Pour citer : J. Matringe, « L’introduction du droit islamique», in Droits africains et pluralisme juridique en Afrique. 2 : La formation du pluralisme juridique en Afrique, https://droitsafricainsonline.com/themes/droits-africains-et-pluralisme-juridique-en-afrique/2-la-formation-du-pluralisme-juridique-en-afrique-2/2-2-lintroduction-du-droit-islamique/, à jour au 27/12/2022
- Si le Christianisme et l’Islam – essentiellement sunnite – se sont implantés en Afrique au premier millénaire après Jésus Christ, après la religion juive, et ont très profondément marqué les sociétés africaines, le droit d’origine religieuse qui a marqué le plus profondément les droits africains fut sans conteste le droit islamique sunnite[1]. En réalité, il est difficile de mesurer l’influence et l’héritage propre au christianisme et au droit canonique, tant ce dernier a influencé et été incorporé à certains droits étatiques en Europe et tant la diffusion de cette religion a été liée plus tard au phénomène colonial, en particulier, outre aux commerçants, aux administrateurs des territoires conquis. Quant au droit hébraïque (Halakhah), c’est au contraire le fait qu’il ne s’est jamais appuyé sur un système politique organisé en Afrique qui rend difficile la mesure de son influence.
[1] Voir notamment M. Thioye, « Part respective de la tradition et de la modernité dans les droits de la famille des pays d’Afrique noire francophone », Revue internationale de droit comparé, Vol. 57, n° 2, 2005, pp. 345-397, p. 362 et s. Voir toutefois la reconnaissance de « coutumes catholiques » au Sénégal in A. Sow Sidibé, Le pluralisme juridique en Afrique. L’exemple du droit successoral sénégalais, Paris, LGDJ, Bibliothèque Africaine et malgache, 1991, 383 p., 32 et s.
- Plusieurs facteurs ont évidemment participé à l’intensité de son empreinte. L’une d’elles est certainement sa nature intrinsèque qui vise à gouverner non seulement la foi, mais également le comportement social du croyant. En effet, l’islam n’a pas seulement pour objet d’indiquer aux individus ce qu’ils doivent croire, mais également comment ils doivent agir[1]. Cette branche de l’islam, à côté de la théologie, constitue un véritable droit qu’on appelle communément – bien que le concept de droit musulman n’existe pas dans la langue arabe – le fiqh. Une autre raison est son caractère très élaboré avec un système sophistiqué de sources du droit et de mécanismes de réalisation. Les autres religions ont certes influencé le contenu des règles, mais n’ont pas apporté un droit aussi complet et cohérent (le droit canonique n’entendait pas régir l’ensemble des comportements du croyant. Le droit hébraïque, en revanche, partageait ce caractère total du droit musulman mais ne put le mettre en œuvre en Afrique faute de pouvoir s’appuyer sur une autorité territoriale[2]).
[1] G.-H. Bousquet, Le droit musulman, Paris, Armand Colin, 1963, 206 p., 9. Voir aussi G.-A. J. Kouassigan, Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit de la famille en Afrique noire francophone, Paris, Pedone, 1974, 311 p., 168 : « L’expansion de l’Islam en Afrique Noire n’a pas manqué d’en ajouter à la complexité du problème résultant de la diversité des coutumes. Son influence sur la vie juridique africaine est d’autant plus grande qu’il saisit l’être dans sa totalité en réglant non seulement sa vie spirituelle, mais aussi en soumettant chacun de ses actes de la vie quotidienne, les relations inter-individuelles ou avec le Pouvoir politique à l’observation de certains préceptes préétablis (L. Milliot, Introduction à l’étude du droit musulman, Paris, Sirey, 1953 ; R. Charles, Le droit musulman, Paris, PUF, 1956) » ou encore Gamal M. Badr, “Islamic Law: Its Relation to Other Legal Systems”, The American Journal of Comparative Law, Vol. 26, No. 2, 1977-1978, pp. 187-198, 188: “Islamic law does cover religious duties and obligations, a subject with which the other two major world legal systems are not concerned. Islamic law comprises two main divisions. The first ‘Ibadāt, meaning ritual, deals with purely religious matters and the second Mu ‘amalāt, meaning transactions, deals with all those subjects which comprise the only content of other legal systems. Traditionally, the Muslim jurist was well versed in both ‘Ibadāt and Mu ‘amalāt”.
[2] Pour un aperçu de ces trois traditions, entre autres, T. Rambaud, Introduction au droit comparé. Les grandes traditions juridiques dans le monde, Paris, PUF, coll. Quadrige Manuels, 2017, 342 p., 171-225.
