Introduction aux droits africains et au pluralisme juridique en Afrique

Pour citer : J. Matringe, « Introduction aux droits africains et au pluralisme juridique en Afrique », http://droitsafricainsonline.com/themes/droits-africains-et-pluralisme-juridique-en-afrique/1-introduction-aux-droits-africains-et-au-pluralisme-juridique-en-afrique/, à jour au 01/12/2023

« Le droit d’un pays africain se compose d’éléments venus de strates culturelles diverses, qu’un Européen considère comme contradictoires et apparemment incompatibles. Les vicissitudes historiques de ces pays ont créé cette réalité imprévisible, qui ne correspond à aucun programme préalablement prévu et établi par un pouvoir ou par une initiative humaine. Une fraction de la vie de l’Africain procède de façon comparable à celle de l’Européen, une fraction de ses relations est réglée comme s’il n’existait ni un législateur, ni un juriste, ni un pouvoir politique centralisé. […]. L’Afrique est un pays interculturel. Des éléments venant des cultures traditionnelles vivent en opposition, et en même temps s’entremêlent, à des apports venant des religions du Livre et à d’autres composantes venant de l’Europe »1.

L’état du droit et sa pratique en Afrique résultent en effet de l’entremêlement de plusieurs conceptions du droit qui se manifestent en une pluralité d’univers normatifs notamment juridiques, mais également religieux, traditionnels, moraux ou philosophiques qui entretiennent entre eux des relations ambivalentes.

Au sein même de l’univers normatif dit juridique, il existe en Afrique un phénomène qu’on appellera pluralisme juridique qui consiste en l’applicabilité simultanée à une personne, relation ou situation de plusieurs systèmes juridiques de fondements différents.

Les auteurs se concentrent généralement sur la dichotomie entre droits coutumiers et/ou traditionnels, d’une part, et droit étatique – moderne et largement inspiré du droit de l’Etat colonisateur-, d’autre part2. A cette dichotomie3, il faut ajouter le droit international (soit qu’il soit également applicable à untelle personne, relation ou situation, soit qu’il intervienne dans un pluralisme déjà existant sur le territoire d’un Etat), sans omettre de faire la part, quand cela est possible, entre droits « originellement » africains, et droits religieux.

1. La diversité des droits

L’adage est bien connu ; Ubi societa ibi jus : partout où il y a une société, il y a du droit pour l’organiser, la maintenir, voire la développer4. Cependant, toute norme et toute institution chargée de la mettre en œuvre sont-elles du droit ?

1.1. Pour une définition compréhensive du droit

  1. Il n’est pas nécessaire, ni même possible, de définir précisément ce qu’est le droit ; trop de siècles ont passé sans qu’aucune réponse ne fasse consensus5. Il faut toutefois qu’on se comprenne et convienne d’un sens à utiliser dans le cadre des développements qui vont suivre. On appréhendera ici le droit de manière compréhensive en disant qu’il s’agit d’un ensemble de normes et institutions qui régissent une collectivité d’individus qui le « perçoivent » comme leur interdisant certains comportements, leur autorisant ou habilitant d’autres ou encore les obligeant à d’autres encore.
  2. Pour cerner ce qu’est le droit de la manière la plus simple, il faut en effet partir de ce que le sens commun perçoit comme étant une manifestation quotidienne du droit : la réglementation de la conduite d’une ou plusieurs personnes6. Cela passe nécessairement par l’édiction de normes obligatoires dont il s’agit de garantir le respect au moyen d’institutions organisées.

1.1.1. Sur l’existence de critères d’identification du droit par rapport aux autres normativités sociales

Cependant, une définition dominante aussi générale peut recouvrir un très grand nombre de réalités normatives comme la religion, la morale ou encore le jeu. Beaucoup de penseurs ont donc voulu établir et/ou démontrer que le droit avait une spécificité et sont partis à la recherche d’un critère qui le distinguerait de ces autres réalités normatives.

1.1.1.1. Les critères « formels »

Pour certains, ce critère serait dans la constitution et le fonctionnement du droit. Celui-ci se démarquerait des autres modes de régulation sociale comme la religion et la morale par le fait que les différends y relatifs et les éventuelles rétributions affectant les comportements interdits sont gérés par des personnes humaines sur terre et non par d’autres autorités dans un autre univers, un monde au-delà, ou le for intérieur des individus, leur conscience. En somme, le critère de la juridicité tiendrait dans l’existence de sanctions ou dans sa justiciabilité. Ces deux types doctrines peuvent conduire à la négation de la qualité de droit à certains systèmes normatifs qui ont existé et existent encore en Afrique. L’étendue de notre recherche étant en jeu, il faut y consacrer quelques mots ainsi qu’à la théorie de H.L.A. Hart sur la combinaison de normes primaires et secondaires.

1.1.1.1.1. Sur l’exigence d’une sanction
  1. Dans le sens de cette exigence, on peut notamment citer Thomas Hobbes. Dans Le citoyen, celui-ci affirme que les pactes d’une confiance mutuelle où il y a une confiance réciproque et dont l’exécution se fait par accomplissement de promesse sont invalides en l’état de nature et non dans celui de la société civile. En effet, selon lui, une des parties a un juste sujet de crainte ; elle s’expose à la mauvaise foi de son cocontractant. Or on ne peut pas raisonnablement demander à quelqu’un d’exécuter le premier son engagement s’il apparaît que les autres ne le feront pas de leur côté. Or, c’est à celui qui craint de juger de cette possibilité. Il en va différemment dans l’état de la société civile où il y a des personnes qui peuvent contraindre les réfractaires et où celui qui s’est obligé par contrat à commencer peut le faire hardiment parce que l’autre étant exposé à la contrainte, il n’a plus de raison de craindre qu’il n’exécutera pas son engagement7. Plus loin, il affirme que la loi civile comprend toujours deux parties, l’une distributive, l’autre vindicative ou peinaire8 et que « ce serait en vain que l’on voudrait établir [l]e bon ordre, si l’on ne faisait appréhender des peines à la désobéissance ; et par conséquent, la loi aurait peu d’effet, si elle ne comprenait l’une et l’autre parties, celle qui défend de commettre des offenses, et celle qui punit ceux qui les commettent. La première, que je nomme distributive, enferme une défense, d’où, […], elle se peut dire prohibitoire et parle à tous en général. La seconde qu’on nomme vindicative, et qui ordonne des peines, porte un commandement particulier aux officiers et ministres de la justice »9. En somme, à toute loi il faut sous-entendre une peine appropriée : « la loi serait nulle, si elle pouvait être impunément violée »10.
  2. De même, dans son ouvrage L’état de guerre, J.-J. Rousseau écrivit : « Quant à ce qu’on appelle communément le droit des gens, il est certain que, faute de sanction, ses lois ne sont que des chimères plus faibles encore que la loi de nature. Celle-ci parle au moins au cœur des particuliers au lieu que, le droit des gens n’ayant d’autre garant que l’utilité de celui qui s’y soumet, ses décisions ne sont respectées qu’autant que l’intérêt les confirme »11.
  3. C’est le cas encore de Burlamaqui. Celui-ci, cependant, ne se contente pas des sanctions naturelles même accompagnées de celles prévues par les hommes pour donner de véritables lois. Il faudra finalement chercher ailleurs que dans la vie présente12. Son acception du droit est donc plus large et permettrait de ne pas limiter le champ du droit au droit étatique, mais au contraire d’embrasser les droits dits religieux et originellement africains qui font une large place aux sanctions sacrées.
  4. Il faut surtout s’arrêter sur John Austin (1790-1859), tenu pour un des pères du positivisme juridique qui est la doctrine dominante dans le monde. L’auteur articule sa théorie du droit (Jurisprudence) sur trois concepts qui n’en font en réalité qu’un seul. Tout d’abord, le commandement. Celui-ci est la signification d’un désir. Cependant, il se distingue des autres significations du désir par le pouvoir et le but de la partie qui l’exprime d’infliger un mal ou une peine au cas où celui-ci n’est pas observé. Si celui qui exprime un désir ne peut pas ou ne veut pas faire du mal à celui qui ne s’y conforme pas, l’expression de son vœu n’est pas un commandement. En revanche, s’il peut et veut faire du mal au cas où le destinataire de son vœu ne se conforme pas à celui-ci, l’expression de son vœu correspond à un commandement13. Quant à la signification du terme devoir, il écrivit : encourant un mal de votre part si je ne me conforme pas au vœu que vous exprimez, je suis lié ou obligé par votre commandement, ou j’ai devoir de lui obéir. Et si, malgré ce mal en perspective, je ne me conforme pas au vœu que vous exprimez, je suis considéré comme désobéissant à votre commandement ou comme violant le devoir qu’il impose. Quant à la sanction, elle est le mal qui sera vraisemblablement subi au cas où un commandement n’est pas respecté ou un devoir violé. Ainsi un commandement ou un devoir est dit sanctionné par le risque d’endurer un mal. Il faut donc une sanction, même si celle-ci est faible et si les chances qu’elle soit infligée sont limitées, pour qu’existe un devoir et un commandement14. Ainsi, les idées ou notions comprises par le terme « commandement » sont au nombre de 3 : 1. Un vœu ou désir conçu par un être rationnel qu’un autre être rationnel doit faire ou s’abstenir de faire quelque chose ; 2. Un mal à mettre en œuvre par le premier et à subir par le second au cas où celui-ci ne se conformerait pas au vœu ; 3. L’expression ou manifestation du vœu par des mots ou autres signes. En somme, selon l’auteur, commandement, devoir et sanction sont des termes liés de manière inséparable : chacun embrasse les mêmes idées que les autres bien que chacun les appréhende sous un angle différent. Chacun est le nom de la même notion complexe. C’est sur le fondement de tels présupposés que J. Austin dénia la qualité de droit à ce qu’on appelait droit international : puisque aucun gouvernement suprême n’est en état de sujétion à l’égard d’un autre, celui qui commande ne commande pas en tant que supérieur hiérarchique ou souverain. Son commandement est donc une simple règle de « moralité positive », pas une règle de droit proprement dite. Le droit international n’est donc pas du droit proprement dit. Et si un Etat peut en effet causer un mal à un autre au motif qu’il aurait violé le droit, il ne s’agirait pas d’une sanction proprement dite car il ne serait pas l’agent d’exécution d’un commandement de l’ensemble des Etats. Il n’est pas dans la position d’un agent nommé par une entité supérieure pour exécuter les commandements qu’elle édicte. Le droit international n’est pas armé de sanctions et n’impose pas de devoir au sens propre de ces termes parce qu’une sanction proprement dite est un mal annexé à un commandement15 et parce qu’une loi positive est instituée par un souverain vers une ou plusieurs personnes en état de sujétion à l’égard de leur auteur. Les devoirs que le droit international impose sont exécutés au seul moyen de sanctions morales, la peur des nations ou souverains de provoquer une hostilité générale et d’encourir des maux probables au cas où ils violent des maximes généralement reçues et respectées16. Il existe donc bien des règles qui sont appliquées entre les Etats mais ce sont des règles morales, non juridiques.
  5. C’est d’ailleurs cette approche du droit comme un commandement d’un souverain à un subordonné sous la menace d’un mal qui a été retenue pour inspirer la pensée juridique occidentale pour fonder la colonisation : faute d’avoir trouvé en Afrique une autorité qui ressemblait à nos souverains, les colonisateurs et la plupart des positivistes de l’époque ont refusé aux normativités applicables en Afrique la qualité de droit, justifiant derechef la colonisation, les terres découvertes étant occupées par des gens non civilisés.
  6. La théorie de Austin et surtout sa postérité suscitent différentes questions17. En particulier, dans le cadre dessiné par l’auteur, les positivistes exigent un mécanisme particulier de sanction, celui qu’on connaît en droit étatique et permis par une distribution hiérarchique du pouvoir juridique d’utiliser la contrainte matérielle contre le contrevenant. Or, si cela est vrai, cela risque de laisser hors du champ du droit un certain nombre de normativités qui ne sont pas fondées sur une sanction matérielle comme les droits dits religieux qui en appellent à une sanction immatérielle et dans l’au-delà. Cela exclurait également les droits originellement africains qui, s’ils connaissaient la sanction, cherchaient avant tout à éviter celle-ci au profit du rétablissement de la paix dans la communauté ou entre communautés. On y reviendra, cette conception du droit a été biaisée par la considération que seul l’Etat peut sanctionner (excepté ses pairs) de sorte que le seul droit serait le droit étatique. Cette réduction au droit étatique pose problème car oublie qu’il peut exister des mécanismes de sanction et de coercition non étatiques.
  7. D’autre part, c’est l’exigence d’une sanction comme condition du droit qui pose problème. Il n’est pas sûr, d’une part, que le droit exige une sanction et, d’autre part, que seul le droit exigerait une sanction18.
  8. Un des juristes les plus importants du XXe siècle, Hans Kelsen, exigea également, pour identifier le droit l’existence d’un commandement assorti d’une sanction. La sanction est même plus importante que l’obligation, tout le droit pouvant s’écrire sous forme de règles de sanction. Selon lui, « Tout droit est, par sa nature même, un ordre de contrainte ». Confronté lui aussi à l’énigme du droit international, il a préféré, contrairement à Austin, élargir la notion de sanction jusqu’au pouvoir des Etats de se faire justice eux-mêmes19. Cette dilution de sanction aux mécanismes de justice privée sans médiation d’une autorité tierce a pu être critiquée par certains auteurs (notamment C. Leben). Peu importe ici. Ce qui nous intéresse est que si la sanction exigée ne requiert par une organisation hiérarchique du pouvoir mais peut être décentralisée, Kelsen accepterait certaines normativités applicables en Afrique comme des droits, contrairement à Austin.
1.1.1.1.2. Sur la justiciabilité

Un autre courant de pensée substitue au critère de la sanction le critère de la justiciabilité20.

  1. Ainsi, pour Charles Leben, une relation sociale est juridique, non pas parce qu’elle relève d’un commandement assorti d’une sanction, mais parce que les êtres qui y concourent savent qu’en cas de litige une solution peut être trouvée en la soumettant à un tiers désintéressé et impartial ; se fondant sur les écrits de Kantorowicz et Kojève21, il écrit : « Le droit y est défini comme un système de règles « justiciables », c’est-à-dire un système de relations entre sujets ou entre sujets et détenteurs du Pouvoir ou entre détenteurs du Pouvoir eux-mêmes, susceptibles, en cas de litige sur la signification de la relation et ses conséquences, de faire l’objet d’une décision par un tiers « désintéressé et impartial » habilité par le système à exercer la fonction de jurisdictio »22. A l’instar de Austin au sujet de la sanction, l’auteur précise au sujet de la justiciabilité : « Il faut souligner qu’elle désigne une potentialité : la possibilité pour certaines règles, selon la croyance des acteurs du système, de faire l’objet d’un jugement par un tiers. Cela signifie que cette potentialité peut ne pas être réalisée à un moment donné de l’histoire, dans un système particulier, pour une catégorie de règles données. Cela n’enlève pas à ces règles leur qualité juridique, si elles sont perçues comme justiciables »23.
  2. En ce sens également, J. Carbonnier y voit le moins mauvais critère d’identification de la juridicité : « On sait combien il est difficile de définir la règle de droit par opposition à la règle de mœurs, ou plus largement le juridique en face du social non juridique. Or, il se pourrait bien qu’en dernière instance, la définition la moins improbable fût encore celle-ci : qu’est juridique ce qui est propre à provoquer un jugement, ce qui est susceptible de procès, justiciable de cette activité très particulière d’un tiers personnage que l’on appelle arbitre ou juge. Mais de ce que la possibilité toujours latente d’un procès soit inhérente à la notion de juridique, il ne s’ensuit pas que la réalité du droit se confonde avec le contentieux »24.
  3. Cette doctrine paraît avoir une épaisseur historique supérieure à celle qui exige une sanction. L’ethnographie semble en effet nous enseigner que la figure du « juge » a précédé les figures du « législateur » et du pouvoir exécutif et que les premiers systèmes juridiques – et certains encore -, s’ils ont pu se passer d’un organe chargé d’édicter des normes générales assorties de sanction et d’un organe sanctionnateur, n’a pas pu se passer d’une personne ou d’un organe chargé de régler les différends entre les personnes. Cela dit, la jurisdictio peut comprendre l’infliction d’une peine…
  4. Pourvu que les exigences concernant l’entité habilité à régler les différends ne soient pas trop précises, une telle conception permettrait d’englober beaucoup de normativités applicables en Afrique que l’approche étatiste refuserait. En effet, une relation justiciable du chef de famille, du chef de village ou du chef religieux serait bien une relation juridique.
1.1.1.1.3. Sur le droit comme combinaison de normes primaires et secondaires
  1. D’autres auteurs voient dans le droit une combinaison de normes primaires et secondaires, à la suite de H.L.A. Hart, un des penseurs majeurs du droit de la deuxième moitié du XXe siècle25. Sans entrer dans les détails, selon l’auteur, un ordre juridique est composé de deux types de règles : des règles primaires qui constituent des règles de comportement à l’adresse des sujets : ce qu’ils peuvent faire, doivent faire ou ne doivent pas faire ; des règles secondaires qui sont des règles relatives aux règles primaires. Ces dernières sont de trois sortes : certaines déterminent comment on crée et reconnaît les règles primaires (règles de reconnaissance) ; certaines comment on change celles-ci et enfin d’autres comment on les applique en cas de litige (rules of adjudication).
  2. En réalité, Hart considère qu’il peut exister un système juridique seulement doté de règles primaires. Ce système constituerait une forme élémentaire de la vie sociale, mais qui présenterait trois grands défauts : 1° l’incertitude quant à l’existence ou non d’une règle et quant à son éventuel contenu, faut de règle de reconnaissance ; 2° le caractère statique du système puisqu’il n’y a pas de procédure de changement des règles qui ne peut donc se faire que par un long processus de changement de la société et de ses règles ; 3° l’inefficacité du droit faute de sanction organisée en cas de violation des règles ou de décision permettant le règlement des conflits : la sanction dans ces systèmes est soit la pression sociale soit l’opinion individuelle de chaque personne qui se fera justice elle-même. Hart considère que la présence de ces défauts amène nécessairement à l’apparition de règles secondaires pour pallier ceux-ci. En effet, pour remplir son objet de réglementer les conduites, le droit doit organiser lui-même cette réglementation. Il faut en effet tout un arsenal de techniques ou outils pour que le droit puisse réaliser son objet26. Ce serait ici que le droit peut être distingué d’autres ordres normatifs tels que la morale, la religion, la force, l’éthique ou le jeu27.
  3. On peut certes critiquer cette idée d’une société composée de seules règles primaires. Tout système social semble avoir connu, de manière plus ou moins sophistiquée, à côté de règles primaires, un minimum de règles secondaires. D’ailleurs, Hart écrit lui-même que si on peut imaginer une société sans législateur et sans exécutif, il est quasiment impossible d’imaginer une société sans une forme de juge, c’est-à-dire sans la possibilité pour des personnes en conflit de voir leur différend tranché. Où il y aurait donc au moins des « règles d’adjudication » et où on revient à l’idée que ce serait la justiciabilité qui définit le droit. En outre, les systèmes coutumiers connaissent des règles relatives à la reconnaissance, à la modification et à la fin des règles coutumières et certainement des règles relatives aux accords entre individus.
  4. Cela dit, l’intérêt d’un tel « concept de droit », en ce qu’il n’exige pas de qualités particulières à ces normes secondaires, est de couvrir un très large champ de champs normatifs mêmes étrangers à la logique du droit étatique (ainsi admet-il que le droit international, rudimentaire, est bien du droit malgré les trois défauts répertoriés, oubliant ce faisant qu’il est doté des trois types de normes secondaires qu’il a identifiées).

