5 La responsabilité « pénale » de l’individu

Pour citer: J. Matringe, « La responsabilité pénale de l’individu », in Droit international pénal et humanitaire, https://droitsafricainsonline.com/themes/droit-international-penal-et-humanitaire/4-la-responsabilite-penale-de-lindividu/, mis à jour le 24/03/2023

Comme on l’a fait pour la responsabilité de l’Etat et très classiquement, on distinguera l’engagement de la responsabilité individuelle, c’est-à-dire le fait générateur de l’obligation pour un individu de répondre pénalement d’une violation du droit international humanitaire et sa mise en œuvre qui consistera ici à analyser les voies de droit permettant la détermination et l’organisation de cette réponse.

1. Engagement de la responsabilité pénale individuelle

Il convient d’analyser d’abord à quelles conditions un individu peut engager sa responsabilité pénale individuelle pour violation du droit international humanitaire avant de s’intéresser aux motifs d’exonération de sa responsabilité.

1.1. Les conditions d’engagement

En vertu du principe de légalité, l’accusé ne peut être déclaré coupable que d’actes qui, à l’époque des faits, constituaient des crimes[1]. Cela signifie qu’un individu ne peut engager sa responsabilité que si, au moment de son comportement, la règle prétendument violée et l’incrimination de ce comportement existaient et que la responsabilité pour violation de celle-ci était prévue par le droit.


[1] TPIY, Chambre d’appel, 30 novembre 2006, Le procureur c. Stanislav Galić , IT-98-29-A, arrêt, § 71 citant l’arrêt Stakić, par. 135 ; l’arrêt Kordić, par. 44 et l’arrêt Tadić relatif à a compétence, par. 143. Pour une version un peu différente : TPIY, Chambre de première instance I, 5 décembre 2003, Le procureur c. Stanislav Galić , IT-98-29-T, jugement et opinion, § 93 : «  a pour objet d’empêcher qu’une personne soit poursuivie et condamnée pour des actes dont, connaissant les lois en vigueur, elle avait des raisons de penser qu’ils ne constituaient pas un crime au moment où ils ont été commis ».

1.1.1. L’incrimination des comportements

  1. En vertu du principe de légalité, l’incrimination doit exister au moment de la commission du crime et être établie de manière suffisamment précise[1]. On sait que le statut du TMI de Nuremberg avait été contesté sur ce point, tant par les accusés que par une partie de la doctrine. Cette question s’est également parfois posée dans le cadre des TPI qui ont également été institués après la commission des crimes, contrairement à la CPI.

[1] Par exemple, #TPIY, Chambre d’appel, 17 septembre 2003, Le Procureur c/ Milorad Krnojelac, affaire nº IT-97-25-A, Arrêt : « Encore faut-il que la condamnation soit prononcée sur la base d’une incrimination qui existait à l’époque où ont été commis les actes ou omissions dont la personne est accusée et qui était suffisamment prévisible et accessible (Décision Ojdanić, par. 37 à 39) ».

En particulier, si l’article 3 du Statut du TPIY énonçait en quoi certaines violations des lois et coutumes de la guerre constituaient des crimes de guerre relevant de la compétence du tribunal, son énumération était seulement illustrative. Se posait donc la question de savoir comment établir l’existence d’une infraction hors de ces cas tout en respectant le principe de légalité. Dans l’arrêt Dusko Tadić du 2 octobre 1995 confirmé plusieurs fois[1], la chambre d’appel du TPIY a donné une réponse de principe à la question de savoir quelles étaient les conditions à remplir pour que l’article 3 du Statut s’applique et qu’une violation du droit international humanitaire en relève, que l’on soit dans un conflit armé international ou non international. Elle dégagea quatre conditions communément appliquées ensuite : « i) la violation doit porter atteinte à une règle du droit international humanitaire ; ii) la règle doit être de caractère coutumier ou, si elle relève du droit conventionnel, les conditions requises doivent être remplies [le traité doit lier les Parties [au conflit] à la date de la commission du crime et ne pas s’opposer ou déroger aux normes impératives du droit international] ; iii) la violation doit être grave, c’est-à-dire qu’elle doit constituer une infraction aux règles protégeant des valeurs importantes et cette infraction doit entraîner de graves conséquences pour la victime [exemples] ; iv) la violation de la règle doit entraîner, aux termes du droit international coutumier ou conventionnel, la responsabilité pénale individuelle de son auteur »[2].


[1] Notamment dans l’affaire Galić, première instance et appel (§ 91).

[2] TPIY, Chambre d’appel, 2 octobre 1995, Le Procureur c. Dusko Tadić, alias « Dule », n° IT-94-1-AR72, arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, § 94.

  1. En droit international pénal, les énoncés qui établissent les incriminations internationales se composent toujours de deux éléments, un crime n’étant commis que si ces deux éléments sont réunis. Toutefois, la qualification d’un crime dépend du contexte de sa commission (pour s’en tenir ici à la CPI, on sait que l’article 5 de son Statut lui donne compétence pour connaître de quatre types de crimes : le crime de génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et le crime d’agression).

1.1.1.1. Eléments de caractérisation des crimes

  1. La première partie de l’énoncé, souvent appelée le « chapeau », caractérise selon différents éléments le contexte du crime qui permet de distinguer celui-ci par rapport à d’autres infractions. Selon ce contexte, en effet, on qualifiera un même type de comportement comme le meurtre ou le viol de crime de droit commun, de crime de guerre, de crime contre l’humanité ou de crime de génocide, l’hypothèse n’étant pas exclue qu’un même comportement puisse faire l’objet de plusieurs qualifications simultanément s’il rentre sous le chapeau de plusieurs crimes.
  2. La caractérisation peut se faire à raison du contexte matériel de l’infraction. L’article 7 § 1 du Statut de la CPI est ainsi rédigé : « Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque : a) Meurtre ; b) Extermination ; c) Réduction en esclavage ; [etc.] ». Contrairement aux Statuts des TPI, le Statut de la CPI précise à son article 7 § 2 ce qu’il faut entendre par chacun de ces actes, sachant en outre que la détermination de ces crimes fait l’objet de précisions dans un autre document appelé « Eléments constitutifs des crimes » adoptés par la Conférence des Etats parties qui entendent ainsi limiter le champ d’interprétation de la Cour.

Il faut, pour constituer un crime contre l’humanité, que chaque acte soit lié à un tel contexte[1].


[1] CPI, Chambre de première instance III, 21 mars 2016, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, N° ICC-01/05-01/08, jugement rendu en application de l’article 74 du Statut, N° : ICC-01/05-01/08-3343 : « 165. Pour déterminer si le lien requis existe, la Chambre doit procéder à un examen objectif tenant compte, en particulier, des caractéristiques, des buts, de la nature et/ou des conséquences de ces actes (Décision relative à la confirmation des charges, par. 86, renvoyant à TPIR, Jugement Kajelijeli, par. 866 ; et TPIR, Jugement Semanza, par. 326. Voir aussi Jugement Katanga, par. 1124). Les actes isolés qui, par leur contexte et leurs circonstances, diffèrent clairement d’autres actes s’inscrivant dans le cadre d’une attaque ne relèvent pas de l’article 7-1 (Jugement Katanga, par. 1124. Voir aussi TPIY, Arrêt Kunarac, par. 100) ».

Celui-ci constitue un ensemble d’actes de violence et non des actes isolés et fortuits (« attaque systématique »)[1], que ceux-ci, soit touchent un grand nombre de victimes (« généralisée »)[2], soit obéissent à un plan ou à une politique d’un Etat ou d’une autre organisation et qu’ils visent spécifiquement une population civile[3].


[1] CPI, Chambre de première instance VI, 8 juillet 2019, Le Procureur c. Bosco Ntaganda, jugement, ICC-01/04-02/06, § 662 : « L’exigence que les actes s’inscrivent dans un « comportement » indique que l’article 7 est censé englober une série ou une suite globale d’événements, par opposition à la simple accumulation d’actes fortuits ou isolés (Jugement Bemba, par. 149, renvoyant à la Décision Gbagbo relative à la confirmation des charges, par. 209) ». Voir déjà CPI, Chambre de première instance III, 21 mars 2016, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, N° ICC-01/05-01/08, jugement rendu en application de l’article 74 du Statut, N° : ICC-01/05-01/08-3343, § 150 : « De plus, comme le Statut et les Éléments des crimes le précisent (Éléments des crimes, introduction à l’article 7, par. 3), le « comportement » doit impliquer « la commission multiple d’actes » visés à l’article 7‑1. De l’avis de la Chambre, cette expression instaure un seuil quantitatif qui exige « [TRADUCTION] plus que quelques », « [TRADUCTION] plusieurs » ou « [TRADUCTION] de nombreux » actes (Décision relative à la confirmation des charges, par. 81, renvoyant au fait qu’il n’est « pas simplement question de quelques incidents ». Voir aussi Collins English Dictionary (9e édition, 2007), où « multiple » est défini comme « [TRADUCTION] ayant ou impliquant plus d’une partie » ; et Concise Oxford English Dictionary (11e édition, 2006), définissant « multiple » notamment comme « [TRADUCTION] [a]yant ou impliquant plusieurs parties, éléments ou membres », ou « [TRADUCTION] [n]ombreux et souvent varié »). Le nombre de types d’actes individuels visés à l’article 7‑1 n’a cependant que peu d’incidence, pour autant que chacun de ces actes ait lieu dans le cadre du comportement et que ces actes cumulés franchissent le seuil quantitatif requis (Voir, en ce sens, TPIY, Arrêt Kunarac, par. 96 et 100 ; et TPIY, Jugement Kupreškić, par. 550. Voir aussi Section III.G.3) » et § 151 : « L’Accusation renvoie à une jurisprudence qui fait allusion à une définition large du terme « attaque », « qui comprend également tous mauvais traitements infligés à la population civile (Mémoire en clôture de l’Accusation, par. 32, renvoyant à TPIY, Arrêt Kordić, par. 666) ». Quant à la Défense, elle estime que le pillage ne devrait pas être pris en considération dans le cadre des éléments contextuels des crimes contre l’humanité (Conclusions orales de la Défense, p. 43, ligne 17, à p. 44, ligne 5). La Chambre fait observer que le Statut et les Éléments des crimes disposent clairement en leurs termes que la commission multiple d’actes ne peut porter que sur des actes énumérés à l’article 7‑1. Par conséquent, seuls les actes énumérés aux alinéas a) à k) de l’article 7‑1 doivent être pris en considération pour démontrer la « commission multiple d’actes » aux fins de l’article 7. Et ce, comme on le verra plus loin, sans préjudice du fait que des actes qui ne sont pas visés à l’article 7‑1 puissent entrer en ligne de compte à d’autres fins, par exemple pour déterminer si l’attaque était lancée contre une population civile ou menée en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ».

[2] CPI, Chambre de première instance III, 21 mars 2016, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, N° ICC-01/05-01/08, jugement rendu en application de l’article 74 du Statut, N° : ICC-01/05-01/08-3343 : « La Chambre souscrit à la jurisprudence de la Cour selon laquelle le terme « généralisé » dénote que l’attaque a été menée sur une grande échelle et qu’elle visait un grand nombre de personnes (Jugement Katanga, par. 1123. Voir, en ce sens, Oxford English Dictionary (2e édition, 1989), qui définit « généralisé » comme « [TRADUCTION] qui s’étend sur ou qui occupe un large espace », ce qui indique principalement une répartition géographique, mais aussi « [TRADUCTION] se produisant […] parmi de nombreuses personnes »), et qu’une telle attaque peut être « massive, fréquente, menée collectivement, d’une gravité considérable et dirigée contre un grand nombre de victimes (Décision relative à la confirmation des charges, par. 83) ». La Chambre relève que cette appréciation ne doit pas être exclusivement quantitative ou géographique, mais doit être effectuée sur la base de chacun des faits (ICC-02/11-01/11-656-Red, par. 222. La Chambre note que l’exigence purement quantitative d’une « commission multiple d’actes » ci-dessus ne doit pas être confondue avec la nature « généralisée » de l’attaque, que ce soit en ampleur ou en quantité. Sinon, la formulation disjonctive du critère « généralisé ou systématique », qui rend possible la commission de crimes contre l’humanité selon l’un ou l’autre de ces critères, n’aurait pas de raison d’être). Le cadre temporel de l’attaque n’a pas d’incidence sur cette analyse spécifique, contrairement à ce qu’a avancé le représentant légal (Mémoire en clôture du représentant légal, par. 29) ».

[3] Sur ce point CPI, Chambre de première instance III, 21 mars 2016, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, N° ICC-01/05-01/08, jugement rendu en application de l’article 74 du Statut, N° : ICC-01/05-01/08-3343 : « 157. Aux termes de l’article 7‑2‑a, le « comportement », qui se compose d’actes multiples, doit être adopté « en application ou dans la poursuite de la politique d’un Etat ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque ». 158. Cette condition présuppose l’existence soit d’un « Etat » soit d’une « organisation », seul ce dernier terme étant pertinent en l’espèce. Une organisation peut être définie comme « [TRADUCTION] un corps organisé constitué de personnes ayant un objectif particulier » (Concise Oxford English Dictionary (11e édition, 2006)). La Chambre rappelle que la Chambre de première instance II a conclu ce qui suit (Jugement Katanga, par. 1119) : « Si l’on se réfère, tout d’abord, au sens ordinaire du terme organisation, on doit le comprendre comme une « [a]ssociation, régie ou non par des institutions, qui se propose des buts déterminés ». Cette définition, très générale, ne permet toutefois pas de bien cerner les contours que doit revêtir une organisation. Pour ce faire, la Chambre entend replacer le terme dans son contexte. On peut ainsi se demander si le fait que l’organisation soit normativement rattachée à l’existence d’une attaque, au sens de l’article 7-2-a, est de nature à influer sur la définition des caractéristiques qu’elle doit présenter. Pour la Chambre, le rattachement du terme organisation à l’existence même de l’attaque, et non pas au caractère systématique ou généralisé de celle-ci, suppose que l’organisation dispose de ressources, de moyens et de capacités suffisantes pour permettre la réalisation de la ligne de conduite ou de l’opération impliquant la commission multiple d’actes visés à l’article 7-2-a du Statut. Il suffit donc qu’elle soit dotée d’un ensemble de structures ou de mécanismes, quels qu’ils soient, suffisamment efficaces pour assurer la coordination nécessaire à la réalisation d’une attaque dirigée contre une population civile. Ainsi, comme cela a été indiqué précédemment, l’organisation concernée doit disposer des moyens suffisants pour favoriser ou encourager l’attaque sans qu’il y ait lieu d’exiger plus. En effet, il est loin d’être exclu, tout particulièrement dans le contexte des guerres asymétriques d’aujourd’hui, qu’une attaque dirigée contre une population civile puisse être aussi le fait d’une entité privée regroupant un ensemble de personnes poursuivant l’objectif d’attaquer une population civile, en d’autres termes d’un groupe ne disposant pas obligatoirement d’une structure élaborée, susceptible d’être qualifiée de quasi-étatique ». […] » ; « 159. S’agissant du concept de « politique », il est précisé dans les Eléments des crimes que la « politique » signifie que l’Etat ou l’organisation favorise ou encourage activement une attaque contre une population civile (Éléments des crimes, introduction à l’article 7, par. 3. Voir aussi Jugement Katanga, par. 1108). Dans des circonstances exceptionnelles, une telle politique peut prendre la forme d’une abstention délibérée d’agir, par laquelle l’Etat ou l’organisation entend consciemment encourager une telle attaque (Éléments des crimes, introduction à l’article 7, note de bas de page 6. Voir Jugement Katanga, par. 1108). Même si cela peut avoir une valeur probante, le Statut ne prévoit pas qu’il faille démontrer qu’un « motif » ou un « objet » sous‑tend la politique consistant à attaquer la population civile (ICC-01/09-01/11-373, par. 213 ; et ICC-02/11-01/11-656-Red, par. 214). 160. La Chambre considère que la « politique » n’a pas besoin d’être énoncée de façon formelle (Décision relative à la confirmation des charges, par. 81. Voir aussi Jugement Katanga, par. 1109 et 1110 ; ICC-02/11-01/11-656-Red, par. 215 ; et ICC-01/04-01/10-465, par. 263) et qu’elle peut se déduire de divers facteurs qui, ensemble, permettent d’établir son existence (La Chambre constate que lors du processus de rédaction des Éléments des crimes, il a été proposé de mentionner explicitement le fait que « [TRADUCTION] l’existence d’une politique peut être déduite à partir de la façon dont les actes ont eu lieu » ; cette proposition n’a pas été retenue dans la version finale des Éléments des crimes car elle n’a pas été jugée nécessaire. Darryl Robinson, « The Elements of Crimes Against Humanity » in Roy S. Lee (Dir. pub), The International Criminal Court, Elements of Crimes and Rules of Procedure and Evidence, 2001, p. 77. Rodney Dixon, revu par Christopher Hall, « Article 7 » in Otto Triffterer (Dir. pub), Commentary on the Rome Statute of the International Criminal Court – Observers’ Notes, Article by Article, 2008, par. 91. Voir aussi Jugement Katanga, par. 1109, « [l]’existence d’une politique d’un État ou d’une organisation pourra donc, dans la plupart des cas, être déduite, notamment, du constat de la répétition d’actes réalisés selon la même logique, de l’existence d’activités préparatoires ou encore de mobilisations collectives orchestrées et coordonnées par cet Etat ou cette organisation »). Il peut s’agir i) du fait que l’attaque a été planifiée, dirigée ou organisée (Décision relative à la confirmation des charges, par. 81 ; ICC-02/11-01/11-656-Red, par. 215. Voir aussi Jugement Katanga, par. 1109) ; ii) d’un modèle récurrent de violences ; iii) du recours à des ressources publiques ou privées pour appliquer cette politique ; iv) de l’implication de l’État ou de forces organisées dans la commission des crimes ; v) de déclarations, d’instructions ou de documentation attribuable à l’État ou à l’organisation qui légitime ou encourage la commission des crimes ; et/ou vi) une motivation sous‑jacente (Voir Décision relative à la confirmation des charges, par. 81 ; Jugement Katanga, par. 1109 ; ICC-01/04-02/06-309, par. 19 à 21 ; ICC-02/11-01/11-656-Red, par. 214 ; et ICC-01/09-19-Corr, par. 87 à 88, renvoyant à TPIY, Jugement Blaškić, par. 204). 161. Il faut en outre démontrer que ce comportement a eu lieu en application ou dans la poursuite de la politique de l’Etat ou de l’organisation. De ce fait, ce comportement doit refléter le lien avec la politique de l’État ou de l’organisation, ce qui permet d’écarter les actes perpétrés de façon non coordonnée par des individus isolés agissant d’eux-mêmes (Voir Rodney Dixon, revu par Christopher Hall, « Article 7 » in Otto Triffterer (Dir. pub.), Commentary on the Rome Statute of the International Criminal Court – Observers’ Notes, Article by Article, 2008, par. 91). Cette condition est satisfaite lorsqu’un auteur agit délibérément dans la poursuite de la politique, mais aussi lorsqu’il adopte un comportement prévu par cette politique, en connaissance de cause (La mens rea requise des auteurs pour ce qui est du contexte de leur comportement, telle qu’établie dans les Eléments des crimes, est étudiée plus loin). La Chambre relève qu’il n’est pas nécessaire que les auteurs soient motivés par la politique ni qu’ils soient eux-mêmes membres des institutions d’Etat ou de l’organisation (Jugement Katanga, par. 1115) » ; CPI, Chambre de première instance VI, 8 juillet 2019, Le Procureur c. Bosco Ntaganda, jugement, ICC-01/04-02/06 : « Par ailleurs, en exigeant que le « comportement » consiste dans la « commission multiple d’actes » (Article 7-2-a du Statut ; et Éléments des crimes, introduction à l’article 7, par. 3), le Statut établit un seuil quantitatif correspondant à un certain nombre d’actes (La Chambre de première instance III a considéré que ce seuil correspondait à « plus que quelques », « plusieurs » ou « de nombreux actes » (Jugement Bemba, par. 150)). Chacun de ces actes doit s’inscrire dans un comportement et, ensemble, ceux-ci doivent satisfaire le seuil quantitatif requis (Voir TPIY, Arrêt Kunarac et consorts, par. 96 et 100 ; voir également Jugement Bemba, par. 150). Seuls les actes visés aux alinéas a) à k) de l’article 7-1 peuvent être retenus au titre de la commission multiple, mais les actes non énumérés à l’article 7-1 peuvent toutefois être considérés à d’autres fins. Par exemple, ils peuvent contribuer à déterminer si l’attaque a été lancée contre une population civile ou menée en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation (Jugement Bemba, par. 151) ».

Quant à l’expression « population civile », elle « désigne un groupement ou un collectif, par opposition à des civils individuels[1]. On ne saurait considérer comme une population civile au sens de l’article 7-1 un groupe limité de personnes choisies au hasard[2], mais la présence du mot « toute » indique que la disposition ne devrait pas être comprise comme étant limitée aux populations définies par une nationalité commune ou une appartenance ethnique ou d’autres attributs distinctifs[3] »[4] comme c’est le cas, on le verra, pour le génocide.

Quant à la condition que l’attaque soit « lancée contre » la population civile, cela signifie que cette population civile doit être la cible principale, et non incidente, de l’attaque[5]. Cela ne signifie toutefois pas que l’Accusation doive prouver que « toute la population d’une zone géographique » était visée au moment de l’attaque[6]. L’Accusation doit en fait établir que des civils ont été pris pour cible au cours de l’« attaque » en nombre ou d’une manière permettant de convaincre la Chambre que l’« attaque » visait la population civile[7] et non pas un nombre limité d’individus particuliers[8] »[9].


[1] Jugement Bemba, par. 152 [« Le « comportement » doit être dirigé contre « une population civile ». Les termes « population civile » désignent un collectif, par opposition à des « civils » pris individuellement (Une différenciation terminologique de ce type a rapidement été faite, bien que sans conséquences ultérieures, dans la partie Opinion et jugement de l’« Affaire justice ». Voir États-Unis d’Amérique c/ Altstötter et autres, Judgment, p. 973, « [TRADUCTION] [c]e n’est pas le crime isolé d’un particulier allemand qui est condamné, ni un crime isolé perpétré par le Reich allemand par l’intermédiaire de ses officiers à l’encontre d’un particulier. Il est notable que [dans la loi no 10 du Conseil de contrôle] ce sont les termes “contre une population civile” qui sont employés, et non “contre un civil” »). L’article 50 du Protocole additionnel I donne de « population civile » une définition que la Chambre considère comme appartenant au droit coutumier et par conséquent comme pertinente aux fins de l’examen des crimes contre l’humanité (Protocole additionnel I, article 50. Voir Jean-Marie Henckaerts et Louise Doswald-Beck, Droit international humanitaire coutumier, Volume I : Règles (2005), à la règle 5. Voir aussi Jugement Katanga, par. 1102 ; TPIY, Arrêt Blaškić, par. 110, 113 et 114 ; TPIY, Arrêt Kordić, par. 97 ; TPIY, Arrêt Mrkšić, par. 35 ; et CETC, Jugement Nuon et Khieu, par. 185). La Chambre adopte cette définition. Voir aussi § 153 : « La présence au sein de la population civile de personnes isolées ne répondant pas à la définition de personne civile ne prive pas cette population de sa qualité (Protocole additionnel I, Article 50-3 ; et Jugement Katanga, par. 1105. Voir aussi TPIY, Arrêt Blaškić, par. 114 et 115 ; TPIY, Arrêt Galić, par. 144 ; TPIY, Arrêt Kordić, par. 50 ; et CETC, Jugement Nuon et Khieu, par. 183). Lorsqu’une attaque est lancée dans une zone où sont présents aussi bien des civils que des non-civils, les facteurs à prendre en compte pour déterminer si cette attaque visait une population civile sont les moyens et les méthodes utilisés au cours de l’attaque, le statut des victimes, leur nombre, le caractère discriminatoire de l’attaque, la nature des crimes commis pendant celle-ci, la forme de la résistance opposée aux assaillants au moment de l’attaque, ainsi que de la mesure dans laquelle les forces attaquantes ont respecté les précautions édictées par le droit de la guerre (TPIY, Arrêt Mrkšić, par. 30, renvoyant à TPIY, Arrêt Kunarac, par. 91. Voir aussi CETC, Jugement Duch, par. 309 ; et CETC, Jugement Nuon et Khieu, par. 184). Ainsi, comme l’avance l’Accusation (Mémoire en clôture de l’Accusation, par. 32), lorsque parmi les actes commis lors de l’attaque on dénombre le pillage de biens de civils, ce facteur peut être pris en considération pour déterminer si l’attaque a été lancée contre une population civile (Jugement Katanga, par. 1138) » ; § 155 : « La Chambre considère que le terme « toute » population civile à l’article 7‑1 signifie que cette disposition ne se limite pas à des populations définies par une nationalité commune ou une appartenance ethnique ou d’autres attributs distinctifs (Décision relative à la confirmation des charges, par. 76 ; et Jugement Katanga, par. 1103) ; § 156 : « Enfin, il faut noter que, bien que l’attaque doive être lancée contre une population civile, rien n’impose que chacune des victimes des crimes contre l’humanité soit « civile » (TPIY, Arrêt Mrkšić, par. 32, « alors que la qualité de civils des victimes, le nombre de civils et la proportion de civils au sein d’une population civile sont à prendre en compte pour déterminer si la condition générale d’application de l’article 5 du Statut est remplie, c’est-à-dire si une attaque est dirigée contre une “population civile”, rien n’exige que les victimes des crimes sous-jacents soient des “civils”, et ce n’est pas non plus un élément constitutif des crimes contre l’humanité » ; et CETC, Jugement Duch, par. 311). En effet, lorsque l’on envisage le but de l’article 7, la Chambre est d’avis que cette notion doit être interprétée de façon à ne pas exclure d’autres personnes protégées (Voir, notamment, Conventions de Genève de 1949, article 3 commun ; Première Convention de Genève, articles 12, 13, 19 et 24 à 26 ; Quatrième Convention de Genève, articles 16 et 63 ; Protocole additionnel I, articles 12, 15, 22, 23-5, 41-1 et 51 ; Protocole additionnel II, articles 9 et 13 ; Jean-Marie Henckaerts et Louise Doswald-Beck, Droit international humanitaire coutumier, Volume I : Règles (2005), aux règles 3, 25, 27 à 31, 33, 34, 47, 48, 111 et 134 à 138 ; et Jean-Marie Henckaerts, « Study on Customary International Humanitarian Law: A contribution to the Understanding and Respect for the Rule of Law in Armed Conflict », in International Review of the Red Cross, vol. 87, 2005, p. 198 à 212. Pour une même approche, voir TPIY, Arrêt Martić, par. 307 à 313 ; et TSSL, Jugement Sesay, par. 82)].

[2] Décision autorisant l’ouverture d’une enquête sur la situation au Kenya, par. 81 ; et Décision Bemba relative à la confirmation des charges, par. 77.

[3] Jugement Bemba, par. 155 ; Jugement Katanga, par. 1103 ; et Décision Bemba relative à la confirmation des charges, par. 76.

[4] CPI, Chambre de première instance VI, 8 juillet 2019, Le Procureur c. Bosco Ntaganda, jugement, ICC-01/04-02/06, § 667.

[5] Décision relative à la confirmation des charges, par. 76 et 77, et note de bas de page 99, renvoyant à TPIY, Jugement Stakić, par. 627 ; TPIY, Arrêt Kunarac, par. 90 ; et Jugement Katanga, par. 1104. Voir aussi CETC, Jugement Nuon et Khieu, par. 182.

[6] Décision relative à la confirmation des charges, par. 77 ; et Jugement Katanga, par. 1105 et note de bas de page 2630, renvoyant notamment à TPIY, Arrêt Kunarac, par. 90.

[7] TPIY, Arrêt Kunarac, par. 90 ; TPIY, Jugement Naletilić, par. 235 ; et CETC, Jugement Nuon et Khieu, par. 182.

[8] Décision relative à la confirmation des charges, par. 77 ; et Jugement Katanga, par. 1105.

[9] CPI, Chambre de première instance III, 21 mars 2016, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, N° ICC-01/05-01/08, jugement rendu en application de l’article 74 du Statut, N° : ICC-01/05-01/08-3343, § 154.

  1. De son côté, l’article 8 relatifs aux crimes de guerre exige l’existence d’un conflit armé, international ou non international, et mentionne particulièrement ceux qui s’inscrivent dans le cadre d’un plan ou d’une politique ainsi que ceux qui font partie d’une série de crimes analogues commis sur une grande échelle.