- Il s’agissait pour les musulmans d’inaugurer un nouveau monde fondé sur une nouvelle révélation de Dieu par l’intermédiaire de l’ange Gabriel. Toutefois, contrairement à l’image qu’on s’en fait généralement et comme on le verra plus longuement ailleurs, il ne s’agissait pas nécessairement d’imposer la nouvelle foi et son droit ; l’expansion de l’Islam et de son droit ayant été très pragmatique, notamment en Afrique, selon notamment les considérations démographiques[1]. On verra, en outre, que ce droit s’est très largement adapté en Afrique aux circonstances préexistantes de chaque terrain et a évolué au contact d’autres droits comme le droit colonial et le droit des Etats indépendants[2], en sorte qu’on pourrait affirmer que « le droit musulman », lui-même divers[3], est un modèle ou une famille de droit (à l’instar du common law ou du droit dit romano-germanique) qui se décline en une multitude de variantes qu’on pourrait appeler « droits musulmans » quoique cette expression au pluriel ne semble guère usitée[4].
[1] Voir les études de cas développées in D. Robinson, Les sociétés musulmanes africaines. Configurations et trajectoires historiques, Paris, Karthala, coll. 4 vents, 2012, 310 p.
[2] “No country in Africa – or in any other part of the world – can claim to follow Islamic land law exclusively. Customary norms and successive waves of colonialism, modernisation and reform have created legal pluralism and hybridity in Muslim countries too. Yet no country with significant Muslim populations is without the influence of Islamic land laws or principles, official or informal, however varied or mutated. As Islamic land law evolved in Africa it often interlocked with customary, colonial and statutory systems pollinating its distinctive concepts that are discernible even today, S. Sait, “Not Just another ‘Custom’: Islamic Influence on African Land Laws”, in R. Home (ed), Essays in African Land Law, Pretoria University Law Press, 2011, 207 p., pp. 91-111, 91.
[3] Voir notamment Noel J. Coulson, Histoire du droit islamique [A History of Islamic Law, 1964], trad. D. Anvar, Paris, PUF, 1995, 234 p., spéc. p. 85 et s.
[4] “There is no single edition of Islamic land law because Islam is contested, responsive and evolving, determined by local histories, cultures and politics”, S. Sait, “Not Just another ‘Custom’: Islamic Influence on African Land Laws”, in R. Home (ed), Essays in African Land Law, Pretoria University Law Press, 2011, 207 p., pp. 91-111, 91, 92 (voir également p. 109).
1 L’arrivée d’un modèle de droit nouveau
1.1. Les sources du droit musulman
1.2. Quelques caractères du droit musulman
1.2.1. La professionnalisation
1.2.2 La place du divin et le concept de droit
2. Pluralité des manifestations du modèle en Afrique
Bibliographie indicative – Introduction du droit musulman
1 L’arrivée d’un modèle de droit nouveau
- Le droit musulman, comme comme les droits « originellement africains » et le common law, n’est pas un droit écrit. Il ne ressemblait en rien à ce qui existait à son arrivée par le Nord et par l’Est en Afrique. Le fiqh – droit islamique – s’il a connu des codifications – est tiré de quatre sources ou racines (usūl al-fiqh).
1.1. Les sources du droit musulman
1.1.1. La shari’a
- Si le droit musulman n’est pas entièrement révélé, sa source fondamentale, la shari’a est une révélation de Dieu (comme une partie du droit hébraïque).
1.1.1.1. Le Coran
- Le Coran est la source première révélée par Dieu aux hommes par l’intermédiaire du prophète Mohamed. Cependant, le Coran n’est pas un code de droit au sens qu’on prête à cet instrument en droit d’héritage romano-germanique. Un très petit nombre seulement de ses versets (le décompte change selon les auteurs) a pu être tenu pour juridique et servir à l’élaboration du droit musulman, lequel, en ce sens, n’est pas un droit religieux au sens de révélé par Dieu, mais produit par les hommes.
- En outre, ces versets ne couvrent pas l’ensemble de la vie sociale, ne traitant pratiquement que des questions de famille et de successions et non pas sous la forme de règles générales et abstraites, mais plutôt sous la forme de cas[1].
- Enfin, on va le voir, le Coran – il en est de même de la Tradition du Prophète – ne peut pas être interprété par le juge, son interprétation ayant été déjà établie de manière infaillible par l’idjmâ’[2].
[1] G.-H. Bousquet, Le droit musulman, Paris, Armand Colin, 1963, 206 p., 23.
[2] Ibidem, p. 24.
1.1.1.2. La Sunna
- C’est la Tradition du Prophète, qui regroupe l’ensemble des paroles (hadîths), pratiques et actes imputés à celui-ci à l’issue d’un processus de certification particulièrement sophistiqué.
- La Sunna forme avec le Coran le shar’ ou la shari’a, c’est-à-dire la Loi divine, la Voie indiquée par Dieu pour le salut de ses créatures[1]. Elle dépasse en ce sens le droit, ce dernier n’étant qu’un moyen, en organisant les rapports sociaux, de réaliser la fin ultime que constitue le Salut[2].
[1] L. Milliot, F.-P. Blanc, Introduction à l’étude du droit musulman, 2e éd., Paris, Sirey, 1987, 669 p., § 7 et S. Laghmani, « Les écoles juridiques du sunnisme », Pouvoirs, 2003/1, n° 104, pp. 21-31, 23.