  1. D’une manière générale, on a du mal à trouver quelque chose dans les éléments avancés dans ces trois courants de pensée qui soit propre au droit et qu’on ne trouverait nulle part ailleurs. En tout état de cause, rien ne semble interdire de dépasser la contemplation du seul modèle du droit étatique, lequel n’épuise pas les différents types de droits, au risque sinon de délaisser trop de phénomènes dont on verra qu’en pratique ce sont eux qui gouvernent réellement les relations sociales en Afrique comme dans bien d’autres régions du monde28.

1.1.1.2. Les critères matériels

  1. Le droit ne se caractériserait pas ici par l’édiction autoritaires de règles de conduites qu’il s’agirait de faire observer au moyen de la menace de sanction ou de la justiciabilité. Le droit ne se définirait pas par ses techniques, mais par son objet ou sa finalité.
  2. Dans le premier sens, il serait la mesure du partage des biens de chacun. M. Villey écrit ainsi que c’est ce qu’on trouve chez Aristote, dans l’Ethique à Nicomaque et chez la plupart des philosophes et juristes à Rome : le rôle du droit serait d’attribuer à chacun le sien, de répartir les biens (Sum cuique tribuere). L’essence du droit est la bonne proportion dans le partage des biens entre les membres d’une collectivité29. Ainsi, pour M. Villey, c’est le fond et non la technique formelle qui définit le droit. Une norme ou un jugement n’ont pas pour fonction de commander l’action des individus, mais « ont pour fonction d’indiquer la part de chacun : telle chose, telle dette est à x relativement à y. Mesure de justes rapports sociaux »30. En somme, plus que prescrire ce qui « doit-être », le juge dit ce qui « est », partage : il « a pour fonction d’attribuer à chacun des plaideurs sa part. Le droit est affaire d’attribution, ou de « distribution » de biens, dettes, honneurs, fonctions publiques, compétences, sphères d’activité, disputés devant quelque tribunal. Il est le lieu par excellence où s’exerce cette activité, la « justice distributive », dont la « justice commutative » n’est qu’une dépendance »31.
  3. Toutefois, on peut être gêné par le caractère individualiste de cette vision qui fait fi des collectivités et donc relèguerait hors du droit un certain nombre de phénomènes normatifs très répandus dans le monde, en particulier en Afrique. D’autre part, cette grille ne paraît plus applicable à nos systèmes actuels. Comme le souligne M. Villey lui-même : « le droit est l’art du partage … il n’a pas trait à toutes sortes de choses, mais seulement aux choses “extérieures” partageables (il ne touche qu’au monde de ‘l’avoir’, non pas au déploiement de ‘l’être », pas aux plus nobles aspirations ni aux libertés de la “personne humaine”) ; … le droit trouve à s’exercer dans certaines opérations, les distributions, les échanges ; […] on ne saurait le déduire d’une idée abstraite de la nature de l’homme », non plus de la seule volonté d’un Etat soi-disant « souverain »32. Or, nos systèmes modernes et beaucoup de systèmes volontiers qualifiés de « primitifs », notamment africains, s’intéressent à bien d’autres choses qu’au simple partage des biens.
  4. Pour d’autres ce critère serait dans la finalité du droit, qui lui est toujours étrangère. Ce peut être le bonheur33, la justice34, l’équité, l’ordre social, la paix au sens de coexistence pacifique des membres d’une société35, le bien commun, etc. Certains auteurs ne retiennent qu’une finalité, d’autres en combinent36. Les doctrines en ce sens sont très anciennes. Selon l’acception qu’on se fera de ces finalités, on englobera ou non telle ou telle normativité.
  5. Pour certains, ce sera la « prévisibilité » du mode de gestion des comportements sociaux qui permet une normalisation des conduites : « Le phénomène juridique apparaît au moment où une autorité de fait soumet les activités sociales, y compris les siennes, à un mode réglé et prévisible, et « normalisé » les conduites des éléments composants de la Collectivité »37. Une telle définition pourrait embrasser un grand nombre de normativités non étatiques applicables dans le monde et en Afrique.
  6. Ces doctrines ont cependant été très fortement critiquées sur plusieurs points. L’exclusion des finalités du droit comme critères de distinction de celui-ci est ainsi souvent motivée par la multiplicité des fins que la doctrine a attribué au droit sans qu’aucune n’emporte la conviction. Il en découlerait une impossibilité pour affirmer que le droit poursuit une finalité particulière. Est également dénoncée la relativité de ces finalités et des valeurs qu’elles portent.

1.1.2. La définition extensive retenue ou le droit comme « perception »

  1. Pour distinguer le droit d’autres systèmes normatifs, nous avons voulu poser ci-dessus, sans rejeter les critères formels, l’exigence qu’il y a droit s’il y a « perception » par les personnes contemplées par les normes et institutions que ces dernières sont du droit. Certes, nous trouvons généralement plutôt avancée l’idée d’acceptation, notamment au sujet du phénomène « coutumier ». Cependant, celle-ci ne semble pas convenir, laissant supposer qu’une personne n’est liée que ce par quoi elle a consenti. Il s’agirait certes de la réalisation de l’idéal démocratique et du caractère autonormateur du droit. Cependant, on ne croit pas qu’existe et ait existé un seul système reposant sur une seule logique de l’acceptation. Il semble devoir en aller de même si, regardant au-delà de la personne, on contemple les collectivités. En effet, si on prend un minimum au sérieux les études faites dans tout ordre juridique, y compris sur les « coutumes » ou droits « coutumiers », on observe qu’une bonne partie des normes et autorités d’un système juridique sont considérées par leurs sujets comme s’imposant à eux sans qu’il y ait de leur part aucune « acceptation » (autre que celle de rester dans le système). L’obligation peut être d’origine juridique ou non, peu importe ; il reste qu’il y a un sentiment, une perception, qu’il s’agit d’une contrainte juridique.
  2. Dans un sens voisin, certains auteurs ont pu faire appel à la notion de conscience juridique38, à celle de croyance39, à celle de reconnaissance40, à celle de représentation41. D’ailleurs, même Hans Kelsen, tout normativiste qu’on le dise, nous semble accepter cette approche subjective du droit dans plusieurs de ses écrits où il assimile la validité à l’efficacité42.
  3. Bien sûr, on verra qu’une telle approche du droit qui ne voit pas dans celui-ci un phénomène purement objectif mais en partie subjectif pose d’infinis problèmes43 dont le plus important est celui de la reconnaissance face à un phénomène social de ce qui est du droit et de ce qui n’en est pas, mais relève par exemple de la morale ou de la religion. De même, cette subjectivité du droit peut évidemment conduire à des solutions contradictoires sur l’existence d’un droit. Ainsi les Etats européens refusèrent-ils un temps de reconnaître les droits originellement africains, voire le droit musulman, comme du droit alors que les populations les percevaient comme tel. Cette subjectivité peut également conduire au résultat que, sur des fondements différents, un droit pourra être reconnu comme tel par sa propre société et par un système différent44.

1.2. Le droit comme projet social

  1. Commandant, interdisant, autorisant ou habilitant certains comportements, tout droit est nécessairement l’expression d’un ordre ou projet social dont il assure le maintien et la stabilité45. Il est lui-même une pratique sociale46 produite par la culture et l’histoire de la société qu’il a vocation à structurer et régir en partie (car il ne s’intéresse pas à tout) et qui participe à la formation d’une « culture juridique »47. Il en résulte qu’il ne peut être compris sans étudier son contexte idéologique, culturel, social, religieux, linguistique ou encore économique48, mais doit être interprété selon ces mêmes données et les valeurs qui gouvernent la collectivité considérée49. Dit autrement, aucun droit existe indépendamment de la culture de la société qui l’édicte, l’interprète et l’applique, constituant lui-même un élément parmi d’autres de cette culture50.

Cela dit, par un phénomène de récurrence, le droit participe à la fabrique de cette société et de cette culture51.

  1. On le sait depuis longtemps52, le droit étant une production d’une culture sociale et les sociétés étant différentes, il existe une très grande diversité de droits compris comme modes d’organisation de la société53. Nous connaissons bien le droit étatique et le droit international ; on verra qu’on peut en identifier d’autres. Les différences tiennent notamment dans l’identité de l’auteur des règles et des autorités (une entité surhumaine, la raison, les sages, les anciens, les membres de la collectivité, l’Etat, etc.) ; dans la teneur des règles de conduite (ici, l’homosexualité est tolérée ; là, elle est expressément reconnue ; là encore, elle est interdite et ailleurs pénalement répréhensible) ; dans leur mode réalisation (existence ou non d’un juge spécialisé, caractère subsidiaire ou non de son office par rapport à d’autres modes de règlement des différends ; recours à la justice privée ou non, etc.) et dans l’architecture de la société.

2. Les rencontres et emprunts entre droits

  1. Cependant, les sociétés et cultures peuvent se rencontrer et se sont toujours rencontrées, partout dans le monde54. Tel fut pendant des siècles – et reste – le cas au sein de l’espace africain55. Or une rencontre politique, philosophique, sociale et même économique s’accompagne d’une rencontre juridique. Ces rencontres furent et sont permises par la circulation des droits et leur capacité de se diffuser en dehors de leur zone de production, laquelle capacité dépend d’un grand nombre de facteurs qui peuvent se combiner ou non et changer dans le temps et les espaces, en sorte que cette diffusion n’est « pas scientifiquement mesurable »56.
  2. Quand une rencontre se produit, une société peut vouloir emprunter quelque chose à une autre, l’imiter ou, au contraire, s’en différencier, voire la rejeter. De même, l’une peut vouloir imposer à l’autre son droit ou une partie de celui-ci, de manière pacifique ou guerrière57. En tout état de cause, « aucune société moderne ne peut revendiquer un droit pur, exempt de toute influence extérieure, qu’elle soit conceptuelle ou doctrinale ou qu’elle passe par des emprunts normatifs »58. Ce phénomène d’emprunt très ancien, remontant au moins à l’Antiquité, s’est développé de plus en plus entre les sociétés à la faveur de la facilitation des rencontres et déplacements.
  3. Une rencontre entre sociétés et entre leurs droits peut être spontanée et même inconsciente, par le biais des échanges commerciaux ou autres, des déplacements de population, des lectures et autres médias, tout modèle juridique étant mobile et se diffusant selon des voies variées. Elle peut être, on l’a dit, volontaire, par l’ouverture de l’une à l’autre, ou forcée, imposée par une plus puissante que l’autre. Elle peut être – et est souvent – le fruit des deux simultanément. Tel fut le cas, pour une bonne part, des colonisations européennes présentées souvent comme imposées par la pure force mais qui ont pu également été acceptées par certains pans des sociétés africaines, notamment pour régler des problèmes internes. Quant à la pénétration de l’Islam en terre africaine, celle-ci se fit de manières très variées, parfois de manière unilatérale et brutale, parfois de manière pacifique et consensuelle.
  4. Les emprunts ou « transplantations » qui résultent de ces rencontres ne sont cependant jamais purs. On sait au moins depuis Montesquieu que le produit juridique risque fort de ne pas convenir parfaitement à la société d’accueil59. En outre, le groupe (ou l’individu) qui reçoit un corps ou objet étranger comprend et conçoit celui qu’il contemple (juridique ici) avec ses propres conceptions du droit et de la société. En effet, l’ethnocentrisme60 – entendu comme le fait de percevoir ce qui est étranger par ses propres catégories et modèles de pensée – est une façon de comprendre le monde qui est universelle (et non propre à la culture européenne comme on le réduit trop souvent en appelant ethnocentrisme ce qui n’est que de l’européocentrisme ou eurocentrisme)61. Il en résulte nécessairement une déformation, dénaturation ou subversion de cet objet étranger, norme ou institution, par l’interprétation et la réception qui en sont faites par la société d’accueil et ses membres62. On peut renvoyer notamment aux débats qui ont animé les indépendances sur le « socialisme africain » ou « le socialisme en Afrique » et les multiples interprétations qui ont pu être faites par les intellectuels et dirigeants africains du socialisme et du marxisme63.
  5. En ce sens, la société (ou l’individu) qui emprunte ne peut pas emprunter à la fois la norme ou l’institution allogène et toutes les valeurs qui les ont inspirées et animées ni emprunter le contexte et le cadre dans lesquels elles ont été inventées et mises en œuvre. La société d’emprunt ne peut pas faire totalement siens la culture et le droit tels qu’ils existent dans la société de provenance. Elle les transforme, modèle voire pervertit en les acclimatant ou en les tordant à sa propre culture, en leur donnant de nouvelles significations et de nouveaux modes d’être possibles. En sorte que même si on voit le même énoncé dans deux systèmes différents, leur signification ne sera pas la même, a fortiori si, au passage, on a opéré une traduction64. La règle sera donc différente dans les deux sociétés même si leur expression verbale ou écrite est identique. On pense notamment aux constitutions des indépendances des Etats francophones. On a dit à l’envi qu’elles constituaient des copies de la Constitution française de 1958. Qui ne voit cependant comment elles ont été transformées en appareils dictatoriaux ? En somme, « Law and the social context in which it operates must be inspected together”65.
  6. Tout comme « les droits modernes, même ceux dont les tendances paraissent révolutionnaires, sont nés de la transformation des systèmes juridiques qui les ont précédés »66, ils sont également nés de la rencontre avec d’autres droits, laquelle rencontre a pu produire dans le temps de nouvelles formes ou substances juridiques. Peut-être, toutefois, l’Afrique présente-elle ici un trait particulier. Alors que, en général, le droit récent tend à remplacer l’ancien (sinon son esprit entier), les droits africains ont gardé les traces des différents droits rencontrés, les anciennes ne disparaissant pas au contact des nouvelles qui ne font que se surajouter67.
  7. Cela dit, les transformations ne sont pas l’apanage des sociétés réceptrices. Une société qui projette son droit peut travestir ses normes et institutions quand elle veut les étendre à d’autres qu’elle comme, on le verra, le droit colonial par rapport au droit métropolitain.
  8. De même, ces emprunts sont rarement univoques et voulus par toute la société d’emprunt. Il peut y avoir simultanément dans la société d’emprunt des phénomènes d’acceptation, de tolérance, d’indifférence et de résistance qui peuvent se manifester par une réception – impure on l’a dit – de la greffe, un rejet de celle-ci ou la perversion du produit importé. Les résistances peuvent être politiques, idéologiques ou religieuses ; elles peuvent résulter du poids des traditions ou du caractère inadéquat du produit importé et de la vision du monde qui le sous-tend dans la société d’accueil68. Ces réactions peuvent encore relever du domaine de la psychologie voire de la psychanalyse. On songe notamment à la sidération de certaines populations africaines à l’arrivée des Européens et aux complexes d’infériorité intériorisés par celles-ci qui firent leurs l’image que projetaient d’elles les sociétés conquérantes si puissantes et organisées. Ces réactions peuvent porter sur les règles architecturales (le droit « constitutionnel » ou « administratif ») ou sur les règles de la vie quotidienne des populations (les droits de la personne, en particulier le droit de la famille et des successions, le droit foncier ou encore le droit pénal).
  9. Ces emprunts, qu’ils « réussissent » ou non, participent en tout cas de l’évolution des droits qui ne sont jamais figés, mais se recomposent continuellement69 au gré des changements dans la culture et des besoins d’une société : « Les contacts entre différentes civilisations apportent nécessairement des innovations, des remises en cause. […]. La difficulté principale réside dans la détermination des apports des différents contacts culturels par rapport au développement interne des différentes coutumes »70 ; pour nous, ce qui serait « africain » et ce qui serait autre.
  10. Car – c’est le cas partout en Afrique – un droit pris comme système peut, dans le temps ou simultanément, emprunter à plusieurs autres et être ainsi composé d’un grand nombre de normes et institutions d’origines différentes71, lesquelles peuvent gouverner simultanément les personnes. Cela nous conduit à la question du pluralisme juridique.

3. Prévalence des situations de pluralisme juridique en Afrique

  1. L’individu est plongé toute sa vie dans le droit. Bien sûr, il peut agir hors du droit – son action est alors un fait -, mais il ne peut pas agir entièrement hors de tout droit. Tout individu est toujours rattaché à au moins un ordre juridique, notamment un ordre étatique en raison de sa situation spatiale ou de sa nationalité. En Afrique, comme en d’autre régions du monde, l’individu est en réalité rattaché à plusieurs systèmes juridiques en ce sens que beaucoup de ses comportements sont appréhendés par de tels systèmes, y ont une signification et existence juridique, même si l’individu ne le veut pas ou n’en n’a pas conscience72. En effet, si on adopte une acception extensive du droit qui ne limite pas celui-ci au droit étatique, on peut constater le fait qu’il existe depuis très longtemps maintenant en Afrique différents types de droits simultanément applicables aux mêmes personnes73. C’est même certainement l’aspect le plus important de la vie du droit en Afrique74. Surtout, ces rattachements sont simultanés en sorte que l’Africaine et l’Africain, leurs relations juridiques et les situations qu’ils créent peuvent relever simultanément de plusieurs droits applicables et peuvent faire l’objet d’un contrôle de la part de plusieurs autorités. La réside la situation de pluralisme juridique.
  2. Le phénomène du pluralisme juridique n’est aucunement une spécificité des droits africains et de l’époque contemporaine, mais a existé – et existe – vraisemblablement dans tout système juridique et/ou toute société75. Etudié dans l’Europe post-médiévale76, il fut théorisé en sociologie avant que les anthropologues puis les juristes s’en saisissent depuis au moins le XIXe siècle en Europe77 et un des ouvrages les plus connus en la matière, écrit par des anthropologues, se rapporte aux Amériques78. Il n’en reste pas moins que ce phénomène y connaît en Afrique des manifestations particulièrement importantes. Révélateur est le fait que la revue African Law Studies est devenue le Journal of Legal Pluralism, lui-même rebaptisé Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law (sans pour autant étudier les seuls droits africains). En effet, on l’ a dit, en terre africaine, une nouveauté juridique n’efface pas comme souvent ailleurs ce qui a préexisté, mais s’y surajoute et s’y mêle79.