Pour qu’il y ait crime de guerre, il faut donc non seulement l’existence d’un conflit armé, mais également que le comportement poursuivi ait été adopté en lien avec ce conflit. Ce lien entre l’acte et le conflit armé avait été expliqué par le TPIY dans l’affaire Kunarac : « les crimes de guerre se distinguent des infractions de pur droit interne en ce qu’ils sont déterminés par le contexte dans lequel ils sont commis — le conflit armé —, ou en dépendent. Le crime de guerre n’est pas nécessairement un acte planifié ou le fruit d’une politique quelconque. Un lien de cause à effet n’est pas exigé entre le conflit armé et la perpétration du crime mais il faut, à tout le moins, que l’existence du conflit armé ait considérablement pesé sur la capacité de l’auteur du crime à le commettre, sa décision de le commettre, la manière dont il l’a commis ou le but dans lequel il l’a commis. Partant, s’il peut être établi, comme en l’espèce, que l’auteur du crime a agi dans l’optique de servir un conflit armé ou sous le couvert de celui-ci, cela suffit pour conclure que ses actes étaient étroitement liés au dit conflit »[1]; « Pour déterminer si un acte donné est suffisamment lié au conflit armé, la Chambre de première instance peut tenir compte, entre autres, des indices suivants : le fait que l’auteur du crime est un combattant, le fait que la victime n’est pas un combattant, le fait que la victime appartient au camp adverse, le fait que l’acte pourrait être considéré comme servant l’objectif ultime d’une campagne militaire, et le fait que la commission du crime participe des fonctions officielles de son auteur ou s’inscrit dans leur contexte »[2].


[1] TPIY, Chambre d’appel, Le Procureur c. Dragoljub Kunarac et consorts, affaire n° IT-96-23 & IT-96-23/1-A, 12 juin 2002, § 58.

[2] Ibid., § 59.

  1. Ces deux éléments contextuels, s’ils semblent proches, doivent être distingués.

En ce sens, CPI, Chambre de première instance VI, 8 juillet 2019, Le Procureur c. Bosco Ntaganda, jugement, ICC-01/04-02/06 : « L’« attaque » qui caractérise les crimes contre l’humanité est à distinguer de celle qui est visée à l’article 8 du Statut lorsqu’il s’agit de déterminer si un crime de guerre a été commis[1]. Elle peut faire partie d’une opération militaire, mais cela n’est pas indispensable[2].


[1] Article 7-2-a du Statut ; et Éléments des crimes, introduction à l’article 7, par. 3. D’autres chambres ont expliqué que le terme « attaque » renvoie à « une campagne ou à une opération dirigée contre la population civile ». Décision Gbagbo relative à la confirmation des charges, par. 209, et jurisprudence énumérée à la note de bas de page 505 de cette décision.

[2] Éléments des crimes, introduction à l’article 7, par. 3.

Voir déjà CPI, Chambre de première instance III, 21 mars 2016, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, N° ICC-01/05-01/08, jugement rendu en application de l’article 74 du Statut, N° : ICC-01/05-01/08-3343, § 149 : « Au sens de l’article 7, une « attaque » exige « un comportement qui consiste en la commission multiple d’actes »[1]. L’attaque n’est pas nécessairement « militaire »[2]. Elle se définit en fait comme « une campagne ou […] une opération dirigée contre la population civile[3] ».


[1] Article 7-2-a du Statut ; et Éléments des crimes, introduction à l’article 7, par. 3.

[2] Éléments des crimes, introduction à l’article 7, par. 3. Voir aussi Décision relative à la confirmation des charges, par. 75 ; et Jugement Katanga, par. 1101. 

[3] Décision relative à la confirmation des charges, par. 75. Voir aussi Jugement Katanga, par. 1101.  

  1. La caractérisation peut également se faire en considérant une intention spécifique de l’accusé au moment où il agit. L’article 6 du Statut de la CPI relatif au crime de génocide est ainsi rédigé : « Aux fins du présent Statut, on entend par crime de génocide l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel : a) Meurtre de membres du groupe ; b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; [etc.] ». Par contraste, la définition du crime contre l’humanité exige seulement que l’auteur ait eu connaissance de l’attaque généralisé ou systématique contre toute population civile. Il y a donc trois grandes différences entre ces deux crimes : l’intention ou non de détruire en tout ou partie un groupe, la caractérisation ou non de ce groupe comme national, ethnique, racial ou religieux et l’inscription ou non de l’acte dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique.
  1. L’article 8 bis ajouté conformément à la résolution RC/Res.6 du 11 juin 2010 définit le crime d’agression ainsi, avant de présenter les actes d’agression : « Aux fins du présent Statut, on entend par  crime d’agression  la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un Etat, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies ».
  1. La deuxième partie de l’énoncé dresse une liste de comportements matériels qui rentrent sous la définition de l’infraction et seront qualifiés de crimes s’ils répondent aux conditions posées dans la première partie. Notons que certains comportements sont listés sous différentes incriminations comme le meurtre ou la torture. Il dépendra donc du contexte de leur commission que le juge les qualifie de crimes internationaux ou non et, dans la première hypothèse, qu’il décide de quel crime international il s’agit. D’autres ne sont présents qu’au titre de certaines incriminations comme les « mesures visant à entraver les naissances au sein d’un groupe » qui ne relèvent que du génocide mais ne pourront être qualifiées de telles que si la condition de l’intention de détruire un certain groupe comme tel posée par le chapeau est remplie.
  1. Pour pouvoir dire d’un comportement qu’il est constitutif de crime de guerre, de crime contre l’humanité ou de crime de génocide, le juge saisi doit donc s’assurer de l’existence simultanée d’un des comportements visés dans la 2e partie et de la réalisation des conditions posées par le chapeau de l’incrimination. Il aura ensuite à déterminer la forme de participation au crime pouvant être retenue pour établir la culpabilité d’une personne.

1.1.1.2. Eléments constitutifs des crimes : Elément matériel (actus reus) et élément moral (mens rea) du crime

  1. Parmi les éléments qui permettent d’établir l’existence d’un crime international se trouvent systématiquement un dit « matériel » – ou actus reus (le comportement physique ou matériel) – et un autre dit « moral » – ou mens rea (la part morale de l’auteur de l’acte) –[1].

[1]  S. Glaser, Infraction internationale. Ses éléments constitutifs et ses aspects juridiques. Exposé sur la base du droit comparé, Paris, LGDJ, 1957 ; K. Dörmann, L. Doswald-Beck & R. Kolb, Elements of War Crimes under the Rome Statute of the International Criminal Court: Sources and Commentary, Cambridge, Cambridge UP, 2002, lx-524 p. ; K. Ambos, “Some Preliminary reflections on the “mens rea” requirements of the crimes of the ICC Statute and of the elements of crimes”, in Man’s inhumanity to man. Essays on international law in honour of Antonio Cassese, The Hague, Kluwer Law International, 2003, pp. 11-40.; R. Grondin, « L’élément psychologique des crimes internationaux les plus graves », RGDIP 2003, pp. 439-479 ; G. Werle & F. Jessberger , “’Unless Otherwise Provided’: Article 30 of the ICC Statute ad the Mental Element of Crimes under International Criminal Law”, JICJ, Vol. 3, 2005, pp. 35-55 ; G. Boas, J.L. Bischoff & N.L. Reid, Elements of Crimes under International Law, International Criminal Law Practitioner Library. Volume II, Cambridge, Cambridge University Press, 2008.

  1. L’actus reus peut consister soit dans la commission physique d’un crime soit dans l’omission d’un comportement exigé par le droit pénal.

Voir ainsi, entre autres : TPIY, Chambre de première instance, 22 février 2001, Le Procureur c. Kunarać et consorts, affaire n° IT-96-23-T & IT-96-23/1-T, jugement, § 390: “Un individu est réputé avoir  commis  un crime lorsqu’il a perpétré matériellement l’acte criminel en question, ou s’est rendu coupable d’une omission en violation d’une règle de droit pénal[1] ».

Voir également TPIY, Trial Chamber, 2 November 2001, Prosecutor v. Miroslav Kvočka and Ors., IT-98-30/1-T, Judgment, par. 250: “There is no controversy as to the legal elements required for “committing” a crime within the jurisdiction of the Tribunal. The Appeals Chamber in the Tadić case found that article 7(1) “covers first and foremost the physical perpetration of a crime by the offender himself, or the culpable omission of an act that was mandated by a rule of criminal law”[2]; par. 251: “The actus reus for committing a crime is that the accused participated, physically or otherwise directly, in the material elements of a crime under the Tribunal’s Statute, through positive acts or omissions[3], whether individually or jointly with others”.


[1] Le Procureur c. Tadić, affaire n° IT-94-1-A, Arrêt, 15 juillet 1999, par. 188.

[2] Appeals Chamber, Tadić, Judgment, para. 188.

[3] Trial Chamber, 26 February 2001, Kordić, Judgment, para. 376.

  1. Il ne suffit toutefois pas que l’accusé ait commis un comportement mentionné dans l’énoncé portant incrimination internationale ou se soit abstenu d’un comportement exigé par le droit pénal pour que ce comportement ou cette omission soient qualifiés de criminels et engagent sa responsabilité ; il faut qu’un élément intentionnel caractérise ce comportement, l’accusé devant avoir eu conscience en agissant « qu’un acte criminel ou une omission coupable résulterait très vraisemblablement de sa conduite.

Par exemple TPIY, Chambre de première instance, 26 février 2001, Dario Kordic et Mario Cerkez, IT-95-14/2-T, jugement, § 376 : « La Chambre de première instance estime bien établi que pour conclure qu’un accusé a commis directement un crime, il faut démontrer qu’il a, en connaissance de cause, participé de manière directe ou physique aux actes sanctionnés par le Statut du Tribunal international » ;

TPIY, Trial Chamber, 2 November 2001, Prosecutor v. Miroslav Kvočka and Ors., IT-98-30/1-T, Judgment, par. 251: “The requisite mens rea is that, as in other forms of criminal participation under Article 7(1), the accused acted in the awareness of the substantial likelihood that a criminal act or omission would occur as a consequence of his conduct[1]”.


[1] Trial Chamber, Tadić, Judgment, para. 688 ; Trial Chamber, Čelebići, Judgment, para. 327.

Il n’est pas nécessaire que la mens rea soit explicitement exprimée ; elle peut être déduite des circonstances.

En ce sens TPIY, Trial Chamber, 16 November 1998, (Čelebići), Prosecutor v. Zejnil Delalic, Zdravko Mucic alias « Pavo », Hazim Delic, Esad Landzo alias « Zenga », Judgement, Case No. IT-96-21-T, § 328: “As regards the mental element of such participation, it is the Trial Chamber’s view that it is necessary that the act of participation be undertaken with knowledge that it will contribute to the criminal act of the principal. The Trial Chamber agrees that the existence of this mens rea need not have been explicitly expressed, but that it may be inferred from all relevant circumstances[1]”.


[1] Tadić Judgment, para. 689. See also paras. 681-688, and the authorities cited therein.

De même, « l’élément moral constitutif de toutes les violations de l’article 2 du Statut englobe tant l’intention coupable que l’imprudence délibérée (recklessness) assimilable à une négligence criminelle grave »[1].


[1] TPIY, chambre, 3 mars 2000, Le procureur c. Tihomir Blaskic, IT-95-14-T, jugement, § 152.

  1. Traditionnellement, ces éléments étaient précisés séparément pour chaque catégorie de crime, crimes de guerre, contre l’humanité ou de génocide. Si le Statut de Rome poursuit dans la même veine, il contient également un article consacré à cet élément moral de manière générale, l’article 30.

Selon celui-ci : « Sauf disposition contraire, nul n’est pénalement responsable et ne peut être puni à raison d’un crime […] que si l’élément matériel du crime est commis avec intention et connaissance [nous soulignons] ». Le TPIY avait déjà exigé ces deux composantes de l’intention et de la connaissance en matière de crimes contre l’humanité bien que de manière non systématique :

Le Procureur c. Tadić, affaire n° IT-94-1-T, jugement, 7 mai 1997 : « 656. […]. Par conséquent, en plus de l’intention de commettre le crime se base, l’auteur doit être conscient du contexte plus large dans lequel il est commis. Deuxièmement, l’acte ne doit pas être commis dans un dessein purement personnel, sans lien avec le conflit armé » ; « 659. De ce fait, si l’auteur a la connaissance, soit effective soit virtuelle, que ces actes étaient commis d’une manière généralisée ou systématique et n’a pas commis son acte dans un dessein purement personnel sans aucun lien avec l’attaque contre la population civile, cela suffit pour le tenir responsable de crimes contre l’humanité. Par conséquent, l’auteur doit savoir qu’il y a une agression contre la population civile, savoir que son acte s’accorde avec l’agression et l’acte ne doit pas être commis pour des mobiles purement personnels sans lien avec le conflit armé » ;

TPIY, Chambre de première instance, 22 février 2001, Le Procureur c. Kunarac et consorts, aff. N° IT-96-23-T & IT-96-23/1-T, jugement, § 434 : « L’auteur doit non seulement avoir l’intention de commettre le crime en question, mais également savoir que la population civile fait l’objet d’une attaque et que ses actes s’inscrivent dans le cadre de celle-ci[1], ou du moins prendre le risque que son acte participe de cette attaque[2]. Il n’est toutefois pas nécessaire qu’il soit informé des détails de l’attaque ».


[1] Le Procureur c. Tadić, affaire n° IT-94-1-A, arrêt du 15 juillet 1999, paras. 248 ; Le Procureur c. Tadić, affaire n° IT-94-1-T, jugement, 7 mai 1997 : « 656. […]. Par conséquent, en plus de l’intention de commettre le crime se base, l’auteur doit être conscient du contexte plus large dans lequel il est commis. Deuxièmement, l’acte ne doit pas être commis dans un dessein purement personnel, sans lien avec le conflit armé » ; « 659. De ce fait, si l’auteur a la connaissance, soit effective soit virtuelle, que ces actes étaient commis d’une manière généralisée ou systématique et n’a pas commis son acte dans un dessein purement personnel sans aucun lien avec l’attaque contre la population civile, cela suffit pour le tenir responsable de crimes contre l’humanité. Par conséquent, l’auteur doit savoir qu’il y a une agression contre la population civile, savoir que son acte s’accorde avec l’agression et l’acte ne doit pas être commis pour des mobiles purement personnels sans lien avec le conflit armé » ; Le Procureur c. Kupreškić et consorts, affaire n° IT-95-16-T, jugement du 14 janvier 2000, para. 556.

[2] Le Procureur c. Blaskic, affaire n° IT-95-14-T, Jugement, 3 mars 2000, par. 247 et 251.

  1. Le § 2 de l’article 30 précise en quoi consistent ces deux dimensions. Il y a intention lorsque la personne entend adopter le comportement en cause et entend causer la conséquence de ce comportement ou est consciente que cette conséquence adviendra normalement. Il y a connaissance lorsque la personne est consciente qu’une circonstance existe ou qu’une conséquence adviendra normalement des événements[1].

[1] Sur la connaissance : CPI, Chambre de première instance III, 21 mars 2016, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, N° ICC-01/05-01/08, jugement rendu en application de l’article 74 du Statut, N° : ICC-01/05-01/08-3343 : « 167. Par conséquent, comme la Chambre préliminaire l’a précisé, « [l]’auteur des crimes doit avoir conscience qu’une attaque généralisée lancée contre une population civile est en cours et que ses actes s’inscrivent dans ce cadre (Décision relative à la confirmation des charges, par. 88, renvoyant à TPIY, Arrêt Kunarac, par. 102. Voir aussi Jugement Katanga, par. 1125) ». Au paragraphe 2 de l’introduction à l’article 7 des Éléments des crimes, il est précisé que l’élément de « connaissance » « ne doit pas être interprété comme exigeant qu’il soit prouvé que l’auteur avait connaissance de toutes les caractéristiques de l’attaque ou des détails précis du plan ou de la politique de l’État ou de l’organisation ». Ce qui est exigé est que « [l]’auteur [ait su] que ce comportement faisait partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile ou [ait entendu] qu’il en fasse partie (Éléments des crimes, article 7-1-a, par. 3, et article 7-1-g-1, par. 4) ». Il est également indiqué que « [d]ans le cas où une attaque généralisée ou systématique contre une population civile est dans sa phase initiale, l’intention visée dans le dernier élément indique que l’élément psychologique est présent dès lors que l’auteur avait l’intention de mener une telle attaque (Éléments des crimes, introduction à l’article 7, par. 2, article 7-1-a, par. 3, et article 7-1-g-1, par. 4. La Chambre relève que le membre de phrase « entendait [que ce comportement] […] fasse partie [de l’attaque] » qui est l’alternative au critère de la connaissance, a été incorporé pour préciser que les premiers acteurs d’un crime contre l’humanité qui ont participé à sa phase initiale alors qu’il n’avait pas encore été commis, doivent eux aussi être considérés comme responsables. Voir Darryl Robinson, « The Elements of Crimes Against Humanity » in Roy Lee (Dir. pub.), The International Criminal Court: Elements of Crimes and Rules of Procedure and Evidence, 2001, p. 73) » ; CPI, Chambre de première instance VI, 8 juillet 2019, Le Procureur c. Bosco Ntaganda, jugement, ICC-01/04-02/06 sur la connaissance d’une attaque : « 1170. Les actes sous-jacents de chaque crime contre l’humanité doivent être commis « en connaissance de [l’]attaque » (Article 7-1 du Statut). Toutefois, il n’est pas nécessaire de prouver que l’auteur avait connaissance de toutes les caractéristiques de l’attaque ou des détails précis du plan ou de la politique de l’État ou de l’organisation (Voir aussi Éléments des crimes, introduction à l’article 7, par. 2). Cette condition est remplie s’il est démontré que l’intéressé avait connaissance des circonstances établissant l’existence d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, par exemple, qu’il savait que des actes de violence qui n’étaient ni spontanés ni non intentionnels étaient commis de façon répétée ou coordonnée contre une certaine partie de la population civile. Il suffit alors que l’auteur ait eu l’intention de mener une telle attaque (Éléments des crimes, introduction à l’article 7, par. 2) » et sur la connaissance de l’existence d’un conflit armé : « 1172. Il n’est pas indispensable que l’auteur ait cherché à déterminer l’existence, sur le plan juridique, d’un conflit armé international ou non international, ni qu’il ait réalisé que la situation correspondait à l’un ou à l’autre cas (Éléments des crimes, introduction à l’article 8 (« Il n’est pas nécessaire d’établir que l’auteur a déterminé sur le plan juridique l’existence d’un conflit armé ou le caractère international ou non international du conflit ») ; voir aussi Jugement Bemba, par. 146), mais il faut qu’il ait eu connaissance des circonstances de fait établissant l’existence d’un conflit armé (Éléments des crimes, introduction à l’article 8 (« Il faut seulement que l’auteur ait eu la connaissance des circonstances de fait établissant l’existence d’un conflit armé, qui est implicite dans les termes “a eu lieu dans le contexte de et était associé à” »), et articles 8-2-c-i à iv et 8 2-e-i à xv). Eu égard aux charges portées en l’espèce, Bosco Ntaganda devait donc avoir une connaissance suffisante des facteurs qui indiquaient l’existence de combats d’une certaine intensité entre au moins deux entités organisées » ; « 1176. Dans la présente section, s’agissant de chacun des crimes reprochés, la Chambre va examiner si Bosco Ntaganda entendait causer les comportements et/ou les conséquences en question ou s’il était conscient, relativement aux conséquences, que celles-ci adviendraient dans le cours normal des événements ».

  1. S’agissant du crime de génocide, en plus de cet élément moral général est exigé un élément moral spécial, qui se concrétise principalement par le but ou l’objectif que la personne cherche à atteindre en commettant son acte. Ainsi, les actes cités comme le meurtre, le viol ou la déportation forcée doivent être accompagnés de l’intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel[1].

[1] ICTR, Chamber I, 2 September 1998, The Prosecutor v. Jean Paul Akayesu, Case No. ICTR-96-4-T, Judgment : “497. Contrary to popular belief, the crime of genocide does not imply the actual extermination of group in its entirety, but is understood as such once any one of the acts mentioned in Article 2(2)(a) through 2(2)(e) is committed with the specific intent to destroy “in whole or in part” a national, ethnical, racial or religious group”.

1.1.2. L’existence d’une participation au crime et d’une forme de responsabilité

  1. Pour respecter le principe de légalité, il faut en outre que soit prévu que l’accusé engage sa responsabilité pour son comportement au moment où il l’adopte. L’idée maîtresse est que l’intéressé doit avoir été en mesure de prévoir qu’il pourrait être tenu pénalement responsable de ses actes s’il venait à être appréhendé.

Cela implique que la forme de sa participation au crime et de sa responsabilité invoquée doit être prévue, même implicitement, dans le statut de la juridiction saisie et avoir été établie en droit international à l’époque des faits. Cela implique également que la règle qui prévoit la forme de responsabilité invoquée doit avoir été accessible avec suffisamment de précision au moment des faits à quiconque agissait de la sorte, de manière à ce qu’il mesure les conséquences de son acte.

Il faut en effet réaliser que dans le cadre de crimes de masse, qui constituent concrètement le champ du droit international pénal, les crimes se caractérisent souvent par la pluralité des actes et des participants qui peuvent agir individuellement ou en groupes, participer de différentes manières à la commission d’un crime et donc être impliqués de plusieurs façons dans celle-ci. Il peut s’agir notamment de commettre personnellement et directement les faits incriminés – seul ou avec d’autres auteurs -, de planifier le crime, d’inciter à le commettre, de l’ordonner, de fournir une assistance à sa perpétration, sous une forme ou une autre, etc.

  1. La classification de ces modes de commission des crimes et formes corrélatives de responsabilité fait l’objet d’âpres controverses entre les juridictions et dans la doctrine. Certains distinguent selon le caractère individuel ou collectif de la commission des crimes ; d’autres selon le caractère direct ou indirect de la participation à ceux-ci ; d’autres encore distinguent les crimes principaux des crimes accessoires, ces derniers nécessitant un autre crime pour être établis.
  1. L’article 6 du statut du TPIR et l’article 7 du TPIY étaient très sommaires sur ce point, n’y consacrant, chacun, qu’un seul paragraphe formulé de la même manière qui n’embrassait que des modes individuels de participation à la commission du crime : « 1. Quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime visé aux articles […] du présent statut est individuellement responsable dudit crime ».

Toutefois, les deux tribunaux ont interprété largement ce court texte pour saisir des modes collectifs de participation avec, notamment, l’invention par le TPIY de la notion d’entreprise criminelle commune pour tenir compte du fait que certains crimes de masse sont commis collectivement et non individuellement avec une éventuelle participation accessoire[1]. Il s’agissait pour le TPIY dans l’affaire Tadić de condamner la participation à la réalisation d’un dessein ou but criminel commun qu’il a distinguée de la complicité en en faisant une forme de commission à part entière. Cela dit, très critiquée par la doctrine, cette notion n’a pas été retenue dans le Statut de Rome. Après d’autres juridictions qui s’en sont démarquées, la CPI semble lui avoir préféré dans la décision sur la confirmation des charges dans l’affaire Thomas Lubanga Dyilo la notion plus restrictive mais ressemblante de « contrôle conjoint sur le crime » qu’elle tire d’une lecture combinée des formes de commission de l’article 25 § 3 a)[2].


[1] Voir notamment P. Beauvais & Ahmed F. Khalifa, « Les modes collectifs de participation à l’infraction », in H. Ascensio et al., Droit international pénal, 2e éd., 2012, § 3 : « Les statuts des tribunaux pénaux internationaux ad hoc n’ont reconnu que les modes individuels de participation, mais les juges ont élargi leur champ matériel en ayant recours à une interprétation extensive des textes. Ils ont ainsi redéfini la notion de « commission » de sorte qu’un individu participant sciemment à un projet collectif, de nature criminelle, est responsable en tant qu’« auteur » des infractions résultant de ce projet, y compris celles dépassant son cadre initial dès lors qu’elles en constituent des conséquences naturelles et prévisibles. Cette notion est connue sous le nom d’entreprise criminelle commune ». Voir également V. Malabat, “Les modes de participation à l’infraction internationale », in T. Herran (dir.), Les 20 ans du Statut de Rome : Bilan et perspectives de la Cour pénale internationale, Paris, Pedone, 2020, pp. 181-200, sp. pp. 182-183.

[2] P. Beauvais & Ahmed F. Khalifa, « Les modes collectifs de participation à l’infraction », in H. Ascensio et al., Droit international pénal, 2e éd., §§ 3 ss.

  1. Le Statut de la CPI consacre quant à lui un long article 25 § 3 aux formes de responsabilité pénale individuelle qui distingue, tel qu’amendé conformément à la résolution RC/Res.6 du 11 juin 2010, plusieurs formes de responsabilité qu’il définit cependant de manière peu satisfaisante, outre le fait qu’il consacre un article distinct, l’article 28, pour traiter de la responsabilité du supérieur hiérarchique dont l’ombre plane pourtant sur certains modes retenus à l’article 25[1]

[1] Voir notamment V. Malabat, “Les modes de participation à l’infraction internationale », in T. Herran (dir.), Les 20 ans du Statut de Rome : Bilan et perspectives de la Cour pénale internationale, Paris, Pedone, 2020, pp. 181-200, sp. p. 183.

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  1. Certaines sont communes à tous les crimes : a) La commission d’un crime, que ce soit de manière individuelle, conjointe ou par l’intermédiaire d’une autre personne, que cette autre personne soit ou non pénalement responsable ; b) L’ordre, la sollicitation ou l’encouragement à la commission d’un tel crime, dès lors qu’il y a commission ou tentative de commission de ce crime ; c) La facilitation de la commission d’un tel crime par une aide, un concours, ou toute autre forme d’assistance à la commission ou à la tentative de commission d’un crime ; d) La contribution de toute autre manière à la commission ou tentative de commission d’un crime par un groupe de personnes agissant de concert ; f) La tentative de commettre un tel crime par des actes qui, par leur caractère substantiel, constituent un commencement d’exécution mais sans que le crime soit accompli pour des raisons indépendantes de sa volonté.
  2. Deux dispositions sont spécifiques à deux crimes. D’une part la lettre e) prévoit, s’agissant du crime de génocide, le fait d’inciter, directement et publiquement autrui à la commettre et le § 3 bis ajouté en 2010 précise, s’agissant du crime d’agression que les dispositions de l’article ne s’appliquent qu’aux personnes effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un Etat.

1.1.2.1. La commission individuelle, conjointe ou par l’intermédiaire d’une autre personne d’un crime

  1. Selon l’article 25 § 3 a) du Statut de la CPI, une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un crime relevant de la compétence de la Cour si « elle commet un tel crime, que ce soit individuellement, conjointement avec une autre personne ou par l’intermédiaire d’une autre personne, que cette personne soit ou non pénalement responsable ».
  2. La commission d’un crime consiste dans la participation, directe ou physique, à tous les éléments matériels constitutifs du crime, couvrant d’abord et en premier lieu la perpétration physique du crime par l’auteur lui-même[1].

[1] En ce sens, notamment, TPIY, Chambre de première instance I, 5 décembre 2003, Le procureur c. Stanislav Galić, IT-98-29-T, jugement, § 168 : « Un accusé est coupable d’avoir « commis » un crime « s’il a participé, de manière directe ou physique à tous les éléments matériels constitutifs de ce crime sanctionné par le Statut » (Jugement Kvoćka, par. 250 et 251). La commission « couvre d’abord et avant tout la perpétration physique d’un crime par l’auteur lui-même (Arrêt Tadic, par. 188) ».

  1. Toutefois, l’auteur d’un crime peut être aussi bien celui qui agit seul que celui qui agit avec d’autres personnes, un même crime pouvant avoir plusieurs auteurs[1].

[1] Entre autres : TPIY, Chambre de première instance, 22 février 2001, Le Procureur c. Kunarac et consorts, affaire n° IT-96-23-T & IT-96-23/1-T, jugement, § 390 : « Un même crime peut avoir plusieurs auteurs dès lors que les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis pour chacun d’eux ».

Serait ainsi considéré comme co-auteur « l’un de ceux qui accomplissent ensemble un crime dont chacun est considéré comme l’auteur principal »[1]. « Il ne s’agit [donc] pas ici d’une forme de responsabilité du fait d’autrui : chacun des co-auteurs est ici responsable de son propre comportement qui constitue une partie du crime commis suivant une certaine division du travail »[2]. Cela dit, cette notion de commission conjointe qui n’apparaît expressément que dans le statut de la CPI est difficile à distinguer d’autres comme celles d’entreprise criminelle commune ou de complicité.