[2] S. Laghmani, « Les écoles juridiques du sunnisme », Pouvoirs, 2003/1, n° 104, pp. 21-31, 23.
1.1.2. Les autres sources
- Pour certains, la Shari’a épuise le droit musulman. Pour la majorité, cependant, celui-ci est constitué de sources supplémentaires qui ont dû gouverner des actions non envisagées dans le Livre et la Tradition, lesquelles doivent cependant, en tout état de cause, inspirer les nouvelles règles.
- Telle est l’objet du fiqh qui constitue, en puisant à d’autres sources que la shari’a, la science de l’intelligence de celle-ci au service du gouvernement des actions humaines et en ce sens a un objet plus large que le droit tel que celui-ci est défini dans la pensée occidentale majoritaire, s’intéressant aux questions morales et cultuelles.
- Pour ce faire, cette science obéit à une logique toute différente de celles suivies par les deux grandes familles de droit à dimension universelle que sont le common law et le droit romano-germanique. C’est un droit casuistique dans la mesure où il règle les questions au cas par cas en opérant pour chaque action humaine une qualification faisant d’elle une action obligatoire (fardh), recommandée (mandûb), permise (mubâh), désapprouvée(makrûh) ou interdite (mahdûr). Mais il comprend également une dimension générale et abstraite car tout dérive d’une source commune selon des procédés validés qui permettent d’articuler ses éléments. Les livres de fiqh ne sont ainsi pas de simples recueils de précédents, mais obéissent à une architecture qui pourrait faire penser aux codes romano-germanique[1]
[1] Voir S. Laghmani, « Les écoles juridiques du sunnisme », Pouvoirs, 2003/1, n° 104, pp. 21-31, 24.
1.1.2.1. L’idjmâ’
- L’idjmâ est l’accord unanime ou consensus de la communauté des croyants qui se manifeste, en réalité, par la concordance des doctrines des savants – juristes et théologiens -, étant entendu qu’une règle de droit établie selon ce procédé ne peut pas contredire la shari’a.
- En somme, après que la Sunna eut complété et développé le Coran, un effort doctrinal des docteurs de la loi (fuqahâ, le docteur étant le faqîh) fut nécessaire dès la mort du prophète et dura quelques siècles, afin de déduire de la shari’a la qualification ou le jugement des actions humaines que celle-ci n’avait pas expressément envisagées. On le verra en étudiant la gestion des situations de pluralisme, les savants chargés de cet immense effort se sont également beaucoup appuyés sur des éléments exogènes existant déjà en terre d’Islam[1].
- Or, si ces savants avaient pu s’entendre sur un certain nombre de règles, des difficultés persistaient qu’il fallait surmonter pour finir la construction du droit islamique et l’unité de la Communauté des Croyants. C’est ainsi que se développa « le dogme de l’infaillibilité de la communauté musulmane, lorsqu’elle est unanime »[2], l’accord unanime des savants mettant définitivement fin aux questions d’interprétation et posant celle qui doit faire autorité pour l’avenir. Les écoles sunnites admirent ce procédé en se fondant sur un hadith (rapporté par Al-Tirmidhî) selon lequel « Ma communauté ne se réunira pas sur une erreur ».
- Cet effort intellectuel (ijtihâd) qui poursuivait également un but d’unification du monde musulman aboutit à quatre grandes écoles ou rites (madhâhib = la voie empruntée) : le rite malékite largement dominant en Afrique du Nord et de l’Ouest, le rite hanbalite et les rites shâfi’ite et hanafite dominants en Afrique de l’Est[3]. La « porte de l’effort » fut fermée au IVème siècle de l’hégire.
- On comprend dès lors l’affirmation faite supra de l’interdiction pour le croyant et même pour le juge d’interpréter directement la shari’a qu’ils ne peuvent atteindre qu’en passant par les livres de fiqh qui posent l’interprétation définitive car réputée infaillible grâce à l’idjma dont ils doivent reconnaître l’autorité (taqlid)[4].
[1] L. Milliot, F.-P. Blanc, Introduction à l’étude du droit musulman, 2e éd., Paris, Sirey, 1987, 669 p., § 8.
[2] G.-H. Bousquet, Le droit musulman, Paris, Armand Colin, 1963, 206 p., 27.
[3] « chaque musulman peut suivre l’école de son choix ou en changer sans aucune formalité ; il peut même, si cela lui convient, ou pour toute autre raison qui lui est propre, à propos d’un acte ou d’une transaction particulière, choisir la doctrine d’une école autre que celle qu’il suit habituellement », J. Schacht, Introduction au droit musulman, Paris, Maisonneuve et Larose, 1999, p. 62, note 10.