3.1. Les différentes conceptions du pluralisme juridique

Il existe un grand nombre de conceptions du pluralisme juridique. Peut-être, cependant, peut-on ici distinguer très schématiquement deux grandes approches.

  1. Une approche macro-juridique part généralement de l’Etat, ce que font la plupart des juristes, mais peut partir d’un autre système normatif. Selon cette approche, généralement, le pluralisme caractérise la situation dans laquelle des personnes d’une même collectivité ne sont pas régies par les mêmes règles, mais par des règles différentes. Il y aurait ainsi pluralisme si existent simultanément dans une société plusieurs systèmes normatifs80. Cette approche n’est pas en elle-même très intéressante car elle caractérise un phénomène banal, celui de la pluralité du droit, et ne pose pas de difficulté insurmontable : aucun droit ne s’applique de manière uniforme à toutes les personnes qui constituent la société. Elle pose en outre problème en utilisant le vocabulaire « pluralisme » là où on s’entendait pour parler de « pluralité », complexifiant ainsi inutilement, à notre sens, la compréhension du phénomène qu’elle étudie.
  2. Certains précisent toutefois qu’il ne s’agit pas tant de l’existence et de l’application de normes différentes à des relations, situations ou institutions elles-mêmes différentes que de l’« existence simultanée, au sein d’un même ordre juridique, de règles de droit différentes s’appliquant à des situations identiques »81. En ce sens, le pluralisme se distinguerait (on avoue ne pas savoir comment) du phénomène de pluralité du droit. Il reste toutefois à déterminer ce que sont des situations identiques ou non. Or, souvent, cela dépend du droit lui-même qui va considérer que deux personnes ne sont pas dans une situation identique pour justifier l’édiction et l’application de normes différentes, comme le firent les droits des Etats européens entre la population nationale et la population « indigène » au sein de laquelle, d’ailleurs, des Etats comme la France et la Belgique firent encore des distinctions. Cette approche n’est donc pas des plus malléables.
  3. Dans une approche micro-juridique ou anthropologique, c’est-à-dire partant de l’individu et non de l’Etat82, le pluralisme juridique caractériserait la situation d’un individu aux actions et relations duquel sont simultanément applicables plusieurs normes juridiques, compatibles ou non, provenant de plusieurs champs et réseaux sociaux autonomes les uns des autres qui sécrètent et mettent en œuvre des droits singuliers qui le gouverneront83.

3.2. Les conditions pour penser le pluralisme juridique

3.2.1. Accepter la possibilité de droits exoétatiques

  1. Pour concevoir que plusieurs droits ou systèmes juridiques autonomes puissent être applicables simultanément à un individu, il faut abandonner la vision des juristes positivistes dominante depuis le XIXe siècle qui en fait un instrument d’autorité à la disposition du seul Etat (ou de plusieurs conjointement depuis qu’on a admis que le droit international public est du droit)84. Il faut s’ouvrir à une autre approche et à une définition plus compréhensives du droit qui n’exigent pas un commandement de l’Etat assorti d’une sanction déterminée et appliquée par celui-ci, mais se contente de l’existence d’une autorité ou d’institutions, quelles qu’elles soient, « perçues » comme produisant et mettant en œuvre du droit selon des techniques établies85. En effet, acceptant que le droit ne se ramène pas à l’institution du droit étatique positif, mais peut connaître un grand nombre d’autres manifestations86, on peut reconnaître qu’une communauté religieuse, villageoise ou lignagère, une entreprise, un groupement sportif, un syndicat, une profession ou encore une association peuvent constituer des sociétés ayant leur droit sans qu’intervienne l’Etat du moment qu’elles produisent de la « juridicité »87.
  2. Il faut toutefois, on l’a dit, que que les membres de ces sociétés « perçoivent » qu’il s’agit là de droit et non d’autre chose (un jeu, une philosophie, une religion, une morale, un système arbitraire, etc.). Ici, toutefois, nous nous trouvons devant un problème de détermination qu’on avoue ne pas avoir réussi à surmonter tant il se subdivise en questions semble-t-il insolubles. Qu’est-ce qu’une personne ou un groupe considère être du droit plutôt qu’autre chose ? Quelle est son appréhension de ce qui est du droit et n’en est pas ? Nous ne connaissons pas de méthode fiable pour répondre à ces questions. Faut-il s’en remettre à une conception du droit qu’on postulerait universelle et à l’aune de laquelle nous qualifierions ou non des pratiques de droits, quitte à juger du bien-fondé ou non de la perception qu’en ont les sujets et acteurs concernés ? Doit-on au contraire s’en remettre à la seule appréciation de ceux-ci (en supposant qu’on puisse savoir ce qu’ils perçoivent être du droit plutôt qu’autre chose) mais au risque de ne plus avoir de critère solide sur lequel s’appuyer ?88 Ne pouvant nous en remettre à une définition figée supposée valoir universellement mais ne pouvant pas non plus rentrer dans chaque système social pour qualifier celui-ci ou certains éléments de juridiques ou non, on se contentera ici d’une méthode artisanale – mais le droit n’est-il pas art ou bricolage ? – ; on naviguera entre ces deux positions sans toujours savoir si telle ou telle pratique, institution ou relation dont on parlera est du droit ou n’en est pas.
  3. En tout état de cause, on ne peut penser un tel pluralisme qu’en acceptant qu’il existe autre chose dans l’univers du droit que le droit étatique et que du droit peut être produit et mis en œuvre par d’autres entités que les Etats et de manière autonome par rapport à celui-ci89. Si, en effet, la production du droit est le monopole de l’Etat, ce que pense la majorité des positivistes depuis J. Austin90, il ne peut exister qu’un seul droit applicable à un individu et ses relations, le droit de l’Etat91. En nous inspirant de G. Otis (« Les figures de la théorie pluraliste dans la recherche juridique », in G. Otis (dir.), Méthodologie du pluralisme juridique, Paris, Karthala, coll. 4 vents, 2012, pp. 9-24), on appellera ici “droits exoétatiques” ces droits dont le fondement de validité n’est pas du droit d’origine étatique, c’est à dire le droit étatique (produit par la volonté d’un seul Etat) et le droit international public (produit par la volonté de plusieurs Etats).
  4. Une telle position nous permettrait ainsi de renouer le fil de l’histoire. En effet, l’histoire de l’Occident lui-même, qui a inventé l’Etat moderne et imposé cette conception statocentrée du droit, révèle sans ambiguïté que du droit existait bien avant l’avènement de cet Etat moderne92.

3.2.2. Tension dans l’univers du pluralisme juridique

  1. Il existe une tension dans ce mouvement qui accepte le phénomène du pluralisme juridique entre deux grandes approches qui se distinguent à raison de la signification qu’elles attribuent à l’intervention de l’Etat dans le jeu d’articulation et d’interaction des normes et institutions simultanément applicables93.
  • Pour certains, le fait même que l’Etat intervienne – sous quelque forme que ce soit et quelle que soit la technique qu’il utilise – pour régir l’articulation des différents systèmes juridiques existants mettrait fin à toute situation de pluralisme au profit d’un système hiérarchisé et centralisé qui subjuguerait le reste. Cette approche est cependant trop réductrice, ne s’intéressant qu’à l’Etat et se concentrant sur le seul droit étatique sans considérer comment les autres droits réagissent par rapport à ce droit étatique.
  • Selon d’autres, le pluralisme existe car les droits non étatiques survivent même quand l’Etat les reconnaît comme autres sources de droit et obligations que celles qu’il a lui-même établies. On peut ajouter que si l’Etat reconnaît d’autres droits que le sien, c’est que ces autres droits existent déjà – c’est-à-dire ont été produits et se réalisent sans lui – et ne découlent donc pas de lui. Il y a donc bien pluralisme, même s’il est « faible » et non « fort » comme les distingue Griffiths. On reste toutefois globalement dans un schéma centralisateur et hiérarchique classique. Celui-ci est simplement modulé, étant considéré que les autres droits sont du droit seulement par réception par le « vrai » droit, en sorte qu’il y aurait d’un côté le droit et de l’autre des phénomènes seulement para ou infra juridiques. On le voit, c’est encore épuiser le droit dans le droit étatique dans une approche statocentrée94.
  1. Il faut aller plus loin que ces analyses et cesser de partir du seul Etat pour regarder les autres droits et examiner la pratique.
  • On observera ainsi plus précisément les mouvements à l’oeuvre dans ce genre de situation, en particulier le fait que des personnes se perçoivent soumises à plusieurs normativités dont la validité n’est pas perçue par elles comme subordonnée à une quelconque reconnaissance de l’Etat en sorte que celle-ci n’est pas toujours un élément déterminant, ni même pertinent. On n’imagine pas ainsi un musulman se conformer au droit islamique seulement parce que le droit étatique l’y autorise ou l’y oblige et qu’il regarde même ce que le droit étatique lui dit de sa manière de se comporter au regard du droit islamique. Au pire, en cas d’incompatibilité, devra-t-il choisir entre ces deux droits, mais en tenant compte des deux et non du seul droit de l’Etat.
  • On réalisera en somme que si l’intervention de l’Etat conduira toujours, d’une manière ou d’une autre, à un monisme juridique du point de vue de son droit, il n’aura pas d’emprise juridique sur la manière dont les autres droits le contemplent et une emprise seulement relative sur le comportement de ses « sujets », de sorte que le pluralisme juridique survivra à son intervention faute d’une hégémonie totale de celui-là sur ceux-ci.

3.2.3. Pluralisme juridique et interactions des droits

  1. Il faut toutefois faire attention ; si ces droits doivent être autonomes pour qu’on puisse véritablement parler de pluralisme95, cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas interagir et s’influencer réciproquement96. Nous le verrons, ces interactions et influences sont constantes. Les droits applicables peuvent même être – et sont souvent – complémentaires et non nécessairement incompatibles. Ils peuvent également cohabiter, l’un ne s’opposant pas à ce que prescrit, habilite ou proscrit l’autre et ne sachant peut-être pas ce qu’il fait97. Ainsi en est-il quand l’Etat reconnaît un mariage noué devant l’officier d’état civil qu’il y ait eu mariage religieux ou coutumier ou non, le droit coutumier ou religieux tenant pour mariés ceux qui n’ont pas recours au mariage civil. Le mariage sera ici valide dans tous les ordres juridiques. Plus encore, l’un, sans le vouloir, peut servir l’autre en obligeant un comportement que l’autre prescrit également ou en interdisant une institution que l’autre proscrit de son côté98.

3.3. La nécessité de croiser les regards

  1. Cette situation de pluralisme est partout présente en Afrique même si sous des formes et une intensité variables qu’il faut apprécier au cas par cas. Dit autrement, l’Africain et l’Africaine sont simultanément soumis à plusieurs droits dont les énoncés ne sont pas nécessairement compatibles entre eux. Il s’agit principalement du droit étatique, des droits traditionnels, originellement africains ou résultant des interactions avec les autres droits, ainsi que du droit religieux. Il s’agit désormais également des éléments du droit international qui sont censés s’appliquer directement dans le chef des individus.
  2. Or, ce qui rend la chose complexe est que chaque droit pris comme système détermine lui-même les rapports qu’il entretient avec les autres, en particulier s’il reconnaît ou non les autres ou certains de leurs éléments dans son propre système. Or, d’une manière générale, on y reviendra (« Considérations préliminaires à l’étude de la gestion par les systèmes du pluralisme juridique en Afrique »), c’est une condition de leur autonomie et donc de leur existence : chacun considère qu’en cas de conflits entre ses normes et celles d’un autre système, ce sont les siennes qui prévalent. Ainsi, tandis que le droit étatique déclare s’imposer aux droits traditionnels, ceux-ci refusent toute subordination et, dans les faits, ce sera généralement la population qui décidera quel droit appliquer sans que le droit étatique n’y fasse rien99.
  3. C’est une raison de ne pas s’intéresser qu’à la seule manière dont le droit étatique perçoit, reçoit, rejette ou ignore les autres droits. Un tableau complet exige qu’on prenne le point de vue de chacun des droits dans ses rapports avec les autres, sachant que, in fine, la question sera souvent réglée, non pas les droits eux-mêmes pris comme systèmes autonomes ou semi-autonomes, mais par les individus eux-mêmes, plus ou moins en interactions avec les autorités de tel ou tel droit.
  4. En outre, on l’a dit, les droits s’influencent réciproquement et donc, tout comme un droit indigène et un droit étranger interagissent, nos droits simultanément applicables interagissent également, chacun pouvant inspirer l’autre. En ce sens, aucun droit n’est entièrement autonome car est confronté à des normes et institutions extérieures100, le droit étatique à l’égard des droits exoétatiques ou du droit international ; les droits exoétatiques à l’égard des droits d’origine étatique ; le droit international à l’égard des droits étatiques et des droits exoétatiques.
  5. On l’a compris, une approche qui partirait du seul point des droits serait incomplète car manquerait d’analyser un élément déterminant de la vie du droit, la manière dont les individus perçoivent, voire utilisent, le droit. C’est en effet en grande partie selon leur position que la gestion du pluralisme se réalise.
  6. L’Africain et l’Africaine étaient vraisemblablement confrontés à un pluralisme juridique avant même l’avènement des droits religieux et étatiques non africains. Ce pluralisme juridique a été exacerbé par l’apparition de « strates »101 juridiques successives aux droits dits « originellement » africains.