[1] J. Salmon (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant / AUF, 2001, 1198 p., 188.

[2] R. Prouveze, « Les modes individuels de participation à l’infraction (action, co-action, complicité) », in H. Ascensio, E. Decaux et A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd., 2012, § 16.

  1. S’agissant de la commission du crime « par l’intermédiaire » d’une autre personne, la personne n’a pas commis physiquement le crime au sens du jugement Galić précité, mais celui-ci lui est bien imputable dans la mesure où « l’« exécutant » n’a été qu’un instrument aux mains de l’auteur »[1]. Il s’agirait en somme de la consécration d’une commission indirecte et d’un auteur indirect. Là encore, cependant, cette nouvelle forme risque de recouper d’autres formes de responsabilité comme celle encourue pour sollicitation d’un crime ou ordre de le commettre ou celle du supérieur hiérarchique.

[1] O. De Frouville, Droit international pénal. Sources, incriminations, responsabilité, Paris, Pedone, 2012, 523 p., 344.

1.1.2.2. L’ordre, la sollicitation ou l’encouragement à la commission d’un crime

  1. Aux termes de l’article 25 § 3 b) du Statut de la CPI, une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un crime prévu par son Statut si elle ordonne, sollicite ou encourage la commission d’un tel crime, mais à la condition qu’il y ait eu commission ou tentative de commission de ce crime.
  2. En réalité, les formes mentionnées ne se distinguent pas clairement ni ne se distinguent nettement d’autres hypothèses comme celle de l’ordre du supérieur hiérarchique. Il en est ainsi du fait d’ordonner[1] ou de l’instigation[2] à situer par rapport à l’encouragement et à la sollicitation. On notera par ailleurs que le Statut de la CPI ne se réfère pas ici à la notion de planification pourtant développée par les deux TPI[3] et consacre un article distinct à la responsabilité du supérieur hiérarchique.

[1] TPIY, Chambre de première instance I, 5 décembre 2003, Le procureur c. Stanislav Galić, IT-98-29-T, jugement et opinion, § 168 : « Le fait d’« ordonner » suppose qu’une personne qui est en position d’autorité en use pour convaincre une autre personne de commettre une infraction. Il n’est pas nécessaire que l’ordre revête une forme particulière (Jugement Krstić, par. 601, citant le jugement Akayesu du 2 septembre 1998, par. 483 : « By ordering the commission of one of the crimes referred to in Articles 2 to 4 of the Statute, a person also incurs individual criminal responsibility. Ordering implies a superior-subordinate relationship between the person giving the order and the one executing it. In other words, the person in a position of authority uses it to convince another to commit an offence. In certain legal systems, including that of Rwanda (See Article 19 of the Penal Code, in “Codes et Lois du Rwanda”, Université nationale du Rwanda, 31 December 1994 update, Volume I, 2nd edition, 1995, p. 395), ordering is a form of complicity through instructions given to the direct perpetrator of an offence. Regarding the position of authority, the Chamber considers that sometimes it can be just a question of fact”) ; Jugement Blaškić, par. 281 ; Jugement Kordić, par. 388).

[2] TPIY, Chambre de première instance I, 5 décembre 2003, Le procureur c. Stanislav Galić , IT-98-29-T, jugement et opinion, § 168 : « L’« instigation » consiste à provoquer autrui à commettre une infraction, qui est effectivement commise (Jugement Akayesu, par. 482 : “the form of participating through instigation stipulated in Article 6 (1) of the Statute, involves prompting another to commit an offence; but this is different from incitement in that it is punishable only were it leads to the actual commission of an offence desired by the instigator [Note omitted. Voir aussi § 481: “The second form of liability is « incitation » (in the french version of the Statute) to commit a crime, reflected in the English version of Article 6 (1) by the word instigated. In English, it seems the words incitement and instigation are synonymous [note omitted]. Furthermore, the word “instigated” or “instigation” is used to refer to incitation in several other instruments (Article 6 of the Nuremberg Charter, Article 7 (1) of the ICTY Statute and Article 2 (3) (b) of the Draft Code of Crimes Against Peace and the Security of Mankind). However, in certain legal systems and, under Civil law, in particular, the two concepts are very different (See, for instance, Article 91 of the Rwandan Penal Code, quoted and analyzed above under Chapter 6.3.2). Furthermore, and even assuming that the two words were synonymous, the question would be to know whether instigation under Article 6 (1) must include the direct and public elements, required for incitement, particularly, incitement to commit genocide (Article 2 (3) (c) of the Statute) which, in this instance, translates incitation into English as “incitement” and no longer “instigation”. Some people are of that opinion (See Virginia Morris & Michael P. Scharpf, p. 239. Comments on Article 2 (3) (f) of the Draft Code on Crimes Against the Peace and the Security of Mankind by the International Law Commission, which article considers incitement to commit a crime in the same way as Article 6 (1) of the Tribunal’s Statute). The Chamber also accepts this interpretation (See infra the findings of the Chamber on the crime of direct and public incitement to commit genocide)”] » ; Jugement Balkić, par. 280 ; Jugement Kordić par. 387). Il suffit d’établir que le comportement de l’accusé a « clairement influencé celui de l’auteur ou des auteurs du crime [note : Jugement Kvoćka par ; 252, citant le Jugement Kordić, par. 387]. Il n’est pas nécessaire de prouver que le crime n’aurait pas été perpétré sans l’intervention de l’accusé [note : Jugement Kvoćka par ; 252, citant le Jugement Kordić, par. 387]… […]. Il a été jugé qu’une omission pouvait tenir de l’instigation lorsqu’un supérieur hiérarchique créait des conditions propices aux entreprises criminelles de ses subordonnés [note : Jugement Blaskić, par. 337] » ; TPIY, Trial Chamber, 2 November 2001, Prosecutor v. Miroslav Kvočka and Ors., IT-98-30/1-T, Judgment, par. 252 : « The actus reus required for « instigating » a crime is any conduct by the accused prompting another person to act in a particular way (Trail Chamber, Akayesu, Judgment, para. 482 ; Trial Chamber, Blaskić, Judgment, para. 280). This element is satisfied if it is shown that the conduct of the accused was a clear contributing factor to the conduct of the other person(s) (Trial Chamber, Kordić, Judgment, para. 387). It is not necessary to demonstrate that the crime would not have occured without the accused’s involvement (Trial Chamber, Kordić, Judgment, para. 387). The required mens rea is that the accused intended to provoke or induce the commission of the crime, or was aware of the substantial likelihood that the commission of a crime would be a probable consequence of his acts”.

[3] Voir, entre autres, TPIY, Chambre de première instance I, 5 décembre 2003, Le procureur c. Stanislav Galić, affaire n° IT-98-29-T, jugement, § 128 : « il convient de remarquer que la « planification » suppose qu’une ou plusieurs personnes ont envisagé de programmer la commission d’un crime, aussi bien dans ses phases de préparation que d’exécution (Jugement Akayesu, par. 480 : « The first form of liability set forth in Article 6 is planning of a crime. Such planning is similar to the notion of complicity in civil law, or conspiracy under common law, as stipulated in Article 2 (3) of the Statute. But the difference is that planning, unlike complicity or plotting, can be an act committed by one person. Planning can thus be defined as implying that one or several persons contemplated designing the commission of a crime at both the preparatory and execution phases ». Voir aussi Jugement Blaškić, (par. 279) et Jugement Kordić (par. 386), citant le Jugement Akayesu), lequel crime a été effectivement commis dans le cadre de ce projet (Jugement Akayesu, par. 473 : “Thus, Article 6 (1) covers various stages of the commission of a crime, ranging from its initial planning to its execution, through its organization. However, the principle of individual criminal responsibility as provided for in Article 6 (1) implies that the planning or perpetration of the crime actually leads to its commission. Indeed, the principle of individual criminal responsibility for an attempt to commit a crime obtained only in case of genocide (See Virginia Morris & Michael P. Scharf, p. 235). Conversely, this would mean that with respect to any other form of criminal participation and, in particular, those referred to in Article 6 (1), the perpetrator would incur criminal responsibility only if the offence were completed”) par d’autres personnes (Si une personne ayant planifié la perpétration d’un crime en vient aussi à commettre celui-ci, elle ne sera punie que pour l’avoir commis et non pour l’avoir planifié, Jugement Kordić, par. 386 (citant le Jugement Blaškić, par. 278)) ».

  1. En tout état de cause, on pourra tenir ces hypothèses comme étant distinctes des précédentes qu’on a vues en ce que « traditionnellement, le fait de planifier, d’ordonner ou d’instiguer … relève de la participation accessoire et non de la commission car ces comportements […] nécessitent une infraction principale pour être réprimés »[1] en tant qu’ils présupposent la commission d’un autre crime. Il n’en reste pas moins que la personne est bien responsable du fait de sa participation au crime même si c’est une autre personne qui a matériellement ou physiquement commis celui-ci au sens vu supra. Il ne s’agit donc pas d’une responsabilité du fait d’autrui mais de la reconnaissance d’un crime lié à un autre crime, d’un crime accessoire à un crime principal.

[1] R. Prouvèze, « Les modes individuels de participation à l’infraction (action, co-action, complicité) », in H. Ascensio, E. Decaux et A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd., 2012, § 23.

  1. L’article 25 § 3 e) du même Statut ajoute, concernant plus spécifiquement le crime de génocide, l’incitation directe et publique à autrui de commettre crime, incitation qu’il ne distingue pas expressément de l’ordre, de la sollicitation ou de l’encouragement. On notera[1] que traditionnellement, l’incitation à commettre un crime est considérée comme une forme de complicité ou, au minimum, comme une forme accessoire de participation à un crime ; elle est ici punissable indépendamment de la commission du crime de génocide et incriminée en tant que telle (mais voir déjà dans ce sens le jugement Akayesu précité).

[1] R. Prouveze, « Les modes individuels de participation à l’infraction (action, co-action, complicité) », in H. Ascensio, E. Decaux et A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd., 2012, § 22.

1.1.2.3. La facilitation par l’aide, le concours et l’assistance à la commission ou tentative de commission d’un crime

  1. Aux termes de l’article 25 § 3 c) du Statut de la CPI, une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un crime relevant de la compétence de la Cour si, en vue de faciliter la commission d’un tel crime, elle apporte son aide, son concours ou toute autre forme d’assistance à la commission ou à la tentative de commission de ce crime. Cela comprend la fourniture des moyens de cette commission pourvu que celle-ci soit animée de l’intention de faciliter le crime et exerce un effet sur la commission du crime ; cela peut couvrir également un soutien psychologique.

TPIY, Chambre de première instance,7 mai 1997, Le procureur c. Dusko Tadić alias « Dule », jugement, § 689 : « La Chambre de première instance conclut que aider et encourager couvre[nt] tous actes d’assistance, sous forme verbale ou matérielle, qui prêtent encouragement ou soutien, aussi longtemps qu’existe l’intention requise. Dans cette théorie, la seule présence, sans la connaissance et le caractère délibéré, ne suffit pas. Cependant, s’il peut être démontré ou déduit, par des éléments de preuve indirects ou autres, que la présence a lieu en connaissance de cause et exerce un effet direct et substantiel sur la perpétration de l’acte illégal, elle suffit alors à fonder une conclusion de participation et à imputer la culpabilité pénale qui l’accompagne » » ;

TPIY, Trial Chamber, 16 November 1998, Prosecutor v. Zejnil Delalic, Zdravko Mucic alias « Pavo », Hazim Delic, Esad Landzo alias « Zenga », Judgement, Case No. IT-96-21-T, § 327: “More specifically, the Trial Chamber accepts as a correct statement of the law the determination that aiding and abetting includes all acts of assistance that lend encouragement or support to the perpetration of an offence and which are accompanied by the requisite mens rea. Subject to the caveat that it be found to have contributed to, or have had an effect on, the commission of the crime, the relevant act of assistance may be removed both in time and place from the actual commission of the offence. Furthermore, such assistance may consist not only of physical acts, but may also manifest itself in the form of psychological support given to the commission of an illegal act through words or again by physical presence at the scene of the perpetration of the offence (Tadić Judgment, paras. 678-687, 689-691 and the authorities cited therein)”.

  1. On est ici encore face à des modes accessoires de participation à un crime principal puisque ce n’est pas l’acte principal qui est ici incriminé, mais toute une gamme d’actes qui nécessitent pour être réprimés une infraction principale[1] qu’on peut regrouper sous le concept de complicité[2], le complice étant celui qui « sans être auteur d’un crime, en a, par son comportement, facilité la réalisation »[3].

[1] R. Prouveze, « Les modes individuels de participation à l’infraction (action, co-action, complicité) », in H. Ascensio, E. Decaux et A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd., 2012, §§ 23 et 24.

[2] TPIY, Chambre de première instance I, 5 décembre 2003, Le procureur c. Stanislav Galić , IT-98-29-T, jugement et opinion, § 168 : « La complicité suppose que l’auteur a contribué dans une large mesure à la commission du crime (note Arrêt Aleksovski, par. 162 à 164) ».

[3] J. Salmon (dir.), Dictionnaire de droit international public, p. 219.

  1. Le statut de la CPI reprend ici une approche large de la complicité déjà dégagée par les TPI qui, distinguant l’aide et la complicité[1], affirmaient que l’élément matériel de la complicité requiert une aide matérielle, des encouragements ou un soutien moral[2], l’assistance pouvant consister en une action ou omission, avant, pendant ou après la commission du crime[3]. Cette participation doit cependant avoir contribué de façon importante ou substantielle à la commission de l’infraction[4].

[1] TPIY, Trial Chamber, 2 November 2001, Prosecutor v. Miroslav Kvočka and Ors., IT-98-30/1-T, Judgment, par. 254: “The Akayesu Trial Chamber Judgment emphasized that aiding and abetting “which may appears to be synonymous are indeed different. Aiding means giving assistance to someone. Abetting, on the other hand, would involve facilitating the commission of an act by being sympathetic thereto (Trial Chamber, Akayesu, Judgment, para. 484)”.

[2] TPIY, Chambre de première instance, 10 décembre 1998, Le Procureur c. Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, jugement, § 235 : « En résumé, la Chambre de première instance conclut que, en droit international, l’actus reus de la complicité requiert une aide matérielle, des encouragements ou un soutien moral ayant un effet sur la perpétration du crime » ; TPIY, Trial Chamber, 2 November 2001, Prosecutor v. Miroslav Kvočka and Ors., IT-98-30/1-T, Judgment, par.253 : « Aiding and abetting are forms of accessory or accomplice liability (Trial Chamber, Kunarać, Judgment, para. 393). The actus reus of aiding and abetting consists of providing practical assistance, encouragement, or moral support that has a substantial effect on the perpetration of the crime (TPIY, Chambre de première instance, 10 décembre 1998, Le Procureur c. Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, jugement, § 249 ; Trial Chamber, Kunarac, Judgment, para. 391). The mens rea required is the knowledge that these acts assist or facilitate the commission of the offence (TPIY, Chambre de première instance, 10 décembre 1998, Le Procureur c. Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, jugement, § 249 ; Appeals Chamber, Tadić, Judgment, para. 229)”.

[3] TPIY, Chambre, 25 juin 1999, Zlatko Alekosvki, n° IT-95-14/1-T, jugement : “61. L’accusé doit, d’une part, avoir participé à la commission de l’acte ; “[t]ous actes d’assistance, sous forme verbale ou matérielle, qui prêtent encouragement ou soutien” (jugement Tadić, par. 689, p. 272) constituent une participation suffisante pour engager la responsabilité en application de l’article 7 1), dès lors que cette participation a eu un “effet important” (Ibid., par. 689, p. 272) sur la commission de l’acte criminel. Il n’est pas nécessaire de prouver l’existence d’un lien de cause à effe entre l’acte de participation et la commission du crime. Il suffit que l’acte de participation ait facilité de façon substantielle la perpétration du crime. L’accusé doit, d’autre part, avoir participé en connaissance de cause à l’acte illicite. Cet élément intentionnel fut défini par la Chambre de première instance saisie de l’affaire Tadić comme “la conscience de l’acte de participation conjuguée à une décision délibérée de participer” (Ibid., par. 674, p. 264). Si ces deux éléments sont prouvés, l’accusé sera tenu responsable de tout ce qui résulte naturellement de l’acte illicite. 62. Les formes de participation reconnues suffisantes par le droit international coutumier ne se limitent pas à l’assistance matérielle durant la commission de l’acte délictueux. La Chambre de première instance, dans l’affaire Tadić, constata ainsi que “le fait que la participation à la perpétration du crime n’exige pas une présence ou une assistance physique effective semble avoir été bien accepté aux procès des crimes de guerre de Nüremberg” (Ibid., par. 679, pp. 266-267). La participation peut, en effet, intervenir avant, pendant ou après, la commission de l’acte. Elle peut, par exemple, consister à fournir les moyens du crime ou   promettre d’effectuer certains actes une fois le crime commis. Ces comportements peuvent, en effet, clairement constituer une incitation ou un encouragement pour les auteurs de l’acte criminel. Ainsi, “l’acte contribuant à la perpétration et l’acte constituant la perpétration proprement dite peuvent être séparés géographiquement et temporellement” (Ibid., par. 687, p. 271)” ; TPIY, Trial Chamber, 2 November 2001, Prosecutor v. Miroslav Kvočka and Ors., IT-98-30/1-T, Judgment, par. 256: “Aiding or abetting may consist of an act or an omission and may take place before, during, or after the commission of a crime perpetrated by another and be geographically separated therefrom (TPIY, Chambre d’appel, Zlatko Alekosvki, n° IT-95-14/1-T, judgment, § 62)”.

[4] TPIY, Chambre de première instance,7 mai 1997, Le procureur c. Dusko Tadić alias « Dule », jugement, § 692 ; TPIR, Chambre I, 2 septembre 1998, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, affaire ICTR-96-4-T, jugement, § 548 ; TPIR, Chambre de 1ère instance, Le Procureur contre Clément Kayishema et Obed Ruzindana, Aff.N° ICTR-95-1-T, 21 mai 1999, §§ 198-199 ; TPIY, Chambre de première instance, 10 décembre 1998, Le Procureur c. Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, jugement, § 234 : « La meilleure façon de résumer les principes qui se dégagent du droit international coutumier est donc la suivante : l’aide doit avoir un effet important sur la perpétration du crime » ; TPIY, Chambre de première instance, 22 février 2001, Le Procureur c. Kunarac et consorts, IT-96-23-T & IT-96-23/1-T, jugement, § 391: “Par opposition à la  commission  d’un crime, la complicité correspond à une forme de responsabilité accessoire. La contribution d’un complice peut prendre la forme d’une aide matérielle, d’encouragements ou d’un soutien moral ayant un effet important sur la perp tration du crime (Le Procureur c/ Furund`ija, affaire n° IT-95-17/1-T, Jugement, 10 décembre 1998, par. 235 et 249). Il n’est pas nécessaire que l’aide apportée ait provoqué l’acte de l’auteur principal (Ibidem, par. 233, 234 et 249). Elle peut consister en une action ou une omission, et être antérieure, concomitante ou postérieure au crime (Le Procureur c/ Aleksovski, affaire n° IT-95-14/1-T, Jugement, 25 juin 1999, par. 62, et Le Procureur c/ Blaškic, affaire n° IT-95-14-T, Jugement, 3 mars 2000, par 285. » ; TPIY, Trial Chamber, 2 November 2001, Prosecutor v. Miroslav Kvočka and Ors., IT-98-30/1-T, Judgment, par. 256 : “To aid or abet by omission, the failure to act must have had a significant effect on the commission of the crime (Trail Chamber, Blaskić, Judgment, para. 284. Examples are given in Tadić’ Trial Chamber Judgment, para. 686 ; Trial Chamber, Čelebići, Judgment, para. 842; Trial Chamber, Akayesu, Judgment, para 705)”.

  1. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait un lien de causalité entre l’aide ou la complicité et l’acte principal, mais il faut que la personne ait su et ait eu conscience de ce que l’aide apportée contribuait à l’infraction et ait eu connaissance de l’intention criminelle de l’auteur de l’infraction principale ou du risque qu’il la commette[1]. C’est là l’élément moral de la complicité[2]. En outre, « le complice doit avoir voulu aider ou encourager une autre personne à commettre un crime. Autrement dit, la complicité requiert du complice l’intention d’assister, de participer, de faciliter le comportement criminel (TPIY, Chambre de première instance, 10 décembre 1998, Le Procureur c. Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, jugement, § 246) »[3]. Ainsi : « il n’est pas nécessaire que le complice connaisse le crime précis qui est projeté et qui est effectivement commis. S’il sait qu’un des crimes sera vraisemblablement commis et que l’un d’eux l’a été effectivement, il a eu l’intention de le faciliter et il est coupable de complicité »[4].

[1] TPIY, Trial Chamber, 2 November 2001, Prosecutor v. Miroslav Kvočka and Ors., IT-98-30/1-T, Judgment, par. 255: “There is no requirement that the aider or abettor have a causal effect on the act of the principal (TPIY, Chambre de première instance, 10 décembre 1998, Le Procureur c. Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, judgment, § 233; Trial Chamber, Aleksovski, Judgment, para. 61); But the aider of abettor must have intended to assist or facilitate, or at least have accepted that such a commission of a crime would be a possible and foreseeable consequence of his conduct (TPIY, Chambre de première instance,7 mai 1997, Le procureur c. Dusko Tadic alias « Dule », jugement, para. 674 ; Trial Chamber, Čelebići, Judgment, para. 326 ; Trial Chamber, Aleksovski, Judgment, para. 61)”. Voir R. Prouveze, « Les modes individuels de participation à l’infraction (action, co-action, complicité) », in H. Ascensio, E. Decaux et A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd., § 31.

[2] TPIY, Chambre de première instance, 22 février 2001, Le Procureur c. Kunarac et consorts, aff. N° IT-96-23-T & IT-96-23/1-T, jugement, § 392 : « L’élément intellectuel (mens rea) de la complicité consiste, pour le complice, dans le fait de savoir qu’il facilite par ses actes la consommation d’un crime précis (Le Procureur c/ Aleksovski, affaire n° IT-95-14/1-A, Arrêt, 24 mars 2000, par. 162 à 165 ; Le Procureur c/ Tadić, affaire° IT-94-1-A, Arrêt, 15 juillet 1999, par. 229). S’il n’est pas nécessaire qu’il partage l’intention délictueuse de l’auteur, il doit connaître les éléments fondamentaux du crime (y compris l’intention coupable de son auteur), et prendre sciemment la décision d’agir en sachant que ses actes favorisent la commission de l’acte criminel (Ibidem) ».

[3] R. Prouveze, « Les modes individuels de participation à l’infraction (action, co-action, complicité) », in H. Ascensio, E. Decaux et A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd., § 32.

[4] TPIY, Chambre de première instance, 10 décembre 1998, Le Procureur c. Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, jugement, § 246 ; TPIY, Trial Chamber, 2 November 2001, Prosecutor v. Miroslav Kvočka and Ors., IT-98-30/1-T, Judgment, par. 255: “Further, it is not necessary that the aider of abettor know the precise crime that was intended or which was actually committed. If he is aware that one of a number of crimes will probably be committed, and one of those crimes is in fact committed, he has intended to assist or facilitate the commission of that crime and is guilty as an aider or abettor (TPIY, Chambre de première instance, 10 décembre 1998, Le Procureur c. Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, jugement, § 246). In the Aleksovski case, the Appeals Chamber stated that, in order to have the necessary mens rea, the aider and abettor must be aware of the essential elements of the crime ultimately committed by the principal (TPIY, Chambre d’appel, Zlatko Alekosvki, n° IT-95-14/1-T, jugement, para. 162)”.

1.1.2.4. Contribution de toute autre manière à la commission ou tentative de commission d’un crime par un groupe de personnes agissant de concert

  1. De manière plus générale, une personne est personnellement responsable et peut être punie pour un crime relevant de la compétence de la CPI si, article 25 § 3 d) du Statut, elle contribue de toute autre manière à la commission ou tentative de commission d’un tel crime par un groupe agissant de concert.
  2. Il s’agit d’une catégorie résiduelle, « fourre-tout », de modes accessoires de participation à l’infraction. Pour cela, cependant, cette contribution doit remplir deux conditions. Elle doit être intentionnelle et, selon le cas, soit viser à faciliter l’activité criminelle ou le dessein criminel du groupe qui comportent l’exécution d’un tel crime, soit être faite en pleine connaissance de l’intention du groupe de commettre ce crime.

1.1.2.5. Tentative de commission

  1. Avec l’incrimination de la tentative, le Statut rendant punissable le simple commencement d’exécution d’un crime[1].

[1] En ce sens O. De Frouville, Droit international pénal. Sources, incriminations, responsabilité, Paris, Pedone, 2012, 523 p., 387.

  1. Traditionnellement cette infraction n’existait pas en droit international pénal sauf dans la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Les statuts des TPI ne la retenaient que pour ce crime sans pour autant avoir condamné quiconque sur ce chef. Ainsi, selon le TPIR, il résulte de l’article 6 § 1 de son statut qu’une infraction relevant de la compétence du tribunal ne peut engager la responsabilité de son auteur que pour autant que l’infraction ait été commise, précisant que le principe de responsabilité pénale individuelle pour tentative infructueuse de commettre un crime n’a été retenu que pour le crime de génocide aux termes de l’article 2 § 3 b), c) et d)[1].

[1] TPIR, Chambre de première instance III, 15 mai 2003, Le Procureur c. Laurent Semanza, n° ICTR-97-20-T, jugement et sentence, § 378 [citant Musema, Jugement, par. 115 ; Rutaganda, Jugement, par. 34 ; Akayesu, Jugement, par. 473]

  1. En prenant le contre-pied de ce mouvement, l’article 25 § 3 f) du Statut de la CPI énonce qu’une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un crime relevant de la CPI si elle tente de commettre un tel crime par des actes qui constituent un commencement d’exécution bien que le crime n’ait pas été accompli en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. En revanche, la personne qui abandonne l’effort pour commettre ce crime ou qui empêche son achèvement ne peut être punie pour sa tentative si elle a complètement et volontairement renoncé à son dessein criminel.

Ce mode de participation hier propre au génocide est donc étendu à tous les crimes relevant de la compétence de la Cour et est puni comme la commission elle-même tout comme l’ordre, la sollicitation ou l’encouragement sont punissables même s’il y a eu seulement tentative de crime.

1.2. Les motifs d’exonération de la responsabilité et/ou d’atténuation de la peine

  1. Les principes généraux du droit international pénal[1] reconnaissent, même dans le silence sur ce point du statut de la juridiction saisie, certains motifs de nature à dégager la responsabilité de l’auteur d’un crime internationale ou à atténuer la peine qu’il encourrait sinon.

[1] TPIY, Trial Chamber, 26 February 2001, Dario Kordic & Mario Cerkez, IT-95-14/2-T, judgement, § 449: “The Trial Chamber notes that the Statute of the International Tribunal does not provide for self-defence as a ground for excluding criminal responsibility. “Defences” however form part of the general principles of criminal law which the International Tribunal must take into account in deciding the cases before it”.

  1. Si les juridictions internationales en faisaient une interprétation restrictive, le statut de la CPI semble les admettre plus largement puisque, outre certains motifs d’exonération précis prévus dans son corps, il contient une disposition générale à cette fin dans son article 31[1].

[1] O. De Frouville, Droit international pénal. Sources, incriminations, responsabilité, Paris, Pedone, 2012, 523 p., 419.

1.2.1. Les motifs exclus

1.2.1.1. La qualité officielle de l’accusé

  1. Il faut noter l’affirmation faite dans le Statut de Nuremberg d’une responsabilité pour des actes publics des anciens dirigeants allemands :

art. 7 statut Nuremberg : « La situation officielle des accusés, soit comme chefs d’Etats, soit comme hauts fonctionnaires, ne sera considérée ni comme une excuse absolutoire, ni comme un motif de diminution de la peine ».

  1. La solution retenue en 1945 était très différente de ce que l’on avait vu jusqu’ici puisque l’individu agit non pas en tant que personne privée, mais pour le compte de l’Etat ou en son nom. L’idée est que la gravité du crime met à néant l’écran de l’Etat, la responsabilité de l’individu étant directement engagée dans l’ordre international. C’était la première fois, avec le tribunal de Tokyo (statut, art. 6), que des agents d’un Etat furent personnellement condamnés pour des actes accomplis au nom de leur Etat qualifiés de crimes de guerre et contre l’humanité.
  2. Dans cette veine, il fut précisé dans des termes identiques à l’article 6 § 2 du Statut du TPIR et à l’article 7 § 2 de celui du TPIY que « La qualité officielle d’un accusé, soit comme chef d’Etat ou de gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale et n’est pas un motif de diminution de peine ».