[4] G.-H. Bousquet, Le droit musulman, Paris, Armand Colin, 1963, 206 p., 29. Voir toutefois E. Arzt, « The Application of International Human Rights Law in Islamic States », Human Rights Quarterly, Vol. 12, No. 2, 1990, pp. 202-230, 227: “The key to Islamic justice is, more specifically, the degree to which the judiciary is independent of the political authorities. The constitutions of Syria (Articles 131, 133) and Egypt (Article 166), and even the Saudi Judicial Law of 1975 (Section 1), guarantee an independent judiciary, but observers […] contend that the reality is to the contrary. Nevertheless, observers of modern judicial decision making in Morocco (See Rosen, Equity and Discretion in a Modern Islamic Legal System, 15 Law & Soc. Re. 217 (1980)) and Saudi Arabia (footnote omitted) have noted that judges have been allowed to utilize ijtihad (reasoning) – a “door” to reform which had been closed since the tenth century – with considerable discretion. Theoretically, equitable decisions can be reached in reliance on the traditional principles of istislah (public authority) and maslaha (public interest)”.
- On fera toutefois attention au fait que le droit musulman n’épuise pas le droit applicable en terre d’islam ; tout ce qui ne relève pas de lui n’est pas soumis à cette règle d’immutabilité, mais évolue sans cesse. Il faut en effet distinguer le droit musulman proprement dit applicable aux musulmans et les droits des différents Etats qui occupent la terre Islam et échappent au fiqh[1].
[1] L. Milliot, F.-P. Blanc, Introduction à l’étude du droit musulman, 2e éd., Paris, Sirey, 1987, 669 p., § 167.
1.1.2.2 Le quiyâs
- En droit musulman, tout n’était cependant pas réglé par l’idjmâ’. Il fut donc expressément accepté que « l’application à un cas non prévu dans les sources, d’une disposition qui s’y rencontre, constitue un procédé licite de leur utilisation : ainsi un simple mode de raisonnement fut élevé à la dignité de source de la Loi »[1]. Il devait cependant s’agir d’une interprétation restrictive des trois premières sources dont la portée ne devait pas s’étendre au-delà des situations qui y sont expressément prévues[2].
- En somme, le droit musulman est un droit de juristes ; ses normes doivent être recherchées dans les enseignements des juristes faisant autorité[3].
[1] G.-H. Bousquet, Le droit musulman, Paris, Armand Colin, 1963, 206 p., 29.
[2] Ibidem.
[3] Gamal M. Badr, « Islamic Law: Its Relation to Other Legal Systems », The American Journal of Comparative Law, Vol. 26, No. 2, 1977-1978, pp. 187-198, 189.
1.2. Quelques caractères du droit musulman
- On retiendra ici seulement deux éléments généraux qui font écho à ce qu’on a vu au sujet des droits « originellement » africains même s’il faudra relativiser leur importance en Afrique.
1.2.1. La professionnalisation
- Contrairement aux droits originellement africains, le droit musulman a donné lieu à une professionnalisation via une hiérarchisation des croyants sur la base de la science qu’ils ont de la religion. Ainsi, les docteurs spécialisés dans la connaissance du fiqh sont les mujtahid – eux-mêmes hiérarchisés. Au sommet se trouvent les quatre grands qui ont élaboré les quatre grands livres de fiqh ; ils peuvent le connaître et le produire. A un niveau inférieur se situent les faqhî qui ne peuvent que le connaître pour qualifier les comportements humains (cf. supra sur la fermeture de la porte de l’effort) et ce, selon des procédés bien établis[1].
- Le droit musulman connaît également un juge dédié[2], le qâdhi, qui statue en droit musulman sur le fondement du travail des faqîh (cela dit, certains qâdhi pouvaient être faqîh comme certains faqîh pouvaient être qâdhi). Il s’agit d’une institution très importante de l’islam qui remplaça, pour les différends entre musulmans, l’arbitre anté-islamique qui existait en Arabie.
- En principe, ce juge, spécialiste, applique les livres de fiqh pour opérer les qualifications concrètes. En réalité, toutefois, il ne recourt pas tant à ces livres qu’à des versions souvent simplifiées abrégées, à des commentaires de ces livres qui varient selon les régions[3]. Ce phénomène ne peut que participer à la diversification interne du droit musulman qui fut exacerbée, on y reviendra avec sa diffusion hors de son berceau d’origine, notamment en Afrique.
[1] « En amont du travail du faqîh se situe le travail du usûlî. La science des usûl al-fiqh a été codifiée par Muhammed Ibn Idrîs al-Shâfi‘î dans son ouvrage intitulé al-Risâla (l’Épître). Cette discipline pose les normes de la casuistique des fuqahâ. Sa fonction consiste précisément à poser les règles de la découverte du jugement ou hukm à partir des adilla shar‘iyya. Les adilla, pluriel de dalîl, sont littéralement les preuves : preuve de la vérité du jugement ; et ces preuves, ce sont les sources sacrées. En langage moderne, elles sont à la fois les sources et le fondement de validité des jugements. L’usûli énoncera les sources, posera les normes de l’exégèse du Coran, les conditions de validation ou d’authentification d’une Tradition du Prophète, les conditions de validité de l’ijmâ‘ (consensus) ainsi que les règles de déduction, par raisonnement analogique, des qualifications légales non évoquées par les sources sacrées, à partir de celles qui sont évoquées par ces sources. Ce procédé s’appelle le quiyâs. Cette science normative expose, enfin, les conditions qui doivent se trouver réunies en une même personne afin qu’elle puisse prétendre au statut de mujtahid, c’est-à-dire de personne autorisée à découvrir les qualifications », S. Laghmani, « Les écoles juridiques du sunnisme », Pouvoirs, 2003/1, n° 104, pp. 21-31, 26.