Bibliographie indicative – Introduction aux droits africains

Bibliographie indicative générale – Introduction au pluralisme juridique

  1. R. Sacco, Le droit Africain, Anthropologie et droit positif, Paris, Dalloz, Coll. A droit ouvert, 2009, x-566 p., ix-x. ↩︎
  2. En ce sens, notamment M. Thioye, « Part respective de la tradition et de la modernité dans les droits de la famille des pays d’Afrique noire francophone », Revue internationale de droit comparé, Vol. 57, n° 2, 2005, pp. 345-397, 348. ↩︎
  3. M. Alliot, « Les résistances traditionnelles au droit moderne dans les Etats d’Afrique francophone et à Madagascar », in J. Poirier (dir.), Etudes de droit africain et de droit malgache, Paris, Editions Cujas, 1965, pp. 235-256, rééd. in Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie, Paris, Karthala, 2003, 400 p., 169-192, 169. ↩︎
  4. Voir notamment E. Durkheim, De la division du travail social, Paris, 8e éd., Paris, PUF, coll. Quadrige, 2013, p. 29 : « […] la vie sociale, partout où elle existe d’une manière durable, tend inévitablement à prendre une forme définie et à s’organiser, et le droit n’est autre chose que cette organisation même dans ce qu’elle a de plus stable et de plus précis. La vie générale de la société ne peut s’étendre sur un point sans que la vie juridique s’y étende en même temps et dans le même rapport. Nous pouvons donc être certains de trouver reflétées dans le droit toutes les variétés essentielles de la solidarité sociale ». Voir également, G.-A. J. Kouassigan, Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit de la famille en Afrique noire francophone, Paris, Pedone, 1974, 311 p., p. 167 : « Peu importe donc que les sociétés traditionnelles négro-africaines par leur organisation ne comportent rien de comparable à la conception européenne et moderne de l’Etat, ce qui est certain c’est qu’il ne peut y avoir de société sans droit, celui-ci étant l’ensemble des règles de conduite sociale assorties de sanctions pour en assurer au besoin l’application en vue de l’aménagement de la vie commune et de la réalisation de l’ordre social conçu comme souhaitable ». Voir encore E. Agostini, Droit comparé, Paris, PUF, 1988, p. 9, n° 1 : « […] il est fatal que chaque civilisation engendre sa propre culture juridique, son propre système normatif, son propre corps de législation. Le droit ne constituant pas autre chose que le reflet et le modèle de l’ordre social (Cf. H. Motulsky, « Mission pratique de la philosophie du droit », Archives de Philosophie du droit, 1952, pp. 175-180) auquel il a vocation de s’appliquer, on ne comprend pas qu’un esprit aussi éminent, pourtant ami intime de Domat [note omise], n’ai pas réalisé que la différence des règles juridiques de pays à pays n’était jamais que la conséquence directe et obligée de la diversité des civilisations » et M. Thioye, « Part respective de la tradition et de la modernité dans les droits de la famille des pays d’Afrique noire francophone », Revue internationale de droit comparé, Vol. 57, n° 2, 2005, pp. 345-397, 352 : « l’organisation des hommes sur les espaces et envers les ressources s’exprime toujours, quelle que soit la structure politique choisie (État souverain ou forme moins intégrée), en termes de règles, institutions et processus de conduite sociale (même si toutes les normes de conduite ne sont pas des règles juridiques) (note : E. Agostini, Droit comparé, Paris, PUF, 1988, n° 125, p. 9, n° 1 : « il est fatal que chaque civilisation engendre sa propre culture juridique, son propre système normatif, son propre corps de législation » […] »). ↩︎
  5. Sur la difficulté d’un tel exercice, voir entre autres D. Alland, Sur quelques façons de considérer que le droit international public est ou n’est pas un droit « véritable » », in Représentations du droit international public, Paris, Pedone, coll. Doctrine(s), 2022 : « Rien de ce qui a longtemps été censé caractériser le monde du droit ne lui est spécifique : ni la règle, ni l’autorité, ni les sanctions, ni les institutions ne lui appartiennent en propre. Il est des règles, des sanctions, des autorités, etc. dans des domaines que nul ne songerait à assimiler au droit : le jeu, le sport, la politesse, etc. (Ce point ne peut être développé ici, voir D. Alland, « La règle est-elle le ‘K’ du juriste ? », Droits, 2016/1). On trouverait avantage à renoncer à poser d’autorité que ce qui ne correspond pas à ce qui est posé comme donnée immédiate de la juridicité ne saurait être juridique. Reste qu’il serait tout aussi dogmatique de postuler la juridicité simplement parce qu’un phénomène ne répond pas à des critères que l’on rejette ! En résumé, si l’on ne veut pas ramener cette grande affaire à une simple querelle de mots, il faut réfléchir à ce qui permet d’assigner une pratique à un plan qu’il ne soit pas scandaleux de qualifier de « juridique ».  Cela demande de laisser de côté, de se séparer au moins un temps des données immédiates de la juridicité ». Voir également les volumes 10 et 11 de la revue droits intitulés Définir le droit. ↩︎
  6. Par exemple P. Amselek, « Le droit, technique de direction publique des conduites humaines », 10 Droits 1989 – définir le droit / 1, pp. 7-10., 7 : « [L]e droit, dans son donné le plus dépouillé à notre conscience et ainsi que l’exprime l’étymologie même du mot, est réglementation, qu’il est constitué de règles ou normes, et plus précisément de règles ou normes de conduite, de règles ou norme éthiques ». ↩︎
  7. T. Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique [1642], trad. S. Sorbière, Paris, GF-Flammarion, 1982, 408 p., Chapitre II « De la loi de nature en ce qui regarde les contrats », § XI (Que les pactes d’une confiance mutuelle sont invalides en l’état de nature : mais non pas en celui de la société civile). ↩︎
  8. •T. Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique [1642], Chapitre XIV « Des lois et des offenses », § VI (Autre division des lois civiles en distributives et vindicatives). ↩︎
  9. Ibid., § VII (Que la distributive et la vindicative ne sont pas deux espèces de lois différentes, mais deux diverses parties). ↩︎
  10. Ibid., § VIII. ↩︎
  11. J.-J. Rousseau, L’Etat de guerre [1756-1757], lecture de Simone Goyard-Fabre, Paris, Babel, n° 409, coll. « Les philosophiques », 2000, 39 p., p. 26. Voir également, entre autres, L. Le Fur, « Nationalisme et internationalisme au regard de la morale et du droit naturel », cours professé à la Semaine sociale du Havre, 1926, Mélanges Louis Le Fur, pp. 3-32, 27 où le droit international est « la partie de la morale sociale qui, à raison de son importance particulière, peut être imposée sous peine de sanction » ; L. Oppenheim, « The Science of International Law: Its Task and Method », American Journal of International Law, Vol. 2, pp. 313-356, rééd. in G. Simpson (ed.), The Nature of International Law, Ashgate, Dartmouth, 2001, pp. 93-136, 110-111 : la définition du droit interne comme ensemble de règles imposées par un souverain sur ses sujets est fausse. Elle contient une part mais non toute la vérité. Elle n’explique ni l’existence d’un droit coutumier ni le fait que le souverain a le pouvoir juridique d’imposer des règles juridiques de conduite à ses sujets : “What I maintain is that municipal law, constitutional law, ecclesiastical law, and international law are all branches of the same tree of law in general as a body of rules for the conduct of the members of a community, which rules shall by common consent of the community be eventually enforced by external power, in contradistinction to rules of morality which by common consent of a community concerned are to be enforced by conscience only”) ; H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud & F. Chabas, Leçons de droit civil. Tome I / Premier volume : Introduction à l’étude du droit, 12e éd. par F. Chabas, Paris, Montchrestien, 2000, 650 p., § 3 : « Le droit n’est pas la seule règle de conduite sociale. La morale et, dans une moindre mesure, la politesse, la bienséance, l’honneur régissent aussi la vie en société. Le contenu de ces diverses règles est souvent identique : […]. Ce qui caractérise la règle de droit et la distingue des autres règles de conduite sociale, ce n’est donc pas son contenu. On pourrait plutôt penser que le critère de la distinction serait l’existence de sources particulières : par exemple la loi pour les règles juridiques ; la conscience pour la morale. Mais ce critère n’est pas plus décisif que le précédent : dans une théocratie, la religion révélée est à la fois la source de la morale et du droit ; dans une société traditionaliste, la coutume est source de règles morales et juridiques. Le seul critère décisif des règles de droit est l’existence de sanctions particulières. Alors que le respect des autres règles de conduite sociale est laissé à la conscience individuelle (honte, remord) ou à la pression sociale spontanée (blâme, exclusion du groupe, voire violence collective), la règle de droit est dotée de sanctions sociales organisées dont la mise en œuvre, confiée à la puissance publique, sut des procédures particulières ». ↩︎
  12. J.J. Burlamaqui, Principes du droit naturel [1747], Bibliothèque de Philosophie politique et juridique. Textes et Documents. Université de Caen, 1989, 296 p., Première Partie – Des principes généraux du droit, Chapitre X De la fin des lois, de leurs caractères et de leurs différences, etc., « § 10 A ces trois conditions, qu’on peut appeler les caractères internes de la loi, savoir qu’elle soit possible, juste et utile, on peut ajouter deux autres conditions, en quelque sorte externes ; l’une que la loi soit suffisamment notifiée ; l’autre qu’elle soit accompagnée d’une sanction convenable. […]. § 11. 2° Il faut … que la loi soit accompagnée d’une sanction convenable. ¿La sanction est cette partie de la loi qui renferme la peine établie contre ceux qui la violeront. Pour la peine, c’est un mal dont le souverain menace ceux de ses sujets qui entreprendraient de violer ses lois, et qu’il leur inflige effectivement lorsqu’ils les violent ; et cela dans la vue de procurer quelque bien, comme de corriger le coupable, de donner une leçon aux autres ; et en dernier ressort, afin que les lois étant respectées et observées, la société soit sûre, tranquille et heureuse. ¿Toute loi a donc deux parties essentielles ; la première c’est la disposition de la loi, qui exprime le commandement ou la défense ; la seconde est la sanction, qui prononce le châtiment ; et c’est la sanction qui fait la force propre et particulière de la loi. Car si le souverain se contentait d’ordonner simplement ou de défendre certaines choses, sans y joindre aucune menace, ce ne serait plus une loi prescrite avec autorité, ce ne serait qu’un sage conseil. Au reste, il n’est pas absolument nécessaire que la nature ou la qualité de la peine soit formellement spécifiée dans la loi ; il suffit que le souverain déclare qu’il punira, en se réservant de déterminer l’espèce et le degré du châtiment, suivant sa prudence [réf. Hobbes, De Cive, chp. XIV, § 8] ». Voir également la Seconde Partie – Des lois naturelles, Chapitre XII. De l’autorité et de la sanction des lois naturelles ; et 1° des biens et des maux qui sont la suite naturelle et ordinaire de la vertu et du vice., « § 1. Nous entendons ici par l’autorité des lois naturelles, ce caractère de force qui leur vient, non seulement de l’approbation que la raison leur donne, mais principalement de ce que nous reconnaissons qu’elles ont Dieu pour auteur ; ce qui nous met dans la plus étroite obligation d’y conformer notre conduite, à cause du droit suprême que Dieu a sur nous. ¿Ce que l’on a exposé ci-dessus de l’origine et de la nature de ces lois, de leur réalité et de leur certitude, pourrait suffire ; ce semble, pour établir aussi leur autorité. Il nous reste cependant quelque chose à faire à cet égard. La force des lois proprement dites, dépend principalement de leur sanction ; c’est ce qui met, pour parler ainsi, le sceau à leur autorité. Il est donc nécessaire et important de rechercher s’il y a effectivement une sanction des lois naturelles, c’est-à-dire, si elles sont accompagnées de menaces et de promesses, de peines et de récompenses ». Il mentionne § 2 comme 1e sanction des lois naturelles le fait que la violation des lois jette les hommes dans un désordre préjudiciable aux individus et à toute l’espèce. Références également à autres conséquences socialement ou psychologiquement désavantageuses ou désagréables. Il revient à l’exigence de sanction plus loin, § 12, cependant, il reconnaît que cette première sanction (ces récompenses et punitions naturelles de la vertu et du vice, effet de l’institution de Dieu, qui donnent déjà beaucoup d’autorités aux maximes de la droite raison) « ne paraît pas encore suffisante, pour donner aux conseils de la raison tout le poids et toute l’autorité que doivent avoir de véritables lois ». Cependant, les sanctions prévues par les hommes ne suffisent pas non plus… Il faudra donc finalement chercher ailleurs que dans la vie présente. ↩︎
  13. J. Austin, The Province of Jurisprudence Determined and The Uses of the Study of Jurisprudence [1832], intr. H. L. Hart, Weindenfeld and Nicolson, London, 1954, 396 p., 14. ↩︎
  14. Ibid., p. 16. ↩︎
  15. Ibid., pp. 142-143. ↩︎
  16. Ibid., p. 201. ↩︎
  17. Voir ainsi S.D. Murphy, “The Concept of International Law”, The American Society of International Law Proceedings, Vol. 103 ¾ In What Sense is International Law Law?, 2009, pp. 165-169, 166 : « Yet, Hart found Austin’s theory lacking because it failed to encompass many rules, even within national systems, that are indisputably law. Looking at national systems, Hart noted that not all laws are designed to order people to do things; not all laws are enacted by a sovereign, buts instead arise in other ways; and legislators do not just bind others by laws, they bind themselves too. Those observations about national law were powerful points against Austinian critics of international law, and they remain so today. / For example, the principle objective of contracts in a national legal system is not to order the parties to do something against their will; rather, they are instruments that provides parties the means for fulfilling their desires. The same can be said about treaties. Similarly, the common law in national systems arises not from the enactment or command of a sovereign but, rather, from the general practice of relevant actors observed over time that is thought to reflect legal values. The same is true of customary international law. Finally, just as national constitutions and statutes seek to bind not just the people, but the people’s representatives as well – the President, Prime Minister, Chief Justice, etc. – so, too, international law seeks to bind the very states who have created that law ». ↩︎
  18. Voir notamment R. Verdier, « Ethnologie et droits africains », Journal de la Société des Africanistes, 1963, tome 33, fascicule 1. pp. 105-128, 128 : « On se gardera de poser comme critère de la juridicité, la sanction judiciaire ; en effet, si la sanction postule la règle, la réciproque n’est pas vraie : la règle peut exister sans que la sanction intervienne. Pas plus que la contrainte sociale ne peut servir à caractériser le phénomène social, la sanction juridique ne peut définir le phénomène juridique, parce qu’elle présuppose le Droit et que celui-ci est caractérisé, non par le quod jussum est, mais par le quod justum est » ; L. Cavaré, Le droit international public positif, Tome. I : La notion du droit international public ; Structure de la société internationale ; t. II : les modalités des relations juridiques internationales ; les compétences respectives des Etats, Paris, Pedone, nouvelle éd. mise à jour par J.P. Quéneudec, 1967 et 1969, 806 et 952 p., T. I, pp. 126 et s., spéc. 127-128 : certaines branches du droit interne ne sont pas munies de sanctions : telles sont les lois constitutionnelles. Il en est ainsi, pour des impossibilités pratiques, parce qu’aucun organe assez élevé n’existe pour réaliser leur application, ou bien parce qu’elles doivent être mises en mouvement précisément par les autorités contre lesquelles elles sont destinées à sévir. Or, non seulement les lois constitutionnelles, bien que non munies de sanctions, sont regardées par tous comme l’expression d’un droit positif incontestable, mais encore, au moins dans les Etats démocratiques, on les considère comme l’expression d’un droit positif supérieur à toutes les autres sources formelles du droit. En outre, il serait facile de citer des lois internes que le législateur a négligé de pourvoir de sanctions. Voir encore R.-J. Dupuy, « Droit déclaratoire et droit programmatoire : de la coutume sauvage à la « soft law » », L’élaboration du droit international public, S.F.D.I., colloque de Toulouse, Paris, Pedone, 1975, pp. 132-148, 147 : « l’on ne saurait, dans notre domaine, être fasciné par l’idée de sanction du fait d’un regret de ne pas voir l’ordre international doté des moyens dont dispose le droit interne. L’inexistence de sanctions de type drastique ne doit pas faire conclure à l’absence de règles juridiques. Les deux plans, normatifs et coercitifs, ne se confondent pas ». ↩︎
  19. Selon l’auteur, « Il diffère de toutes les autres normes sociales, et spécialement de la morale, en ce qu’il s’efforce de créer l’état social désiré en soumettant à une sanction l’individu dont l’attitude est contraire à la norme, cette attitude étant la prémisse, et la sanction sa suite. Dans le droit interne, la sanction est l’exécution civile et la répression criminelle. Le droit est un ordre instituant la contrainte et, comme tel, un moyen spécial de la technique sociale ». S’agissant du droit international, si celui-ci « est un droit véritable, un droit au même sens que le droit interne, il doit nécessairement comporter un ordre de contrainte ; il doit pouvoir obliger les Etats qui lui sont soumis, à adopter une attitude définie, en établissant la sanction qui doit frapper l’Etat n’adoptant pas l’attitude prescrite ». En effet, selon l’auteur, si dans les relations interétatiques, de telles sanctions n’existaient pas, si l’on ne pouvait pas démontrer que la technique de la force obligatoire du droit est la même dans le droit international que dans le droit interne, on ne pourrait pas parler d’un « droit » international au sens exact du mot. Or, écrit-il : « En fait, le droit international positif prévoit de telles sanctions. Il ne s’agit pas d’exécution civile et encore moins d’une « peine », mais l’analogie avec ces deux sanctions du droit interne est complète. Les actes de contrainte prévus par le droit international général (ou commun), ses sanctions, ce sont les représailles et, spécialement, la guerre », H. Kelsen, « La technique du droit international et l’organisation de la paix », Revue de droit international et de législation comparée 1934, pp. 5-24, in Ch. Leben éd., Hans Kelsen. Ecrits français de droit international, Paris, P.U.F., coll. Doctrine juridique, 2001, pp. 251-267, 253-254. ↩︎
  20. Voir ainsi J. Raz, The Authority of Law. Essays on Law and Morality, Oxford, Oxford UP, 1979, 289 p., p. 111 : “it seems reasonable to suppose that the law differs from any other methods of social control in providing machinery for the authoritative settlement of disputes ». Mais il ne suffit pas d’un juge qui déciderait librement ; il faut des « primary institutions » dont la présence signifie que le droit fournit une méthode pour régler les différends. Car, p. 112, « Legal systems […] do provide guidance to individuals. They contain law determining the rights and duties of individuals. These are laws which the courts are bound to apply in settling disputes and it is because of this that they also provide an indication to individuals as to their rights and duties in litigation before the court » ; pp. 112-113 : « In the first place, law contains both norms guiding behaviour and institutions for evaluating and judging behaviour. The evaluation is based on the very same norms which guide behaviour. […]. Thus the law can be said to possess its own internal system of evaluation. We can assess behaviour from the legal point of view and the legal point of view consists of the norms by which the courts are bound to evaluate behaviour which are the very same norms which are legally binding on the individuals whose behaviour is evaluated. / The second important consequence of the difference between law and a system of absolute discretion described above is that legal systems contain, indeed consist of, laws which the courts are bound to apply regardless of their view of their merit. A more accurate formulation would be that legal systems consist of laws which the courts are bound to apply and are not at liberty to disregard whenever they find their application undesirable, all things considered”. ↩︎
  21. H. Kantorowicz, The Definition of Law, Cambridge, Campbell, 1958, 112 p. ; A. Kojeve, Esquisse d’une phénoménologie du droit. Exposé provisoire [1982], Coll. Bibliothèque des Idées, 592 p. ↩︎
  22. C. Leben, « Droit : quelque chose qui n’est pas étranger à la justice », Droits, Vol. 11, 1990, p. 37. ↩︎
  23. Ibid., p. 38. ↩︎
  24. J. Carbonnier, Flexible droit. Textes pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, LGDJ, 1976, 338 p., 18. ↩︎
  25. Voir en particulier H.L.A. Hart, Le concept de droit, Trad. M. Van der Kerchove, Bruxelles, Publications des facultés universitaires Saint-Louis, 1976, 315 p. ↩︎
  26. Il faut d’abord déterminer ce sur quoi le droit prétend agir – c’est-à-dire les situations et relations – et qui sont les entités dont il doit gouverner les comportements qui deviendront alors ses sujets. Il faut également que le droit développe des techniques de production du droit qu’il veut poser qu’on appelle généralement sources ou modes de production du droit. En effet, aucune règle n’apparaît seule et de plein droit dans le monde réel. Il faut qu’elle soit produite par certaines entités au moyen de certains mécanismes. Il faut ensuite qu’il s’arme de techniques qui permettent la réalisation des normes juridiquesqu’il a posées, notamment en sanctionnant les comportements irréguliers. Il doit encore élaborer des institutions juridiques. Celles-ci permettent d’identifier le mode d’existence juridique des choses et entités de telle sorte que lorsqu’elles sont appliquées à une chose ou à une personne, elles les placent dans une situation juridique. Par exemple la propriété identifie la relation d’une ou plusieurs personnes à une ou plusieurs choses ainsi que les relations de cette ou ces personnes avec autrui et celles d’autrui à l’égard de cette ou ces choses. Cette institution, quand elle est appliquée à une personne en relation avec une chose, constitue sa situation de propriétaire qui permettra la réalisation des normes relatives à la propriété dans son chef sur une chose. ↩︎
  27. En ce sens également F. Terre & R. Seve, « Droit », Archives de philosophie du droit, Vol. 35 – Vocabulaire fondamental du droit, 1990, pp. 43-57, 51 traitant de droit et morale : « Aussi peut-on préférer un critère de distinction portant sur la structure des deux types de législation, morale et juridique. Si, dans l’optique ici admise, le droit, comme la morale, comprend des règles obligatoires ayant pour objet les comportements des hommes, il comprend également, à la différence de la morale, d’autres règles qui ont pour objet les premières et qui déterminent leur mode de reconnaissance, de changement et d’application : l’articulation de ces règles primaires (en partie analogues à celles de la morale) et de ces règles secondaires (spécifiques au droit) constitue alors le cœur d’un système juridique (Hart). Le droit serait alors né, au moins théoriquement, lorsque les sociétés passèrent du stade de la régulation coutumière par les règles primaires de la morale (positive), à celui de la régulation par la formation d’organes d’interprétation et d’application de ces règles (juridictions), et de procédures d’édiction de règles nouvelles (législation, traités) ». ↩︎
  28. En ce sens J. Combacau, « Une manière d’être des choses », Droits, Vol. 11 – Définir le droit / 2, 1990, pp. 11-14, 11 : « [J]e ne parviens pas à voir dans le droit une chose déterminée, ou un ensemble de choses, définissable par ses caractères constitutifs. Je me le représente bien plutôt comme le mode d’être de choses quelconques qui sont appelées à l’existence légale, soit qu’elles mènent déjà dans le monde réel une existence toute brute, soit même qu’elles n’y aient aucune réalité et ne puissent connaître d’autre condition que celle que leur attribue le droit ». ↩︎
  29. M. Villey, Philosophie du droit. Définitions et fins du droit. Les moyens du droit, Paris, Dalloz, 2001, 339 p., p. 48 : « Devons-nous entendre par droit un système de règles de conduite ? Aristote s’en est défendu. On a tort d’identifier le droit à l’observance de ces lois morales faites pour gouverner des conduites » ; p. 51 : « Le droit est mesure du partage des biens. D’après une formule répétée par la plupart des philosophes et juristes à Rome (très proche de celle qu’on vient de citer de l’Ethique d’Aristote), le rôle du droit est d’attribuer à chacun le sien. Suum cuique tribuere (de tribuere : répartir) ». ; § 42 : « Une bonne proportion dans le partage des biens entre membres d’un groupe, telle est donc l’essence du droit […] ». ↩︎
  30. M. Villey, Philosophie du droit. Définitions et fins du droit. Les moyens du droit, Paris, Dalloz, 2001, 339 p., § 42 : « Il est vrai qu’une autre doctrine triomphe aujourd’hui : le discours du droit consisterait en propositions « prescriptives », « impératives », « déontiques », comme si le juriste avait prise immédiatement sur l’action des individus, tenait le rôle d’un directeur des conduites des justiciables. Mais j’en doute fort : une sentence judiciaire, un article de notre Code civil ont pour fonction d’indiquer la part de chacun : telle chose, telle dette est à x relativement à y. Mesure de justes rapports sociaux » ; § 52 : « L’art romain de la jurisdictio ne consistait pas à prescrire, sur le mode de l’impératif, l’observance de règles de conduite. La science du droit classique romain se donne pour mission de dire, sur le mode de l’indicatif, « ce qui est à” x ou y ; des rapports justes qu’elle découvre au sein de l’organisme social. Je vois ici la clé de la doctrine classique du “droit naturel ». ↩︎
  31. M. Villey, Philosophie du droit. Définitions et fins du droit. Les moyens du droit, Paris, Dalloz, 2001, 339 p., § 131 : « Le juge a pour fonction d’attribuer à chacun des plaideurs sa part. Le droit est affaire d’attribution, ou “distribution” de biens, dettes, honneurs, fonctions publiques, compétences, sphères d’activité, disputés devant quelque tribunal. Il est le lieu par excellence où s’exerce cette activité, la “justice distributive », dont la “justice commutative” n’est qu’une dépendance ». ↩︎
  32. M. Villey, Philosophie du droit. Définitions et fins du droit. Les moyens du droit, Paris, Dalloz, 2001, 339 p., § 124 : « le droit est l’art du partage … il n’a pas trait à toutes sortes de choses, mais seulement aux choses “extérieures” partageables (il ne touche qu’au monde de ‘l’avoir’, non pas au déploiement de ‘l’être », pas aux plus nobles aspirations ni aux libertés de la “personne humaine”) ; … le droit trouve à s’exercer dans certaines opérations, les distributions, les échanges ; qu’on ne saurait le déduire d’une idée abstraite de la nature de ‘l’homme », non plus de la seule volonté d’un Etat soi-disant “souverain ». ↩︎
  33. Sieyes, Préliminaire de la Constitution. Reconnaissance et exposition raisonnée des droits de l’homme et du citoyen, in Orateurs de la Révolution française. I – Les constituants, textes établis, présentés et annotés par F. Furet et R. Halévi, Paris, Gallimard, nrf, Bibliothèque de la Pléiade, 1989, p. 1006 : « L’objet de l’union sociale est le bonheur des associés. L’homme, avons-nous dit, marche constamment à ce but ; et certes, il n’a pas prétendu en changer, lorsqu’il s’est associé avec ses semblables ». ↩︎
  34. R. Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962, 794 p., 721 : « Le droit est une réglementation de la vie sociale, issue de la coutume, que justifie ou inspire une conception du juste et de l’injuste, que consolident la mise en forme systématique et le système juridictionnel, dont les moyens de contrainte permettent normalement d’assurer le respect » ; L. Le Fur, « Nationalisme et internationalisme au regard de la morale et du droit naturel », cours professé à la Semaine sociale du Havre, 1926, Mélanges Louis Le Fur, pp. 3-32, 17 : « Mais puisque le droit repose sur l’idée de justice, il n’y a pas plus de droit international que de tout autre droit sans esprit de justice ; l’esprit de justice envers les Etats voisins, c’est au fond la meilleure définition de cet esprit international dont on parle beaucoup aujourd’hui et qui est, en effet, indispensable à la société internationale, elle ne peut exister sans lui, pas plus qu’un Etat ne peut vivre sans un certain esprit national ». Voir aussi A. Supiot, Homo Juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit, Paris, Points Essais n° 626, 2009, 334 p., 24-25. ↩︎
  35. C. Leben, « Impératif, juridique, dérogation et dispense. Quelques observations », 25 Droits, 1997, pp. 33-45, 39 : « le droit étant tout entier une technique d’organisation sociale dont la fin est la coexistence pacifique des membres de la société ». ↩︎
  36. Par exemple H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud & F. Chabas, Leçons de droit civil. Tome I / Premier volume : Introduction à l’étude du droit, 12e éd. par F. Chabas, Paris, Montchrestien, 2000, 650 p., p. 10 : « Le but général du droit est l’ordre social. (…). La justice, qui est une des finalités du droit … Le droit a aussi des finalités matérielles : le bien commun de la société » puis p. 21 : Mais l’ordre, s’il est indispensable, n’est pas le but ultime des sociétés. Toute société tend vers certaines fins, individuelles ou collectives … Ces buts particuliers sont nombreux et souvent contradictoires. Entre eux le droit fait un choix qui n’est pas nécessairement le même pour toutes les sociétés à toutes les époques. Il est évidemment impossible de dresser un catalogue des buts particuliers de toutes les règles de droit ». ↩︎
  37. J. Combacau, « Droit international public », Encyclopaedia Universalis, p. 477 c. ↩︎
  38. A. Ross, « Le problème des sources du droit à la lumière d’un Théorie réaliste du droit », in Introduction à l’empirisme juridique, trad. E. Millard, E. Matzner, Paris, Bruxelles, L.G.D.J., Bruylant, 2004, 231 p., 23-37, 25-26 : « Comment ces expériences de validité se laissent-elles caractériser plus exactement ? Il s’agit ici, selon moi, de certaines attitudes particulières de conduite qui surgissent en vertu d’impulsions non intéressées. Une impulsion non intéressée veut dire une impulsion qui ne peut être déduite des instincts primaires ou des réflexes et des conditions qui en découlent ¾ je parle ici dans la terminologie du béhaviourisme américain ¾ mais qui s’engendre directement par transmission de suggestions immédiates. L’obligation morale consiste dans des impulsions désintéressées d’activité qui sont transmises, par suggestion immédiate, aux individus, à l’aide de l’éducation, suggestion qui se prolonge par certaines attitudes de conduite typiques. L’obligation juridique réside en des attitudes de conduite analogues, également désintéressées, qui sont cependant transmises par le maintien effectif et coutumier d’un ordre de contrainte. Il s’agit ici d’un rapport réciproque spécifique. L’ordre de contrainte provoque par la crainte d’un mal certaines attitudes intéressées. Mais, d’autre part, et grâce à leur “fixation” coutumière, ces attitudes provoquent, à leur tour, des impulsions parallèles non-désintéressées. Cela veut dire que la conduite conforme au droit a maintenant reçu un caractère de validité juridique. On se conforme au droit, non plus seulement à cause de la crainte, mais parce que c’est le droit, parce qu’on s’y sent lié. Mais, seule cette validité ou obligation juridique rend possible l’efficacité de l’ordre juridique. En d’autres termes : l’ordre de contrainte provoque la validité et celle-ci, à son tour, provoque l’ordre de contrainte. Il ne serait pas exact de soupçonner ici un cercle vicieux, car nous avons affaire à un rapport non pas logique, mais à un rapport réel de causalité. Il faut relever particulièrement le caractère lié et intermédiaire de la conscience juridique, par opposition à la conscience morale. La validité juridique est liée à l’ordre de contrainte réel, elle est indirecte, du moins assez souvent, dans la mesure où elle est liée à des règles qui émanent de certaines compétences ». ↩︎
  39. C. Leben, « Droit : quelque chose qui n’est pas étranger à la justice », 11 Droits 1990, pp. 35-40, p. 38 où l’auteur parlant de la justiciabilité, critère selon lui de la juridicité, écrit : « c’est la possibilité pour certaines règles, selon la croyance des acteurs du système, de faire l’objet d’un jugement par un tiers ». Cela dit, juste après, l’auteur se réfère à la perception de la justiciabilité comme condition de la qualité des règles de droit. ↩︎
  40. J.-F. Perrin, « Règle », Archives de philosophie du droit, Vol. 35, 1990 — Vocabulaire fondamental du droit, pp. 245-255, 252-253 : « une exigence que l’on ne peut pas évacuer, … d’où le malaise (à tout le moins) de la dogmatique concernant cette question. Une certaine aptitude de la règle à réaliser son programme démontre que le message normatif a été reçu et perçu comme tel. La sensibilité des systèmes sociaux et juridiques à cet égard prend une toute autre signification si on considère cette exigence seulement comme un moyen de preuve : une attestation du fait que le message normatif a été reconnu par son destinataire. Il est nécessaire de se référer à la réaction de celui-ci. La règle doit être connue et reconnue pour être règle. Cette reconnaissance est un élément constitutif fondamental. L’exemple des règles du jeu est très illustrant. On ne peut pas jouer au bridge sans reconnaître, c’est-à-dire connaître et accepter les règles. Cette exigence appartient évidemment à la nature du phénomène étudié. On rétorquera que la prise en compte de cette nécessité flaire bon le contractualisme. Les règles seraient des modèles reçus, acceptés, donc convenus à certains égards. Cette constatation n’exclut pas la scientificité d’une exigence qui est posée dans tout le champ des disciplines sociales. Rousseau, pas moins que Montesquieu, peut être considéré comme un précurseur de la sociologie. Piaget a, lui aussi, fidèlement restitué et exploité cette tradition des sciences sociales en prenant l’élément de la reconnaissance dans sa définition du fait normatif. Il désigne comme tel “ce qui est normatif pour le sujet tout en étant objet d’analyse pour l’observateur qui étudie à titre de faits les conduites de ce sujet et les normes que celui-ci reconnaît ». L’auteur admet que dans tout le champ des faits moraux et juridiques, cet élément est nécessairement présent. Il affiche moins de certitude concernant d’autres champs de connaissance mais finit tout de même par associer systématiquement la « reconnaissance personnelle … aux diverses formes d’obligation… », sans exclure le domaine de la logique. C’est cette reconnaissance qui, ontologiquement, signe le phénomène normatif. M. Amselek dit que les règles juridiques sont des actes de pouvoir qui doivent être référés à l’intention du locuteur, soit à celle des autorités juridiques. Quelle est cette autorité s’il s’agit de la coutume qui est une règle de droit comme une autre, aussi formelle qu’une autre ? Dans ce cas, le locuteur, autorité juridique, est une collectivité bien diffuse et indéfinie. N’est-il pas plus simple de se référer à la réaction du destinataire. Celui-ci reçoit le message normatif ; sa reconnaissance est un élément constitutif nécessairement présent, donc appartenant à la définition du phénomène ». ↩︎
  41. D. Alland, Sur quelques façons de considérer que le droit international public est ou n’est pas un droit « véritable » », in Représentations du droit international public, Paris, Pedone, coll. Doctrine(s), 2022 : « A cela un sceptique têtu pourrait objecter que si la preuve d’une pratique internationale efficiente est bien rapportée, cela ne dit rien de sa nature. Très bien. Mais en ce cas au nom de quoi disqualifier ou nier l’existence d’une pratique internationale qui prolifère dans presque tous les domaines socio-économiques alors même que ses acteurs officiels l’assignent eux-mêmes à un plan qu’ils qualifient de juridique, notamment en la distinguant de leurs relations purement politiques ? On est certes libre de considérer que leurs références à des concepts juridiques sont purement cosmétiques, libre de se désoler que cette représentation par les Etats de leur pratique ne corresponde pas au concept pur du Droit et pour cette raison libre de décider que tout cela repose sur un abus de langage. Mais un abus de langage universellement partagé par l’ensemble des locuteurs peut-il longtemps être qualifié d’abus ? Il y a bien des façons pour l’eau de couler et probablement bien des définitions de ce qu’est une cascade par rapport à une « chute d’eau » ou d’autres phénomènes de ce genre, mais ces divergences de définitions n’empêchent pas l’eau de couler. Cette eau, s’agissant de ce que l’on place sous le terme de « droit international public » c’est la pratique internationale placée par ses acteurs mêmes sur un plan parfaitement identifié par eux comme distinct (Ce qui n’exclut pas la porosité des frontières, qu’indique notamment la question de la distinction parfois très délicate entre des textes (ou des pratiques) juridiques et ceux qui n’en sont pas), ce qui emporte, toujours à leurs yeux, une multitude de conséquences tout-à-fait spécifiques (Un exemple parmi bien d’autres : la réparation comme obligation (secondaire) consécutive à un fait internationalement illicite par opposition au versement d’une indemnité ex gratia consécutive à un dommage ne résultant pas d’un tel fait et versée en pure opportunité suivant des considérations humaines (donc morales) ou politiques). Dès lors, le rejet de cette représentation – car c’est une représentation – que les Etats labellisent « droit international public positif » imposerait rien moins que la disqualification d’une pratique massive en l’extrayant du plan sur lequel ses acteurs la placent eux-mêmes. On conviendra qu’il y faut un dogmatisme de fer, forgé d’inébranlables certitudes délivrées depuis un haut sommet d’autorité ! Problème : l’histoire de la pensée enseigne que n’ont jamais été mis au point les outils théoriques très précis qui pourraient permettre de justifier l’énorme « rectification » de cette immense « erreur » partagée par l’ensemble des acteurs du système ». ↩︎
  42. Voir notamment H. Kelsen, « What is a Legal Act ? », trad. B. et S. L. Paulson, American Journal of Jurisprudence, Vol. 29, 1984, pp. 199-212, 207 ss. sp. p. 209 : « The individuals addressed by the constitution that is established through a revolutionary act are given a choice between carrying out the old or the new constitution. In deciding in favor of the new constitution, in deciding, that is, that the old constitution has ceased to be binding and that the new one is binding on them, they make the new system efficacious, thereby transforming it into a legal system. If they were conscious of the significance of this process, they would have to grant that they can recognize the new constitution as binding only by presupposing that one ought to act as the new constitution, not the old, prescribes. That is, they no longer presuppose a basic norm that serves as the foundation of the old constitution but rather a basic norm that serves as the foundations of the new » ; p. 210 : « The process whereby the act establishing the constitution becomes efficacious and is thereby legitimated is similar to the process giving rise to a norm of customary law : A norm, held to be binding (opinion necessitatis) but not yet a legal norm, becomes a legal norm in that the individuals whose behavior the norm regulates generally behave in conformity to the norm, that is to say, the norm becomes a legal norm in that it becomes efficacious. And, in that this norm becomes efficacious, behavior corresponding to it becomes legal retroactively, even if such behavior was originally illegal owing to a conflict with a previously valid legal norm. The principle of customary law is only one application of the general principle of efficacy, a principle that plays such a decisive role in the legal development or, historically speaking, a first constitution – in particular, a revolutionary constitution whose emergence marks a rupture in the existing constitution ». Voir également G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, Paris, L.G.D.J., 4e éd., 1949, 417 p., 26 : « Ainsi la morale est un facteur essentiel du droit. Ce n’est pas seulement un élément du donné sur lequel le juriste doit construire ; c’est une force vive qui dirige la construction et qui est capable de la faire tomber. Tant de lois sont restées lettre morte pour ne pas avoir rencontré l’assentiment de ceux qu’elles devaient régir ! ». ↩︎
  43. Pour une critique de cette approche G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, Paris, L.G.D.J., 4e éd., 1949, 417 p., 290 : « « Ce qui est le droit, a dit M. Em. Lévy, c’est ce que nous croyons être le droit ». A prendre au sérieux de telles formules on arrive à fonder le droit sur la croyance générale, c’est-à-dire, et par une singulière perversion de l’esprit, la vérité sur l’erreur commune ». ↩︎
  44. Voir ainsi J.N.D. Anderson, Islamic Law in Africa, London, Cass, 1955 ; rééd. London and New York, Routledge, Coll. Routledge Library Editions: Islam, Vol. 12, 2008, 424 p., 4: “It is, however, vital to remember that the attitude of indigenous Muslims to the basis on which Islamic law is applied may, and often does, differ considerable from that of British lawyers or administrators. Where the latter enforce it, or permit its enforcement, merely as native law and custom, the former will regard it as binding on their consciences by Divine command, however much they may restrict or evade its application in practice, and also, in parts, as imposed by the political command of some Muslim Sultan or Emir”. ↩︎
  45. G.-A. J. Kouassigan, Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit de la famille en Afrique noire francophone, Paris, Pedone, 1974, 311 p, p.15. ; J. Griffiths, “What Is Legal Pluralism”, Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 24, 1986, pp. 1-56, 38: “Legal pluralism is a concomitant of social pluralism: the legal organization of society is congruent with its social organization. ‘Legal pluralism’ refers to the normative heterogeneity attendant upon the fact that social action always takes place in a context of multiple, overlapping ‘semi-autonomous social fields’, which, it may be added, is in practice a dynamic condition”. ↩︎
  46. En ce sens, notamment, H. Muir Watt, « La fonction subversive du droit comparé », Revue internationale de droit comparé, Vol. 52, No. 3, 2000, pp. 503-527, passim, spéc. p. 510 ; O. Jouanjan, « Les scènes du droit. A propos de : Jacques Krynen, Le théâtre juridique. Une histoire de la construction du droit », La vie des idées, 16 mai 2019,https://laviedesidees.fr/Les-scenes-du-droit-4417.html [consulté le 01/12/2023], spéc. : « Le droit n’occupe qu’une place trop limitée dans la culture française actuelle. Il est certes affaire de technicité, mais bon nombre de ses principes constitutifs sont parfaitement explicables à un large public. Puissante construction sociale, il ne doit pas être abandonné aux seuls spécialistes pour former un « droit des juristes » qui communique difficilement au sein de l’espace public » ; « Les pratiques de la loi sont toujours exercées dans un milieu politique, social et intellectuel complexe et tendu : la loi n’est rien sans l’intervention des acteurs juridiques » ; « Le droit est fondamentalement une pratique sociale et sa compréhension ne suppose pas seulement la connaissance de ses principes et de ses techniques : il y faut aussi une sociologie et une histoire ». ↩︎
  47. J. Bell, “English Law and French Law-Not So Different?”, Current Legal Problems, Vol. 48, No. 2, 1995, pp. 63-101, 69 : « law is not just a system of norms and values, but also a set of practices and approaches of a specific legal community, and that these features build together into a tradition: A tradition may be defined as a complex of rules, concepts, institutions and practices which characterise the way the law works in a particular area. These features build together into a process. In short a tradition is a way of doing things, which is handed down and shapes the way in which the law operates (J. Bell, ‘Comparative Law and Legal Theory’ in W. Krawietz, N. MacCormick and G. H. von Wright, Prescriptive Formality and Normative Rationality in Modern Legal Systems (Berlin 1994) 19 at p. 25.1. H. Merryman defines as legal tradition as ‘a set of deeply rooted, historically conditioned attitudes about the nature of law, about the role of law in the society and the polity, about the proper organisation and operation of a legal system, and about the way law is or should be made, applied, studied, perfected, and taught. The legal tradition relates the legal system to the culture of which it is a partial expression.’ (Legal Traditions (Stanford 1969), p. 2).) The practice of law is an activity of engaging in a process of interaction with a tradition which provides a framework for handling social problems. The law is not simply a set of historically created norms of statute or case-law which have to be interpreted, it is also the practice of a historically, socially and politically determined legal community which makes accessible those norms and determines the criteria of correct interpretation. It is the practice of that community which accords authority to the sources of law (since you will not find these written in a text in most legal systems), and which determines how they are to be read » ; 70: “In other words, law is conceived of not just as a set of rules or concepts, but rather a tradition of using these in particular ways as part of a social practice. Norms, concepts, values and practices are all handed down within a legal community working in particular legal institutions, such as courts, and these parts of the legal tradition all help to shape a particular legal culture. A legal culture involves a specific way in which values, practices, and concepts are integrated into the operation of legal institutions and the interpretation of legal texts. My approach is to look at differences not in terms of discrete individual features, but to focus on whether there is a general difference in legal tradition or culture which is exhibited in particular ways. It is that aspect that Zweigert and Kotz are concerned to discern through the general concept of ‘style’”. ↩︎
  48. On se rappelle Montesquieu : « La loi, en général, est la raison humaine, en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre ; et les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que des cas particuliers où s’applique cette raison humaine. […]. Il faut qu’elles se rapportent à la nature et au principe du gouvernement qui est établi, ou qu’on veut établir ; soit qu’elles le forment, comme font les lois politiques ; soit qu’elles le maintiennent, comme font les lois civiles. / Elles doivent être relatives au physique du pays ; au climat glacé, brûlant, ou tempéré ; à la qualité du terrain, à sa situation, à sa grandeur ; au genre de vie des peuples, laboureurs, chasseurs, ou pasteurs : elles doivent se rapporter au degré de liberté que la constitution peut souffrir, à la religion des habitants, à leurs inclinations, à leurs richesses, à leur nombre, à leur commerce, à leurs mœurs, à leurs manières : enfin elles ont des rapports entre elles ; elles en ont avec leur origine, avec l’objet du législateur, avec l’ordre des choses sur lesquelles elles sont établies. C’est dans toutes ces vues qu’il faut les considérer », C.L. Montesquieu, De l’esprit des lois [1748], Paris, GF Flammarion, 1979, Livre I, Chapitre III, p. 128. En ce sens également, notamment, M. Van Hoecke & M. Warrington, “Legal Cultures, Legal Paradigms, Legal Doctrine: Towards a New Model for Comparative Law”, International Comparative Law Quarterly, vol. 47, 1998, pp. 495-536, 498 ; W. Menski, “Hindu Law as a ‘religious System”, in A. Huxley (ed.), Religion, Law and Tradition. Comparative Studies in Religious Law, Abingdon, Routledge, 2002, spéc. pp. 110 et 125. ; M.-C. Ponthoreau, « Le droit comparé en question(s) : entre pragmatisme et outil épistémologique », Revue internationale de droit comparé, Vol. 57, No. 1, 2005, pp. 7-27, spéc. p. 14 et s. ; M.-C. Ponthoreau, « Droits étrangers et droit comparé : des champs scientifiques autonomes ? », Revue internationale de droit comparé, Vol. 67, n° 2, 2015, pp. 299-315, 305 et s. ; M. Troper, « L’histoire du droit, le droit comparé et la théorie générale du droit », Revue internationale de droit comparé. Vol. 67 n° 2, 2015 — La comparaison en droit public. Hommage à Roland Drago. pp. 331-334, 333-335 au sujet des concepts. Voir également, concernant l’histoire, M. Bloch, Apologie pour l’histoire ou le métier d’historien, Paris, Armand Colin, 1949, p. 23 (http://classiques.uqac.ca/classiques/bloch_marc/apologie_histoire/apologie_histoire.html) : « jamais, en un mot, un phénomène historique ne s’explique pleinement en dehors de l’étude de son moment ». ↩︎
  49. Voir en ce sens, notamment, P. Legrand, “The Impossibility of ‘Legal Transplants.’ Maastricht Journal of European and Comparative Law, vol. 4, no. 2, June 1997, pp. 111–124 ; M. Van Hoecke & M. Warrington, “Legal Cultures, Legal Paradigms, Legal Doctrine: Towards a New Model for Comparative Law”, International Comparative Law Quarterly, vol. 47, 1998, pp. 495-536, p. 498 : « The concept of law as culture emphasises that law is more than just a set of rules or concepts. It is also a social practice within a legal community. It is this social practice which is determining the actual meaning of the rules and concepts, their weight, their implementation and their role in society. However, if law is not just a set of rules or concepts, neither is it an isolated social practice. Law and legal practice are one aspect of the culture to which they belong. “Legal cultures” are part of more general cultures. Understanding law implies a knowledge and an understanding of the social practice of its legal community. Understanding this social practice presupposes a knowledge and an understanding of the general culture of the society in which the legal community is embedded. Distinguishing legal systems means distinguishing legal communities and legal cultures. Comparing and distinguishing legal families is possible only when locating these legal orders and legal cultures within the broader context of the societal culture to which they belong. If we want to distinguish legal families, it would seem wise to give a brief overview of the cultural families in the world” ; J. Bell, « De la culture », in P. Legrand (dir.), Comparer les droits, résolument, Paris, PUF, 2009, pp. 247-278, 256 : « On ne peut tout simplement pas imputer un sens à un texte juridique en dehors de la culture qui en constitue le contexte d’interprétation » ; A. Bailleux & H. Dumont, « Esquisse d’une théorie des ouvertures interdisciplinaires accessibles aux juristes », Droit et société, 2010, vol. 75, n° 2, pp. 275-293, p. 285 : « s’il est vrai que le juriste ne doit surtout pas confondre les explications juridiques et les explications sociologiques, il ne peut pas pour autant se couper des faits politiques et sociaux. Dans la mesure où le système juridique n’est pas clos sur lui-même, mais bien relié par de nombreux canaux aux autres sous-systèmes sociaux, il est manifestement faux que le droit puisse s’expliquer entièrement par lui-même » ; K. Tuori, « Vers une théorie du droit transnational », Revue internationale de droit économique, Vol. 1, n° 27, 2013, pp. 9-36, 31 : « nous devrions être conscients du rôle général de la culture juridique dans la pratique du droit et de la fonction des concepts, principes et théories juridiques en tant que filtres à travers lesquels le contenu normatif de surface est appréhendé et interprété. Le rejet de la lecture kelsénienne du perspectivisme juridique n’implique pas la contestation des liens importants toujours existants entre les juridictions nationales et leur ordre juridique national. La culture juridique est internalisée dans le cadre de la socialisation juridique : au cours des études universitaires et des activités professionnelles ultérieures. Les juges nationaux ont reçu leur formation juridique dans les universités nationales et ont accumulé leur expérience professionnelle au sein du système judiciaire national, et, par conséquent, leur précompréhension juridique est imprégnée de la culture juridique nationale. Par conséquent, nous sommes en droit de supposer, par exemple, que les juges nationaux approchent et interprètent le droit communautaire à travers leur culture juridique nationale : par le biais des concepts, des principes et des théories juridiques inhérents à cette culture. Et rappelant l’hypothèse de la culture juridique comme faisant partie intégrante de l’ordre juridique, nous pouvons parler, non seulement des divergences de vues sur le droit européen, mais aussi de différents droits européens, coulés dans des moules juridico-culturels différents ». Voir également M. Manet, Les figurations du sujet « peuple » dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Examen contextualiste d’une subjectivité collective, thèse de doctorat en droit, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : Le droit et ses institutions « ne peuvent donc être étudiés et compris qu’à travers les conditions sociales, politiques et historiques dans lesquelles ils se produisent et qu’à travers les acteurs qui les mobilisent ». ↩︎
  50. P. Legrand, “The Impossibility of ‘Legal Transplants.’ Maastricht Journal of European and Comparative Law, vol. 4, no. 2, June 1997, pp. 111–124 : “A rule does not have any empirical existence that can be significantly detached from the world of meanings that characterizes a legal culture; the part is an expression and a synthesis of the whole; it resonates” ; C. Deliyanni-Dimitrakou, « Approches philosophiques du droit comparé », Revue hellénique de droit international, Vol. 57, n° 2, 2004, pp. 423-454, 434 : « les besoins de vie que rencontrent les diverses sociétés sont habituellement formés par divers facteurs historiques, politiques, économiques culturels et linguistiques, avant d’être réglés par le droit. Ainsi, il arrive fr6quemment que le même problème soit abordé par le droit de telle société et constitue un problème juridique alors que, dans d’autres sociétés, il demeure dans le champ de la réalité extra-juridique ou bien ne se pose même pas en tant que problme (R. Hyland, “Comparative Law”, in D. Patterson (dir.), A Companion to Philosophy of Law and Legal Theory; Blackwell Publishers, Oxford et al., 1996 188 ; M. Bogdan, Comparative law, Deventer, Kluwer, 1994, 64; D. Kokini-latridou, “Some Methdological Aspects of Comparative Law, The Third Part of a (Pre-) Paradigm”, NILR, 1986, p. 143 et seq.) ». Voir aussi P. Legrand, « Sur l’analyse différentielle des juriscultures », Revue internationale de droit comparé, Vol. 51, n° 4, 1999, pp. 1053-1071. Voir également au sujet du droit et de la religion Musanda T. Selwyn Mwamba, « Law and Religion in Africa: Living Expressions and Channels of Co-operation”, African Human Rights Law Journal, Vol. 14, 2014, pp. 69-77. ↩︎
  51. Voir notamment M. Van Hoecke, « Le droit en contexte », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2013, vol. 70, n° 1, pp. 189-193, 192 : « Le droit a toujours une histoire et se comprend mieux quand on connaît cette histoire. Le droit vit dans une société, influence cette société, mais est à son tour influencé par elle ». ↩︎
  52. Voir ainsi Les Pensées de Pascal disposées suivant l’ordre du cahier autographe, Freiburgi Helvetiorum, APUD Bibliopolam Universitatis, MDCCCXCVI, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bd6t5368652k#, p. 73: « on ne voit rien de juste ou d’injuste qui ne change de qualité en changeant de climat. Trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence. Un méridien décide de la vérité ; en peu d’années de possession, les lois fondamentales changent ; le droit a ses époques. L’entrée de Saturne au Lion nous marque l’origine d’un tel crime. Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». ↩︎
  53. F.S.C. Northrop, “The Comparative Philosophy of Comparative Law”, Cornell Law Quarterly, Vol. 45, No.4, 1960, pp. 617-658, 617 : « Cultural anthropology and sociological jurisprudence have shown that there is no culture or society without normative legal procedures for settling the disputes of its people. Moreover, these legal procedures vary in their normative ethical content”; P. Sack, « Cultures juridiques en Océanie », in Une introduction aux cultures juridiques non occidentales autour de Masaji Chiba, W. Capeller, T. Kitamura dir., Bruxelles, Bruylant, Bibliothèque de l’Académie européenne de théorie du droit, 1998, 288 p., 225-231, 230 : « Si nous acceptons le postulat que le droit est un objet culturel, nous devons admettre que le droit peut prendre des formes qui diffèrent l’une de l’autre de façon fondamentale. Ce qui veut dire non seulement que toute définition du droit sera plus ou moins relative (raison suffisante pour abandonner toute tentative qui viserait la formulation d’une théorie universelle du droit) mais aussi que n’importe quel aspect de n’importe quelle culture peut éventuellement faire partie du système juridique » ; Y. Person, « L’Etat-Nation et l’Afrique », Outre-Mers. Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 68, no. 250-253, 1981 – Etat et société en Afrique noire, pp. 274–282, 275 : « Il y a certes une unité profonde de la nature humaine, mais cette unité consiste justement dans la diversité des solutions culturelles qu’elle peut apporter dans les rapports de chaque personne avec les autres et avec sa mort ». Voir, sur le territoire de chaque Etat africain, G.-A. J. Kouassigan, Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit de la famille en Afrique noire francophone, Paris, Pedone, 1974, 311 p., 167 : « coutumes que d’ethnies différentes. Dans le cadre de chaque Etat africain, on ne peut parler d’un droit commun applicable à tous, mais plutôt d’une pluralité de systèmes juridiques dont chacun édicte ses règles particulières à propos des mêmes faits. Le colonisateur avait tenté d’en dresser l’inventaire (Cf. R. Villamur et M. Delafosse, Les coutumes Agni, Paris, Challamel, 1904 ; L. Geismar, Recueil des coutumes civiles des races du Sénégal, Saint-Louis, 1933 et surtout Les coutumiers de l’A.O.F., 3 volumes, Paris, Larose, 1939). A l’intérieur même de chaque ethnie, le droit se différencie par la fonction sociale de ceux à qui il s’applique et le droit coutumier porte la marque de la hiérarchie sociale et de la division fonctionnelle de la société, au point que dans certains cas, la coutume apparaît non pas comme le droit d’un peuple, dont l’unité est fondée sur une communauté de culture, mais comme celui d’une fraction de ce peuple, ayant la même fonction sociale en exerçant le même métier ». ↩︎
  54. H. Jameson, « Y a-t-il une voie africaine du socialisme ? », Présence Africaine, 1964/1, N° XLIX, pp. 50-63, 62-63 : « c’est là un trait particulier à la civilisation : à la longue, il lui manque toujours « certains éléments » et elle doit faire appel à des peuples qui lui sont contemporains pour assurer changement et continuité. / Dans sa Psychologie Sociale, le Professeur McDougall fait écho à la même idée : « Il n’y a pas une seule des grandes nations européennes qui ait créé sa propre civilisation, mais chacune d’elles n’a fait qu’emprunter les divers éléments de sa culture à tous les peuples de la terre, en les combinant et en les adaptant pour satisfaire ses besoins propres, et en jouant elle-même un rôle, réduit quoiqu’important, dans l’ensemble ». / C’est dans une telle perspective, quoique en pratiquant la politique de non-alignement la plus stricte, que les Africains d’aujourd’hui s’efforcent de forger le socialisme dans une manière africaine » ; Sally E. Merry, “Legal Pluralism.” Law and Society Review, Vol. 22, No. 5, 1988, pp.869-896, 870: “Yet, legal pluralism goes far deeper than the joining of European and traditional forms of law. We are only now beginning to explore the extent to which previously colonized societies are legally and culturally plural. The Europeans were not the first outside influence bringing a new legal system to many Third World peoples. Indigenous law had been shaped by conquests and migrations for centuries. For example, Geertz describes the legal complexity of Java as the product of the encounters of an original group of settlers from South China and north Vietnam with India states, Chinese trading communities, Islamic missionaries, Dutch and British colonizers, Japanese occupation forces, and presently, the Indonesian state (1983: 226)” ; E. Agostini, Droit comparé, Paris, PUF, 1988, n° 125 : « innombrables ont été les emprunts ponctuels par lesquels tel ou tel ordre juridique s’est inspiré d’exemples en introduisant des institutions ou des règles inspirées de l’étranger [note omise] » ; C. Deliyanni-Dimitrakou, « Approches philosophiques du droit comparé », Revue hellénique de droit international, Vol. 57, n° 2, 2004, pp. 423-454, 445. ↩︎
  55. En ce sens, notamment, M. Thioye, « Part respective de la tradition et de la modernité dans les droits de la famille des pays d’Afrique noire francophone », Revue internationale de droit comparé, Vol. 57, n° 2, 2005, pp. 345-397, 347-348. Voir également : « Même si l’Afrique a longtemps constitué un lieu de destination de toutes sortes de mouvements de population et de flux culturels, elle a aussi, depuis des siècles, été une zone de départ en direction de plusieurs autres régions du monde », A. Mbembe, « Afropolitanisme », Africultures. Les mondes en relation, 25 décembre 2005. [En ligne]. http://africultures.com/afropolitanisme-4248/?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=500 [consulté le 11 septembre 2021]. ↩︎
  56. Voir ainsi sur la diffusion du droit français, Conseil d’Etat, Section du rapport et des études, L’influence internationale du droit français, Etude adoptée par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat le 19 juin 2001, Paris, La Documentation française, 159 p., spéc. p. 51. ↩︎
  57. Sur l’exigence, pour que cela fonctionne, de prendre en compte le droit de la société dans laquelle on désire introduire son droit, F.S.C. Northrop, “The Comparative Philosophy of Comparative Law”, Cornell Law Quarterly, Vol. 45, No.4, 1960, pp. 617-658 et J. Matringe, « Considérations préliminaires à l’étude de la gestion macro-juridique du pluralisme », in Droits africains et pluralisme juridique en Afrique 3: La gestion du pluralisme juridique en Afrique », https://droitsafricainsonline.com/themes/droits-africains-et-pluralisme-juridique-en-afrique/3-la-gestion-du-pluralisme-juridique-en-afrique/considerations-preliminaires-a-letude-de-la-gestion-macro-juridique-du-pluralisme/ ↩︎
  58. M. Kamto, « Sur la notion de droit constitutionnel », in M. Kamto & J. Matringe (dir.), Droit constitutionnel des Etats africains, à paraître, Paris, Pedone, 2024, p. 3. De même, p. 12 : « Dans la doctrine juridique française de droit public, Jean Rivero fut, comme on l’a vu, un des rares à montrer, à travers une étude de droit comparé, que l’histoire du droit est une histoire d’emprunts d’une civilisation à l’autre. Il insistait notamment sur ce qu’une bonne partie de la doctrine française de droit administratif doit à la doctrine juridique allemande ; et l’on sait que les droits de tradition civiliste ou continentale ont hérité l’essentiel de leurs concepts et institutions du droit romain ». Voir également F.S.C. Northrop, “The Comparative Philosophy of Comparative Law”, Cornell Law Quarterly, Vol. 45, No.4, 1960, pp. 617-658, 657-658 : “The foregoing comparative study is of considerable contemporary practical significance. First, it shows that in introducing foreign legal and political norms into any society, those norms will become effective and take root only if they incorporate also a part at least of the norms and philosophy of the native society. Second, this means that the present practice of imposing purely Western secular legal and political systems on African, Middle Eastern and Asian societies, without incorporating into those systems at least some basic factors in the traditional philosophy of the living law of the native people, is likely to end in failure. […]. Third, the practical problem, therefore, if success is to occur, consists in finding a criterion for determining those factors in the traditional living law which are to be incorporated and synthesized with the new positive codified law of contract from the modern West, and those factors of the old living law which must go because they are incompatible with modern contractual legal and political institutions and social ways. […]. Any contemporary Asian leader whose aim is the free democratic modernization of his nation will be wise to make this portion of the living law of his people as essential and explicit a part of his legal and political system as is the new free democratic positive law and politics which he is importing from the modern West. Otherwise, the maximum support from the living law that is necessary to make his new positive legal and political reforms effective is not likely to be forthcoming [note omitted]”. ↩︎
  59. Ch. Montesquieu, De l’esprit des lois I, 1748, Paris, GF-Flammarion, 1979, 507 p., Livre premier, chapitre III – Des lois positives : « La loi, en général, est la raison humaine, en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre ; et les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que les cas particuliers où s’applique cette raison humaine. Elles doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites, que c’est un très grand hasard si celles d’une nation peuvent convenir à une autre » ↩︎
  60. Pour l’invention du concept, William G. Summer, Folkways – A Study of the Sociological Importance of Usages, Manners, Customs, Mores, and Morals, Boston, Ginn, 1906. ↩︎
  61. En ce sens, notamment I. Kopytoff, “Socialism and Traditional African Societies”, in W. H. Friedland & C.G. Rosberg Jr. (eds), African Socialism, Stanford, Stanford University Press, 1964, pp. 53-62, 54. Sur l’eurocentrisme, M. Koskenniemi, « Histories of International Law : Dealing with Eurocentrism », Rechtsgeschichte, Vol 19, 2011, pp 152-177. ; L. Obregon, « Martti Koskenniemi’s Critique of Eurocentrism in International Law », in Wouter Werner (ed), The Law of International Lawyers – Reading Martti Koskenniemi, Cambridge University Press, 2017, pp 362-392 ; V. Genin, « Eurocentrisme et modernité du droit international, 1860-1920 », Monde(s), Vol 14, n°2, 2018, pp 199-221 ; N. Tzouvala, « The Specter of Eurocentrism in International Legal History », Yale Journal of Law & the Humanities, Vol 31, No. 2, 2021, pp 413-434. ↩︎
  62. Voir notamment H. Muir Watt, « La fonction subversive du droit comparé », Revue internationale de droit comparé, Vol. 52, No. 3, 2000, pp. 503-527, 505. ↩︎
  63. Voir notamment Aristide R. Zolberg, “The Dakar Colloquium: The Search of a Doctrine”, in W. H. Friedland & C. G. Rosberg Jr. (eds), African Socialism, Stanford, Stanford University Press, 1964, pp. 113 ss., 119-120. ↩︎
  64. Voir P. Legrand, “The Impossibility of ‘Legal Transplants.’ Maastricht Journal of European and Comparative Law, vol. 4, no. 2, June 1997, pp. 111–124, passim. Voir également, de manière plus fondamentale Amadou H. Bâ, Aspects de la civilisation Africaine (personne, culture, religion), Paris, Présence Africaine, 1972, rééd., 2017, 140 p., 33 : « Pourquoi écrire les langues africaines ? dira-t-on. Parce qu’elles seules peuvent permettre, en tant qu’instruments de médiation, de pénétrer l’âme réelle de l’Afrique. Quelle que soit la beauté d’une traduction, il manquera toujours ce “quelque chose” qui fait la spécificité de la langue originelle, la couleur, la configuration et le contenu de son esprit, sa conception des choses et sa manière de les rendre. / Le verbe est créateur. Il maintient l’homme dans sa nature propre. Dès que l’homme change de langage, il change d’état. Il se coule dans un autre monde ». ↩︎
  65. Sally F. Moore, “Law and Social Change: The Semi-Autonomous Social Field as an Appropriate Subject of Study”, Law and Society Review, Vol. 7, No. 4, 1973, pp. 719-746, 719. ↩︎
  66. C. Lovisi, Introduction au droit, 4ème éd., Paris, Dalloz, 2011, p. 3. ↩︎
  67. Voir, au sujet du fait colonial et d’un point de vue sociologique, G. Balandier, « La situation coloniale : approche théorique », Cahiers internationaux de sociologie, Vol. 11, 1951, pp. 44–79, 73 : « Car il semble bien que certaines « manières d’être liés », certaines liaisons sociales subsistent, alors que les structures au sein desquelles elles jouaient sont altérées ou détruites, tandis que de nouvelles paraissent en fonction de la situation coloniale, des conjonctures sociales créées par celle-ci. Elles peuvent co-exister et donner aux innovations conçues par la société colonisée ces caractères à la fois traditionalistes et modernistes, cette ambiguïté notée par quelques observateurs ». ↩︎
  68. J. John-Nambo, « Quelques héritages de la justice coloniale en Afrique noire », Droit et société, 2002/2, n° 51-52, pp. 325-344, 326 : « aux indépendances, les Etats africains sortis de la colonisation française, s’ils n’ont pas ressuscité l’ancienne justice traditionnelle ou recopié intégralement la justice européenne, se sont essentiellement fondés sur les principes élaborés en Europe et pour l’Europe. Or ces principes ne pouvaient être appliqués en Afrique ni intégralement ni de façon satisfaisante car, malgré les apparences historiques, les institutions impliquent toujours des structures sociales et une conception qui ne se transfèrent pas d’une société à une autre ». ↩︎
  69. En ce sens, notamment, A. Gambaro, R. Sacco & L. Vogel, Le droit de l’occident et d’ailleurs, Paris, LGDJ, 2011, 455 p., § 15. ↩︎
  70. C. Ntampaka, Introduction aux systèmes juridiques africains, travaux de la Faculté de droit de Namur, Presses universitaires de Namur, Namur, 2005, 190 p., p. 41. ↩︎
  71. Voir par exemple E. Cotran, “The Unification of Laws in East Africa”, The Journal of Modern African Studies, Vol. 1, No. 2, 1963, pp. 209-220, 209-210: “Each country – Kenya, Uganda, and Tanganyika – has, first, a general territorial law, which consists of (a) written laws, including Ordinances, Acts of Parliament (as they are called after independence), and subsidiary legislation; (b) Indian enactments, though these are gradually disappearing and are being replaced by local Acts; (c) certain applied Acts of the United Kingdom Parliament, with some exceptions and modifications; and (d), in the absence of (a), (b), and (c), the substance of the common law, doctrines of equity, and statutes of general application in force in England on a particular date.1 It is, however, provided that the said common law, doctrines of equity, and statutes of general application shall be in force in the territory only so far as the circumstances of the territory and its inhabitants permit, and subject to such qualifications as local circumstances may render necessary. The second main category is customary law – or, to be more precise, customary laws”. ↩︎
  72. G. Woodman, « Droit comparé général », in Une introduction aux cultures juridiques non occidentales autour de Masaji Chiba, W. Capeller, T. Kitamura dir., Bruxelles, Bruylant, Bibliothèque de l’Académie européenne de théorie du droit, 1998, 288 p., 117-150, 144-145 : « La présomption habituelle est que chaque Droit opère dans un « champ ». On pense que le champ de chaque Droit est composé d’individus qui sont tous membres d’une communauté, ou au moins d’un groupe, par la possession commune de certaines caractéristiques ou d’un ensemble de caractéristiques. On se réfère parfois à la communauté ou au groupe en tant que peuple, ou pays. ¿Cependant, la reconnaissance du pluralisme juridique, plus particulièrement du pluralisme juridique profond, exclut une représentation simple de l’univers dans laquelle chaque individu appartient seulement à un « peuple ». L’individu, dans la situation de pluralisme juridique, est le sujet, ou potentiellement le sujet (parfois de sa propre volonté) de plus d’un « Droit », et donc un membre de plus d’un champ. C’est ainsi que les champs du Droit ont pu être décrits de manière désormais classique comme « champs sociaux semi-autonomes ». Cette nouvelle dimension requiert que les champs juridiques soient considérés comme consistant de relations plutôt que d’individus, et évite de façon constructive ce que Bourdieu appelle « la perception de sens commun (mais erronée) de la réalité sociale » en tant que choses et états plutôt qu’en tant que relations et processus. M. Chiba fait également référence au temple, au festival et au « ressort scolaire » comme des lieux de Droits distinctifs. Encore une fois, les différents droits du sport ont leurs propres champs. La reconnaissance de champs de Droit aussi variés, divers et se chevauchant, implique la propension à la complexité d’une représentation complète des relations entre les Droits ». ↩︎
  73. Voir notamment M. Ndulo, “African Customary Law, Customs, and Women’s Rights”, Ind. J. Global Legal Stud., Vol. 18, 2011, pp. 87-120. ↩︎
  74. Ainsi, C. Ntampaka commence son ouvrage par la question de la pluralité de règles à appliquer (#C. Ntampaka, Introduction aux systèmes juridiques africains, travaux de la Faculté de droit de Namur, Presses universitaires de Namur, Namur, 2005, 190 p.). ↩︎
  75. Sally E. Merry, “Legal Pluralism”, Law and Society Review, Vol. 22, No. 5, 1988, pp. 869-896, 869: “Indeed, given a sufficiently broad definition of the term legal system, virtually every society is legally plural, whether or not it has a colonial past. Legal pluralism is a central theme in the reconceptualization of the law/society relation”. ↩︎
  76. Voir J.-G. Belley, « Pluralisme juridique », in A.-J. Arnaud et al. (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 2e éd. Corrigée et augmentée, pp. 446-449, 446. ↩︎
  77. Voir J.-G. Belley, « L’Etat et la régulation juridique des sociétés globales : pour une problématique du pluralisme juridique », Sociologie et sociétés, Vol. 18, No. 1, 1986, p.11–32. https://doi.org/10.7202/001041ar ↩︎
  78. Karl N. Llewellyn, E. Adamson Hoebel, The Cheyenne Way. Conflict and Case Law in Primitive Jurisprudence, Norman, Oklahoma, University of Oklahoma Press, I941; rééd. La voie Cheyenne. Conflit de jurisprudence dans la science primitive du droit, Paris/Bruxelles, LGDJ/Bruylant, 1999, 333 p. ↩︎
  79. En ce sens, au sujet d’autres domaines, •F.-X. Fauvelle, Penser l’histoire de l’Afrique, CNRS Editions / De Vive Voix, coll. Les Grandes Voix de la Recherche, 2022, 94 p., 19-20 : « Il est impensable aujourd’hui, en tout cas, il devrait être impensable d’aborder l’histoire des grandes innovations techniques et économiques de l’humanité (la microlithisation au Paléolithique supérieur, la production alimentaire au Néolithique, les métallurgies), sans examiner d’abord leur élaboration ou leur réception en Afrique. Toutes les grandes innovations, y compris l’écriture, ont été connues en Afrique. Mais il s’est passé une chose intéressante à observer : aucune de ces innovations n’y a fait table rase du passé, à la différence de ce qui s’est produit en Eurasie – à l’instar de la néolithisation qui n’a pas laissé subsister de sociétés de chasseurs-cueilleurs. En Afrique, au contraire, les innovations techniques et économiques ont cohabité : les agriculteurs avec les chasseurs-cueilleurs, les Etats centralisés avec les éleveurs nomades… Elles n’ont pas homogénéisé les sociétés ; elles ont complexifié leurs interactions. Si bien que l’histoire de l’Afrique est riche, non seulement pour ce qu’elle nous apprend des trajectoires africaines, mais aussi parce qu’elle nous permet de réinterroger la trajectoire historique des sociétés européennes, qui fournit bien souvent, à tort, le modèle évolutionniste à partir duquel penser les trajectoires des autres sociétés du monde. ↩︎
  80. En ce sens, notamment, N. Rouland, Aux confins du droit. Anthropologie juridique de la modernité, Paris, Odile Jacob, 1991, 318 p., 66 : « A l’heure actuelle, la plupart des Etats d’Afrique noire vivent en situation de pluralisme juridique. Le droit officiel, celui des codifications calquées sur les modèles européens, est celui des groupes dirigeants, la majorité de la population vivant suivant d’autres droits, tantôt coutumiers, tantôt récents, ignorés ou partiellement reconnus par le droit officiel. Les juristes européens qualifient souvent d’anarchique cette situation. Rien n’est moins vrai : les ajustements entre ces différents systèmes de droit, parfois vécus simultanément par les populations, demandent beaucoup de soin. De plus, ils correspondent à cette tradition de pluralité du droit » ; J. Griffiths, “What is Legal Pluralism”, Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 24, 1986, pp. 1-56, 38: “Legal pluralism is an attribute of a social field and not of ‘law’ or of a ‘legal system’. A descriptive theory of legal pluralism deals with the fact that within any given field, law of various provenance may be operative. It is when in a social field more than one source of ‘law’, more than one ‘legal order’, is observable, that the social order of that field can be said to exhibit legal pluralism” ; Sally E. Merry, “Legal Pluralism.” Law and Society Review, Vol. 22, No. 5, 1988, pp. 869-896, 870: “What is legal pluralism? It is generally defined as a situation in which two or more legal systems coexist in the same social field (Pospisil, 1971; Griffiths 1986a; Moore, 1986a)”. En ce sens également, semble-t-il, J. Gilissen, « Introduction à l’étude comparée du pluralisme juridique », in J. Gilissen (dir.), Le pluralisme juridique, Bruxelles, Université de Bruxelles, 1972, 332 p., 7-17. ↩︎
  81. J.-G. Belley, « Pluralisme juridique », in A.-J. Arnaud et al. (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 2e éd. Corrigée et augmentée, pp. 446-449, 446, définition 1 a). ↩︎
  82. Pour une telle approche, notamment, E. Le Roy, « Pourquoi, en Afrique, « le droit » refuse-t-il toujours le pluralisme que le communautarisme induit ? », Anthropologie et Sociétés, Vol. 40, No. 2, 2016, pp. 25–42., 38 : « Le « droit » véhiculé par les élites est une des formes, principalement discursive, écrite et sacralisée, d’une juridicité qui, par ses pratiques, usages, comportements et autres formes d’expression, continue de traduire les exigences communautaires que l’état de la société et ses modes de production exigent. Pour cela, il faut accepter l’idée que la juridicité est autant comportements et habitus que normes explicites et que le pluralisme est celui de la diversité des comportements réguliers des acteurs avant d’être l’expression d’une différence des règles ou de normes, donc centrée sur l’acteur juridique plutôt que sur la norme. L’expression de pluralisme intégral restitue alors l’exigence d’une prise en compte de l’ensemble de l’expérience juridique dans ses explicites et implicites, ses dimensions manifestes et cachées puis ses enjeux propres qui sont, au plus simple, selon la belle formule de Pierre Legendre « vitam instituere », instituer la vie en société par le respect de la diversité de ses composantes » ; G. Corradi, “Human Rights and Legal Pluralism in Legal Development Aid: Insights from Sub-Saharan Africa”, Human rights & international legal discourse, Vol. 9, No. 1, 2015, pp. 66-89, 75: “The concept ‘legal pluralism’ arises from the observation that individual and social behaviours are regulated by more than one normative order [note omitted] ». ↩︎
  83. Par exemple J. Vanderlinden, “Return to Legal Pluralism: Twenty Years Later”, Journal of Legal Pluralism, No. 28, 1989, pp. 149-157, 153-154 : « I would be tempted to say that pluralism is essentially a condition, thus a way of being, of existing. It is the condition of the person who, in his daily life, is confronted in his behavior with various, possibly conflicting, regulatory orders, be they legal or non-legal, emanating from the various social networks of which he is voluntarily or not a member. […]. Legal pluralism is but a specific case of regulatory pluralism » ; J. Vanderlinden, « Production pluraliste du droit et reconstruction de l’Etat africain » (première version d’un texte à paraitre), Afrique contemporaine, 2001, p. 2-3 [En ligne]. https://bit.ly/2Wyi74D, § 1 : « la conception pluraliste […], part du constat que, pour chaque individu, existe un certain nombre de réseaux sociaux normatifs et autonomes qui s’efforcent de gouverner son comportement. Ceux-ci sont potentiellement ou actuellement – en conflit les uns avec les autres, et, entre eux, l’individu – considéré désormais comme un sujet de droits et non plus comme uniquement le sujet de droit de l’Etat – « magasine », dans toutes la mesure du possible, à la recherche aussi bien du for devant lequel porter un éventuel conflit, que du droit qu’il souhaite voir gouverner la solution de ce conflit ». Il n’est pas cependant certain que l’individu soit toujours en mesure d’orienter son choix, subissant un certain nombre de contraintes (voir en ce sens G. Otis, J. Leclair & S. Thériault (dir.), La vie du pluralisme juridique, Paris, LGDJ, coll. Droit et société, Recherches et travaux, n° 36, 2022, 280 p., passim). ↩︎
  84. H. Muir Watt, « La fonction subversive du droit comparé », Revue internationale de droit comparé, Vol. 52, n° 3, 2000, pp. 503-527, 508, note 21 : « Au regard des différentes définitions du positivisme selon BOBBIO (sur lesquelles, U. Scarpelli, Qu’est-ce que le positivisme juridique ?, Paris, LGDJ, coll. « La pensée juridique », 1996), ce discours constitue l’expression de la théorie stato-légale, qui réduit le droit à celui de l’Etat, y reconnaît une place prééminente à la loi, repose sur le dogme du caractère cohérent et complet de l’ordre juridique, et conçoit le rôle du juriste et du juge à dire le droit selon une méthode logique plutôt qu’à créer des règles nouvelles. Sur ce même discours qui « ignore tout autant qu’il refoule tout un monde de solutions élaborées par d’autres voies et dont rendrait mieux compte le pluralisme juridique », v. B. Oppetit, « L’hypothèse du déclin du droit », Droits, n° 4, Crises dans le droit, 1986.9, p. 12 ; comp. dénonçant à la fois 1′ « illusion légaliste » contemporaine et la dogmatique en doctrine, Ch. Atias, « Les maux du droit et des mots pour le dire », D. 1997, chr. 231. […] ». ↩︎
  85. En ce sens •L. Oppenheim, « The Science of International Law : Its Task and Method », American Journal of International Law, Vol. 2, pp. 313-356, rééd. in G. Simpson (ed.), The Nature of International Law, Ashgate, Dartmouth, 2001, pp. 93-136, 110-111 : la définition du droit interne comme ensemble de règles imposé par un souverain sur ses sujets est fausse. Elle contient une part, mais non toute la vérité. Elle n’explique ni l’existence d’un droit coutumier ni le fait que le souverain a le pouvoir juridique d’imposer des règles juridiques de conduite à ses sujets. Voir également G. Scelle, « Théorie et pratique de la fonction exécutive en droit international », R.C.A.D.I., 1936-I, t. 55, pp. 87-202., 95 : « telle est, dans son aperçu schématique, la technique de tout odre juridique quel qu’il soit, c’est-à-dire de toute société politique : établissement de la règle de droit, réglementation du contenu et de l’attribution des compétences de l’agent juridique ou sujet de droit ; utilisation de ces compétences pour la création, la modification ou le retrait de situations juridiques individuelles ou collectives ; vérification de la légalité de ces situations ; utilisation de la contrainte sociale pour assurer l’effectivité des situations juridiques régulières et par conséquent de la règle de droit. Les foncions sociales qui correspondent à cette dynamique incessante : fonction de réglementation, fonction de juridiction, fonction d’exécution, doivent se réaliser et se réalisent forcément dans tout ordre juridique vivant, sans quoi le fait social qui lui correspond disparaîtrait fatalement » ; J. Griffiths, “What is Legal Pluralism”, Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 24, 1986, pp. 1-56, 14 ; #J.-G. Belley, « L’État et la régulation juridique des sociétés globales : pour une problématique du pluralisme juridique », Sociologie et sociétés, Vol. 18, No. 1, 1986, pp.11–32. https://doi.org/10.7202/001041ar, p. 27 : « il me semble qu’une définition à la fois générique et opératoire du droit devrait englober toutes les pratiques de régulation sociale qui se révèlent d’une part de type politique en ce qu’elles traduisent l’intervention des détenteurs du pouvoir ou de l’autorité dans la dynamique de l’action sociale, d’autre part de type rationnel en ce qu’elles prétendent s’exercer en obéissant aux exigences de modèles d’intervention institutionnalisés ou préétablis. Par sa dimension politique, la régulation juridique se distingue des autres régulations sociales qui s’exercent sans l’intervention des détenteurs du pouvoir. La définition générique du droit exclut en cela toute régulation que les acteurs sociaux exercent entre eux de façon autonome et toute régulation fondée sur le pouvoir social diffus exercé par une collectivité sur ses membres sans intervention directe ou distincte des détenteurs du pouvoir. La manifestation du droit serait ainsi liée à l’émergence d’une structure de pouvoir ou d’autorité minimalement autonomisée par rapport à la collectivité dont elle relève. Par sa dimension rationnelle, la régulation juridique se réfère à une entreprise normative qui prétend s’exercer de façon réfléchie plutôt que spontanée, généralisée et non ad hoc, selon un processus défini de façon préalable plutôt qu’a posteriori, selon une régularité vérifiable plutôt que de manière imprévisible et arbitraire. La manifestation du droit suppose en ce sens une intervention minimalement institutionnalisée des détenteurs du pouvoir dans la coordination des conduites et le règlement des conflits. / Dans la mesure où elle englobe toute régulation politique et rationnelle de l’action sociale, la définition proposée ici délimite assez clairement l’objet d’une problématique du pluralisme juridique. Elle identifie distinctement les manifestations du droit : toute régulation sociale n’est pas juridique. En revanche, elle ne limite pas la réalité sociale du droit au seul domaine couvert par l’Etat : toute régulation juridique n’est pas étatique. Chaque cadre social où les détenteurs du pouvoir cherchent à exercer une régulation rationnelle de l’activité des membres s’impose comme foyer d’une régulation juridique. Fidèle sur ce point à la notion de pluralisme défendue notamment par Ehrlich et Gurvitch, la définition générique et opératoire du droit s’en démarque pourtant par une conception du droit plus politique que culturelle, plus rationnelle que spontanéiste. / Ce serait néanmoins une erreur considérable d’établir la problématique du pluralisme juridique sans tenir compte de la dimension culturelle du droit clairement mise en évidence par une approche radicale comme celle de Gurvitch. La régulation juridique n’opère pas uniquement de façon instrumentale par la mise en œuvre effective de processus ‘intervention et d’appareils plus ou moins formalisés. Elle s’exerce aussi dans l’univers symbolique par l’influence que les modèles mêmes de la régulation juridique exercent sur la signification sur les acteurs sociaux donnent à leur action, sur la représentation qu’ils se font de la collectivité et de son ordre (note omise) ». ↩︎
  86. En ce sens, entre autres, P. Sack, « Le droit : perspectives occidentales, perspectives non occidentales », in Une introduction aux cultures juridiques non occidentales autour de Masaji Chiba, W. Capeller, T. Kitamura (dir.), Bruxelles, Bruylant, Bibliothèque de l’Académie européenne de théorie du droit, 1998, 288 p., 45-57, 57 : « Ce qui est propre à toutes ces questions – et l’on en a évidemment donné ici qu’un échantillon – c’est qu’elles nous obligent à accepter l’idée que « le droit » ne se compose pas d’un nombre limité d’institutions, de procédés ou même de fonctions, qu’il consiste au contraire en une gamme de possibilités théoriquement illimitée ; que toute limite qu’on impose au droit provient d’une décision normative ; et qu’une théorie juridique qui ne reconnaît pas cela fournit un alibi pseudo-scientifique à une position politique, position qui pourrait servir à des fins avec lesquelles la théorie même ne serait pas d’accord ». ↩︎
  87. En ce sens, entre autres, J. Gilissen, « Introduction à l’étude comparée du pluralisme juridique », in J. Gilissen (dir.), Le pluralisme juridique, Bruxelles, Université de Bruxelles, 1972, 332 p., 7-17, 8 et 12 et s. ; M. kamto, Pouvoir et droit en Afrique noire. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats d’Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, 1987, 545 p., 39 : « La définition du Droit telle qu’elle ressort de la théorie positiviste est sans doute valable pour les sociétés étatiques modernes, y compris les Etats africains actuels. Elle est, en revanche, inapplicable aux sociétés africaines traditionnelles. C’est pourquoi, comme pour le Pouvoir, l’analyse du droit de ces sociétés sera différente. Car si l’on adopte le point de vue selon lequel il peut y avoir des règles juridiques sans existence de l’Etat, et par conséquent, sans sanctions étatiques, l’on voit mal la différence qu’il y aurait à faire entre les règles sociales juridiques créées par l’Etat, et les règles sociales non juridiques rattachées aux valeurs morales de la société ». En ce sens, également, bien que ne traitant pas de champs juridiques mais sociaux, Sally F. Moore, “Law and Social Change: The Semi-Autonomous Social Field as an Appropriate Subject of Study”, Law and Society Review, Vol. 7, No. 4, 1973, pp. 719-746, 722. Voir encore l’abondante doctrine sur le droit transnational et le droit global, la lex mercatoria, la lex sportiva, la lex extractiva ou la lex petrolea. ↩︎
  88. Pour une critique de cette approche, G. Ripert, La règle morale dans les obligations civiles, Paris, LGDJ, 4e éd., 1949, 417 p., 290 : « « Ce qui est le droit, à dit M. Em. Lévy, c’est ce que nous croyons être le droit ». A prendre au sérieux de telles formules on arrive à fonder le droit sur la croyance générale, c’est-à-dire, et par une singulière perversion de l’esprit, la vérité sur l’erreur commune ». ↩︎
  89. En ce sens, notamment, J. Griffiths, “What Is Legal Pluralism”, Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 24, 1986, pp. 1-56, 38: “Pursuing Moore’s analysis to its conclusion and rejecting her last-minute lapse into legal centralism, it follows that law is the self-regulation of a ‘semi-autonomous social field’. The idea that only the law of the state is law ‘properly so called’ is a feature of the ideology of legal centralism and has for empirical purposes nothing to be said for it. Distinctions can, where appropriate, be made between more or less differentiated forms of law. The self-regulation of a semi-autonomous social field can be regarded as more or less ‘legal’ according to the degree to which it is differentiated from the rest of the activities in the field and delegated to specialized functionaries (see Griffiths, 1984a).[41] But differentiated or not, ‘law’ is present in every ‘semi-autonomous social field’, and since every society contains many such fields, legal pluralism is a universal feature of social organization” ; J.-G. Belley, « L’Etat et la régulation juridique des sociétés globales : pour une problématique du pluralisme juridique », Sociologie et sociétés, Vol. 18, No. 1, 1986, p. 11–32. https://doi.org/10.7202/001041ar, p. 12:  « Considérée du strict point de vue logique, la notion de pluralisme juridique peut se concevoir sans rapport nécessaire avec l’existence de l’Etat. A l’encontre d’une conception moniste du droit, elle suggère fondamentalement qu’il existe au sein d’une société une pluralité de cadres sociaux où se manifestent des phénomènes de droit, que cette société soit caractérisée ou non par la présence de l’Etat. Elle signifie que la centralisation du droit par une instance de pouvoir donnée, étatique ou autre, garde toujours un caractère relatif. Mais dans le contexte d’émergence de la sociologie du droit, la notion de pluralisme juridique a pris un sens historique bien précis. Recourir à cette notion, c’était alors défendre la thèse d’une étatisation incomplète du droit, de l’existence du droit en dehors de l’Etat, de l’inaptitude de la conception dominante chez les juristes à exprimer adéquatement la réalité du droit » ; 26-27 : « Au-delà de la conception dogmatique véhiculée par les juristes, la problématique du pluralisme juridique doit privilégier une définition résolument générique qui prenne en compte les dimensions de la réalité sociale du droit qu’une définition centrée exclusivement sur le droit étatique a pour effet d’exclure ou de traduire incorrectement [note omise] » ; Sally E. Merry, “Legal Pluralism.” Law and Society Review, Vol. 22, No. 5, 1988, pp. 869-896, 871-889: “First, a concern with legal pluralism moves away from the ideology of legal centralism-the predisposition to think of all legal ordering as rooted in state law and suggests attention to other forms of ordering and their interaction with state law. It highlights competing, contesting, and sometimes contradictory orders outside state law and their mutually constitutive relations to state law”; J. Vanderlinden, « Production pluraliste du droit et reconstruction de l’Etat africain ? » (première version d’un texte à paraitre), Afrique contemporaine, 2001, p. 2-3, § 1. ; G. Otis, « Les figures de la théorie pluraliste dans la recherche juridique », in G. Otis (dir.), Méthodologie du pluralisme juridique, Paris, Karthala, coll. 4 vents, 2012, pp. 9-24, 9 : « La recherche juridique pluraliste repose sur la remise en cause de la prétention de l’Etat au monopole de la production du droit et donc sur la disjonction de la normativité juridique et de l’organisation étatique » ; 10-11 : « Ce qui distingue le juriste « pluraliste » de ces professeurs (des facultés de droit) est l’idée que ni les organes de l’Etat ni les clercs du droit étatique ne peuvent prétendre au monopole de l’attribution du label juridique [note omise] ». ↩︎
  90. J. Austin, The Province of Jurisprudence Determined and The Uses of the Study of Jurisprudence [1832], intr. H. L. Hart, Weindenfeld and Nicolson, London, 1954, 396 p. Voir, par exemple, P. Amselek, « Le droit, technique de direction publique des conduites humaines », 10 Droits 1989 ¾ définir le droit / 1, pp. 7-10., p. 10 : « le droit est constitué par les règles en vigueur dans les sociétés humaines qui correspondent à la mise en œuvre, dans ces sociétés, de l’autorité publique, du pouvoir public ou puissance publique. C’est en ce sens qu’il faut entendre l’aphorisme latin “ubi societas ibi jus” ». ↩︎
  91. J. Griffiths, “What is Legal Pluralism”, Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 24, 1986, p. 1-56, 3 : “According to what I shall call the ideology of legal centralism, law is and should be the law of the state, uniform for all persons, exclusive of all other law, and administered by a single set of state institutions. To the extent that other, lesser normative orderings, such as the church, the family, the voluntary association and the economic organization exist, they ought to be and in fact are hierarchically subordinate to the law and institutions of the state./ In the legal centralist conception, law is an exclusive, systematic and unified hierarchical ordering of normative propositions, which can be looked at either from the top downwards as depending from a sovereign command (Bodin, 1576; Hobbes, 1651;Austin, 1832) or from the bottom upwards as deriving their validity from ever more general layers of norms until one reaches some ultimate norm(s) (Kelsen, 1949; Hart, 1961). In either case, while the various subordinate norms which constitute ‘law’ carry moral authority because of their position in the hierarchy, the apex itself – the sovereign or the grundnorm or the rule of recognition – is essentially a given. It is the factual power of the state which is the keystone of an otherwise normative system, which affords the empirical condition for the actual existence of ‘law’. Hence the necessary connection between the conception of law as a single, unified and exclusive hierarchical normative ordering and the conception of the state as the fundamental unit of political organization”. ↩︎
  92. Voir notamment J. Gilissen, « Introduction à l’étude comparée du pluralisme juridique », in J. Gilissen (dir.), Le pluralisme juridique, Bruxelles, Université de Bruxelles, 1972, 332 p., 7-17, 7-8. Voir également, outre les ouvrages d’histoire du droit, entre autres, F. Fukuyama, The Origins of Political Order. From Prehuman Times to the French Revolution, New York, Farrar, Strauss and Giroux, 2011, 585 p., 22: “The sequencing of political development in Western Europe was highly unusual when compared to other parts of the world. Individualism on a social level appeared centuries before the rise of either modern states or capitalism; a rule of law existed before political power was concentrated in the hands of centralized governments; and institutions of accountability arose because modern, centralized states were unable to completely defeat or eliminate ancient feudal institutions like representative assemblies. / Once this combination of state, law, and accountability appeared, it proved to be a highly powerful and attractive form of government that subsequently spread to all corners of the world. But we need to remember how historically contingent this emergence was”. ↩︎
  93. Voir à ce sujet J. Griffiths, “What Is Legal Pluralism”, Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 24, 1986, pp. 1-56. ; G. Otis, « Les figures de la théorie pluraliste dans la recherche juridique », in G. Otis (dir.), Méthodologie du pluralisme juridique, Paris, Karthala, coll. 4 vents, 2012, pp. 9-24, 12. ↩︎
  94. Sur ces deux approches, G. Otis, « Les figures de la théorie pluraliste dans la recherche juridique », in G. Otis (dir.), Méthodologie du pluralisme juridique, Paris, Karthala, coll. 4 vents, 2012, pp. 9-24, 12-13. ↩︎
  95. J. Griffiths, “What Is Legal Pluralism”, Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 24, 1986, pp. 1-56, 39: “A situation of legal pluralism – the omnipresent, normal situation in human society – is one in which law and legal institutions are not all subsumable within one ‘system’ but have their sources in the self-regulatory activities of all the multifarious social fields present, activities which may support, complement, ignore or frustrate one another, so that the ‘law’ which is actually effective on the ‘ground floor’ of society is the result of enormously complex and usually in practice unpredictable patterns of competition, interaction, negotiation, isolationism, and the like [note omitted]”. ↩︎
  96. En ce sens J. Vanderlinden, « Production pluraliste du droit et reconstruction de l’Etat africain » (première version d’un texte à paraitre), Afrique contemporaine, 2001, p. 2-3, § 1 : « Chacun des réseaux en cause constitue une société distincte dont la production juridique est autonome, en ce sens qu’elle n’est pas soumise au contrôle de droit d’une autre société, sans que, pour autant chacun de ces réseaux fonctionne dans un vide juridique ; chacun d’entre eux est susceptible d’être influencé dans les faits par la seule existence de l’un ou plusieurs des autres. Leur autonomie n’en est pas moins essentielle sur le plan du droit ». et l’auteur de préciser : « S’il en allait autrement, on se trouverait dans une situation de pseudo-pluralisme du type des soi-disant pluralismes coloniaux dans lesquels, indépendamment des influences de fait que la présence du système juridique colonial était susceptible d’avoir sur les réseaux juridiques pré-coloniaux, le pouvoir de production reconnu aux sociétés pré-coloniales ne l’est qu’à la condition qu’elles ne contredisent pas non seulement la législation introduite par le colonisateur, mais encore un certain ordre public ou une certaine idée de la justice, voire de la morale, qui lui étaient propres. Dans cette situation de pseudo-pluralisme, les droits endogènes étaient juridiquement intégrés aux systèmes coloniaux par le colonisateur et l’exogénéité du droit l’emportait institutionnellement sur son endogénéité à travers divers mécanismes mis en place par le producteur du droit colonial ». ↩︎
  97. J. Griffiths, “What Is Legal Pluralism”, Journal of Legal Pluralism and Unofficial Law, Vol. 24, 1986, pp. 1-56, 13-14. ↩︎
  98. Ibid., p. 14. ↩︎
  99. C. Ntampaka, Introduction aux systèmes juridiques africains, travaux de la Faculté de droit de Namur, Presses universitaires de Namur, Namur, 2005, 190 p., p. 1 : « Les conflits entre ces deux catégories de règles ont été résolus, du moins théoriquement, par l’imposition du principe de la suprématie du droit écrit sur le droit « coutumier », faisant de ce dernier un droit supplétif [note omise]. / Théoriquement car, malgré ces précautions, le droit traditionnel continue à vivre et à se développer à l’ombre de du droit « dominant » puisqu’il est pratiqué par la population qui ignore dans certains domaines le droit importé ». ↩︎
  100. Sally F. Moore, “Law and Social Change: The Semi-Autonomous Social Field as an Appropriate Subject of Study”, Law and Society Review, Vol. 7, No. 4, 1973, pp. 719-746, 720 : “The approach proposed here is that the small field observable to an anthropologist be chosen and studied in terms of its semi-autonomy- the fact that it can generate rules and customs and symbols internally, but that it is also vulnerable to rules and decisions and other forces emanating from the larger world by which it is surrounded. The semi-autonomous social field has rule-making capacities, and the means to induce or coerce compliance; but it is simultaneously set in a larger social matrix which can, and does, affect and invade it, sometimes at the invitation of persons inside it, sometimes at its own instance”. ↩︎
  101. Sur la méthode stratigraphique, R. Sacco, Le droit Africain, Anthropologie et droit positif, Paris, Dalloz, Coll. A droit ouvert, 2009, x-566 p., 69 et s. Pour une même approche, bien que n’utilisant pas le terme de « strate », mais celui de « vague », voir C. Ntampaka, Introduction aux systèmes juridiques africains, travaux de la Faculté de droit de Namur, Presses universitaires de Namur, Namur, 2005, 190 p., 76 et s. ↩︎