Voir déjà l’article IV de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide : « Les personnes ayant commis le génocide ou l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III seront punies, qu’elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers ».

Dans ce cadre, la mise en accusation en mai 1999 de Slobodan Milosevic pour « crimes contre l’humanité et violations des lois ou coutumes de guerre » au Kosovo constitua la première mise en accusation d’un chef d’Etat en exercice par une institution judiciaire internationale. Si ce procès n’a pas pu aboutir, le premier président de la République serbe de Bosnie, Radovan Karadzic fut également inculpé et un autre ancien président de la même entité a été condamné pour crimes de guerre en 2002.

Le Premier ministre du gouvernement intérimaire du Rwanda du 8 avril au 17 juillet 1994, Jean Kambanda fut le premier membre d’un gouvernement à être condamné par une juridiction internationale pour violation grave du droit international humanitaire, en l’espèce pour crime de génocide. Non seulement sa qualité officielle n’a pas exclu sa responsabilité, mais, au contraire, a été considérée comme un facteur aggravant par le TIPR.

The Prosecutor v. Jean Kambanda, Affair No. ICTR-97-23-5, judgment of 4 September 1998, 37 ILM 1411, § 44: « The crimes were committed during the time when Jean Kambanda was Prime Minister and he and his government were responsible for maintenance of peace and security. Jean Kambanda abused his authority and the trust of the civilian population. He personally participated in the genocide by distributing arms, making incendiary speeches and presiding over cabinet and other meetings where the massacres were planned from committing cirmes against the population. Abuse of positions of authority or trust is generally considered an aggravating factor ».

  1. Ce facteur fut en l’espèce si aggravant qu’il neutralisa les circonstances atténuantes retenues (le fait d’avoir plaidé coupable), Kambanda ayant occupé un haut poste ministériel quand il commit les crimes.

The Prosecutor v. Jean Kambanda, Affair No. ICTR-97-23-5, judgment of 4 September 1998, 37 ILM 1411, § 62: « On the basis of all of the above, the Chamber is of the opinion that the aggravating circumstances surrounding the crimes committed by Jean Kambanda negate the mitigating circumstances, especially since Jean Kambanda occupied a high ministerial post, at the time he committed the said crimes”.

  1. L’article 27 du statut de la CPI reprend le principe en étendant la liste des personnes concernées: « 1. Le présent Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’Etat ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un Etat, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine ». Surtout, il précise, § 2 : « Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne ».

CPI, The Appeals Chamber, 6 May 2019, Judgment in the Jordan Referral re Al-Bashir Appeal, No. ICC-02/05-01/09 OA2, § 1: “There is neither State practice nor opinio juris that would support the existence of Head of State immunity under customary international law vis-à-vis an international court. To the contrary, such immunity has never been recognised in international law as a bar to the jurisdiction of an international court ».

  1. On le sait, et on y reviendra, cela permit à la CPI de délivrer un mandat d’arrêt contre le Président de la République du Soudan en exercice, Omar Al Bashir, en 2009.

D’ailleurs, l’article 25 § 3 bis du statut de la CPI précise que, s’agissant du crime d’agression, l’article 25 ne s’applique qu’aux personnes effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un Etat.

1.2.1.2. La commission du crime par un subordonné

  1. Une personne n’est pas responsable du fait d’autrui, mais seulement de ses propres faits. En ce sens, le responsable ou supérieur hiérarchique n’est pas responsable du crime commis par son subordonnée. Toutefois, il peut engager sa responsabilité pour le fait qui lui est imputable d’avoir manqué à son obligation de prévenir, voire de punir, le crime commis.

En ce sens, TPIR, Chambre de première instance I, 27 janvier 2000, Le procureur c. Alfred Musema, Jugement et sentence, Affaire n° ICTR-96-13-T : « La Chambre estime qu’il est également établi que Musema était le supérieur hiérarchique desdits employés et qu’il exerçait sur eux non seulement un pouvoir de jure mais également un contrôle de facto[1]. Musema étant lui-même présent sur les lieux de l’attaque, il apparaît à la Chambre qu’il savait ou avait au moins des raisons de savoir que ses subordonné s ’apprêtai[en]t à commettre de tels actes ou qu’ils les avaient commis. Or, la Chambre note que l’accusé n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que lesdits actes ne soient commis par ses subordonnés, mais qu’il les a au contraire encouragés, par sa présence et sa propre participation, à les commettre. 895 Par conséquent, la Chambre estime que les actes commis par les employés de l’usine à thé de Gisovu lors de l’attaque du 26 avril 1994, sur la colline de Gitwa, engagent la responsabilité pénale individuelle de leur supérieur, Musema, sur la base des dispositions du paragraphe 3 de l’Article 6 du Statut » et dans le même sens §§ 898-900, 904-906 ou encore 913-915, 918-920 et 923-925 ; TPIY, Chambre de première instance I, 5 décembre 2003, Le procureur c. Stanislav Galić, IT-98-29-T, jugement et opinion, § 169 : « un supérieur qui, par son comportement, a permis à ses subordonnés de commettre un crime peut être tenu responsable au regard de l’article 7 1) du Statut, si l’élément moral exigé par cet article est présent. Dans le cadre de l’article 7 3) (infra), il n’est pas nécessaire que le subordonné ait bénéficié d’un soutien pour accomplir son forfait ou qu’il ait su que son supérieur hiérarchique avait connaissance de celui-ci ou n’avait pas l’intention d’ouvrir une enquête ou de prendre des sanctions. Plus généralement, il n’est pas besoin, pour établir la responsabilité du supérieur hiérarchique au regard de l’article 7 3), qu’il y ait eu une forme quelconque de contribution active ou d’encouragement, explicite ou implicite, entre supérieur et subordonné, ni que le subordonné ait connu l’état d’esprit dans lequel se trouvait son supérieur. Toutefois, lorsque le supérieur apporte, par son comportement, un soutien à ses subordonnés dans l’accomplissement de leur forfait, soutien qui peut prendre la forme d’une contribution active ou d’un encouragement passif (qui peut aller de la communication d’instructions à la complicité en passant par l’instigation, par action ou abstention tenant de la facilitation), sa responsabilité peut être mise en cause sur la base de l’article 7 1) s’il s’avère que, ce faisant, il était animé de l’intention requise (mens rea). En pareil cas, le subordonné aura très vraisemblablement conscience du soutien ou de l’encouragement témoigné par son supérieur, bien que ce ne soit pas strictement obligatoire. […] l’essentiel est que le supérieur hiérarchique animé d’une intention coupable ne puisse s’exonérer de la responsabilité qui est la sienne au regard de l’article 7 1) en excipant de son silence, de ses omissions, réelles ou apparentes, d’une participation réduite, ou d’un ensemble d’actes manifestes ou dissimulés, lorsque, par la même, il a poussé ses subordonnés à commettre un crime » ; § 170 : « Lorsqu’une personne en situation d’autorité est tenue de réprimer le comportement illégal de ses subordonnés alors qu’elle en a connaissance, et qu’elle ne fait rien pour mettre un terme à leurs agissements, on est en droit de conclure que cette personne a, par ses actes positifs ou ses omissions coupables, directement pris part, suivant les modalités envisagées à l’article 7 1) du Statut, à la perpétration des crimes en question » ; § 173 : « Selon la jurisprudence du tribunal, trois conditions doivent être réunies pour qu’une personne puisse être tenue responsable du fait d’autrui aux termes de l’article 7 3) du Statut à savoir : 1) l’existence d’un lien de subordination ; 2) le fait que le supérieur savait ou avait des raisons de savoir que le crime allait être commis ou l’avait été ; 3) le fait que le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que le crime ne soit commis ou en punir l’auteur[2]. La Chambre d’appel a indiqué qu’il ne pouvait y avoir de lien de subordination sans un contrôle effectif du subordonné[3]. On peut prouver qu’un supérieur hiérarchique exerce un contrôle sur un subordonné s’il détient « le pouvoir ou l’autorité, de jure ou de facto, d’empêcher [celui-ci] de commettre un crime ou de l’en punir après coup[4]. La Chambre d’appel a souligné qu’« [e] règle générale, la détention d’un pouvoir de jure peut en soi ne pas suffire à établir la responsabilité du supérieur hiérarchique si elle ne se traduit pas par un contrôle effectif, encore qu’une juridiction puisse présumer que, jusqu’à preuve du contraire, elle emporte un contrôle effectif[5] » »[6]. Voir également §§ 175 ss. sur les conditions d’appréciation.


[1] Voir section 5 2 du présent Jugement

[2] Jugement Čelebići, par. 346 ; Jugement Alksovski, par. 69 ; Jugement Blaškić, par. 294 ; Jugement Kordić, par. 401 ; Jugement Kunarac, par. 395 ; Jugement Krstić, par. 604 ; Jugement Kvoćka, par. 314.

[3] arrêt Čelebići, par. 255 et 256

[4] Ibid., par. 192 et 256.

[5] Ibid., par. 197.

[6] Voir O. De Frouville, Droit international pénal. Sources, incriminations, responsabilité, Paris, Pedone, 2012, 523 p., 344. En ce sens

  1. L’article 86 § 2 du Protocole I de 1977 énonce dans la même veine : « Le fait qu’une infraction aux Conventions ou au présent Protocole a été commise par un subordonné n’exonère pas ses supérieurs de leur responsabilité pénale ou disciplinaire, selon le cas, s’ils savaient ou possédaient des informations leur permettant de conclure, dans les circonstances du moment, que ce subordonné commettait ou allait commettre une telle infraction, et s’ils n’ont pas pris toutes les mesures pratiquement possibles en leur pouvoir pour empêcher ou réprimer cette infraction », l’article 87 précisant les « Devoirs des commandants ».
  2. Il est de la même manière précisé à l’article 7 § 3 du statut du TPIY et à l’article 6 § 3 du statut du TPIR que le fait qu’un crime relevant de la compétence de ceux-ci a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale s’il savait ou avait des raisons de savoir que le subordonné s’apprêtait à commettre cet acte ou l’avait fait et que le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que l’acte ne soit commis ou en punir les auteurs.
  3. L’article 28 du Statut de la CPI développe ce principe avec beaucoup de précision et en changeant la formulation de manière affirmative : le chef militaire – ou celui qui fait fonction de chef militaire – et le supérieur hiérarchique sont responsables. En outre, le Statut de la CPI a ajouté à la responsabilité des chefs militaires, celle des autres supérieurs hiérarchiques. Cette prise en compte de la responsabilité du supérieur hiérarchique non militaire est bienvenue dans le contexte des nouveaux conflits en ce qu’il permet de coller à la réalité selon laquelle les crimes sont de plus en plus le fait de non militaires et en ce qu’il permet de remonter la chaine des responsabilités dans les nombreux crimes commis par des non militaires. Toutefois, dans les deux cas, cette responsabilité n’est engagée par le chef militaire ou un autre supérieur hiérarchique que pour les crimes commis par des subordonnés placés sous son « commandement et son contrôle effectifs, ou sous son autorité et son contrôle effectifs », étant entendu que l’obligation du supérieur d’empêcher la commission de crimes par les personnes sous son contrôle n’est qu’une obligation de moyen dont la violation est appréciée au regard des circonstances de chaque cas.

La CPI a eu à s’intéresser à la question de la responsabilité du chef militaire en particulier dans l’affaire Bemba Gombo. Ainsi, CPI, Chambre d’appel, 8 juin 2018, Situation en République centrafricaine, affaire Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba Gombo, arrêt relatif à l’appel interjeté par Jean-Pierre Bemba Gombo contre le jugement rendu en application de l’article 74 du Statut par la Chambre de première instance III, N° : ICC-01/05-01/08 A : « 5. La portée de l’obligation de prendre « toutes les mesures nécessaires et raisonnables » est intrinsèquement liée à l’étendue de la capacité matérielle d’un chef militaire d’empêcher ou de réprimer l’exécution de crimes ou d’en référer aux autorités compétentes aux fins d’enquête et de poursuites [repris mot pour mot au § 167 qui renvoie à Jugement Čelebići, par. 394 et 395 ; Jugement Aleksovski, par. 78 ; Jugement Blaškić, par. 302 ; Jugement Halilović, par. 73 ; Jugement Karadžić, par. 587]. En effet, on ne saurait reprocher à un chef militaire de n’avoir pas fait quelque chose qu’il n’avait pas le pouvoir de faire [reproduit mot pour mot au § 167]. 6. Pour répondre à la question de savoir si un chef militaire a pris toutes « les mesures nécessaires et raisonnables », il faut déterminer de quels crimes le chef militaire avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance, et à quel moment. […]. 8. Un chef militaire n’est pas tenu d’employer toute mesure imaginable parmi l’arsenal de mesures dont il dispose, indépendamment de toute considération de proportionnalité et de faisabilité. L’article 28 exige uniquement des chefs militaires qu’ils fassent ce qui est nécessaire et raisonnable dans les circonstances. […]. 10. Conclure que les mesures prises par un chef militaire ont été insuffisantes pour empêcher ou réprimer une vague de crimes étendue ne signifie pas que ces mesures n’ont également pas suffi pour empêcher ou réprimer le nombre limité de crimes spécifiques dont le chef militaire est déclaré coupable au final » ; « 168. Il s’ensuit que, pour déterminer si un chef militaire a pris toutes « les mesures nécessaires et raisonnables », il faut se demander quelles mesures il avait à sa disposition dans les circonstances qui régnaient à l’époque. Cette démarche est conforme à la jurisprudence internationale[1]. Pour répondre à cette question, il faut déterminer de quels crimes le chef militaire avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance, et à quel moment » ; « 169. prendre chacune des mesures possibles qui sont à sa disposition. Malgré le lien entre sa capacité matérielle de prendre des mesures (qui est directement liée à son niveau d’autorité) et ce qu’on aurait raisonnablement pu attendre de lui, un chef militaire n’est pas tenu d’employer toute mesure imaginable parmi l’arsenal de mesures dont il dispose, indépendamment de toute considération de proportionnalité et de faisabilité. L’article 28 exige uniquement des chefs militaires qu’ils fassent ce qui est nécessaire et raisonnable dans les circonstances » ; « 170. Pour évaluer le caractère raisonnable des mesures, la Cour doit tenir compte d’autres paramètres tels que les réalités opérationnelles sur le terrain auxquelles le chef militaire concerné devait faire face à l’époque. L’article 28 du Statut ne crée pas une forme de responsabilité sans faute. Les chefs militaires sont autorisés à faire des analyses coûts/bénéfices lorsqu’ils décident quelles mesures prendre, en tenant compte de leur responsabilité générale d’empêcher et de réprimer l’exécution de crimes par leurs subordonnés. Cela signifie qu’un chef militaire peut tenir compte des répercussions qu’auront des mesures visant à empêcher ou à réprimer un comportement criminel sur des opérations en cours ou planifiées, et qu’il peut choisir de prendre la mesure la moins perturbatrice dès lors qu’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle permette d’empêcher ou de réprimer les crimes. Evaluer avec le recul du temps ce qu’un chef militaire aurait dû faire présente un risque très réel, à éviter lorsqu’on statue en justice. La simple juxtaposition du fait que certains crimes ont été commis par les subordonnés d’un chef militaire avec la liste des mesures que celui-ci aurait hypothétiquement pu prendre ne montre pas, en soi, que le chef militaire a agi de façon déraisonnable à l’époque. La chambre de première instance doit exposer en termes spécifiques ce qu’il aurait dû faire concrètement. Les conclusions tirées dans l’abstrait sur ce qu’un chef militaire aurait théoriquement pu faire sont aussi inutiles que problématiques, en particulier parce qu’elles sont très difficiles à réfuter. En fait, c’est à la chambre de première instance qu’il incombe de démontrer par son raisonnement que le chef militaire n’a pas pris des mesures spécifiques et concrètes qui étaient à sa disposition et qu’un chef militaire raisonnablement diligent les aurait prises dans des circonstances comparables » ; « 171. […] la Chambre de première instance n’a pas suffisamment prêté attention au fait que les troupes du MLC opéraient dans un pays étranger, avec tout ce que cela suppose comme difficultés pour Jean-Pierre Bemba, commandant éloigné de ses troupes, en termes de capacité de prendre des mesures ». en l’espèce[2] ; « 176. La Chambre d’appel considère également que la Chambre de première instance a eu tort de tenir compte des motivations de Jean-Pierre Bemba lorsqu’elle a cherché à déterminer si les mesures qu’il avait prises étaient nécessaires et raisonnables. Tout en rejetant l’argument de Jean-Pierre Bemba selon lequel les motivations d’un chef militaire accusé ne revêtent jamais d’intérêt pour l’évaluation des « mesures nécessaires et raisonnables » parce qu’un chef militaire est tenu d’agir de bonne foi lorsqu’il adopte de telles mesures et doit montrer qu’il a « véritablement » essayé d’empêcher ou de réprimer les crimes en question ou d’en référer aux autorités compétentes[3], la Chambre d’appel estime que la Chambre de première instance a adopté une approche déraisonnablement stricte » ; « 179. En outre, les motivations que la Chambre de première instance a jugées établies, à savoir le désir général de préserver l’image du MLC et de répliquer aux allégations formulées publiquement, ne sont en réalité pas intrinsèquement « négatives », comme la Chambre de première instance semble les avoir considérées. Elles ne sont pas non plus nécessairement incompatibles avec la prise de mesures véritables et efficaces. Les mesures prises par un chef militaire peuvent découler de motivations multiples. A cet égard, on peut imaginer qu’en s’acquittant de son obligation de prendre « des mesures nécessaires et raisonnables », un chef militaire puisse viser des objectifs multiples, supplémentaires ou autres, comme protéger l’image publique de ses forces. Par conséquent, en tenant compte de la volonté de Jean-Pierre Bemba de protéger l’image du MLC, la Chambre de première instance a commis une erreur parce qu’elle a pris en considération un élément non pertinent. En tout état de cause, elle a omis d’évaluer en quoi, concrètement, cette prétendue motivation influençait en dernière analyse le caractère nécessaire ou raisonnable des mesures prises par Jean-Pierre Bemba » ; « 180. Pour le reste des arguments de Jean-Pierre Bemba, la Chambre d’appel rappelle que la Chambre de première instance a jugé inadéquates les mesures prises par Jean-Pierre Bemba parce qu’elles étaient limitées « quant à leur mandat, leur exécution et/ou leurs résultats[4] ». La Chambre de première instance semble avoir perdu de vue le fait que les mesures prises par un chef militaire ne peuvent pas être jugées inadéquates simplement en raison de lacunes constatées dans leur mise en œuvre. Lorsqu’un chef militaire établit une commission, une enquête ou une procédure judiciaire indépendante —à laquelle il ne participe pas —, celle-ci doit être laissée libre de remplir son mandat. Les limites des résultats d’une enquête peuvent certes être imputées à la manière dont celle-ci a été établie (par exemple par le biais d’une exclusion délibérée ou d’une limitation du mandat), mais cela n’est pas nécessairement le cas. Il est important de prouver à cet égard : i) que les lacunes de l’enquête étaient suffisamment graves ; ii) que le chef militaire avait connaissance de ces lacunes ; iii) qu’il était matériellement possible de remédier à ces lacunes ; et iv) qu’il relevait du pouvoir du chef militaire de remédier à ces lacunes. La Chambre de première instance n’a pas procédé à une telle analyse en l’espèce. 181. En concluant à l’existence d’« éléments indiquant que toutes ces mesures étaient limitées quant à leur mandat, leur exécution et/ou leurs résultats », la Chambre de première instance laisse entendre que cela était dû à Jean-Pierre Bemba. Toutefois, à défaut de procéder à la nécessaire évaluation décrite au paragraphe précédent, on ne pourrait parvenir à une telle conclusion sans avoir d’abord jugé que Jean-Pierre Bemba a délibérément limité les mandats de ces commissions et enquêtes. Pourtant, la Chambre de première instance n’a aucunement conclu qu’il s’agissait de simulacres de mesures » ; « 183. […] En outre, la Chambre d’appel relève l’écart qu’il semble y voir entre le nombre limité de crimes dont Jean-Pierre Bemba a été jugé responsable au sens de l’article 28 et l’évaluation par la Chambre de première instance des mesures qu’il aurait d. prendre, laquelle évaluation semblait basée sur la « conclusion » bien plus large tirée par la Chambre de première instance concernant le caractère généralisé des comportements criminels du MLC en RCA. En effet, conclure que les mesures prises par un chef militaire ont été insuffisantes pour empêcher ou réprimer une vague de crimes étendue (500 crimes, par exemple) ne signifie pas que ces mesures n’ont également pas suffi pour empêcher ou réprimer le nombre limité de crimes spécifiques (20 crimes, par exemple) dont le chef militaire est déclaré coupable au final » ; « 189. En résumé, la Chambre d’appel a identifié les graves erreurs suivantes dans l’examen, par la Chambre de première instance, de la question de savoir si Jean-Pierre Bemba avait pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher ou réprimer l’exécution de crimes par ses subordonnés ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d’enquête et de poursuites : i) la Chambre de première instance a eu tort de ne pas dûment apprécier les limitations auxquelles Jean-Pierre Bemba aurait fait face, en tant que chef militaire éloigné de ses troupes déployées à l’étranger, pour enquêter sur les crimes et en poursuivre les auteur ; ii) elle a eu tort de ne pas examiner l’argument de Jean-Pierre Bemba selon lequel il avait envoyé une lettre aux autorités centrafricaines, avant de conclure qu’il n’en avait pas référé aux autorités centrafricaines aux fins d’enquête au sujet des allégations de crimes ; iii) elle a eu tort de considérer que les motivations qu’elle attribuait à Jean-Pierre Bemba révélaient l’absence d’une véritable intention d’adopter des mesures pour empêcher et réprimer l’exécution de crimes ; iv) elle a eu tort d’attribuer à Jean-Pierre Bemba toute limitation constatée quant au mandat, à l’exécution et/ou aux résultats des mesures prises ; v) elle a eu tort de conclure que Jean-Pierre Bemba n’avait pas habilité d’autres responsables du MLC à enquêter suffisamment et pleinement sur les allégations de crimes et à poursuivre les auteurs de ces crimes ; vi) elle a eu tort de ne donner aucune indication quant au nombre approximatif de crimes commis et de ne pas évaluer les répercussions de ce nombre sur l’examen de la question de savoir si Jean-Pierre Bemba avait pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables ; et vii) elle a eu tort de considérer le redéploiement des troupes du MLC, par exemple pour éviter les contacts avec la population civile, comme une mesure que Jean-Pierre Bemba pouvait prendre378. La Chambre d’appel va maintenant examiner l’effet matériel cumulé de ces erreurs » ; « 191. La Chambre d’appel estime que les erreurs qu’elle a identifi.es ont eu des effets matériels sur la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle Jean-Pierre Bemba n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables. En particulier, il apparaît que l’erreur commise par la Chambre de première instance lorsqu’elle a examiné les motivations de Jean-Pierre Bemba a eu un effet matériel sur l’ensemble de ses conclusions se rapportant aux mesures nécessaires et raisonnables, parce qu’elle a imprégné l’évaluation par la Chambre de première instance des mesures prises par Jean-Pierre Bemba. En outre, le fait que la Chambre de première instance n’ait pas pleinement apprécié les limitations auxquelles Jean-Pierre Bemba, en tant que chef militaire éloigné de ses troupes déployées à l’étranger, aurait fait face pour enquêter sur des crimes et en poursuivre les auteurs a eu un effet important sur l’évaluation globale des mesures prises par Jean-Pierre Bemba. 192. Jean-Pierre Bemba, la Chambre de première instance n’a pas tenu compte du fait qu’en tant que chef militaire éloigné de ses troupes, Jean-Pierre Bemba ne prenait pas part aux enquêtes et n’était pas responsable des résultats obtenus. Si elle l’avait fait, son évaluation des mesures prises par Jean-Pierre Bemba aurait nécessairement été différente. Il convient également de noter que l’Opération de 2002-2003 en RCA a été conduite sur une courte période de quelques mois, durant lesquels Jean-Pierre Bemba a néanmoins pris de nombreuses mesures en réaction à des crimes commis par les troupes du MLC. A cet égard, la Chambre d’appel rappelle que la Chambre de première instance a omis de dûment déterminer le nombre de crimes commis. 193. Si la Chambre de première instance avait correctement évalué les mesures prises par Jean-Pierre Bemba et si elle avait judicieusement appréhendé la liste des mesures dont elle a affirmé que Jean-Pierre Bemba aurait pu les prendre à la lumière des limitations auxquelles il faisait face dans les circonstances spécifiques dans lesquelles il opérait, elle n’aurait pas pu parvenir à la même conclusion. Les erreurs commises par la Chambre de première instance l’ont conduite à déraisonnablement apprécier la réponse à la question de savoir si Jean-Pierre Bemba n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables dans les circonstances qui régnaient à l’époque. 194. Au vu de ce qui précède, la Chambre d’appel juge à la majorité de ses membres, les juges Monageng et Hofmański étant en désaccord, que les erreurs énumérées plus haut ont sérieusement entaché la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle Jean-Pierre Bemba n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables en réaction à des crimes commis par le MLC en RCA. Partant, un des éléments de la responsabilité du supérieur hiérarchique visée à l’article 28-a du Statut n’ayant pas été dûment établi, Jean-Pierre Bemba ne saurait être tenu pénalement responsable, au sens de cet article, des crimes commis par les troupes du MLC au cours de l’Opération de 2002-2003 en RCA ».


[1] Voir, par exemple, les mesures à la disposition de chefs militaires dans : le Jugement Strugar, par. 374 à 378 ; le Jugement Halilović, par. 74 ; le Jugement Renzaho, par. 755 ; le Jugement Karadžić, par. 588.

[2] Voir notamment : « 173. Ainsi, alors même que les limitations évoquées par Jean-Pierre Bemba n’entravaient pas complètement sa capacité d’enquêter sur des crimes commis par les troupes du MLC en RCA, la Chambre de première instance n’a pas adéquatement cherché à déterminer si, dans les circonstances particulières de l’époque, la série de mesures qu’il avait prises pouvait être considérée comme correspondant à la totalité des mesure nécessaires et raisonnables qu’il aurait pu prendre, compte tenu des limites imposées à ses capacités matérielles. La Chambre de première instance a admis que le contingent du MLC avait coopéré avec les autorités centrafricaines tout au long de l’Opération de 2002-2003 en RCA et que cette coopération était à la fois « logiqu[e] dès lors qu’un contingent de forces étrangères ne connaît bien ni le terrain ni l’ennemi » et « une caractéristique régulière de ces opérations ». Toutefois, lors de l’évaluation des mesures prises par Jean-Pierre Bemba, cet aspect a été ignoré, ce qui a abouti à une appréciation peu réaliste de « la grande variété de mesures [qu’il] aurait pu prendre ». La Chambre de première instance a même reconnu que le fait que les preuves appuient la thèse selon laquelle les autorités centrafricaines conservaient, « dans une certaine mesure, mais non pas à titre principal ou exclusif », une certaine autorité sur les forces du MLC en matière de discipline et d’enquête ne « contredit pas les éléments de preuve corroborés et fiables démontrant que Jean-Pierre Bemba et le MLC détenaient l’autorité suprême en matière de discipline » sur le contingent du MLC présent en RCA (note omise). De plus, même si Jean-Pierre Bemba disposait de l’autorité suprême en matière de discipline en RCA, cela ne signifie pas que cette autorité n’était aucunement soumise à certaines limites ou entraves — une réalité à laquelle la Chambre de première instance aurait dû accorder du poids lorsqu’elle a évalué les mesures prises par Jean-Pierre Bemba »

[3] Arrêt Halilović, par. 63 ; Arrêt Orić, par. 177 ; Arrêt Strugar, par. 232 et 236 à 238, Opinion individuelle du juge Shahabuddeen, par. 7, Opinion dissidente conjointe des juges Meron et Kwon, par. 11 ; Jugement RUF, par. 313 ; Arrêt Boškoski et Tarčulovski, Opinion individuelle du juge Liu Daqun, par. 2 ; Jugement Kaing Guek Eav, par. 545 ; Jugement ‹orđević, par. 1887 ; Jugement Nuon Chea et Khieu Samphan, par. 716. Voir aussi G. Mettraux, « Breach of a Duty and Consequential Failure to Prevent or to Punish Crimes of Subordinates », The Law of Command Responsibility, Oxford University Press, 2009, p. 255 ; W.J. Fenrick, « Article 28 », in O. Triffterer (dir.), Commentary on the Rome Statute of the International Criminal Court: Observers’ Notes, Article by Article, Nomos Verlagsgesellscaft Baden-Baden, 1st ed., 1999, p. 520.