[2] Voir notamment E. Tyan, “Judicial Organization”, in M. Khadduri & Herbert J. Liebesny (eds.), Law in the Middle East. Vol. I: Origin and Development of Islamic Law, Washington D.C., The Middle East Institute, 1955, pp. 236 ss.; M. Tillier, L’invention du Cadi. La justice des musulmans, des juifs et des chrétiens aux premiers siècles de l’islam, Paris, Publications de la Sorbonne, bibliothèque historique des pays d’islam, 2017, 704 p.
[3] S. Laghmani, « Les écoles juridiques du sunnisme », Pouvoirs, 2003/1, n° 104, pp. 21-31, 25.
1.2.2 La place du divin et le concept de droit
- On notera, en écho à ce qu’on a dit des droits « originellement » africains (Les droits « originellement » africains) qu’en islam, « La révélation divine étant le principe suprême qui régit l’existence humaine, aucune institution n’est étrangère à la vie religieuse. Tout acte de l’homme exprime ou n’exprime pas une véritable soumission à Allah, suivant qu’il est conforme ou contraire à Sa Volonté. La sanction est définie par la morale pratique révélée, c’est-à-dire qu’elle consiste surtout en châtiments dans la vie future. D’abord exclusivement surnaturelle, donc eschatologique, elle revêtira lentement un caractère terrestre avec la prononciation de la peine et de la nullité, sous l’influence des nécessités sociales »[1]. Le fiqh ne ressemble donc pas au droit occidental moderne, le droit musulman n’étant qu’un élément des obligations religieuses[2]. D’ailleurs, on l’a dit, la langue arabe ne connaît pas de concept d’un droit qui serait isolé de la religion
[1] L. Milliot, F.-P. Blanc, Introduction à l’étude du droit musulman, 2e éd., Paris, Sirey, 1987, 669 p., § 8. Voir aussi § 20 : « Dans l’islam, tout est donc religion. L’islam est une culture, une civilisation religieuse, expression des doctrines d’une société qui a pris la forme théocratique. Aucune des grandes religions n’étreint, en effet, la société, d’une emprise aussi large, n’envahit aussi profondément la vie publique et la vie privée ? Le chef de la société musulmane est la divinité elle-même. […]. La discipline musulmane est formulée dans le Coran, qui est, à la fois, le Livre de la Raison, le Guide de la morale et le Code du droit. Il est toute la science ; il est toute la vie ; il ramène à Dieu le geste humain tout entier. / De cette conception totalitaire, la conséquence naturelle est le mélange du spirituel et du temporel, de la religion et de la morale. […]. L’islam associe ainsi à la religion toutes les manifestations de la vie et leur imprime un caractère religieux ».
[2] J. Schacht, “Foreign Elements in Ancient Islamic Law”, Journal of Comparative Legislation and International Law, Vol. 32, No. 3/4, 1950, pp. 9-17, 12.
- Si le droit musulman partage ainsi avec les droits « originellement » africains un lien fondamental avec le sacré, c’est de manière différente. En islam, comme dans le droit hébraïque, tout part du divin, plus précisément de la volonté de Dieu révélée aux hommes ; le droit n’a donc pas seulement quelque chose à voir avec le sacré, il est d’origine divine[1]. A ce titre, les devoirs de l’homme sont entièrement orientés vers Allah. Tout le reste, notamment les devoirs à l’égard des autres hommes – et les droits de ceux-ci – en découle. De même, en islam, l’organisation et l’institutionnalisation du pouvoir, qui ne sont pas régies par le fiqh, sont baignées de considérations religieuses et découlent de l’obéissance à Dieu.
[1] L. Milliot, F.-P. Blanc, Introduction à l’étude du droit musulman, 2e éd., Paris, Sirey, 1987, 669 p., § 20 : « Le Coran a révélé aux hommes le mystère des destinées religieuses des sociétés humaines. Cette grande vérité est une, comme Allah lui-même ; en elles sont fondées et incorporées toutes les autres vérités : philosophique, morale, juridique ; et la Loi (shari’a ou shar), enseignée par la parole de Dieu et l’exemple du Prophète impose au musulman, pris en sa qualité de croyant, l’ensemble de ses obligations d’homme et de citoyen d’une théocratie ; elle réglemente donc sa vie religieuse aussi bien que politique et sociale, dicte son statut familial, édicte le droit pénal, le droit public et le droit international ».
2. Pluralité des manifestations du modèle en Afrique
- L’apparition la diffusion et les modalités d’application du droit islamique, qu’elles furent effectuées par la conquête militaire ou par une diffusion pacifique, furent très différentes selon les pays africains et même au sein de ceux-ci[1]. Que ce soit par nécessité ou volontairement, l’islam et le droit musulman ont dû et souvent su s’adapter aux contextes locaux déjà imprégnés de juridicités et sacralités tout en conservant toutefois une certaine unité. Cette flexibilité fut d’ailleurs certainement une des raisons de la facilité de sa diffusion[2].
- Les deux normativités pouvaient se déployer simultanément en raison de leur tolérance réciproque ainsi et d’un fond principiel commun[3].
[1] Voir, entre autres, J.N.D. Anderson, Islamic Law in Africa, London, Cass, 1955 ; rééd. London and New York, Routledge, Coll. Routledge Library Editions: Islam, Vol. 12, 2008, 424 p.
[2] Voir notamment M. Benchenane, « L’Islam africain », Revue défense nationale, n° 793, 2016/8, pp. 103-108.
[3] Voir par exemple, en matière foncière, « The successful partnership between Islamic land law and Muslim (and often non-Muslim) customary land norms is a curious but comprehensible phenomenon. A supposedly uncompromising monotheist religion was often combined with drums, dances, magic and superstition, blurring the lines between Muslim African customs and Muslim religious beliefs. Many Africans view Allah as the supreme traditional spirit, or at least one of the two parts of the same religious experience. The accommodation between the two has been attributed to the Islamic concept of racial equality, acceptance of practices such as polygamy and circumcision and (in defiance of traditionalists) belief in spirits. Common to Islam and African custom are family, community and kinship loyalties which often take precedence over religious ties for many individuals, and in some West African areas there are many families with Muslim and non-Muslim members. / The conversation between the spiritually sacred character of African communal property and the religiously founded Islamic land tenure is striking. African customs, though varied, generally constructed land as belonging to the Gods and the spirits, through ancestors and with regard to future generations, where the living venerate the land and use it gratefully (ES Craigwell-Handy ‘The religious significance of land’ (1939) 38 Royal Africa Society 114 – 123). Land was worshipped under traditional customs as the expression of the Gods, just as Qur’an refers to land as God’s bounty and a ‘sign’ of divine gifts (ni’amah). Though Islamic land tenures promoted individual (as well as communal) rights these are not unconditional, as God alone has the right to absolute ownership of all worldly things, and individuals merely have usufructuary rights (S Behdad ‘Property rights in contemporary Islamic economic thought: A critical survey’ (1989) 47 Review of Social Economy 2). As such it is widely recognised that ‘the Islamic philosophy of property is more similar to the African way of thinking than the northern ideal of private property’ (GTZ ‘Property regimes in land – a socioeconomic analysis’ in Land tenure in development cooperation: Guiding principles (1998)). The colonial commodification of land threatened the African way of life, leading a closer liaison between African custom and the Islamic range of land tenures”, S. Sait, “Not Just another ‘Custom’: Islamic Influence on African Land Laws”, in R. Home (ed), Essays in African Land Law, Pretoria University Law Press, 2011, 207 p., pp. 91-111, 110.
- Les deux juridicités pouvaient également ne pas être compatibles. Dans ce cas, la rencontre fit naître deux grands types de phénomènes sur lesquels on reviendra en étudiant la gestion des pluralismes. Un premier de prise en considération, d’acceptation et même d’adaptation de l’Islam aux coutumes existantes a priori incompatibles avec le droit musulman en formation[1]. Un autre de remise en cause de certaines de ces règles. En tout état de cause, l’arrivée de l’Islam ne s’est pas toujours faite sans tension avec les coutumes locales existantes ainsi qu’avec les droits rabbinique et chrétien déjà présents. S’il a réussi à s’implanter dans certains Etats comme le droit principal, il n’a pas réussi à éradiquer toutes les coutumes préexistantes, y compris celles considérées comme contraires au droit musulman. En effet, en maints endroits, les populations locales continuaient à appliquer leurs coutumes et à utiliser leurs institutions quand bien même elles seraient devenues musulmanes[2].
[1] Voir notamment M. Benchenane, « L’Islam africain », Revue défense nationale, n° 793, 2016/8, pp. 103-108, 104 et s.
[2] M. Morand, « Les coutumes des Berbères marocains » [1927], in Etudes de droit musulman et de droit coutumier berbère, Alger, Ancienne maison Bastide-Jourdan, Jules Carbonnel, Imprimeur de l’Université, 1931, 316 p., 293 ss., 293 : « Il est au Maroc, comme en Algérie, des Berbères arabisés, des Berbères incomplètement arabisés, – des Berbères non arabisés. / Tous sont musulmans, observent plus ou moins scrupuleusement les prescriptions de la religion musulmane. Mais, tandis que les Berbères arabisés sont régis intégralement par le droit musulman, – les Berbères incomplètement arabisés obéissent à la loi musulmane, mais demeurent, dans une large mesure, soumis à leurs coutumes, dans le domaine du droit pénal principalement [note omise]. – Quant aux Berbères non arabisés, seules leurs coutumes les gouvernent » ; 297-298 : « D’autre part, de même que ces Berbères non arabisés ou incomplètement arabisés ont conservé leurs coutumes, de même, aussi, ils ont conservé leurs organismes judiciaires chargés de les appliquer. / Au Maroc central, par exemple, les contestations entre simples particuliers sont portées devant la djema’â, qui s’efforce de concilier les parties en cause. / Si la conciliation n’a pu se faire, les parties soumettent leur différend à un ou plusieurs arbitres « choisis parmi les hommes sages et réputés de bon conseil […]. La décision de l’arbitre, à moins que les parties n’en aient décidé autrement, peut être déférée à la censure d’un second arbitre, dont le jugement, à moins de convention contraire, pourra être frappé d’appel devant un troisième arbitre, dont la décision est, alors, sans appel ».
- On assista ainsi non seulement à une « africanisation de l’Islam »[1], mais également à une africanisation du droit musulman, c’est-à-dire à une inflexion portée à celui-ci par le maintien de droits « originellement » africains[2].
- Le droit islamique tel qu’il est appliqué en Afrique n’est donc pas uniforme et se décline sous de nombreuses variantes – notamment avec le fort développement du soufisme -, au-delà des quatre grandes écoles[3], cette pluralité interne au droit musulman n’étant cependant peut-être pas irréductible[4].
[1] Sur celle-ci, voir notamment D. Robinson, Les sociétés musulmanes africaines. Configurations et trajectoires historiques, Paris, Karthala, coll. 4 vents, 2012, 310 p., spéc. p. 75 et s. Voir également J.N.D. Anderson, Islamic Law in Africa, London, Cass, 1955 ; rééd. London and New York, Routledge, Coll. Routledge Library Editions: Islam, Vol. 12, 2008, 424 p.
[2] Voir ainsi G.-A. J. Kouassigan, Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit de la famille en Afrique noire francophone, Paris, Pedone, 1974, 311 p., 72 : « l’Islam noir est, sur plus d’un point, différent de l’Islam blanc. En effet, les droits traditionnels négro-africains avaient opposé et opposent encore une grande résistance à la pénétration de la doctrine du prophète. L’Islam et le droit musulman n’ont été reçus en Afrique Noire que pour être réinterprétés et les coutumes islamisées apparaissent comme des produits de croisement (Cf. A. Gouilly, L’Islam dans l’A.O.F., Paris, Larose, 1952 ; M. Gardaire, L’Islam et le terroir africain, Bamako, Koulouba, 1954 ; J. C. Froelich, Musulmans d’Afrique Noire, Paris, Orante, 1963 ; V. Monteil, L’Islam Noir, Paris, Seuil, 1964 ; plus anciens mais d’un intérêt actuel, Paul Marty, L’Islam en Mauritanie et au Sénégal, Paris; E. Leroux (1915-1916), Etudes sur l’Islam et les tribus du Soudan, Paris ; E. Leroux (1918-1920), L’Islam en Guin.e, ibid, 1921 ; Etudes sur l’Islam en Côte d’Ivoire, ibid, 1922 ; Etudes sur l’Islam au Dahomey, ibid, 1926. Le mouridisme au Sénégal et le hamallisme au Mali se présentent comme une réinterprétation de l’Islam par les Noirs ; sur la doctrine d’Ahmadou Bamba, face aux problèmes économiques, cf. La doctrine économique du mouridisme par Abdoulaye Wade in Annales africaines, 1967, p. 175 à 206) » ; p. 168 : « quel que soit le rite, l’Islam n’a été reçu par les peuples d’Afrique Noire que sous le bénéfice de la réinterprétation et de la réadaptation. / L’Islam noir est une transformation de la loi sacrée selon la philosophie et la conception du monde propre à ces peuples, et les éléments de différenciation qui en résultent ont été mis en évidence par des travaux de recherches entrepris par des auteurs comme Vincent Monteil (Cf. L’Islam Noir, Paris, Seuil, 1964) pour les pays francophones et Spencer Trimingham pour les pays anglophones (Islam in West Africa, Calrendon press, Oxford, 1959), si bien que ce n’est pas toujours à la loi révélée qu’il faut se reporter pour avoir la solution aux litiges qui peuvent surgir entre musulmans en Afrique Noire (Le législateur n’avait pas ignoré cette réalité et l’article 6 du décret du 20 novembre 1932 relatif à la justice musulmane au Sénégal disposait que les tribunaux musulmans se conformeraient à la loi coranique, sauf sur les points ou prévalent les coutumes locales). La réinterprétation de l’Islam a même provoqué dans certains pays l’apparition de nouvelles sectes telles que le mouridisme au Sénégal (P. Marty, Les mourides d’Amadou Bamba, Paris, Larose, 1913) ayant jusqu’à leur doctrine économique propre (A. Wade, La doctrine économique du Mouridisme », Annales africaines, 1967, p. 175 à 206 ; Cheikh Tidiane Sy, Traditionalisme mouride et modernisation rurale au Sénégal, thèse, Paris, Sorbonne, 1965) ou le hamallisme au Mali. L’introduction de l’Islam en Afrique Noire ne se traduit donc pas par une substitution progressive du droit musulman au droit coutumier. Leur conjonction a plutôt provoqué l’avènement d’un droit coutumier islamisé propre à l’Afrique Noire dont l’originalité a été mise en évidence, entre autre par J.-C. Froelich (Cf. J.C. Froelich, Les musulmans d’Afrique Noire, Paris, éd. De l’Orante, 1963 ; id., Droit musulman et droit coutumier in Etudes de droit africain et de droit malgache, Paris, Ed. Cujas, p. 361 à 390 ; A. Gouilly, L’Islam dans l’A.O.F., Paris, éd. De l’Orante, 1961). Ainsi, à la diversité des coutumes originaires s’ajoute la diversité des coutumes islamisées consécutives à la réception et à la réinterprétation de l’Islam et de son droit ». Voir également S. Sait, “Not Just another ‘Custom’: Islamic Influence on African Land Laws”, in R. Home (ed), Essays in African Land Law, Pretoria University Law Press, 2011, 207 p., pp. 91-111, 91, 92: “From the ancient African Muslim kingdoms of Mali and Songhai, to the Sokoto Caliphate (1809-1906) in present day Nigeria, Islam influenced African ways of life and was transformed into many ‘African Islams’”.
[3] Voir en ce sens J.N.D. Anderson, Islamic Law in Africa, London, Cass, 1955 ; rééd. London and New York, Routledge, Coll. Routledge Library Editions: Islam, Vol. 12, 2008, 424 p. De manière plus Générale, sur le pluralisme culturel dans le monde musulman, A.A. Said, « Precept and Practice of Human Rights in Islam », Universal Human Rights, Vol. 1, No. 1, 1979, pp. 63-79, 73-74.
[4] E. Cotran, “The Unification of Laws in East Africa”, The Journal of Modern African Studies, Vol. 1, No. 2, 1963, pp. 209-220, 215: « Unification between different schools or sects of the same religious law has been undertaken in many countries, and there is no reason why it cannot be achieved in East Africa. In India, a large measure of unity in the Hindu personal law has been effected through codification, and this, so far as marriage is concerned, has been followed in Kenya and Uganda, where the marriage of Hindus is now regulated by the Hindu Marriage and Divorce Ordinances of the two territories, which are almost identical. As regards Islamic law, guidance may be sought from the Muslim countries of the Middle East, where unity has been achieved through the doctrine of Talfiq (patching), under which rules are chosen from the different schools in order to produce a new codified rule applicable to all. This was done in Kenya as long ago as I900 in the Waqf Commissioners Ordinance, which codified the law relating to Waqfs, producing rules applicable to all Muslims in Kenya ».
- En outre, les caractères du droit musulman qu’on a rapidement présentés ont été très largement altérés par les interventions européennes et les droits des Etats indépendants qui ont du régir leurs relations avec le droit musulman. Or, on assista ici également à une très grande diversité des solutions adoptées, lesquelles continuent de changer. On songe notamment à la manière dont les droits coloniaux et ceux des Etats indépendants ont classé le droit musulman par rapport aux autres droits étatiques, tantôt en s’y désintéressant, tantôt en le reconnaissant (comme droit inférieur ou supérieur), tantôt en les rangeant dans une même catégorie générale, tantôt en les distinguant[1].
- Ainsi l’institution du qâdhi n’empêcha pas certaines juridictions étatiques de connaître de coutumes musulmanes pour régler des différends entre musulmans, qu’il s’agisse de juridictions spécialisées en droit musulman comme au Nigéria ou de juridictions de droit commun pouvant connaître de chambres spéciales pour connaître de coutumes musulmanes comme au Niger ou pouvant faire appel à des assesseurs en droit musulman. Il semble, en tout état de cause, que cette institution juridiciaire du qâdhi a perdu beaucoup de son importance en Afrique.
- De même, indépendamment même de l’intervention des droits étatiques, coloniaux ou nouvellement indépendants, les caractères qu’on a mentionnés ont été largement aménagés par les pratiques locales, notamment le système des confréries dans certaines parties de l’Afrique ou la manière dont cohabitent – ou non – les droits exoétatiques non musulmans et le droit musulman lui-même. Ainsi, l’effet de la conversion en islam sur la détermination du droit applicable au fidèle varie selon les endroits entre l’inapplicabilité du droit initialement applicable au fidèle au profit du droit musulman et l’application conjointe des deux droits.
Il conviendra de revenir sur ces points en traitant de la manière dont les différents droits ont régi leurs relations réciproques en Afrique.
[1] Sur ce point, voir notamment J.N.D. Anderson, Islamic Law in Africa, London, