OA2, § 135 : “As mentioned above, in accordance with article 13(b) of the Statute, the exercise of the Court’s jurisdiction can be triggered by a referral by the UN Security Council, acting under Chapter VII of the UN Charter. Article 13(b) puts the ICC at the disposal of the UN Security Council as a tool to maintain or restore international peace and security, thus obviating the need for the UN Security Council to create new ad hoc tribunals for this purpose [note omitted ]”; § 139: « As fully explained in the Joint Concurring Opinion of Judges Eboe-Osuji, Morrison, Hofmański and Bossa, article 13(b) was intended as the means through which the Court could facilitate the mandate of the UN Security Council in the maintenance of international peace and security or to contain threats in that regard, without resorting to the need to create new ad hoc international criminal tribunals, such as the ICTY and the ICTR [note omitted] ».


[1] Voir notamment A. Tine, « Article 13 », in Fernandez J., Pacreau X. (dir.), Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Commentaire article par article, Paris, Pedone, 2012, vol. II, pp. 607-618.

2.5.2. Les ambivalences de la situation de la Cour

  1. La situation change toutefois par rapport aux autres juridictions internationales dans la mesure où la CPI est une juridiction cette fois-ci permanente et avec un champ de compétence personnel, matériel, territorial et temporel bien plus étendus que tout ce qui a existé jusque-là. Il en résulte un certain nombre de biais possibles, certains s’étant réalisés. En particulier, la CPI est peut-être plus que ces prédécesseurs proie à la politisation, à l’instrumentalisation et aux remises en cause. En effet, elle peut faire l’objet de stratégies politiques qui n’ont rien à voir avec la recherche de la justice[1].

[1] Voir notamment sur les différents visages de la Cour et leurs ambivalences F. Jessberger & J. Geneuss, “The Many Faces of the International Criminal Court”, op. cit., pp. 1081-1094.

2.5.2.1. Le rôle du Conseil de sécurité et de ses membres tiers au Statut

  1. Se pose en particulier le problème du fait que le Conseil de sécurité si important dans l’exercice de la compétence de la Cour est composé de trois membres permanents qui ne sont pas parties au Statut, ce qui laisse craindre qu’il privilégie le respect de ses prérogatives policières au détriment de la justice. Il y a une ambiguïté fondamentale en la matière : le policier peut enclencher ou au contraire empêcher et bloquer la justice comme instrument de sa politique selon les intérêts de ses membres qui n’y sont pas tous soumis, ce qui peut sembler incompatible avec l’idée de justice. Plus encore, un renvoi d’une situation à la Cour peut, selon sa formulation, conduire à des modifications très sensibles du jeu normal de la CPI comme cela s’est vu dans le cas de la Libye où les Etats-Unis ont réussi à faire échapper leurs ressortissants à la compétence de la Cour dans la résolution de renvoi de la situation à celle-ci.
  1. Se pose également le problème de la dépendance de la CPI à la coopération des Etats — membres et tiers — depuis la phase d’enquête jusqu’à celle de l’exécution d’une éventuelle peine ou ordonnance de réparation.
  1. Se pose encore son utilisation par certains gouvernements contre leurs opposants politiques et/ou militaires[1].

[1] F. Jessberger & J. Geneuss, « The Many Faces of the International Criminal Court », op. cit., p. 1089 : “In particular, self-referrals offer states the opportunity to use the Court as some of ‘bad bank’, ‘as a means of exposing dangerous rebels internationally so as to dispose of them through the judicial process of the ICC’ [A. Cassese, “Is the ICC Still Having Teething Problems?”, JICJ, Vol. 4, 2006, 434-441, at 436. See also A. Cassese, “The International Criminal Court Five Years On: Andante or Moderato?”, in C. Stahn and G. Sluiter (eds.), The Emerging Practice of the International Criminal Court, Martinus Nijhoff Publishers, 2009, 21-30]”.

  1. Créée par traité et non par décision du Conseil de sécurité des Nations Unies comme les TPI, la compétence de la CPI a été très difficilement négociée et établie. Certains Etats comme les Etats-Unis voulaient la faire contrôler par le Conseil de sécurité ; d’autres désiraient la compétence la plus large possible avec l’autorité la plus grande possible pour la CPI, sans intervention politique possible du Conseil de sécurité. Les seconds voulant tout de même de la présence des Etats-Unis dans la CPI acceptèrent un compromis. Ce compromis donne la part belle aux Etats, en particulier à ceux qui sont tiers au Statut. C’est un des problèmes majeurs de la CPI mais qui pouvait difficilement être dépassé.
  1. En effet, en vertu de l’article 12 du Statut de la CPI précité, un Etat non partie au Statut est largement, bien que non totalement, immunisé de poursuites contre ses agents s’ils commettent des crimes sur son propre territoire ou sur le territoire d’un Etat non partie qui n’aurait pas accepté la compétence de la Cour pour ces crimes puisqu’il y a absence d’un des consentements requis. La seule possibilité de mise en cause exige un renvoi du Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, ce qui protège les Etats tiers membres permanents du Conseil puisqu’ils peuvent opposer leur veto, les Etats-Unis ayant en outre développé la protection de leurs ressortissants de diverses manières.
  1. Or, s’ils peuvent ne pas voir leurs agents poursuivis, les Etats tiers peuvent en revanche enclencher une procédure contre ceux d’Etats parties et même tiers au Statut. D’une part, un Etat peut ne pas être partie mais accepter la compétence de la Cour pour un crime dont il serait victime commis par des agents d’un autre Etat — partie ou non — ou pour un crime relevant de la compétence de la Cour sans lien avec lui puisqu’il n’est pas exigé un intérêt à agir particulier. Plus encore, les membres permanents du Conseil de sécurité peuvent, sans déclaration individuelle de la compétence de la Cour, faire saisir celle-ci par le Conseil, à la condition de ne pas s’opposer à un veto, faire poursuivre les criminels d’Etats parties comme non parties ayant commis des crimes sur le territoire d’Etats parties ou non. Les membres permanents du Conseil de sécurité peuvent ainsi renvoyer via le Conseil des situations à la CPI presque sans aucun risque pour leurs nationaux.
  1. En outre, un renvoi du Conseil de sécurité n’entraîne pas nécessairement compétence générale de la Cour. En effet, ainsi que cela s’est vu dans la pratique, le Conseil peut limiter la compétence de la Cour et donc faire échapper à celle-ci des situations ou crimes qu’il peut identifier de différentes manières (à raison du territoire, du moment de commission du crime ou de la nationalité des criminels). C’est ce qui s’est produit notamment à l’occasion du renvoi à la Cour de la situation au Darfour en 2005[1] ainsi que de celui de la situation en Libye en 2011[2].

[1] En revoyant à la Cour la situation au Darfour par sa résolution 1593 (2005) du 31 mars 2005, le Conseil a limité la compétence de la Cour – ainsi que la compétence universelle des juridictions des autres Etats – en énonçant, par. 6 : « Décide que les ressortissants, responsables ou personnels en activité ou anciens responsables ou personnels, d’un Etat contributeur qui n’est pas partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale sont soumis à la compétence exclusive dudit Etat pour toute allégation d’actes ou d’omissions découlant des opérations au Soudan établies ou autorisées par le Conseil ou l’Union africaine ou s’y rattachant, à moins d’une dérogation formelle de l’Etat contributeur ». Sur ce point, E. David, « La Cour pénale internationale », RCADI, t. 313, 2005, p. 364 : « politiquement, cette limitation de la compétence de la CPI était sans doute une partie du prix à payer pour obtenir d’Etats, comme la Chine et les Etats-Unis, qu’ils ne s’opposent pas à l’adoption de la résolution ; juridiquement, cette limitation de la compétence de la CPI se fonde, non sur l’article 16 du Statut, mais sur le droit souverain du Conseil de définir le mandat de la CPI pour les besoins de la situation qu’il lui défère ; plusieurs Etats ont regretté cette limitation de compétence (note omise), et on s’est même demandé si elle était légale (note omise) ».

[2] S/RES/1970 (2011), 26 février 2011, Paix et sécurité en  Afrique (affaire libyenne), § 6 : « Décide que les ressortissants, responsables ou personnels en activité ou anciens responsables ou personnels, d’un Etat autre que la Jamahiriya arabe libyenne qui n’est pas partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale sont soumis à la compétence exclusive dudit État pour toute allégation d’actes ou d’omissions découlant des opérations en Jamahiriya arabe libyenne établies ou autorisées par le Conseil ou s’y rattachant, à moins d’une dérogation formelle de l’Etat ».

2.5.2.2. Les limites d’une activité se déroulant en cours de crise

  1. Le fait que la plupart des affaires qui lui ont été soumises jusque-là concernent des conflits armés ou autres crises toujours en cours au moment de sa saisine n’est pas sans poser des problèmes notamment en matière d’enquête, de rassemblement des preuves, d’articulation des contentieux étatiques et international ou d’exécution des mandats d’arrêts. Et ce d’autant que, créée par un traité et non par une décision du Conseil de sécurité, elle ne bénéficie pas de la même autorité que les TPI ni d’un éventuel soutien du Conseil de sécurité comme cela s’est manifesté au sujet de la situation au Darfour et de la remise du Président Al-Bashir.
  1. De même, il n’est pas évident que le déclenchement d’une poursuite judiciaire soit gage d’une paix immédiate, ce que révélait la teneur de l’article 16 du Statut qui permet au Conseil d’interrompre le cours de la justice pour le maintien et/ou le rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Cette tension fut mise en évidence par l’édiction de l’acte d’accusation du président soudanais, Al-Bashir, en pleine crise avec le Soudan Sud et le Darfour. C’est ainsi en partie sur le fondement de l’argument selon lequel la mise en cause de celui-ci neutralisait les efforts de paix de l’Union africaine qu’un certain nombre d’Etats africains et l’UA elle-même contestèrent cette procédure et décidèrent de ne pas coopérer avec la CPI, notamment en matière d’arrestation du Président soudanais et de remise de sa personne à la Cour. En réalité, la possibilité de saisir la CPI entre dans les enjeux des négociations de paix, ce qui risque d’accentuer sa dimension politique au détriment de celle judiciaire ; l’existence même de la Cour est une donnée politique présente dans le règlement de toute crise. Le fait qu’elle puisse s’autosaisir via le Procureur ajoute à cette dimension.
  1. En outre, dans ce genre de cadre, nous ne sommes plus dans la logique des tribunaux qui s’inscrivent dans la gestion de l’après-guerre et la construction de la paix, voire dans une justice transitionnelle, écueil auquel avaient déjà été confrontés le TPIY et le TPIR.
  1. En tout état de cause, le fait qu’une telle instance judiciaire se meuve dans un environnement fondamentalement politique comporte le risque que toutes ses actions soient appréciées sous le seul angle politique. Quoi qu’elle fasse, la Cour ne pourra jamais dissiper cette idée avancée selon les circonstances et les protagonistes qu’elle est plus un instrument politique qu’un Cour de justice[1]. Il n’est à cet égard que rarement fait une différence entre un jugement de la stratégie du Procureur et une appréciation des jugements rendus par les chambres.

[1] Voir notamment P. Kirsch, « La Cour pénale internationale, de Rome à Kampala », Annuaire français des relations internationales, Vol. 12, 2011, pp. 131-132.

3. Complexité des relations entre le droit international et le droit international pénal

Le droit international pénal entretient des rapports ambivalents avec le droit international des droits de l’homme[1].


[1] Sur ces rapports, voir notamment Y. Sandoz, “Penal aspect of international humanitarian law”, in: International Criminal Law, 2nd edition, Cherif Bassiouni ed., Transnational Publishers, Inc, Ardsley, New-York, 1999, pp. 393-415 et Y. Sandoz, “The Dynamic but Complex Relationship between International Penal Law and International Humanitarian Law”, in J. Doria, H.-P. Gasser & M. Cherif Bassiouni (eds.), The Legal Regime of the International Criminal Court. Essays in Honour of Professor Igor Blishenko, International Humanitarian Law Series, Vol. 19, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2009, pp. 1049 ss., 1060 ss.

3.1. Le droit international pénal au soutien du droit international humanitaire

  1. Un de ses objets principaux du droit international pénal est d’assurer la poursuite, le jugement et la punition des responsables de crimes de guerre que constituent les « infractions graves » et « violations graves » du droit international humanitaire. En effet, les crimes de guerre correspondent aux violations graves du droit international humanitaires dirigées contre les populations civiles ou les combattants ne prenant pas part aux combats. Dans cette mesure, le droit international pénal pourrait être vu comme une branche du droit international créée pour améliorer la mise en œuvre du droit international humanitaire.

En ce sens, les Statuts des deux Tribunaux militaires internationaux donnaient compétence à ceux-ci pour connaître de crimes de guerres définis comme des violations des lois et coutumes de la guerre[1].


[1] L’article 6 b) du Statut du tribunal de Nuremberg définit les crimes de guerre comme « les violations des lois et coutumes de la guerre », précisant : « Ces violations comprennent, sans y être limitées, l’assassinat, les mauvais traitements et la déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l’exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ». Voir O. De Frouville, Droit international pénal. Sources, incriminations, responsabilité, Paris, Pedone, 2012, pp. 40-41.

  1. L’Assemblée générale des Nations Unies avait de son côté établi un lien entre les « infractions graves » énumérées dans les conventions de Genève de 1949 et les crimes de guerre énumérés par le Statut de Nuremberg. En effet, la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité adoptée par sa résolution 2391 (XXIII) du 26 novembre 1968 étendit le principe d’une telle imprescriptibilité aux « crimes de guerre, tels qu’ils sont définis dans le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg […], notamment les « infractions graves » énumérées dans les Conventions de Genève du 12 août 1949 pour la protection des victimes de la guerre ».
  1. L’article 85 § 5 du Protocole 1 de 1977 précise quant à lui que « Sous réserve de l’application des Conventions et du présent Protocole, les infractions graves à ces instruments sont considérées comme des crimes de guerre ».
  1. De même, les TPI étaient précisément appelés en vertu de l’article 1 de leur statut respectif à poursuivre et juger certaines violations graves du droit international humanitaire[1]. Les TPI semblaient ainsi des instruments de mise en œuvre du droit international humanitaire.

[1] Ainsi, l’article 1er du statut du TPIY énonce que celui-ci est habilité à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991. De même, l’article 1er du statut du TPIR dispose que celui-ci est habilité à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur e territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d’États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.

  1. De même, enfin, le Statut de la CPI donne-t-il compétence à celle-ci pour connaître de crimes de guerre en son article 8. Celui-ci distingue 4 catégories de crimes de guerre qui font tous référence au droit international humanitaire : il s’agit des infractions graves aux conventions de Genève, à savoir un certain nombre de comportements lorsqu’ils visent des personnes ou des biens protégés par celles-ci ; des autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux ; en cas de conflit non international, les violations graves de l’article 3 commun aux conventions de Genève ; toujours pour les conflits armés non internationaux, les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés non internationaux. Il s’agit donc à chaque fois de violations du droit international humanitaire, 2 catégories visant les violations du droit applicable aux conflits armés internationaux, les 2 autres celles du droit applicable aux conflits armés non internationaux.

A ce titre, ces juridictions pénales ont été décisives dans l’interprétation et l’évolution du droit international humanitaire et ont permis un très fort développement de celui-ci en l’appliquant tant aux conflits armés internationaux que non internationaux.

On peut d’ores-et-déjà noter que la CPI a étendu le champ de l’incrimination de crime de guerre. En effet[1], on considérait classiquement que les crimes de guerre ne couvraient que ceux commis contre les combattants ennemis, ceux commis au sein des mêmes forces relevant des affaires des Etats et de leur droit interne. Cependant, dans l’affaire Bosco Ntaganda, décision du 4 janvier 2017, la Cour accepta de retenir l’infraction de crime de guerre pour des actes commis au sein d’un même groupe armé, en l’espèce des actes de viol et d’esclavage sexuel, protégeant ainsi les combattants, en l’espèce des filles recrutées de force comme enfants soldats, contre les actes de leur propre groupe, les forces patriotiques de libération du Congo, membre de l’Union des patriotes congolais. La Cour décida en effet que le viol et l’esclavage sexuel comme crimes de guerre peuvent être commis contre toute personne quel que son statut juridique.


[1] Y. McDermott, ICC expands definition of war crimes to cover combatants in the same armed forces, January 20, 2017, https://theconversation.com/icc-expands-definition-of-war-crimes-to-cover-combatants-in-the-same-armed-forces-71104?utm_medium=email&utm_campaign=Latest%20from%20The%20Conversation%20for%20January%2024%202017%20-%206593&utm_content=Latest%20from%20The%20Conversation%20for%20January%2024%202017%20-%206593+CID_1ae0a560adfece8689c6ff587c7671a3&utm_source=campaign_monitor_global&utm_term=ICC%20expands%20definition%20of%20war%20crimes%20to%20cover%20combatants%20in%20the%20same%20armed%20forces

3.2. L’autonomie des deux branches

  1. Cependant, les textes créant ces tribunaux internationaux n’affirment pas inscrire ceux-ci comme des organes de garantie du respect du droit international humanitaire.

D’une part, ils donnent compétence à ceux-ci pour connaître d’autres crimes que les crimes de guerre, crimes qui peuvent être commis hors du cadre d’un conflit armé. En effet, certains crimes du droit international pénal comme les crimes contre l’humanité et le crime de génocide peuvent être commis en temps de paix. En outre, le droit international pénal érige en crime d’agression le fait de recourir illégalement à la force, question qui échappe, on l’a vu, à l’empire du droit international humanitaire.

De même, le droit international pénal n’incrimine pas toute violation du droit international humanitaire, mais seulement les infractions les plus graves. En sorte qu’il ne saurait être tenu comme une branche du premier et les juridictions pénales internationales comme des organes de protection de l’ensemble du droit international humanitaire. Cela est évident pour la CPI qui ne semble même pas compétente pour tout crime énoncé dans son statut, mais les plus graves d’entre eux.

  1. Il faut également mentionner une différence dans leur champ d’application ratione personae. Le droit international humanitaire était initialement tourné vers les seuls Etats, puis les parties à un conflit, ensembles organisés pouvant mener des attaques d’une certaine intensité. Il n’adresse ses prescriptions qu’à des personnes morales. Le droit international pénal ne connaît quant à lui que des individus, des personnes physiques, auxquelles on peut imputer des violations du droit international indépendamment de la question de savoir si ces mêmes comportements peuvent également être imputés à une personne morale visée par le droit international humanitaire.