[4] Jugement, par. 720.

1.2.2. Les motifs retenus

  1. D’autres motifs sont quant à eux retenus par les tribunaux pour dégager la responsabilité de l’accusé ou atténuer sa peine. On s’en tiendra ici à ceux retenus par les articles 31 et 32 du statut de la CPI.

La plupart ont trait à l’existence de la mens rea de l’accusé soit qu’elle ait manqué ou ait été altérée pour des motifs propres à sa personne, soit qu’elle ait manqué ou ait été altérée pour des raisons extérieures à elle. Un dernier motif existe qui ne touche pas la mens rea: la légitime défense.

1.2.2.1. Absence ou altération de la mens rea tenant à l’accusé lui-même

  1. On l’a vu, pour qu’un comportement soit qualifié de crime international, il faut que la mens rea de l’accusé soit établie, c’est-à-dire « un état d’esprit particulier de l’auteur de l’acte, qui caractérise le comportement criminel »[1]. Cela signifie que la personne doit avoir eu toutes ses facultés mentales pour pouvoir avoir la connaissance et l’intention du crime.Logiquement, donc, si celle-ci n’existe pas ou est altérée, il ne saurait y avoir responsabilité.

[1] O. De Frouville, Droit international pénal. Sources, incriminations, responsabilité, Paris, Pedone, 2012, 523 p., 73.

  1. Ainsi, en vertu de l’article 31 § 1 a) du Statut de la CPI, une personne n’est pas responsable pénalement si, au moment du comportement litigieux, elle souffrait d’une maladie ou d’une déficience mentale qui la privait de la faculté de comprendre le caractère délictueux ou la nature de son comportement, ou de maîtriser celui-ci pour le conformer au droit[1]. « Dans ce cas, on considère que la capacité de discernement de la personne est abolie et que par voie de conséquence, elle ne présente pas l’élément intentionnel nécessaire pour retenir sa responsabilité »[2].

[1] Voir O. De Frouville, Droit international pénal. Sources, incriminations, responsabilité, Paris, Pedone, 2012, 523 p., 425 ss.

[2] C. Dubois & J. Vailhé, « Les causes d’exonération de responsabilité », in H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd. [programme 2017-2018], § 8. « Ce moyen de défense doit être distingué de celui relatif à l’altération du discernement. En effet, dans l’hypothèse où la capacité mentale d’une personne de contrôler ses actes ou de comprendre qu’ils sont répréhensibles est simplement réduite, il y a lieu, le cas échéant, de seulement diminuer la peine prononcée à son égard », ibidem, § 11 avec exemples § 32.

  1. Dans la même veine, l’article 31 § 1 b) statut de la CPI dispose qu’une personne n’est pas responsable pénalement si, au moment du comportement litigieux, elle était dans un état d’intoxication qui la privait de la même faculté de compréhension ou de maîtrise.

Cela ne vaut cependant pas si l’agent s’est volontairement intoxiqué dans des circonstances telles qu’il savait que cela risquait de le conduire à commettre un crime ou qu’il n’ait pas tenu compte de ce risque[1].


[1] M. Maystre, op. cit., p. 133.

On verra ailleurs la question de l’âge au sujet de la responsabilité des enfants soldats.

1.2.2.2. Absence ou altération de la mens rea pour des raisons extérieures à l’accusé

1.2.2.2.1. La contrainte et l’état de nécessité
  1. Dans la pratique, l’état de nécessité semble avoir été utilisé indifféremment de la contrainte avant d’être absorbé par cette dernière pour caractériser le fait pour une personne de se comporter sous la menace d’un tiers directement à son égard ou à l’égard d’une autre personne.
  2. L’argument de la contrainte a été retenu comme motif d’exonération par la jurisprudence de plusieurs juridictions internationales malgré le silence sur la question de leur statut. Cependant,

TPIY, Le Procureur c. Drazen Erdemovic, arrêt, Chambre d’appel, 7 octobre 1997, affaire n° IT-96-22-A, § 19 : « la chambre d’appel statue à la majorité que la contrainte n’est pas un argument de défense suffisant pour exonérer entièrement un soldat accusé de crime contre l’humanité et/ou de crime de guerre impliquant le meurtre d’être humains innocents »[1].


[1] Voir analyse et exemples in C. Dubois & J. Vailhé, « Les causes d’exonération de responsabilité », in H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd., §§ 21 ss.

  1. Il faut également que la contrainte remplisse quatre conditions pour constituer un motif d’exonération de la responsabilité[1] :

– Elle doit consister dans une menace immédiate de violences graves et irréparables ou de mort ;

– Il ne doit pas exister de moyen approprié de l’éviter ;

– La gravité du crime doit être proportionnée aux menaces, c’est-à-dire ne pas infliger un mal plus grand que celui qu’il veut éviter ;

– La personne qui subit la contrainte ne doit pas avoir provoqué l’existence de celle-ci.


[1] C. Dubois & J. Vailhé, « Les causes d’exonération de responsabilité », in H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd., § 19.

  1. L’état de nécessité, défini un peu différemment, est une cause d’exonération de la responsabilité pénale prévue sans exception à l’article 31 § 1 du statut de la CPI.

« une personne n’est pas responsable pénalement si, au moment du comportement en cause : […] d) Le comportement […] a été adopté sous la contrainte résultant d’une menace de mort imminente ou d’une atteinte grave, continue ou imminente à sa propre intégrité physique ou à celle d’autrui, et si elle a agi par nécessité et de façon raisonnable pour écarter cette menace, à condition qu’elle n’ait pas eu l’intention de causer un dommage plus grand que celui qu’elle cherchait à éviter. Cette menace peut être : i) Soit exercée par d’autres personnes ; ii) Soit constituée par d’autres circonstances indépendantes de sa volonté ».

1.2.2.2.2. L’obéissance aux ordres
  1. Notons d’abord que ne relèvent pas de la justice internationale les seuls décideurs[1]. Au mieux, c’est le statut de la juridiction qui limite la compétence de celle-ci à ceux-là ou aux crimes les plus importants. Se pose en conséquence la question de la responsabilité de ceux qui commettent un crime en exécution d’un ordre d’un supérieur.

[1] P. ex. TPIY, chambre de première instance, 29 novembre 1996, Le procureur c. Drazen Erdemović, jugement portant condamnation, § 83 : « La Chambre estime que la responsabilité à titre individuel de l’accusé se fonde sur les articles 1 et 7.1 du Statut, qui donnent pleinement compétence à ce Tribunal pour juger non seulement […] de « grands criminels » comme à Nuremberg, mais encore des exécutants ».

  1. L’obéissance aux ordres constitue classiquement une circonstance atténuante au moment de la détermination de la peine et non une cause d’exonération de responsabilité.
  2. Ainsi le statut du TMI de Nuremberg disposait : « Le fait que l’accusé a agi conformément aux instructions de son Gouvernement ou d’un supérieur hiérarchique ne le dégagera pas de sa responsabilité, mais pourra être considéré comme un motif de diminution de la peine, si le Tribunal décide que la justice l’exige ».
  3. Cette logique a été reprise dans le cadre des deux TPI. Leurs statuts énoncent en effet de manière identique que le fait qu’un accusé a agi en exécution d’un ordre d’un gouvernement ou d’un supérieur ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale mais peut être considéré comme motif de diminution de la peine si le tribunal l’estime conforme à la justice[1]. Cette règle fut appliquée par leurs instances de jugement[2].

[1] Respectivement, articles 7 § 4 6 § 4 des statuts du TPIY et du TPIR.

[2] TPIY, Chambre de première instance, 22 février 2001, Le Procureur c. Kunarac et consorts, N° IT-96-23 & IT-96-23/1-T, arrêt, § 494 : « L’obéissance aux ordres ne saurait constituer un moyen de défense susceptible de jouer comme circonstance atténuante au stade de la condamnation ».

  1. De même, l’article 6 § 4 du Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone dispose :

« The fact that an accused person acted pursuant to an order of a government or of a superior shall not relieve him or her of criminal responsibility, but may be considered in mitigation of punishment if the Special Court determines that justice so requires”.

  1. Par contraste, l’obéissance aux ordres est apparue comme cause d’exonération de responsabilité à l’article 33 du statut de la CPI. Mais cela, sous conditions : 1° si cette personne avait l’obligation légale d’obéir aux ordres du gouvernement ou du supérieur en question ; 2° cette personne ne savait pas que l’ordre était illégal ; et 3° l’ordre n’était pas manifestement illégal, étant précisé au § 2 que « l’ordre de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité est manifestement illégal ». Ce motif d’exonération est donc limité aux crimes de guerre.
  2. Les statuts des juridictions pénales internationales créées après la CPI, hormis pour le Kosovo, n’ont pas repris ce motif d’exonération qui fait donc figure ici de bizarrerie (Timor oriental, TSSL, loi cambodgienne, TSL[1].

[1] C. Dubois & J. Vailhé, « Les causes d’exonération de responsabilité », in H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd., § 6.

Voir également Cour d’appel de N’Djamena, 25 mars 2015, Ministère public et Ismael Hachim et autres c. Saleh Younous Ali, Warou Fadoul Ali et a., arrêt criminel, Répertoire n° 01/15 : « Considérant qu’interrogés à diverses étapes de la procédure, tous les accusés nient en bloc les faits à eux reprochés ; Que pour se disculper chacun d’eux allègue qu’il a agi sous les ordres de son supérieur hiérarchique et demande que ce supérieur en supporte les conséquences ; Qu’il est vrai que la Direction de la Documentation et de la sécurité a été créée par les actes de l’ancien président donc [au] service de l’Etat ; que la finalité pour laquelle elle a été créée était au départ noble, mais très vite, cet organe s’est transformé en une machine de répression pour toutes personnes (tchadiens, étrangers, politiciens, simples citoyens) ; Cela est donc le fait de ceux qui l’ont animée ; il s’agit de Saleh Younous et autres ; Ceux-ci ont profité de leur position d’antan pour commettre les actes pour lesquels ils sont aujourd’hui poursuivis ; que la complicité pour tous se justifie par le fait qu’ils ont agi en conséquence de la conduite criminelle de leurs chefs hiérarchiques à différents niveaux et en tous lieux ; qu’un tel comportement ne peut se justifier par la seule explication selon laquelle ils ont reçu l’ordre à exécuter ; que les faits commis par les accusés sont très graves et ont engendré des conséquences difficiles à réparer (certaines victimes portent les séquelles, d’autres ont perdu la vie…) ; que ces faits sont constitutifs de faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions contrairement aux arguties développés par les accusés soutenus en cela par leurs différents conseils ; Que les circonstances invoquées par les accusés, que les faits qui leur sont reprochés ont été commis dans le cadre du service ou ne sont pas dépourvus de tout lien avec le service sont inopérantes pour l’application de l’article 47 al 1 du code pénal relatif aux causes de non culpabilité ; Que les dénégations des accusés ne sont que des faux fuyants qui ne peuvent nullement convaincre ; que les différentes parties civiles ont démontré de la manière la plus claire possible l’implication des accusés dans la commission de ces nombreuses infractions ; que ne pouvant continuer à demeurer dans une position rigide, les accusés ont fini par reconnaître d’une manière ou d’une autre les faits qui leur sont reprochés ; certains accusent même d’autres d’être plus zélés et d’être à l’origine des souffrances de leurs concitoyens ; Qu’aussi les archives récupérées à la Direction de la Documentation et de la sécurité (DDS) et le rapport de la commission nationale d’enquêtes du Ministère de la Justice créée par Décret du 29 décembre 1990 sont très édifiants à cet effet ; Que l’analyse des éléments de la cause ont permis d’établir que tous les accusés ont servi à la DDS, un temps soit peu, de quelque manière que ce soit ; qu’à ce titre, ils ont fait beaucoup de morts, de veuves et d’orphelins ; Considérant en définitive que les faits tels qu’exposés par les parties civiles et les témoins puis corroborés par les conclusions du rapport de la commission d’enquêtes et les archives de la DDS versés au dossier entrent bien dans le champ d’application de tous les articles cités dans l’inculpation ; qu’en conséquence et de tout ce qui précède, il y a lieu d’affirmer qu’il existe des charges suffisantes contre les nommés ».

1.2.2.2.3. L’erreur de fait et l’erreur de droit
  1. Ces deux hypothèses concernent des situations dans lesquelles l’erreur commise par l’auteur du crime fait disparaître la mens rea requise[1].

[1] C. Dubois & J. Vailhé, « Les causes d’exonération de responsabilité », in H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd., § 29.

Avec l’erreur de fait, la personne croyait honnêtement et raisonnablement que sa conduite était licite[1]. Il s’estimait par exemple en état de légitime défense.


[1] C. Dubois & J. Vailhé, « Les causes d’exonération de responsabilité », in H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd., § 29.

Avec l’erreur de droit, exceptionnellement retenue par les juges car l’ignorance du droit n’excuse pas[1], elle n’avait pas connaissance de l’existence d’un élément essentiel de droit du crime[2], par exemple le caractère illégal de l’ordre. Elle n’est généralement retenue que lorsque le droit est ambigu ou peu clair.


[1] Voir en ce sens CPI, Chambre préliminaire I, 29 janvier 2007, Situation en République démocratique du Congo, Affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, No. ICC-01/04-01/06, Décision sur la confirmation des charges, § 305 : « La Chambre fait toutefois observer que le champ d’application de l’erreur sur le droit au sens de l’article 32-2 est relativement limité. En effet, cet article dispose que « [u]ne erreur de droit portant sur la question de savoir si un comportement donné constitue un crime relevant de la compétence de la Cour n’est pas un motif d’exonération de la responsabilité pénale » ; § 315 : « La Chambre fait également observer que l’article 32-2 du Statut précise que l’excuse de l’erreur sur le droit ne peut être un motif d’exonération de la responsabilité pénale que si i) elle fait disparaître l’élément psychologique du crime ou ii) si elle relève de l’excuse de l’« ordre hiérarchique » ou de l’« ordre de la loi «  visées à l’article 33 du Statut ». SCSL, Appeals Chamber, 22 February 2008, AFRC Case, Prosecutor v. Alex Tamba Brima, Brima Bazzy Kamara, Santigie Borbor Kanu, « Judgment », Case No. SCSL-2004-16-A, ICL 669 (SCSL 2008), § 295 qui renvoie aux §§ 52 et 53 précités et § 296 : « Kanu’s submission that conscripting or enlisting children under the age of 15 was not a war crime at the time alleged in the Indictment is without merit. Furthermore it is frivolous and vexatious for Kanu to contend that the absence of criminal knowledge on his part vitiated the requisite mens rea in respect of the crimes relating to child soldiers”.

[2] C. Dubois & J. Vailhé, « Les causes d’exonération de responsabilité », in H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd., § 30.

  1. Dans le silence de leur statut, les TPI ont accepté de retenir ce moyen de défense[1]. Le statut de la CPI, en revanche, retient expressément ces deux moyens de défense. Le statut de la CPI précise bien que ces deux erreurs ne sont des motifs d’exonération que si elles font disparaître l’élément moral du crime ou si l’erreur de droit concerne un ordre hiérarchique ou de la loi, par exemple si le subordonné ignore l’illégalité de l’ordre reçu pourvu que cet ordre ne soit pas « manifestement » illégal.

[1] C. Dubois & J. Vailhé, « Les causes d’exonération de responsabilité », in H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd., § 33 et exemples § 34.

1.2.2.3. La légitime défense

  1. Ce motif est retenu à l’article 31 § 1 c) du Statut de la CPI selon lequel une personne n’est pas responsable pénalement si, au moment du comportement en cause, elle a agi raisonnablement pour se défendre, pour défendre autrui ou, dans le cas des crimes de guerre, pour défendre des biens essentiels à sa survie ou à celle d’autrui ou essentiels à l’accomplissement d’une mission militaire.

TPIY, Trial Chamber, 26 February 2001, Dario Kordic & Mario Cerkez, IT-95-14/2-T, judgement, § 449: “The notion of ‘self-defence’ may be broadly defined as providing a defence to a person who acts to defend or protect himself or his property (or another person or person’s property) against attack, provided the acts constitute a reasonable, necessary and proportionate reaction to the attack”.

  1. Encore faut-il qu’elle réagisse contre un recours imminent et illicite à la force, que ce recours existe objectivement et ne soit pas une simple perception subjective (sauf à faire jouer l’erreur de fait) et que sa défense soit raisonnable, c’est-à-dire proportionnée à l’ampleur du danger qu’elle courait ou que couraient l’autre personne ou les biens protégés. La défense ne doit donc pas causer plus de dommages que ceux nécessaires pour écarter le danger.
  2. Cela dit on imagine mal que des crimes comme ceux visés par le statut puissent avoir été commis de manière raisonnable pour se défendre, défendre autrui ou défendre les biens visés par le Statut[1]. D’ailleurs, un jugement d’une chambre du TPIY, confirmée par la Chambre d’appel le 17 décembre 2004 avait estimé que des opérations militaires effectuées en état de légitime défense ne sauraient justifier des violations graves du droit international humanitaire.

TPIY, Trial Chamber, 26 February 2001, Dario Kordic & Mario Cerkez, IT-95-14/2-T, judgement, § 452 : « la Chambre de première instance se doit de souligner que les opérations militaires effectuées en état de légitime défense ne sauraient justifier les violations graves du droit international humanitaire ».


[1] C. Dubois & J. Vailhé, « Les causes d’exonération de responsabilité », in H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e éd., § 46.

2. Mise en œuvre de la responsabilité pénale des individus

  1. Les Etats constituent le for « normal » dans lequel la fonction punitive peut être la mieux allouée puisqu’ils sont les seules entités disposant du pouvoir coercitif permettant une administration publique légitime de la justice[1]. Plus encore, les autorités de l’Etat sur le territoire duquel les violations du droit international humanitaire ont eu lieu constituent normalement le forum conveniens où on peut trouver les preuves et le coupable allégué[2]. La mise en œuvre de la responsabilité pénale des individus devant le juge étatique est donc censé constituer le schéma classique de mise en œuvre de cette responsabilité.

[1] F. Lattanzi, “Concurrent Jurisdictions between Primacy and Complementarity”, in R. Bellelli (ed.), International Criminal Justice. Law and Practice from the Rome Statute to its Review, Ashgate, 2010, pp. 181 ss., 181.

[2] A. Cassese, “The Statute of the International Criminal Court: Some Preliminary Reflections”, European Journal of International Law, Voil. 10, No. 1, 1999, pp. 158 ss.

  1. Ce schéma n’a cependant guère fonctionné, soit parce que les systèmes étatiques ne pouvaient pas poursuivre et punir les responsables de violations soit parce qu’ils ne le voulaient pas. La justice pénale internationale a été inventée pour pallier cette carence de la justice pénale interne et poursuivre et punir dans l’ordre international des individus responsables de certains crimes, notamment les violations graves du droit international humanitaire appelées crimes de guerre.

2.1. Mise en œuvre devant les tribunaux étatiques

On l’a dit, la mise en œuvre judiciaire du droit international humanitaire et du droit international pénal relève en premier lieu des juridictions étatiques.

  1. Un avantage de la mise en œuvre étatique est que la compétence des juges étatiques n’obéissant pas à la distinction des branches internationales, des points de contacts sont possibles. Ainsi pourra-t-on porter plainte au civil et/ou pénal contre des agissements portant simultanément violation du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme.
  2. Un autre avantage de la mise en œuvre étatique est que le champ des personnes susceptibles d’être poursuivies est généralement plus large qu’en droit international, un certain nombre de droits étatiques permettant d’attaquer des entités corporatives non étatiques pour violation des droits de l’homme et/ou du droit humanitaire. Cela commence, bien que difficilement, pour les sociétés multinationales ou les sociétés militaires privées.

2.1.1. La compétence et le pouvoir des Etats pour réprimer des crimes internationaux

  1. Les Etats avaient pu s’entendre dans le passé dans l’ordre international pour poursuivre, juger et punir dans leur ordre interne certains individus pour certaines infractions qu’ils avaient incriminées, notamment le pirate et le marchand d’esclaves. Cette logique d’une poursuite étatique d’individus suspectés d’infractions établies au niveau international s’est ensuite développée au sujet de nouvelles infractions même si elle n’a pas conduit à une responsabilité pénale générale et proprement internationale des individus.
  2. Toutefois, si le droit international reconnait de plus en plus volontiers la capacité des individus d’engager leur responsabilité pénale pour des comportements érigés dans son ordre comme infractions, la mise en œuvre de cette responsabilité, c’est-à-dire la poursuite et le jugement des individus, relève du seul droit interne des Etats parties aux différents traités. Ces traités se contentent en effet, au mieux, d’obliger les Etats à incriminer ces comportements dans leur ordre interne, à établir la compétence de leurs tribunaux pour en connaître et à poursuivre et juger les personnes responsables de tels agissements.
  3. Ils ont en ce sens conclu un certain nombre de traités internationaux portant obligation pour les Etats parties d’incriminer dans leur ordre interne de nouvelles catégories de comportements individuels et de poursuivre et punir leurs auteurs.

Voir ainsi la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 7 mars 1966 ; la Convention internationale contre la prise d’otages du 17 décembre 1979 ; la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 ; la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000 avec l’incrimination de la participation, y compris de personnes morales (art. 10) à un groupe criminel organisé, du blanchiment du produit du crime, de la corruption ; La Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire de 2005 ou encore et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées du 20 décembre 2006.

De même, la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales du 21 novembre 1997 contre la corruption pose l’obligation d’ériger ce délit en infraction pénale, de le poursuivre ou de permettre l’extradition de ses auteurs, y compris les personnes morales.

  1. Ces traités régissent également l’articulation des compétences et pouvoirs des Etats parties en matière de poursuite et de punition des personnes responsables de telles infractions. Si l’établissement et les modalités d’exercice de ces compétences et pouvoirs ne sont pas identiques dans toutes ces conventions, on trouve toutefois des lignes communes.
  • Est toujours reconnu comme compétent le juge de l’Etat sur le territoire duquel a eu lieu l’infraction, hypothèse ordinaire qui correspond à la compétence territoriale de l’Etat et à la territorialité de la loi pénale.
  • Est de même reconnu compétent le juge de l’Etat de nationalité de la personne poursuivie. Nous sommes encore dans une hypothèse ordinaire où la compétence — dite généralement « personnelle active » — du juge est fondée sur le lien de rattachement que constitue la nationalité entre l’Etat et l’individu qui aurait commis l’infraction.
  • Plus rarement, est reconnu comme compétent le juge dont la victime a la nationalité (on parle alors souvent de compétence « personnelle passive »). Si tel est le cas, un Etat pourra mettre en fonctionnement son système de poursuite même pour des crimes commis à l’étranger par des individus étrangers pourvu que la victime ait sa nationalité.
  • Une dernière hypothèse de compétence est parfois prévue en plus des précédentes, dérogatoire au droit international commun des compétences de l’Etat, celle de la compétence dite « universelle »[1]. Classiquement, selon ce mécanisme, tout autre Etat que celui du lieu du crime ou de la nationalité du criminel ou de la victime pourra – ou devra selon les cas – poursuivre et/ou juger lui-même ou sinon extrader le criminel qu’il détient sur son territoire vers un Etat compétent qui lui demande l’extradition de l’individu[2].

[1] Sur la compétence universelle, outre les références relatives aux entreprises et sociétés et entre autres : G. Abi-Saab, “The Proper Role of Universal Jurisdiction”, Journal of International Criminal Justice, Vol. 1, 2003, pp. 596-602 ; G. Guillaume, « La compétence universelle. Du code de Justinien à l’affaire Yerodia », in La Cour internationale de Justice à l’aube du XXIe siècle, le regard d’un juge, Paris, Pedone, 2003, pp., 219-237 ; R. O’Keefe, “Universal Jurisdiction. Clarifying the Basic Concept”, Journal of International Criminal Justice, Vol. 2, 2004, pp. 735-760 ; A. Cassese, “The Twist and Turns of Universal Jurisdiction. Foreword”, Journal of International Criminal Justice, Vol. 4, 2006, pp. 559-560 ; M. Cosnard, « La compétence universelle en matière pénale », in C. Tomuschat, J.-M. Thouvenin (eds), The Fundamental Rules of the International légal Order, Netherlands, Koninklijke Brill NV, 2006, pp. 355-372 ; K. Gallagher, “Universal Jurisdiction in Practice. Efforts to Hold Donald Rumsfeld and Other High-Level United Sates Offcials Accountable for Torture”, Journal of International Criminal Justice, Vol. 7, 2009, pp. 1087-1116 ; D. Vandermeersch, « Violations graves des droits de l’homme (crimes internationaux) et compétence pénale universelle », in J.-F. Flauss (ed.), La protection internationale des droits de l’homme et les droits des victimes, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 130-164 ; H. van der Wilt, “Universal Jurisdiction under Attack. An Assessment of African Misgivings towards International Criminal Justice as Administered by Western States”, Journal of International Criminal Justice, Vol. 9, 2011, pp. 1043-1066.

[2] Sur ce point, voir Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J., Recueil 2012, § 95, p. 456 : « si l’Etat sur le territoire duquel se trouve le suspect est saisi d’une demande d’extradition dans l’un des cas prévus par les dispositions de la convention, il peut se libérer de son obligation de poursuivre en faisant droit à la demande d’extradition. Il en résulte que le choix entre l’extradition et l’engagement de poursuites, en vertu de la convention, ne revient pas à mettre les deux éléments de l’alternative sur le même plan. En effet, l’extradition est une option offerte par la convention à l’Etat, alors que la poursuite est une obligation internationale, prévue par la convention, dont la violation engage la responsabilité́ de l’Etat pour fait illicite » et voir C. Kress, “Reflections on the Iudicare Limb of the Graves Breaches Regime”, Journal of international Criminal Justice, Vol. 7 2009, pp. 789-809 ; R. van Steenberghe, “The Obligation to Extradite or Prosecute. Clarifying its Nature”, Journal of International Criminal Justice, Vol. 9, 2011, pp. 1089-1116.

Aujourd’hui, l’Etat sur le territoire duquel est présent l’individu suspecté dispose de l’option supplémentaire de remettre — ce qui n’est pas « extrader » — celui-ci à une juridiction internationale compétente[1].


[1] Voir Commission du droit international, Obligation d’extrader ou de poursuivre (aut dedere aut judicare), Rapport final 2014, Annuaire de la Commission du droit international, 2014, Vol. II (2), para. 27, p. 12 : « Relation entre l’obligation et la « troisième option ». Avec la création de la Cour pénale internationale et de différentes juridictions pénales internationales ad hoc, il est désormais possible à un Etat confronté à l’obligation d’extrader ou de poursuivre un accusé, de recourir à une troisième solution − la remise du suspect à un tribunal pénal international compétent (L’article 9 du projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité de 1996 prévoit que l’obligation d’extrader ou de poursuivre est « [s]ans préjudice de la compétence d’une cour criminelle internationale »). Cette troisième option est prévue à l’article 11, paragraphe 1, de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées de 2006 (« L’Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’un crime de disparition forcée est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, ou ne le remet pas à un autre Etat conformément à ses obligations internationales ou à une juridiction pénale internationale dont il a reconnu la compétence, soumet l’affaire à ses autorités compétentes our l’exercice de l’action pénale ») ».

Cette compétence universelle n’existe pas à titre coutumier sauf peut-être pour la piraterie et la traite. Un Etat ne peut donc licitement poursuivre une personne sans lien de rattachement territorial ou personnel avec lui que si cette compétence a été préalablement commandée ou autorisée par une convention internationale, ce qui nous semble être le cas, pour ce qui nous concerne, des quatre Conventions de Genève de 1949.

2.1.2. Une mise en œuvre prescrite par le droit international

  1. Un certain nombre des traités classiques du droit international humanitaire commandent aux Etats parties de poursuivre, juger et réprimer les violations et crimes éventuellement commis par des individus relevant de leur compétence.

Dans ce sens, notamment, la Convention de Genève de 1906 pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armée en campagne, art. 28 : « Les Gouvernements signataires s’engagent également à prendre ou à proposer à leurs législatures, en cas d’insuffisance de leurs lois pénales militaires, les mesures nécessaires pour réprimer, en temps de guerre, les actes individuels de pillage et de mauvais traitements envers des blessés et malades des armées, ainsi que pour punir, comme usurpation d’insignes militaires, l’usage abusif du drapeau et du brassard de la Croix-Rouge par des militaires ou des particuliers non protégés par la présente Convention. Ils se communiqueront, par l’intermédiaire du Conseil fédéral suisse, les dispositions relatives à cette répression, au plus tard dans les cinq ans de la ratification de la présente Convention » ;

l’article 29 de la Convention du 27 juillet 1929 pour l’amélioration du sort des blessés et malades dans les armées en campagne : « Les Gouvernements des Hautes Parties contractantes prendront ou proposeront également à leurs législatures, en cas d’insuffisance de leurs lois pénales, les mesures nécessaires pour réprimer, en temps de guerre, tout acte contraire aux dispositions de la présente Convention. […] » ;

la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, art. V : « Les parties contractantes s’engagent à prendre, conformément à leurs constitutions respectives, les mesures législatives nécessaires pour assurer l’application des dispositions de la présente Convention, et notamment à prévoir des sanctions pénales efficaces frappant les personnes coupables de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III ».

Cela est rappelé in A/RES/60/147, 16 décembre 2005, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, cons. 8 : « Rappelant que le droit international comporte l’obligation de poursuivre les auteurs de certains crimes internationaux conformément aux obligations internationales des Etats et aux prescriptions du droit interne ou aux dispositions des statuts applicables des organes judiciaires internationaux, et que le devoir de poursuivre renforce les obligations juridiques internationales qui doivent être exécutées conformément aux prescriptions et procédures de droit interne et étaye le concept de complémentarité »

Voir également en droit international des droits de l’homme la Convention des contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984, art. 4 : « 1. Tout Etat partie veille à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal. Il en est de même de la tentative de pratiquer la torture ou de tout acte commis par n’importe quelle personne qui constitue une complicité ou une participation à l’acte de torture. 2. Tout Etat partie rend ces infractions passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité » ; art. 5 : « 1. Tout Etat partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des infractions visées à l’article 4 dans les cas suivants : […] » ; article VI : « Les personnes accusées de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III seront traduites devant les tribunaux compétents de l’Etat sur le territoire duquel l’acte a été commis, ou devant la Cour criminelle internationale qui sera compétente à l’égard de celles des Parties contractantes qui en auront reconnu la juridiction ». De même la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (A/RES/61/177 du 20 décembre 2006, entrée en vigueur le 23 décembre 2010), art. 3 : « Tout Etat partie prend les mesures appropriées pour enquêter sur les agissements définis à l’article 2, qui sont l’œuvre de personnes ou de groupes de personnes agissant sans l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’Etat, et pour traduire les responsables en justice » ; art. 4 : « Tout Etat partie prend les mesures nécessaires pour que la disparition forcée constitue une infraction au regard de son droit pénal » et les art. 6 et s.

  1. C’était implicitement instituer une compétence universelle puisqu’aucun rattachement territorial ou personnel n’était requis entre les personnes susceptibles d’être poursuivies et les Etats. Cela dit, cette obligation de punir et d’établir une compétence universelle ne vaut que pour les « violations graves » du droit international humanitaire. S’agissant des autres violations, il est seulement requis des Etats qu’ils prennent les mesures nécessaires pour les supprimer.
  2. Certains posent l’obligation de juger les responsables de « violations graves » du droit international humanitaire et la faculté, sinon, d’extrader ces derniers vers un autre Etat compétent qui désire les juger.

En ce sens la disposition identique des quatre Conventions de Genève de 1949 (articles 49, 50, 129 et 146) : « Les hautes Parties contractantes s’engagent à prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l’ordre de commettre, l’une ou l’autre des infractions graves à la présente Convention définies à l’article suivant. / Chaque Partie contractante aura l’obligation de rechercher les personnes prévenues d’avoir commis, ou d’avoir ordonné de commettre, l’une ou l’autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre législation, les remettre pour jugement à une autre Partie contractante intéressées à la poursuite, pour autant que cette Partie contractante ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes »[1].


[1] Voir également Convention des contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984, art. 5 : « 1. Tout Etat partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des infractions visées à l’article 4 dans les cas suivants : a) Quand l’infraction a été commise sur tout territoire sous la juridiction dudit Etat ou à bord d’aéronefs ou de navires immatriculés dans cet Etat ; b) Quand l’auteur présumé de l’infraction est un ressortissant dudit Etat ; c) Quand la victime est un ressortissant dudit Etat et ce dernier le juge approprié. 2. Tout Etat partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l’auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne l’extrade pas conformément à l’article 8 vers l’un des Etats visés au paragraphe 1 du présent article. 3. La présente Convention n’écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux lois nationales » et art. 7 § 1 : « L’Etat partie sur le territoire sous al juridiction duquel l’auteur présumé d’une infraction visée à l’article 4 est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans les cas visés à l’article 5, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale ».

L’article 85 § 1 du Protocole 1 énonce que les dispositions des conventions relatives à la répression des infractions et infractions graves, complétées par lui-même s’appliquent à la répression des infractions et infractions graves au protocole. L’article 86 oblige quant à lui les Etats parties et les parties au conflit à réprimer les infractions graves et à prendre les mesures nécessaires pour faire cesser toutes les autres infractions aux conventions et au protocole résultant d’une omission contraire à un devoir d’agir[1].

Voir également A/RES/60/147, 16 décembre 2005, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, partie III relative aux violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et violations graves du droit international humanitaire qui constituent des crimes de droit international : « 4. En cas de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire qui constituent des crimes de droit international, les Etats ont l’obligation d’enquêter et, s’il existe des éléments de preuve suffisants, le devoir de traduire en justice la personne présumée responsable et de punir la personne déclarée coupable de ces violations. Dans ces cas, les Etats devraient en outre, conformément au droit international, établir une coopération entre eux et aider les instances judiciaires internationales compétentes dans leur enquête et dans la poursuite des auteurs des violations. 5. A cette fin, lorsqu’un traité applicable ou une autre obligation internationale le prévoit, les Etats incorporent ou mettent en œuvre, dans leur droit interne, des dispositions appropriées instaurant la juridiction universelle. En outre, lorsqu’un traité applicable ou une autre obligation juridique internationale le prévoit, les Etats devraient faciliter l’extradition ou la remise des délinquants à d’autres Etats et aux organes judiciaires internationaux compétents, et garantir l’entraide judiciaire et d’autres formes de coopération aux fins de la justice internationale, y compris des mesures d’assistance et de protection pour les victimes et les témoins, conformément aux normes juridiques internationales relatives aux droits de l’homme et dans le respect des règles juridiques internationales comme celles interdisant la torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».


[1] Article 86 : « 1. Les Hautes Parties contractantes et les Parties au conflit doivent réprimer les infractions graves et prendre les mesures nécessaires pour faire cesser toutes les autres infractions aux Conventions ou au présent Protocole qui résultent d’une omission contraire à un devoir d’agir ».

  1. Dans ce cas,

Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J., Recueil 2012, § 95, p. 456 : « si l’Etat sur le territoire duquel se trouve le suspect est saisi d’une demande d’extradition dans l’un des cas prévus par les dispositions de la convention, il peut se libérer de son obligation de poursuivre en faisant droit à la demande d’extradition. Il en résulte que le choix entre l’extradition et l’engagement de poursuites, en vertu de la convention, ne revient pas à mettre les deux éléments de l’alternative sur le même plan. En effet, l’extradition est une option offerte par la convention à l’Etat, alors que la poursuite est une obligation internationale, prévue par la convention, dont la violation engage la responsabilité́ de l’Etat pour fait illicite ».

  1. En revanche, le protocole 2 ne commande pas la sanction des violations de ses prescriptions. Au contraire, son article 6 § 5 dispose : « A la cessation des hostilités, les autorités au pouvoir s’efforceront d’accorder la plus large amnistie possible aux personnes qui auront pris part au conflit armé ou qui auront été privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé, qu’elles soient internées ou détenues »[1].

[1] Certains auteurs estiment toutefois que cette disposition ne justifie pas l’amnistie pour les violations graves dans les conflits armés non internationaux mais ne vise que les actes légitimes d’hostilité.

Voir à ce sujet South Africa, Constitutional Court, 25 July 1996, Azanian Peoples Organization (AZAPO) and Others v President of the Republic of South Africa and Others (CCT 17/96) [1996] ZACC 16; 1996 (8) BCLR 1015; 1996 (4) SA 672, IDLC 648 (ZA 1996), § 31: “The need for this distinction is obvious. It is one thing to allow the officers of a hostile power which has invaded a foreign state to remain unpunished for gross violations of human rights perpetrated against others during the course of such conflict. It is another thing to compel such punishment in circumstances where such violations have substantially occurred in consequence of conflict between different formations within the same state in respect of the permissible political direction which that state should take with regard to the structures of the state and the parameters of its political policies and where it becomes necessary after the cessation of such conflict for the society traumatised by such a conflict to reconstruct itself. The erstwhile adversaries of such a conflict inhabit the same sovereign territory. They have to live with each other and work with each other and the state concerned is best equipped to determine what measures may be most conducive for the facilitation of such reconciliation and reconstruction. That is a difficult exercise which the nation within such a state has to perform by having regard to its own peculiar history, its complexities, even its contradictions and its emotional and institutional traditions. What role punishment should play in respect of erstwhile acts of criminality in such a situation is part of the complexity. Some aspects of this difficulty are covered by Judge Marvin Frankel in a book he authored with Ellen Saideman (Frankel, Out of the Shadows of the Night: The Struggle for International Human Rights (Delacorte Press, New York 1989) at 103-4)”.

  1. Les progrès étant minces dans la mise en œuvre au plan étatique du droit international humanitaire et du droit international pénal, le Conseil de sécurité commande de plus en plus souvent aux Etats de poursuivre et juger les responsables de violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme.

En ce sens : Résolution 1566 (2004) du CS adoptée sur le fondement du chapitre VII, § 3 : « demande à tous les Etats de prévenir ces actes et, à défaut, de faire en sorte qu’ils soient réprimés par des sanctions à la mesure de leur gravité ». Voir également S/RES/1738 (2006), 23 décembre 2006, Protection des civils dans les conflits armés : « Soulignant qu’il existe en droit international humanitaire des règles prohibant les attaques dirigées intentionnellement contre des civils qui, en période de conflit armé, constituent des crimes de guerre, et rappelant qu’il est impératif que les Etats mettent un terme à l’impunité  des auteurs de ces attaques ; Rappelant que les Etats parties aux Conventions de Genève ont l’obligation de rechercher les personnes présumées avoir commis, ou avoir donné l’ordre de commettre, une infraction grave auxdites Conventions et qu’ils doivent les déférer à leurs propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité, ou peuvent, s’ils le préfèrent, les remettre pour jugement à un autre Etat intéressé à la poursuite, pour autant que celui-ci ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes […], 7. Souligne que les Etats ont la responsabilité de s’acquitter de l’obligation que leur fait le droit international de mettre fin à l’impunité et de traduire en justice quiconque est responsable de violations graves du droit international humanitaire » ; S/RES/2303 (2016) sur la situation au Burundi du 29 juillet 2016, § 2 : « Exhorte le Gouvernement burundais à respecter, protéger et garantir le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, conformément aux obligations internationales qui sont les siennes, à adhérer à l’état de droit, à traduire en justice et à faire répondre de leurs actes tous les responsables de violations du droit international humanitaire ou de violations des droits de l’homme et d’atteintes à ces droits, selon qu’il convient, y compris les violences sexuelles et toutes les violations et atteintes commises contre des enfants » ; S/RES/2427 (2018) 9 juillet 2018, Le sort des enfants en temps de conflit armé : « 30. Souligne l’importance de réprimer toutes les violations et atteintes commises contre des enfants en temps de conflit armé et demande à tous les Etats de continuer à lutter contre l’impunité en s’efforçant de renforcer leurs mécanismes nationaux, notamment leurs capacités d’enquêter et d’exercer des poursuites, en veillant à ce tous les responsables de violations et d’’atteintes de ce type soient traduits en justice pour y répondre de leurs actes sans retard indu, ce qui implique notamment que des enquêtes soient menées et des poursuites engagées de façon systématique et sans délai, leurs conclusions devant être rendues publiques, et de veiller à ce que toutes le victimes aient accès à la justice ainsi qu’aux services médicaux et aux services d’accompagnement dont elles ont besoins ; 31. Insiste sur le fait qu’il incombe à tous les Etats de mettre fin à l’impunité, d’enquêter sur les cas de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et d’autres crimes odieux perpétrés contre des enfants et d’en poursuivre les auteurs et souligne à cet égard le concours qu’apporte la Cour pénale internationale pour les questions relevant de sa compétence et conformément au principe de complémentarité avec les juridictions pénales internes énoncé dans le Statut de Rome » ; S/RES/2601(2021) 29 octobre 2021, Le sort des enfants en temps de conflit armé : « 8. Condamne l’impunité  des violations du droit international, y compris du droit international humanitaire, et des atteintes commises contre les civils li s aux écoles, notamment les enfants et les enseignants, dans les situations de conflit armé, condamne  également les attaques et les menaces d’attaques dirigées contre les  écoles et les établissements d’enseignement en violation du droit international humanitaire, ce qui peut contribuer à la répétition de ces actes, et exhorte les Etats Membres à faire en sorte que ces violations fassent l’objet d’enquêtes et que leurs auteurs soient dûment poursuivis ».

2.1.3. Rareté de la mise en œuvre

  1. Ainsi que remarqué, ce n’est que rarement que les Etats se sont conformés à cette obligation en poursuivant des individus devant leurs tribunaux et en actionnant la compétence universelle, ce dont atteste le très faible nombre de procès pénaux internes fondés sur le droit international depuis 1945[1].

[1] En ce sens, H.-P. Gasser, “The Changing Relationship between International Criminal Law, Human Rights Law and Humanitarian Law”, op. cit., p. 1126.; Y. Sandoz, “The Dynamic but Complex Relationship between International Penal Law and International Humanitarian Law”, in J. Doria, H.-P. Gasser & M. Cherif Bassiouni (eds.), The Legal Regime of the International Criminal Court. Essays in Honour of Professor Igor Blishenko, International Humanitarian Law Series, Vol. 19, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2009, pp. 1049 ss., 1054. Voir également F. Lattanzi, “Concurrent Jurisdictions between Primacy and Complementarity”, in Bellelli R. (ed.), International Criminal Justice. Law and Practice from the Rome Statute to its Review, Ashgate, 2010, pp. 181 ss., 183: “Unfortunately, the majority of states disregarded their duty to prosecute the perpetrators of Nazi-fascist crimes. So, numerous Axis crimes remained unpunished (Italy is still dealing with this problem), as well as, according to the logic of victors’ justice, some crimes committed by the Allied Forces and rebel entities having courageously fought for the liberation of their countries. Such indifference continued in respect of war crimes committed during the few international and the numerous internal conflicts of the Cold War period. This negative approach to the duty to end impunity was generalized among the countries of both sides of the ‘divided world, in spite of the adoption in 1948 of the Genocide Convention and of the four 1949 Geneva Conventions on international humanitarian law”.

2.1.3.1. Diversité des obstacles

Les Etats opposent plusieurs obstacles à des plaintes d’individus contre d’autres qui sont en partie du même type que ceux qu’on a vus pour les contentieux initiés contre les Etats.

  1. On sait d’abord les difficultés que peut rencontrer un Etat sortant d’une guerre pour assurer efficacement la justice pénale et le faire en toute impartialité : l’absence de structure judiciaire, le manque de personnel et la pénurie de moyens.
  2. Une autre difficulté est que des recours éventuels, même commandés par le droit international, ne peuvent être exercés que si le droit interne incrimine le comportement litigieux.
  3. De même faut-il que la compétence des tribunaux étatiques saisis soit établie par le droit du for.

Or, en 2012, moins de la moitié des Etats parties au Statut de Rome avait une législation incorporant les dispositions de ce dernier relatives aux crimes et à la coopération[1], alors que les législations « ordinaires » ne permettent généralement pas de poursuivre et juger les responsables des crimes visés par le Statut[2].


[1] O. Bekou, “Crimes at Crossroads. Incorporating International Crimes at the National Level”, Journal of International Criminal Justice, Vol. 10, 2012, pp. 677-691, 678 qui renvoie à la National Implementing Legislation Database, instrument de la CPI: http://www.legal-tools.org/en/access-to-the-tools/national-implementing-legisation-database/

[2] F. Lattanzi, “Concurrent Jurisdictions between Primacy and Complementarity”, op. cit., p. 183: “However, international rues providing an obligation to prosecute and imposing jurisdictional criteria are not self-executing in domestic systems as specific incorporation is needed for their application at national level. Yet even states whose legal systems are inspired by fundamental humanitarian values fail to implement the mandatory Geneva obligation on territorial jurisdiction, as well as on supressing war crimes according to the jurisdictional links freely chosen in their own legislation. Consequently, instead of a positive conflict of jurisdictions among all States Parties, we are still dealing with negative conflicts of jurisdictions, except for the vain attempt made by a few states – e.g., Belgium and Spain – to apply universal jurisdiction”.

La compétence universelle n’est reconnue que pour de rares crimes, notamment en France. Si la Belgique et l’Espagne ont tenté d’établir plus largement la compétence universelle de leurs tribunaux, ces deux Etats sont vite revenus à une acceptation plus classique de cette compétence à la suite de pressions politiques de différents Etats.

  1. Peut également faire obstacle à une poursuite le jeu de la prescription de l’action pénale même si le juge peut avoir une compréhension de celui-ci au profit des victimes[1]. Ainsi, seuls 57 Etats ont ratifié au 10 janvier 2023 la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité du 26 novembre 1968[2]. On notera que la résolution A/RES/60/147, 16 décembre 2005, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire ne condamne pas le jeu des prescriptions[3], tandis que l’art. 29 du Statut de la CPI énonce : « Les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas ».

[1] Voir notamment Cour d’appel de N’Djamena, 25 mars 2015, Ministère public et Ismael Hachim et autres c. Saleh Younous Ali, Warou Fadoul Ali et a., arrêt criminel, Répertoire n° 01/15 : « Considérant que l’une des exceptions soulevées tend à amener la cour à déclarer l’action publique éteinte à l’égard des accusés pour cause de prescription ; Considérant qu’il est vrai que selon les dispositions de l’article 3 du code de procédure pénal tchadien, l’action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis, si dans cet intervalle il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite ; Qu’en ce qui concerne le délit, la prescription de l’action publique est de trois années révolues ; Mais considérant qu’en l’espèce, les faits qui sont poursuivies sont situés dans le temps (07/06/1982 au 1er/12/1990). Qu’il y a lieu de relever que la prescription ici évoquée ne peut pleinement jouer car les différentes parties civiles étaient dans une situation inconfortable et ne pouvaient porter plainte contre les accusés ; que ces accusés étaient protégés par le régime qui était en place ; Certains dirigeants qui opéraient dans la structure de répression du régime Habré sont encore à des postes clefs de l’administration ou de l’appareil sécuritaire de l’Etat ; Leur présence est à l’origine de pressions, d’intimidations et dans certains cas d’attaques envers les victimes et les défenseurs des droits de l’homme ; Que beaucoup n’ont été inquiétés que très récemment ; que dans ces conditions, il était très difficile à ceux qui ont souffert de leurs agissements de les attraire en justice ; que c’est pour cette raison évidente qu’il y a lieu de conclure au rejet de ces demandes tendant à déclarer les actions prescrites et à arrêter nette la procédure ».

[2] RTNU, Vol. 754, p. 73.

[3] « 6. Lorsqu’un traité applicable ou une autre obligation internationale le prévoit, la prescription ne s’applique pas aux violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et aux violations graves du droit international humanitaire qui constituent des crimes de droit international. 7. La prescription prévue dans le droit interne pour d’autres types de violations qui ne constituent pas des crimes de droit international, y compris les délais applicables aux actions civiles et aux autres procédures, ne devrait pas être indûment restrictive ».

  1. Peuvent jouer également un rôle les amnisties. Celles-ci, refusées par la Cour interaméricaine des droits de l’homme, ne sont pas traitées in A/RES/60/147, 16 décembre 2005, Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire. Cela dit, certains droits étatiques semblent rejeter cette technique dans notre domaine[1].

[1] Voir ainsi l’art. 28 § 1 de la Constitution éthiopienne de 1994 relatif aux crimes contre l’humanité : « Criminal liability of persons who commit crimes against humanity, so defined by agreements ratified by Ethiopia and by other laws of Ethiopia, such as genocide, summary executions, forcible disappearances or torture shall not be barred by statute or limitation. Such offences may not be commuted by amnesty or pardon of the legislature or any other State organ ».

  1. Et encore faut-il la volonté ou possibilité pour les procureurs de poursuivre et pour les juges compétents d’exercer leur compétence.

Or, ils ne le pourront pas dans les systèmes dits dualistes tant qu’une loi n’aura pas incorporé la norme internationale dans l’ordre juridique étatique. Quant aux juges des Etats dits monistes, ils se réfèrent souvent à l’imprécision de la norme internationale et à l’exigence de la préciser pour refuser de lui reconnaître un effet direct susceptible de créer un droit invocable devant eux au profit des particuliers.

Cela dépendra également de leur indépendance à l’égard des autres pouvoirs et de leur capacité ou volonté à trancher ce genre de contentieux ou de s’en remettre aux autres pouvoirs de l’Etat, par exemple au moyen de la doctrine des Political Questions, de celle des actes de gouvernement ou d’irresponsabilité de la puissance publique.

2.1.3.2. Le cas des immunités des agents de l’Etat

  1. Quand bien-même un Etat aurait incriminé le comportement en cause et établi sa compétence, un autre obstacle majeur au fonctionnement de ce type de justice est le jeu des immunités de juridiction et d’exécution en matière pénale reconnues par le droit international général aux agents les plus importants de l’État. En effet,

Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt du 14 février 2002, CIJ Rec. 2002, § 59 : « Il convient […] de relever que les règles gouvernant la compétence des tribunaux nationaux et celles régissant les immunités juridictionnelles doivent être soigneusement distinguées : la compétence n’implique pas l’absence d’immunité et l’absence d’immunité n’implique pas la compétence. C’est ainsi que, si diverses conventions internationales tendant à la prévention et à la répression de certains crimes graves ont mis à la charge des Etats des obligations de poursuite ou d’extradition, et leur ont fait par suite obligation d’étendre leur compétence juridictionnelle, cette extension de compétence ne porte en rien atteinte aux immunités résultant du droit international coutumier, et notamment aux immunités des ministres des affaires étrangères. Celles-ci demeurent opposables devant les tribunaux d’un Etat étranger, même lorsque ces tribunaux exercent une telle compétence sur la base de ces conventions ».

  1. Ces immunités protègent en particulier le chef d’Etat[1].

[1] Voir notamment R. Barents, « The Future of Former Head of State Immunity after ex parte Pinochet », 48 I.C.L.Q. 1999, 937 ; A. Bianchi, « Immunity versus Human Rights: The Pinochet Case », EJIL, Vol. 10, 1999, 237 ; C.A. Bradley, J.L. Goldsmith, « Pinochet and International Human Rights Litigation », Mich. L. Rev., Vol. 97, 1999, pp. 2129 ss. ; J. Bröhmer, « Diplomatic Immunity, Head of State Immunity, State Immunity: Misconceptions of a Notorious Human Rights Violator », 12 L.J.I.L. 1999, pp. 361 ss. ; M. Cosnard, « Quelques observations sur l’immunité de juridiction pénale de l’ancien chef d’Etat », RGDIP 1999, pp. 309-328 ; J.-Y. de CARA, « L’affaire Pinochet devant la Chambre des Lords », A.F.D.I. 1999, pp. 72-100. ; E. Denza, « Ex parte Pinochet: Lacuna or Leap? », 48 I.C.L.Q. 1999, pp. 949 ss. ; C. Dominice, « Quelques observations sur l’immunité de juridiction pénale de l’ancien chef d’État », RGDIP, 2000 ou 2001, pp. 297-308. ; G.H. Fox, « The First Pinochet Case: Immunity of a Former Head of State », 48 I.C.L.Q. 1999, pp. 207 ss. ; G.H. Fox, « The Pinochet Case No. 3 », 48 I.C.L.Q. 1999, pp. 687 ss. ; C. Kessedjian, « Pinochet 2: une timide confirmation de Pinochet 1 », 1 Int’l L. FORUM 1999, 61 ; G. Sison, « A King No More: the Impact of the Pinochet Decision on the Doctrine of Head of State Immunity », Wash. U.L.Q., Vol. 78, 2000, pp. 1583 ss. ; S. Vilsipendo, « L’affaire Pinochet : beaucoup de bruit pour rien ? L’apport au droit international de la décision de la chambre des Lords du 24 mars 1999 », RGDIP, 2000, No. 2, pp. 393-427; A. Zappala, « Do Heads of States in Office Enjoy Immunities for Jurisdiction for International Crimes ? The Ghaddafi Case before the French Cour de Cassation », 12/3 E.J.I.L. 2001, pp. 595-612 ; M. Cosnard, « Les immunités du chef d’Etat », Le chef d’Etat et le droit international, colloque de la S.F.D.I., Paris, Pedone, 2002, 300 p., 189-268 ; R. Pedretti, Immunity of Heads of State and State Officials for International Crimes, Leiden, Boston, Brill Nijhoff, 2015. Voir également Les immunités de juridiction et d’exécution du chef d’Etat et de gouvernement en droit international, Résolution de l’Institut de droit international, session de Vancouver, 26 août 2001.

Voir, outre la jurisprudence de la CIJ et entre autres : Cass. crim., 13 mars 2001, arrêt n° 1414, Procureur général près la Cour d’appel de Paris c. Association SOS Attentats, Mme B. de Boery, affaire « Kadhafi », n° 00-87-215, R.G.D.I.P. 2001.474, note Poirat, concl. Launay, Ibidem, p. 507 ; D. 2001, n° 32, p. 2631 note Roulot ; J.D.I. 2002.804 note C. Santulli : « Vu les principes généraux du droit international ; Attendu que la coutume internationale s’oppose à ce que les chefs d’Etat en exercice puissent, en absence de dispositions internationales contraires s’imposant aux parties concernées, faire l’objet de poursuites devant les juridiction pénales d’un Etat étranger ; […] Mais attendu qu’en se prononçant ainsi, alors qu’en l’état du droit international, le crime dénoncé, quelle qu’en soit la gravité, ne relève pas des exceptions au principe de l’immunité de juridiction des chefs d’Etat étrangers en exercice, la chambre d’accusation a méconnu le principe susvisé »[1].


[1] CA Paris, ch. d’accusation, 2e sect., 20 octobre 2000, n° A 1999 0591, Affaire « Kadhafi », F. Poirat, « Jurisprudence française en matière de droit international public », RGDIP, 2001, pp. 473-491 cassé sur la question précise des immunités : « Considérant que si […] les juridiction françaises sont par application des articles 113-7 du Code pénal, 689 et suivants du Code de procédure pénale, compétentes pour juger des crimes commis à l’étranger, lorsque les victimes sont, comme en l’espèce, de nationalité française, il n’en demeure pas moins que cette compétence n’existe plus, lorsque la personne poursuivie, pour avoir commis un tel crime, bénéficie d’une immunité de juridiction ; / Considérant que l’immunité de juridiction d’un chef d’État étranger n’est effectivement garantie, ni par un traité international auquel la France serait partie, ni par aucun texte ; / Que toutefois, la coutume internationale, entendue comme preuve d’une pratique générale acceptée par tous comme étant le droit, régit les rapports entre États, qu’elle a la même autorité juridique que les traités, un État ne pouvant, en conséquence, être lié par la coutume que s’il l’a acceptée ; / Que la France a, dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, reprise par référence par la Constitution de 1958 consacré la force de la coutume internationale dans l’ordre juridique interne en stipulant que « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme au droit public international » ; / Considérant que l’immunité de juridiction des chefs d’État étrangers, y compris des chefs d’État de fait investis d’une autorité effective à l’intérieur et à l’extérieur de leur pays et reçus comme chefs d’État à l’étranger, a toujours été admise par la société internationale y compris par la France, les juridictions françaises de l’ordre judiciaire ayant, comme la doctrine, constamment reconnu l’existence de cette immunité de juridiction, les juridictions civiles en ayant fait application à de nombreuses reprises ; Que cependant cette immunité, à l’origine absolue, comporte depuis la fin de la seconde guerre mondiale, des limites ; / Qu’en effet, de nombreuses conventions internationales ratifiées par la France, notamment la Conférence de Londres du 8 août 1945 créant le tribunal militaire international siégeant  à Nuremberg, le statut du Tribunal Militaire siégeant à Tokyo, approuvé le 19 janvier 1946, la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU en date du 11 décembre 1946, la Convention internationale sur la répression du crime d’apartheid, adoptée le 30 novembre 1973 et entrée en vigueur le 18 juillet 1976, les résolutions n° 827 et 955 du Conseil de sécurité des Nations Unies ayant adopté respectivement le statut du Tribunal international de La Haye pour l’ex-Yougoslavie et celui du Tribunal pénal d’Arusha pour le Rwanda, la convention portant statut de la Cour pénale internationale adopté  le 17 juillet 1998, ont écarté cette immunité pour les crimes les plus graves contre l’humanité, de génocide, d’apartheid et de guerre ; / Que ces trois premières conventions précisent que la situation officielle d’un accusé, comme chef d’État, ne sera pas considérée comme une excuse absolutoire, que la quatrième cite les représentants de l’État parmi les personnes tenues pour pénalement responsables sur le plan international du  crime d’apartheid, que les deux suivantes stipulent que la qualité de chef d’État n’exonère pas l’accusé de sa responsabilité pénale, tandis que le Statut de la Cour pénale internationale indique qu’il s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle ; / Que ces conventions, loin de constituer des exceptions limitatives à une immunité absolue, traduisent, au contraire, la volonté de la communauté internationale de poursuivre les faits les plus graves, y compris lorsqu’ils ont été commis par un chef d’État dans l’exercice de ses fonctions, dès lors que ceux-ci constituent des crimes internationaux, contraires aux exigences de la conscience universelle ; / Qu’au demeurant, la convention portant Statut de la Cour pénale internationale, qui limite la compétence de cette Cour aux crimes contre l’humanité, de génocide, d’apartheid et de guerre, dont la loi du 30 mars 2000 a autorisé la ratification par la France, indique, dans son préambule,  « qu’il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de cries internationaux », tandis que son article 22 précise « qu’un comportement » peut être « qualifié de crime au regard du droit international, indépendamment du présent Statut » ; / Qu’il est ainsi reconnu par cette convention qu’il est du devoir pour les États l’ayant ratifiée de juger les crimes internationaux, lesquels ne sauraient, aux termes de l’article 22 susvisé, être limités aux crimes contre l’humanité, de génocide, d’apartheid et de guerre ce quand bien même la personne poursuivie aurait la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement ; / Que ces textes, mis aussi des décisions juridictionnelles, notamment celles rendues par la Chambre des Lords de Grande-Bretagne dans le cadre de la procédure d’extradition du Général Pinochet, comme les poursuites exercées à l’encontre du Général Noriega, chef d’État en exercice par les Etats-Unis d’Amérique pour trafic de stupéfiants, sont la preuve d’une pratique générale acceptée par tous, y compris par la France, comme étant le droit, selon laquelle l’immunité ne couvre que les actes de puissance publique ou d’administration publique accomplis par le chef de l’Etat, à condition qu’ils ne soient pas considérés comme des crimes internationaux ; / Qu’il en résulte qu’aucune immunité ne saurait couvrir dans faits de complicité d’homicides volontaires et de destruction de biens par substance explosive ayant entraîné la mort, en relation avec une entreprise terroriste, consistant, pour un chef d’État, à avoir ordonné l’explosion d’un avion de ligne transportant 170 civils ; / Qu’en effet, ces faits, à les supposer établis, entreraient dans la catégorie des crimes internationaux, et ne pourraient en tout état de cause, être considérés comme ressortant des fonctions d’un chef d’État ; / Qu’en conséquence, l’ordonnance du juge d’instruction ayant dit y avoir lieu à informer est confirmée ».

  1. Elles protègent également le chef de gouvernement ainsi que le ministre des affaires étrangères, quelle que soit la gravité du comportement en cause.

Voir Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, CIJ Rec. 2002, arrêt du 14 février 20002, § 58 : « La Cour a examiné avec soin la pratique des Etats, y compris les législations nationales et les quelques décisions rendues par de hautes juridictions nationales, telle la Chambre des lords ou la Cour de cassation française. Elle n’est pas parvenue à déduire de cette pratique l’existence, en droit international coutumier, d’une exception quelconque à la règle consacrant l’immunité de juridiction pénale et l’inviolabilité des ministres des affaires étrangères en exercice, lorsqu’ils sont soupçonnés d’avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité ».

  1. Ces immunités ont pour objet de permettre aux dirigeants de l’Etat de pouvoir remplir leur mission sans interférence extérieure, l’entité protégée n’étant pas tant ces individus que l’Etat dont ils sont les moyens d’action.
  2. Voir toutefois, le cas de debellatio, « c’est-à-dire de défaite totale d’un Etat partie à un conflit armé. Dans ce cas, les puissances victorieuses ont le droit de soumettre les gouvernements et les agents de l’Etat vaincu à un jugement »[1] et la reconnaissance d’exceptions au principe d’immunité pouvant être reconnu par des instruments internationaux spécifiques.

[1] O. De Frouville, Droit international pénal. Sources, incriminations, responsabilité, Paris, Pedone, 2012, 523 p., 14. Qui cite comme exemples la mise en accusation du Guillaume II en 1919 et le tribunal spécial irakien.

  1. Cela dit, un mouvement se dessine de mise en œuvre par les Etats de leur pouvoir juridictionnel pour connaître de crimes internationaux, comme c’est le cas en France, en Belgique ou en Finlande, et ce, y compris lorsqu’ils ont été commis par des agents d’Etats étrangers sur le fondement de la compétence universelle. Ainsi, après que la Cour fédérale de justice allemande eut affirmé le principe de l’inapplicabilité de l’« immunité fonctionnelle » des agents subordonnés de l’Etat dans le cadre de poursuites pour crimes de guerre et certains autres crimes intéressant la communauté internationale dans son ensemble[1], la Haute Cour régionale de Coblence condamna un agent inférieur et un agent supérieur de la direction des services secrets syriens pour crimes contre l’humanité[2].

[1] Voir C. Kress, “On Functional Immunity of Foreign Officials and Crimes under International Law. The January 28, 2021 Judgment of Germany’s Federal Court of Justice”, Just Security, March 31, 2021

[2] Voir C. Kress, « A German Sentence of Life Imprisonment for Crimes Against Humanity – A Small Measure of Justice for Syria », Just Security, January 14, 2022

2.2. Mise en œuvre devant des tribunaux internationaux – Aspects choisis

2.2.1. Etablissement et exercice de la compétence de la CPI

Créée par traité et non par décision du Conseil de sécurité des Nations Unies comme les TPI, la compétence de la CPI a été très difficilement négociée et établie. Certains Etats comme les Etats-Unis voulaient la faire contrôler par le Conseil de sécurité qui aurait eu un monopole en matière de saisine et un droit de blocage. Ils n’obtinrent qu’un pouvoir de blocage, l’article 16 du Statut disposant : « Aucune enquête ni aucune poursuite ne peuvent être engagées ni menées en vertu du présent Statut pendant les douze mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; la demande peut être renouvelée par le Conseil dans les mêmes conditions »[1]. D’autres désiraient la compétence la plus large possible avec l’autorité la plus grande possible pour la CPI. Un compromis fut trouvé qui donne la part belle aux Etats et plus encore aux membres permanents du Conseil de sécurité – surtout ceux non parties au Statut – et peut donc pousser à la non-ratification et/ou à la dénonciation par ces derniers. C’est un des problèmes majeurs de la CPI mais qui était difficilement dépassable[2].


[1] Voir notamment M. Du PLESIs et Ch. GEVERS, « Making amend(ment)s: South Africa and the International Criminal Court from 2009 to 2010 », South African Yearbook of International Law, 2009, p. 17. ; Kamuri M. Clarke & S.-J. Koulen, « The Legal Politics of the Article 16 Decision : The International Criminal Court, the UN Security Council and Ontologies of a Contemporary Compromise », African Journal of Legal Studies, Vol. 7, 2014, pp. 297-319.

[2] « Le défi de la Conférence de Rome était de parvenir à un statut qui assurerait à la Cour une indépendance suffisante pour fonctionner de façon autonome, sans s’aliéner des Etats dont l’appui était indispensable à son succès. Il n’était pas possible de faire un choix entre une cour puissante sur papier mais dont le statut risquerait de ne jamais entrer en vigueur et une cour généralement acceptable mais dont les pouvoirs seraient si limités que son existence ne ferait qu’illusion. […]. / Un grand nombre de dispositions du Statut de Rome reflète cette recherche d’équilibre. Ainsi, la CPI n’a pas […] compétence [pour tous les crimes relevant de son Statut commis dans le monde]. Hormis l’intervention du Conseil de sécurité, elle ne peut exercer sa compétence qu’avec le consentement de l’Etat sur le territoire où le crime a été commis ou de l’Etat de la nationalité de l’accusé. Elle n’a aucune compétence rétroactive […]. Le renvoi d’une situation par le Conseil de sécurité à la Cour n’est pas nécessaire pour que la Cour exerce sa compétence, mais il est possible, et le Conseil peut surseoir à la procédure de la Cour dans certaines circonstances. Enfin, le Procureur peut démarrer une enquête proprio motu, mais il lui faut quand même l’autorisation d’une chambre préliminaire », P. Kirsch, « La Cour pénale internationale, de Rome à Kampala », Annuaire français des relations internationales, Vol. 12, 2011, pp. 121-140, 122-123.

En vertu de l’article 13 du Statut, la Cour peut exercer sa compétence à l’égard d’un crime visé par son statut dans 3 hypothèses :

– Si une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par un Etat partie, comme prévu à l’article 14.

– Si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis est déférée au procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies[1].

– Si le Procureur a ouvert une enquête sur le crime de sa propre initiative en vertu de l’article 15.


[1] Sur ce point, D. Sarooshi, “Aspects of the Relationship between the ICC and the UN”, NYIL, 2001, pp. 27-53 ; E. David, « La Cour pénale internationale », RCADI, t. 313, 2005, pp. 362-363 : « Dans ce cas il n’est nullement nécessaire que l’Etat sous la juridiction duquel le crime a eu lieu ou l’Etat dont l’auteur présumé du crime porte la nationalité soient parties au Statut ou aient reconnu la compétence de la Cour (art. 12, par. 2, a contrario) [note omise]. / En revanche, comme la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité concerne une « situation » et non un crime en particulier, les règles de complémentarité vont continuer à s’appliquer à propos des « crimes commis dans cette « situation » et la Cour tranchera les exceptions qui pourraient être soulevées à ce sujet [note omise] » ; N. White & R. Cryer, “The ICC and the Security Council: An Uncomfortable Relationship”, in Doria J., Gasser H.-P., Cherif Bassiouni M. (eds.), The Legal Regime of the International Criminal Court. Essays in Honour of Professor Igor Blishenko, International Humanitarian Law Series, Vol. 19, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff h Publishers, 2009, pp. 455 ss.

Cependant, aux termes de l’article 12, la Cour ne peut exercer sa compétence dans les hypothèses 1 et 3 que si l’Etat sur le territoire duquel le comportement s’est produit (ou, si le crime a été commis à bord d’un navire ou aéronef, l’Etat du pavillon ou l’Etat d’immatriculation) ou l’Etat de nationalité de l’accusé est partie au Statut (un Etat devenant partie acceptant par là même la compétence de la Cour) ou a accepté que la Cour exerce sa compétence à l’égard d’un crime relevant de la compétence de la Cour. On a là un système calqué sur la compétence territoriale et la compétence personnelle active. On notera que l’Ukraine avait formulé deux déclarations d’acceptation de la compétence de la Cour sur le fondement desquelles, conjuguées avec le renvoi de la situation par 39 Etats parties, le Procureur a décidé d’ouvrir une enquête préliminaire sur la situation dans ce pays en 2022.

Il n’existe donc qu’une seule hypothèse où l’accord des Etats concernés n’est pas exigé, celle dans laquelle c’est le Conseil de sécurité qui renvoie une situation à Cour en vertu du Chapitre VII, hypothèse réalisée en 2005 pour la situation au Darfour et en 2011 pour la situation en Libye[1]. Et encore un renvoi du Conseil de sécurité ne veut-il pas pour autant dire compétence universelle de la Cour puisque, ainsi que cela s’est vu dans la pratique, ce dernier peut limiter la compétence de la Cour et faire donc échapper à celle-ci des situations ou crimes qu’il peut identifier de différentes manières (à raison du lieu du crime, du moment de commission de celui-ci ou de la nationalité des criminels).


[1] « Autrement dit, la Cour ne jouit pas de la compétence universelle pourtant reconnue par le droit international à tout parquet dans tout Etat pour les infractions visées au Statut. / […]. En quelque sorte, [hormis cas d’un renvoi par le CS] la compétence de la Cour apparaît comme une subrogation de la compétence territoriale ou de la compétence personnelle active que pourrait exercer ou bien l’Etat du lieu de l’infraction, ou bien l’Etat de la nationalité de son auteur », E. David, « La Cour pénale internationale », RCADI, t. 313, 2005, pp. 325-454, 342.

Du point de vue des Etats, on observe ainsi une asymétrie originelle qui peut être amplifiée par les politiques de renvoi à la Cour. Selon ce schéma, en effet, un Etat non partie au Statut est immunisé, sauf renvoi du Conseil de sécurité, de poursuites contre ses agents s’ils commettent des crimes sur son propre territoire ou sur le territoire d’un Etat non partie qui n’aurait pas accepté la compétence de la Cour pour ces crimes puisqu’il y a absence d’un des consentements requis. Quant aux Etats non parties et membres permanents du Conseil, la Russie, les Etats-Unis et la Chine, ils peuvent opposer leur veto à un tel renvoi en sorte que, sauf cas exceptionnels, ils ne verront jamais leurs nationaux poursuivis devant la Cour tout en pouvant, en revanche, de plein droit, enclencher une procédure contre ceux d’autres Etats, parties ou non au Statut susceptibles d’avoir commis des crimes sur le territoire d’Etats parties ou non. Or, 7 Etats ont voté le 17 juillet 1998 contre le Statut de la CPI (Etats-Unis d’Amérique, Inde, Israël, Chine, Bahreïn, Qatar, Vietnam) ; certains ont signé le Statut sans le ratifier ; d’autres ne l’ont pas signé. La Russie, quant à elle, avait signé puis retiré sa signature.

Cela signifie, du point de vue des criminels et victimes que la compétence de la CPI n’est pas uniforme pour tous les individus et que les crimes allégués ne pourront pas toujours être poursuivis ni faire l’objet d’une réparation.

Ce qui est en jeu dans cette place qu’occupe le Conseil de sécurité dans l’architecture générale est fondamentalement lié à la question des rapports entre justice et police et justice et paix. Toutefois, même si on accepte l’idée selon laquelle le cours de la justice peut parfois être un obstacle à la paix en tant qu’il pourrait interférer avec des négociations politiques même s’il peut dans d’autres circonstances constituer un instrument de la paix (c’est sur ce fondement que furent créés les TPI et que le pouvoir d’initiative du Conseil a été reconnu pour l’exercice de la compétence de la Cour ; c’est sur lui également que le préambule du Statut de la CPI fait d’elles une organisation ayant pour objet la paix et la sécurité internationales), reste le problème résultant du fait que cet organe si important dans l’exercice de la compétence de la Cour est composé de trois membres permanents qui ne sont pas parties au Statut (la France ayant quant à elle fait une déclaration en vertu de l’article 124 reportant la compétence de la Cour en cas d’allégation de crime de guerre[1]). Cette situation tient au fait que la Cour a été instituée par un traité international.


[1] En effet, autre marque de soumission de la compétence de la CPI à l’égard de la volonté des Etats parties, l’article 124 énonce à titre de disposition transitoire que, nonobstant l’article 12, par. 1 et 2, un Etat qui devient partie au statut peut déclarer que, pour une période de 7 ans à partir de l’entrée en vigueur du Statut à son égard, il n’accepte pas la compétence de la Cour en ce qui concerne les crimes de guerre lorsqu’il est allégué qu’un crime a été commis sur son territoire ou par ses ressortissants (étant toutefois précisé que l’Etat peut à tout moment retirer cette déclaration et que les dispositions de cet article seront réexaminées à une conférence de révision, ce qui ne fut pas fait à Kampala). On sait que la France, comme la Colombie, ont usé de cette faculté.

2.2.2. Place et rôle des victimes dans le contentieux des juridictions pénales internationales

La place et le rôle des victimes dépendent de la philosophie du procès pénal adoptée. Le procès pénal, comme son nom l’indique, est en principe fondamentalement tourné vers la question de la peine et donc la figure du poursuivi et non celle de la victime. Cependant, on peut opter pour reconnaître des droits aux victimes qu’elles peuvent exercer, mais à la condition d’adopter un régime procédural particulier[1]. En réalité, ce n’est pas toujours le fond qui commande la procédure car ce peut être le choix d’un modèle procédural qui conduit à la reconnaissance ou non au fond de droits aux victimes.


[1] « L’accès des victimes à la justice pénale suppose un élargissement de la scène judiciaire et conduit à une répartition des rôles plus complexes que dans le modèle accusatoire simple. Les procédures pénales de pays comme la France ou l’Espagne offrent cette ouverture, favorisée par la place traditionnellement plus marquée du juge, qui seule permet d’assurer un équilibre procédural devenu complexe, et par la mission de recherche de la vérité assignée en premier lieu à la justice. L’Allemagne ou l’Italie, dont la procédure pénale a très nettement évolué dans le sens du modèle accusatoire, ont malgré cela maintenu des mécanismes favorables aux victimes », H. Ascensio, « Les droits des victimes devant les juridictions pénales internationales », in J.-F. Flauss (dir.), La protection internationale des droits de l’homme et les droits des victimes, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 77-109, 79.

2.2.2.1. L’absence originelle de droit de participer

Devant les TMI, les TPI et le TSSL, les victimes ne participaient pas en tant que telles à la procédure pénale. Ces tribunaux empruntaient en effet la logique anglo-saxonne du procès pénal d’un duel entre une accusation et une défense arbitré par le juge dans le cadre duquel la victime n’est pas un acteur du procès mais peut seulement témoigner[1]. Elle n’avait en conséquence que le statut de témoin et ne bénéficiait que des protections y afférentes.


[1] Voir notamment S. Pellet, “La place des victimes”, in Ascensio H., Decaux E., Pellet A. (dir.), Droit international pénal, Deuxième édition révisée, Paris, Pedone, 2012, pp. 933-945, 933. Voir également E. David, « La Cour pénale internationale », RCADI, t. 313, 2005, p. 409 : « si le système romano-civiliste permet aux victimes de participer à l’instance pénale, tel n’est pas le cas des systèmes inspirés de la common law. Dans ces derniers, la participation des victimes au procès est assimilée à une rupture de l’égalité des parties car l’accusé doit faire face à deux requérants : le Procureur et la victime. C’est sans doute la raison pour laquelle le Statut prévoit seulement que la Cour prend connaissance des vues des victimes « à des stades de la procédure qu’elle estime appropriés et d’une manière qui ne porte pas atteinte aux droits de l’accusé ni aux exigences d’un procès équitable et impartial (art. 68, par. 3) ».

Dans ce modèle, on y reviendra, les victimes ne pouvaient pas non plus demander ni obtenir réparations des préjudices qu’elles avaient subis.

Toutefois, ce modèle a été en partie amendé pour la CPI dont le statut représente un compromis – complexe – entre les philosophies anglo-saxonne et romano-civiliste du procès pénal qui offre une certaine place aux victimes dans le déroulement du procès et leur permet dans une certaine mesure de demander réparation.

2.2.2.2. Participation au procès pénal devant la CPI

Le statut de la CPI constitue sur le papier une vraie rupture avec ceux des juridictions internationales précédentes. Il faut lier ce phénomène avec un mouvement plus large de construction d’un statut international des victimes de violations des droits de l’homme, de violations du droit humanitaire ou de crimes internationaux[1].

En particulier son article 68 § 3 énonce : « Lorsque les intérêts personnels des victimes sont concernés, la Cour permet que leurs vues et préoccupations soient exposées et examinées, à des stades de la procédure qu’elle estime appropriés et d’une manière qui n’est ni préjudiciable ni contraire aux droits de la défense et aux exigences d’un procès équitable et impartial. Ces vues et préoccupations peuvent être exposées par les représentants légaux des victimes lorsque la Cour l’estime approprié, conformément au règlement de procédure et de preuve ».


[1] voir notamment : A/RES/40/34, 29 novembre 1985, Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir ; Recommandation n° R(85)11 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres sur la position de la victime dans le cadre du droit pénal et de la procédure pénale, 1985 ; Décision cadre du Conseil de l’UE du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre de procédures pénales ; A/RES/60/147, 16 décembre 2005, Principes fondamentaux des Nations Unies et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire ; Résolution 2005/81 de la Commission des droits de l’homme sur l’impunité du 21 avril 2005.

C’est là leur reconnaître un rôle actif dans la procédure, mais on voit tout de suite que cela ne peut pas être celui d’une vraie partie à un procès. Les modalités de la participation des victimes présentent en effet un certain nombre d’inconvénients.

Ainsi, s’il a finalement été accepté qu’elles puissent participer au procès, c’est largement à la discrétion des chambres qui peuvent décider des modalités et du moment d’une telle participation, lesquels changent selon le stade la procédure, depuis la chambre préliminaire jusqu’à la décision sur les réparations[1]. Or, celles-ci, dans le cadre de leur large pouvoir d’appréciation, semblent réticentes à leur accorder une place importante[2], En effet, leur place et rôle dans le procès pénal international restent imprécis, fragiles et incertains[3] et subordonnés à ce que décideront les chambres de la CPI dont les membres ne sont pas tous familiers de la participation des victimes au procès héritée du procès romano-germanique. En outre, cette participation n’est pas non plus celle prévue par les droits romano-germaniques, en sorte que personne n’y est familier.


[1] Sur ce point, H. Ascensio, « Les droits des victimes devant les juridictions pénales internationales », op. cit., pp. 91 ss. Voy aussi L. Catani, “Victims at the International Criminal Court. Some Lessons Learned from the Lubanga Case”, Journal of International Criminal Justice, Vol. 10 2012, pp. 905-922., 910 : “Beyond these provisions [Règle 89(1), Règle 91(2) et Règle 91(3)], each chamber has the discretion to determine how the ‘views and Concerns’ of victims are to be presented, including the exact scope and conditions of any intervention, in accordance with Article 68(3). / In general, the Chamber in the Lubanga case set out a system whereby any intervention by victims was to be authorized on case-by-case basis. It stated that participation is to be decided on the basis of the evidence or matters under consideration, at any stage of the proceedings”. See also, ibidem, 110: “it is for a chamber to decide on the modalities for the proper disclosure of any evidence it has allowed victims to present [Appeals Chamber decision of 11 July 2008, § 100]”. De même, les droits reconnus aux victimes varieraient selon le type d’audience (voir H. Ascensio, « Les droits des victimes devant les juridictions pénales internationales », op. cit., pp. 92 ss.).

[2] « cette tendance à la restriction des droits des victimes n’est pas propre à la CPI. Alors que les chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens ont mis en place un système de participation des victimes sans précédent en transposant pour la première fois dans l’histoire de la justice pénale internationale, la procédure de constitution de partie civile des pays civilistes, leur participation a également fait l’objet de restrictions successives ces dernières années. La Règle 23 du Règlement intérieur pose les principes généraux relatifs  la participation des victimes en qualité de partie civile [note omise], mais comme à la CPI, les juges disposent d’un large pouvoir discrétionnaire pour interpréter et fixer les modalités de leur participation [note omise]. Dans ce cadre, les Chambres ont limité les droits procéduraux des victimes et les disparités entre les deux juridictions semblent aujourd’hui s’estomper pour ne se limiter qu’à une simple différence entre les termes « partie civile » et « participant » [note omise]. Dans ces deux juridictions, ces limitations prétoriennes s’expliquent principalement par le nombre extrêmement important de victimes susceptibles de demander l’accès au prétoire international. La jurisprudence des magistrats internationaux […] amène à s’interroger sur le dilemme consubstantiel à la participation des victimes mis en avant par A.-T. Lemasson : « admettre un trop grand nombre de victimes à participer à la procédure […] risquerait d’autant plus de diluer leurs droits dans le procès, et donc d’y brouiller leur fonction » [note omise]. Il est donc important de trouver un juste équilibre entre la quantité de victimes et la qualité de leur participation », Bracq, op. cit., pp. 23-24.

[3] G. Biiti, « Les droits procéduraux des victimes devant la Cour pénale internationale », Criminologie, Vol. 44, n° 2, 2011, pp. 63-98, passim, sp. pp. 63-64 : l’article 68 § 3 du Statut de Rome « se contente de donner aux victimes un droit général de participation à la procédure devant la Cour sans en préciser le contenu ».

Tout d’abord, les victimes n’ont jamais la faculté d’enclencher l’action pénale internationale. En effet, contrairement à ce qui était prévu dans le cadre des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (règles 23 et 49 du Règlement intérieur des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens), si les victimes ont la faculté devant la CPI de demander réparation des dommages qu’elles ont subis (art. 75 §§ 1 et 3), elles n’ont pas pour autant la faculté de se constituer « parties civiles » et d’enclencher l’action publique[1]. Nous sommes plutôt dans la logique d’une participation par intervention à la procédure une fois celle-ci enclenchée[2]. D’une manière générale, la mise en mouvement de l’action publique dans l’ordre international relève du seul procureur avec de variantes selon les juridictions[3].


[1] « Curieusement, alors que le Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) a été négocié et adopté deux ans après le Statut de Rome, les victimes ne jouissent d’aucun droit de participation propre dans le procès pénal. Tout juste bénéficient-elles d’un droit explicite à compensation dans la sphère nationale une fois une personne déclarée coupable par le tribunal (règle 105 du RPP/TSSL). Mais il en va différemment en ce qui concerne le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) qui reprend à son compte la lettre du Statut de Rome concernant les droits des victimes (art. 17 du Statut du TSL) », S. Pellet, “La place des victimes”, op. cit., p. 933.

[2] Toutefois : « Les procureurs internationaux peuvent obtenir des informations de toutes sources. Rien n’empêche donc les victimes, par elles-mêmes ou par l’intermédiaire d’associations, de communiquer des informations au procureur, ce qu’elles font fréquemment [note omise]. Les statuts et règlements des TPI n’imposent aucune obligation en termes de traitement de ces informations. Le statut de la CPI innove quelque peu en conférant certains droits aux victimes dans le cadre de la seule procédure de déclenchement de l’action pénale à l’initiative du procureur (mécanisme dit d’« auto-saisine ») », H. Ascensio, « Les droits des victimes devant les juridictions pénales internationales », in Flauss J.-F. (dir.), La protection internationale des droits de l’homme et les droits des victimes, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 77-109, 82. Elles ont en particulier le droit d’être informées des suites que le procureur donne à l’affaire pour laquelle elles ont communiqué des informations. Leurs « intérêts » doivent être pris en compte par le procureur quand il apprécie s’il doit y avoir matière à enquêter ou poursuivre.

[3] Voir H. Ascensio, « Les droits des victimes devant les juridictions pénales internationales », in Flauss J.-F. (dir.), La protection internationale des droits de l’homme et les droits des victimes, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 77-109, 82 ss.

En outre, elles n’ont quasiment aucune emprise sur l’enquête concernant la situation soumise à la Cour et leur rôle dans le procès pénal lui-même, c’est-à-dire dans le cadre d’une affaire, enfin reconnu dans le cadre de la CPI, reste limité.

Notons encore que ces mécanismes sont réservés aux violations les plus graves du droit international humanitaire, ce qui exclut donc de leur jeu les victimes de la plupart des violations de ce droit.

Notons enfin que l’identification même des victimes dépend du stade de la procédure, depuis l’enquête préliminaire jusqu’à l’éventuelle décision sur les réparations.

2.2.3. La question de la réparation

2.2.3.1. La lente apparition de la réparation dans le contentieux pénal international

La plupart des juridictions pénales internationales ou hybrides ne connaissent pas de mécanisme de réparation pour les victimes, se concentrant sur la répression des criminels.

Ainsi, les Statuts des deux TPI et du Tribunal spécial pour la Sierra Leone n’avaient pas institué de mécanisme de réparation au profit des victimes. Au mieux prévoyaient-ils la possibilité de restituer les biens spoliés par un individu déclaré coupable à leurs propriétaires.

Voir ainsi les art. 24 § 3 du Statut du TPIY et 23 § 3 du Statut du TPIR, sous l’intitulé « peines » : « Outre l’emprisonnement du condamné, la Chambre de première instance peut ordonner la restitution à leurs propriétaires légitimes de tous biens et ressources acquis par des moyens illicites, y compris par la contrainte ».

Voir également l’art. 19 § 3 du Statut du TSSL sous le même intitulé : « In addition to imprisonment, the Trial Chamber may order the forfeiture of the property, proceeds and any assets acquired unlawfully or by criminal conduct, and their return to their rightful owner or to the State of Sierra Leone”.

En somme, seules les atteintes à la propriété étaient visées et ce, sans aucune participation des victimes dans la procédure[1].


[1] Voir notamment H. Ascensio, « Les droits des victimes devant les juridictions pénales internationales », op. cit., pp. 94-95. ; F. Parodi, « Les fonds internationaux en faveur des victimes », op. cit., p. 722.

Les tentatives des deux tribunaux d’établir un mécanisme de réparation ayant été marquées par un échec[1], le Statut de la CPI représente un bouleversement en dédiant son article 75 à la « réparation en faveur des victimes » et son article 79 au « fonds en faveur des victimes ». Ce n’est donc qu’avec cet instrument qu’est véritablement prévue une possibilité de réparation civile au profit des victimes, même si cette responsabilité paraît subsidiaire et limitée.


[1] Voir les demandes adressées par les Présidents des tribunaux au Secrétaire général, Doc. ONU S/ 2000/1063 pour le TPIY et Doc. ONU S/2000/1198 pour le TPIR.

2.2.3.2. La réparation comme accessoire d’une déclaration de culpabilité

Le procès pénal, comme son nom l’indique, est en principe fondamentalement tourné sur la question de la peine et donc la figure du poursuivi et non sur la question de la réparation et donc la figure de la victime. Il peut toutefois conduire à réparation.

En droit interne, la réparation peut être octroyée en conséquence d’une condamnation pénale ou sans déclaration de culpabilité grâce à des mécanismes de type solidariste et/ou assuranciel.

Voir pour la première hypothèse : RDC, tribunal militaire, 2 août 2006, Ituri District Military Prosecutor v. Kahwa Panga Mandro (Ives), First Instance Decision, RMP No 227/PEN/2006, in OPIL, Oxford Reports on International Law in Domestic Courts, ILDC 524 (CD 2006), observation Phebe Mavungu Clément, où le tribunal, après avoir déclaré l’accusé coupable, condamna le prévenu à payer des sommes à chacune des victimes qui se sont constituées parties civiles.

Aux termes de l’article 75 § 2 du Statut de la CPI, la réparation est un accessoire d’une telle déclaration de culpabilité[1].

Article 75 § 2 du Statut de la CPI : « La Cour peut rendre contre une personne condamnée une ordonnance indiquant la réparation qu’il convient d’accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Cette réparation peut prendre notamment la forme de la restitution, de l’indemnisation ou de la réhabilitation. Le cas échéant, la Cour peut décider que l’indemnité accordée à titre de réparation est versée par l’intermédiaire du Fonds visé à l’article 79 ».


[1] « La condamnation à réparer est prononcée à charge de l’accusé. Elle est un accessoire du jugement de culpabilité. Les complices de l’accusé ne peuvent donc être tenus à réparation que s’ils sont, eux aussi, poursuivis et condamnés par la CPI, sans préjudice, toutefois, de la possibilité reconnue à la Cour de confisquer des profits, biens et avoirs tirés, directement ou indirectement, du crime – ce qui pourrait affecter des tiers détenteurs de mauvaise foi. / Hormis ce cas, une personne morale complice de l’accusé ne peut être condamnée à réparer par la CPI puisque celle-ci n’a pas compétence à l’égard des personnes morales (art. 25, par. 1) », E. David, « La Cour pénale internationale », RCADI, t. 313, 2005, p. 417.

2.2.3.3. Le débiteur de l’obligation de réparer

Bien sûr, le débiteur de l’obligation de réparer est au premier chef le coupable lui-même. D’autres solutions existent toutefois.

Ainsi, certains droits étatiques peuvent prévoir de faire peser une obligation de réparation tant sur le coupable que sur l’Etat en tant que celui-ci est également responsable.

Voir en ce sens RDC, 24 mars 2006, Tribunal militaire de garnison de l’Ituri, Ituri Military Prosecutor v Blaise Bongi Massaba, Criminal trial judgment and accompanying civil action for damages, RP No 018/2006, in OPIL, Oxford Reports on International Law in Domestic Courts, ILDC 387 (CD 2006), observation D. P. Zongwe : « Condamne en conséquence, le sieur Blaise Bongi Massaba in solidum avec la République démocratique du Congo au paiement de l’équivalent en francs congolais, à chacune de ces quatre familles des victimes, de la somme de […] à titre des dommages et intérêts ; tous préjudices confondus […] »[1].


[1] Voir également : « au Tchad, des victimes avaient déclenché l’action publique en se constituant partie civile contre vingt-neuf dignitaires du régime de Habré, après sa chute fin octobre 2000. Près de quinze années après et alors que l’instruction poursuivait son cours devant les Chambres africaines extraordinaires, la cour criminelle de N’Djamena a, sur renvoi de la Chambre d’accusation de la Cour d’appel, condamné vingt agents du régime de Habré. Par son verdict rendu le 25 mars 2015 (Cour d’appel de Ndjamena, Younous Ali, Warou Fadoul Ali et autres, répertoire n° 01/1)), la Cour criminelle a jugé que leur responsabilité devait être partagée avec l’Etat tchadien, ce dernier n’étant pas à ses yeux « exempt de tout reproche ». Elle a par suite accompagné son verdict de mesures de réparations au profit des sept mille victimes parties civiles sous la forme de 75 milliards de francs CFA, de l’édification d’un monument au profit des victimes et de la création d’un musée sur le site de l’ancienne Direction de la documentation et e la sécurité (DDS) », J. Sulzer, in « Chronique de jurisprudence étrangère », RGDIP, 2015/4, p. 868.

Notons que, lorsque la réparation est octroyée en conséquence d’une déclaration de culpabilité, l’obligation de réparer pèse bien sur le coupable quand bien même le versement de la réparation se ferait par l’intermédiaire d’une entité tierce.

L’article 75 § 2 précité du Statut de la CPI montre ainsi que la charge de la réparation, accessoire d’une déclaration de culpabilité, pèse sur l’auteur du crime ayant causé le dommage[1], mais peut être versée par un mécanisme public de réparation, en l’espèce le Fonds au profit des victimes, notamment si une réparation collective paraît plus adéquate.


[1] H. Ascensio, « Les droits des victimes devant les juridictions pénales internationales », in Flauss J.-F. (dir.), La protection internationale des droits de l’homme et les droits des victimes, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 77-109,95-96.

Voir aussi Règlement de procédure et de preuve de la CPI, Règle 98 – Fonds au profit des victimes : « 1. Les ordonnances accordant réparation à titre individuel sont rendues directement contre la personne reconnue coupable. / 2. La Cour peut ordonner que le montant de la réparation mise à la charge de la personne reconnue coupable soit déposé au Fonds au profit des victimes si, au moment où elle statue, il lui est impossible d’accorder un montant à chaque victime prise individuellement. Le montant de la réparation ainsi déposé est séparé des autres ressources du Fonds et est remis à chaque victime dès que possible. / 3. La Cour peut ordonner que le montant de la réparation mise à la charge de la personne reconnue coupable soit versé par l’intermédiaire du Fonds au profit des victimes lorsqu’en raison du nombre des victimes et de l’ampleur, des formes et des modalités de la réparation, une réparation à titre collectif est plus approprié. / 4. A l’issue de consultations avec les Etats intéressés et le Fonds au profit des victimes, la Cour peut ordonner que la réparation soit versée par l’intermédiaire du Fonds à une organisation intergouvernementale, internationale ou nationale agréée par le Fonds. […] »[1].


[1] Voir E. David, « La Cour pénale internationale », RCADI, t. 313, 2005, p. 416. Voir également : « à la différence des autres fonds internationaux, il n’est pas qu’une structure administrative. Son mandat est intrinsèquement lié à celui de la Cour pénale internationale et, notamment, aux condamnations que rendront les chambres. […]. Il procède de l’idée d’une justice à la fois répressive et réparatrice alors que les autres fonds interviennent auprès des victimes sans que leurs décisions n’emportent de conséquences juridiques en termes de responsabilité », F. Parodi, « Les fonds internationaux en faveur des victimes », op. cit., p. 719. Le même auteur continue, p. 723 : « La participation du fonds institué par la Cour pénale internationale à la promotion de la justice et, plus spécifiquement, à l’exercice de la compétence de la Cour transparaît de plusieurs règles de procédure qui touchent aux deux mandats du fonds. Qu’il répare le préjudice d’un individu, ou qu’il assiste une victime, il reste en effet intrinsèquement lié à la Cour même s’il constitue un organe indépendant. Il ne peut notamment octroyer une réparation à une victime que si la Cour a rendu une ordonnance de réparation contre une personne condamnée (Règlement du Fonds d’affectation spéciale au profit des victimes, ICC-ASP/4/Res.3, décembre 2005, règle 50-b). Il doit donc nécessairement avoir été saisi préalablement par une ordonnance pour pouvoir mettre en œuvre ses activités. L’ordonnance de réparation sert alors de référence au Secrétariat qui prépare un projet de plan de mise en œuvre de l’ordonnance et qui le soumet à l’approbation de la Chambre concernée (règles 54 et 57 du Règlement du Fonds d’affectation spéciale au profit des victimes). De la même façon, lorsque le nombre important de victimes commande une réparation à titre collectif, les méthodes choisies par le fonds pour verser l’indemnité déterminée par la Cour doivent être approuvées par la Cour (règle 69 du Règlement du Fonds d’affectation spéciale au profit des victimes). De façon plus générale, « la Cour établit des principes applicables aux formes de réparation, telles que la restitution, ‘indemnisation ou la réhabilitation, à accorder aux victimes ou à leurs ayants droit » (art 75 § 1 du Statut de Rome). A Cour demeure donc le pilote du volet réparation. / Le fonds entretient une même relation étroite avec la Cour dans le cadre de son mandat d’assistance. […]. Le Conseil de direction ne peut toutefois procéder à cette aide qu’après avoir notifié sa décision à la Cour (règle 50-a-ii). […]. Les activités du fonds sont donc bien liées à l’exercice de la compétence de la Cour, même s’il dispose d’un Conseil de direction et d’un Secrétariat indépendant ».

Cela dit, le paragraphe 5 de cette règle 98 énonce : « D’autres ressources du Fonds peuvent être utilisées au profit des victimes sous réserves des dispositions de l’article 79 [du Statut] », c’est-à-dire sous réserve de la position l’Assemblée des États parties en matière de gestion du fonds. C’est là ouvrir la possibilité d’une réparation versée par une autre entité que le coupable et la Cour a pu, considérant l’indigence du coupable, demander au fonds de participer à la réparation[1]. Le fonds est ainsi devenu à la fois un mécanisme d’exécution des décisions de réparation de la Cour et un fonds de solidarité[2].


[1] Voir ainsi C. Maia, « Affaire Katanga : la CPI ordonne des réparations individuelles et collectives au profit des victimes », https://reseau-multipol.blogspot.fr/2017/03/actu-affaire-katanga-la-cpi-ordonne-des.html [consulté le 01/04/2018] ; C. Maia, « Affaire Katanga : confirmation pour l’essentiel de l’ordonnance de réparation par la chambre d’appel de la CPI », https://reseau-multipol.blogspot.com/2018/03/actu-affaire-katanga-confirmation-pour.html  ; C. Maia, « Affaire Al Mahdi : l’ordonnance de réparation de la CPI désormais définitive », https://reseau-multipol.blogspot.fr/2018/03/actu-affaire-al-mahdi-lordonnance-de.html, 10 mars 2018 [consulté le 01/04/2018].

[2] Il « constitue à la fois un mode de gestion des ressources disponibles pour la réparation et un mécanisme de solidarité. Il est ainsi chargé d’exécuter les ordonnances rendues par les chambres au profit des victimes lorsque le produit d’amendes, de biens confisqués ou d’ordonnances de réparation lui a été versé. Il peut par ailleurs, et de sa propre initiative, mener des activités et projets en faveur des victimes de crimes entrant dans la compétence de la Cour en utilisant d’autres ressources – contributions volontaires ou ressources allouées par l’assemblée des États parties [note omise] », H. Ascensio, « Les droits des victimes devant les juridictions pénales internationales », in Flauss J.-F. (dir.), La protection internationale des droits de l’homme et les droits des victimes, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 77-109, 96.

Il rejoint ainsi un mouvement qui sort du schéma dominant pour épouser une logique de solidarité ou d’assurance[1]. Il existe en effet certains fonds, tels que le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture[2] ou le mécanisme d’indemnisation des Nations Unies dans l’affaire irakienne et le fonds d’indemnisation établi par la convention européenne sur l’indemnisation des victimes de crimes violents de 1983[3] qui ne sont pas accolés à une juridiction internationale ni à une procédure juridictionnelle et à une déclaration de culpabilité ou responsabilité[4].


[1] Sur celui-ci : “there is no evidence in international or national law that there is a right to compensation, reparations, and redress other than as a consequence to the establishment of responsibility for the harm produced. Thus, the idealistic notion of providing compensation, reparations, and redress to a victim on the basis of human solidarity is not yet part of mainstream legal thinking, particularly in connection with criminal proceedings. Instead, we find this notion of human and social solidarity in social legislation that provides assistance to those in need and includes victims. However, within this legal context, the person who receives public assistance or support is not considered a victim as in the case of criminal and civil proceedings. Thus, an important distinction must be made between criminal and civil legal proceedings that are driven by the concept of responsibility as opposed to human and social solidarity reflected in social assistance and support programs that are driven by other considerations”, M. Cherif Bassiouni, “International Recognition of Victims’ Rights”, Human Rights Law Review, Vol. 6, No. 2, 2006, pp. 203-279, 206. Voir aussi : “The right to redress was often based on some concept of responsibility rather than human or social solidarity to victims of crimes against the collective entity”, ibidem, p. 207.

[2] Voir Nations Unies, reconstruire des vies : 25 ans de fonds de contributions volontaires des nations Unies pour les victimes de la torture, UN Publications, 2006, 196 p.

[3] M. Cherif Bassiouni, “International Recognition of Victims’ Rights”, op. cit., pp. 224 ss.

[4] « L’aide financière, apportée au même titre que l’aide humanitaire, psychologique, médicale sociale et juridique, par le fonds contre la torture n’est pas par exemple accompagnée d’allégations de torture. Ce fonds constitue un organe des Nations Unies administré par le Secrétaire général qui adopte les propositions de son Conseil d’administration, mais n’accompagne aucune juridiction. De la même façon, la Commission d’indemnisation des Nations Unies n’a pas pour objet de se prononcer sur la violation de règles de droit mais d’évaluer les préjudices qui découlent de l’occupation du Koweït par l’Irak. Son rôle n’est donc pas de trancher un différend en fonction d’une règle de droit, mais d’enquêter sur les pertes subies par des individus, des personnes morales, et des Etats, et d’évaluer leurs pertes, même si l’on ne peut nier que son mandat s’inscrit dans la droite ligne de la résolution 687 du Conseil de sécurité qui dénonce la responsabilité de l’Irak », F. Parodi, « Les fonds internationaux en faveur des victimes », op. cit., pp. 722-723. Voir aussi les tentatives en matière de terrorisme, notamment A/RES/49/185, 6 March 1995, Human Rights and terrorism, § 4 : « Requests the Secretary-General to seek the views of Member States on the possible establishment of a United Nations voluntary fund for victims of terrorism and to submit to the General Assembly as its fiftieth session, for its consideration, a report containing comments made by member States on the subject »; S/RES/1566 (2004, 8 octobre 2004, § 10 : “Demande en outre au groupe de travail créé en vertu du paragraphe 9 ci-dessus d’étudier la possibilité de créer un fonds international d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme et des membres de leur famille qui pourrait être financé par contributions volontaires, et dont les ressources proviendraient en partie des avoirs confisqués aux organisations terroristes, à leurs membres et commanditaires, et de lui soumettre ses recommandations ».

2.2.3.4. Les formes de réparation

La réparation susceptible d’être décidée par la CPI, à la demande des victimes ou de son propre chef dans des circonstances exceptionnelles, peut prendre la forme d’une « restitution », d’une « indemnisation » ou d’une « réhabilitation ».

Selon l’article 75 § 1, « La Cour établit des principes applicables aux formes de réparation, telles que la restitution, l’indemnisation ou la réhabilitation, à accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Sur cette base, la Cour peut, sur demande, ou de son propre chef dans des circonstances exceptionnelles, déterminer dans sa décision l’ampleur du dommage, de la perte ou du préjudice causé aux victimes ou à leurs ayants droit, en indiquant les principes sur lesquels elle fonde sa décision ». Voir également le § 2 précité.

Cette réparation peut être individuelle ou collective.

Voir Règle 97 § 1 du Règlement de procédure et de preuve : « Compte tenu de l’ampleur du dommage, de la perte ou du préjudice, la Cour peut accorder une réparation individuelle ou, lorsqu’elle l’estime appropriée, une réparation collective, ou les deux »[1].


[1] Ainsi, la Chambre de première instance I a décidé qu’elle pouvait accorder à la fois des réparations individuelles et collectives dans l’affaire Katanga. Voir C. Maia, « Affaire Katanga : la CPI ordonne des réparations individuelles et collectives au profit des victimes », https://reseau-multipol.blogspot.fr/2017/03/actu-affaire-katanga-la-cpi-ordonne-des.html [consulté le 01/04/2018].

2.3. Articulation des recours internes et internationaux contre les individus

  1. On l’a vu, la question de la mise en œuvre de la responsabilité pénale des criminels du IIIe Reich a fait l’objet d’une distribution entre les juridictions étatiques et le TMI à raison du champ d’action des criminels. Les solutions adoptées pour les TPI et la CPI sont très différentes.

2.3.1. Concurrence de compétences avec primauté des TPI

  1. La règle initiale pour les TPI, créés par décision du Conseil de sécurité, fut très différente et exceptionnelle.

En effet, en vertu de leur statut (article 9 TPIY et 8 TPIR), les deux TPI avaient une compétence concurrente avec les juridictions nationales. Toutefois, il était expressément énoncé qu’ils avaient primauté sur elles. A ce titre, à tout stade de la procédure, ils pouvaient demander aux juridictions nationales de se dessaisir en leur faveur.

En outre, l’article 10 TPIY et l’article 9 TPIR qui régissaient l’application du principe Non bis in idem précisaient, § 1, que nul ne peut être traduit devant une juridiction nationale s’il a déjà été jugé pour les mêmes faits par le TPI. En revanche, § 2, quiconque a été traduit devant une juridiction nationale peut être subséquemment traduit devant le tribunal dans plusieurs hypothèses :

– si le fait pour lequel il a été jugé était qualifié de droit commun (car il n’y a pas alors un même procès et donc applicabilité du principe non bis in idem) ;

– si la juridiction nationale n’a pas statué de façon impartiale ou indépendante ;

– si la procédure engagée devant elle visait à soustraire l’accusé à sa responsabilité pénale internationale ;

– si la poursuite n’a pas été exercée avec diligence.

En somme, ces tribunaux pouvaient juger dans ces 3 dernières hypothèses si cela n’avait pas été bien fait au niveau étatique pour défaillance ou manque de diligence, ce qu’appréciaient les tribunaux eux-mêmes. Toutefois, selon les termes du § 3, pour décider de la peine à infliger à un condamné, les tribunaux devaient tenir compte de la mesure dans laquelle cette personne a déjà purgé toute peine qui pourrait lui avoir été infligée par une juridiction nationale pour le même fait.

  1. Toutefois, le TPIY a instillé une logique de complémentarité là où le statut lui permettait la primauté générale, le TPI décidant de juger les responsables des crimes les plus importants et laissant les autres affaires aux juridictions nationales, mais tout en gardant le contrôle et la possibilité de faire venir ou revenir l’affaire devant lui.

Il restait donc le maître de ce jeu d’articulation. On ne lui a pas donné compétence exclusive pour certains crimes, mais la faculté de se saisir de ceux qu’il voulait et de dessaisir par conséquent les juridictions nationales sauf retour. Il avait en la matière un pouvoir discrétionnaire qu’il utilisa dans le cadre du principe d’opportunité des poursuites.

2.3.2. Concurrence de compétences et complémentarité avec la CPI

  1. Le statut de la CPI a abordé la question de l’articulation des contentieux étatiques et internationaux, non en termes de compétence mais de recevabilité, pour consacrer un nouveau modèle, celui d’une concurrence de compétences mais avec jeu du principe de complémentarité. En effet, la CPI ne peut connaître d’une affaire que si les autorités étatiques ne peuvent ou ne veulent pas en connaître, mais sans qu’elle puisse attraire à elle des affaires susceptibles d’être jugées par les tribunaux étatiques.

La logique d’articulation est donc radicalement différente de ce qu’on vient de voir au sujet des TPI et juridictions nationales.

  1. En effet, en vertu de l’art. 17 § 1 de son Statut relatif aux questions relatives à la « recevabilité » (qui traite en outre de la gravité des crimes), la compétence de la CPI n’est que complémentaire par rapport à celle des tribunaux nationaux. Selon ses termes, une affaire portée devant elle est irrecevable – et non peut-être déclarée irrecevable – lorsque a) elle fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la part d’un Etat ayant compétence en l’espèce, à moins que cet Etat n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites ; b) si elle a fait l’objet d’une enquête de la part d’un Etat compétent et que celui-ci a décidé de ne pas poursuivre la personne concernée, à moins que cette décision ne soit l’effet du manque de volonté ou de l’incapacité de l’Etat de mener véritablement à bien des poursuites ; c) la personne concernée a déjà été jugée pour le comportement faisant l’objet de la plainte, et qu’elle ne peut être jugée par la Cour en vertu de l’article 20, paragraphe 3 qui énonce le principe non bis in idem[1].

[1] Article 20, intitulé Ne bis in idem : « 3. Quiconque a été jugé par une autre juridiction pour un comportement tombant aussi sous le coup des articles 6, 7 ou 8 ne peut être jugé par la Cour que si la procédure devant l’autre juridiction : a) Avait pour but de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour des crimes relevant de la compétence de la Cour ; ou b) N’a pas été au demeurant menée de manière indépendante ou impartiale, dans le respect des garanties d’un procès équitable prévues par le droit international, mais d’une manière qui, dans les circonstances, était incompatible avec l’intention de traduire l’intéressé en justice ». Notons qu’il y a symétrie avec le paragraphe 2 : « Nul ne peut être jugé par une autre juridiction pour un crime visé à l’article 5 pour lequel il a déjà été condamné ou acquitté par la Cour ».

  1. La Cour intervient bien seulement en complément des juridictions nationales qui conservent leur compétence, pour combler les défaillances de celles-ci. Elle ne peut s’y substituer comme pouvaient le faire les TPI.

Rappelons également que la Cour n’est compétente que pour les crimes les plus graves, laissant une compétence exclusive aux juridictions nationales pour les autres.

Il y a donc une présomption d’irrecevabilité et donc une présomption en faveur de la compétence des juridictions nationales[1]. C’est donc une logique inverse de celle de la pratique des TPI où ce sont les juridictions nationales qui étaient conçues comme éventuels compléments des tribunaux.


[1] En ce sens, F. Lattanzi, “Concurrent Jurisdictions between Primacy and Complementarity”, op. cit., p. 190.

  1. Cela dit, ce schéma conduit, théoriquement, à confier un droit de regard à la CPI sur le fonctionnement des systèmes pénaux étatiques puisque c’est à elle d’apprécier si un système obéit aux standards internationaux posés[1]. En outre, dans la pratique, le Procureur se donne une marge d’action en entamant, avant d’enquêter sur une affaire et même une situation, un dialogue avec les juridictions nationales compétentes et intéressées par l’ouverture d’une poursuite.

[1] Voir notamment #CPI, Appeals Chamber 24 July 2014, Prosecutor v. Saif Al-Islam Gaddafi and Abdullah Al-Senussi, Judgment on the Appeal of Mr Abdullah Al-Senussi against the Decision of Pre-Trial Chamber I of 11 October 2013 entitled “Decision on the Admissibility of the Case against Abdullah Al-Senussi”, Case No. ICC-01/11-01/11-565 où la Chambre d’appel aurait considéré, confirmant le jugement de la chambre d’instance, que les procedures internes n’avaient pas été conduites de manière indépendante et impartiale et ne correspondaient pas à une tentative de poursuivre la personne en justice.

En ce sens, le principe de complémentarité a pu être considérée par certains auteurs comme un instrument, peut-être le plus important, de la Cour comme « chienne de garde » des Etats, bien que dans un climat de défiance. Il en résulterait un retournement de perspective : loin de constituer un instrument de primauté de la justice étatique face à la justice internationale, il serait un outil à la disposition de celle-ci pour pousser les Etats à la vertu s’ils veulent éviter la mise en œuvre de sa compétence[1], ce qui se serait vérifié[2].


[1] F. Jessberger & J. Geneuss, “The Many Faces of the International Criminal Court”, Journal of International Criminal Justice, Vol. 10, 2012, pp. 1081-1094, 1087-1088: “The second function we want to present here, relates to the role of the ICC as ‘watchdog’ (H. Olásolo, « The Triggering Procedure of the International Criminal Court. Procedural Treatment of the Principle of Complementarity and the Role of the Prosecutor », International Criminal Law Review, Vol. 5, 2005, pp. 121-146, at 137). In our view, this is probably the true role and merit of the ICC: One key purpose between the Court and the states is to push states parties to comply with their international obligation erga omnes to investigate, prosecute and punish perpetrators of international crimes. This way, the ICC’s goal is to indirectly contribute to putting an end to the impunity and the prevention of international crimes. In Cassese’s words […], the Court is intended to constitute a powerful incentive to national courts to institute proceedings against alleged criminals. […] while the ICC in its function as a criminal court determines individual criminal responsibility, as a ‘watchdog’ court’ it is concerned with ‘responsibility’ of states – not for the international crimes, but for the obligation to react once such crimes have been committed” (A. Cassese, « A Big Sep Forward for International Justice », Crimes of War Magazine, December 2003). “The ‘watchdog’ function is unique to the ICC, and there is no historical model. It is rooted in both, the permanency of the Court and its only complementarity competence vis-à-vis its states parties. While states have consented to the principle of complementarity, they presumably thought of it only as a mechanism that would preserve the primacy of their own national legal systems. As it turns out, however, while the principle of complementarity indeed assigns formal primacy to investigate, prosecute and punish to states it allows for the ICC to monitor states’ prosecutorial actions to assess their effectiveness and genuineness, and to determine whether a state has or has not failed to adequately comply with its obligations under international law”; p. 188: “Ultimately, it follows from the complementarity regime that whenever the ICC intervenes and opens a formal investigation this entails the allegation that a state is in breach of its erga omnes obligations [sauf renvoi par lui-même]. The ICC’s possible intervention looming over the affected states’ reputation serves as a tool to trigger domestic prosecution and is a ‘catalyst for compliance’ (J.K. Kleffner, Complementarity in the Rome Statute and National Criminal Jurisdiction, Oxford University Press, 2008, 309 s.). From this perspective, the complementarity principle allows for a strategy of ‘naming and shaming’ in order to enforce the obligation to punish perpetrators of international crimes. The fact that intervention of the ICC, which, however, is directed only against the individual offender, is seen as an action against the state has also been emphasized by Cassese who states: ‘[T]he mere fact that investigations are launched and suspects or accused persons are named may “she” states enough to prompt them to initiate proper investigations and prosecutions themselves, thus adhering to and putting into effect the principle of complementarity, albeit in a more “aggressive” form’ (A. Cassese, “Reflections on Current Prospects”, in V. Stuart and M. Simons, The Prosecutor and the Judge: Benjamin Ferencz and Antonio Cassese. Interviews and Writings, Amsterdam University Press, 2009, at 173)”; p. 1089: The Court “therefore is in the position not only to monitor but also to predetermine the states’ entire prosecutorial policy (Similarly, A.K.A. Greenawalt, “Justice Without Politics? Prosecutorial Discretion and the ICC”, New York University Journal of International Law and Politics, Vol. 39, 2007, pp. 583-673, at 629 et seq.)”.

[2] F. Jessberger & J. Geneuss, « The Many Faces of the International Criminal Court », Journal of International Criminal Justice, Vol. 10, 2012, pp. 1081-1094, 1093: “As a ‘watchdog court’ the ICC presumably has the greatest impact so far – one reason for this ‘success’ being that the “System ICC’ should assume the ‘watchdog’ role even before the Court was fully operational. Although the Statute does not establish any obligation to do so, several states have taken the opportunity and implemented international crimes into their domestic legal order. In view of the principle of complementarity, these states have considerably improved their prospects of prosecuting their own nationals for international crimes and preventing an intervention by the Court Thus, the ICC by its mere existence has changed the landscape of international criminal justice not only at the universal, but also, and perhaps primarily so, at the national level”.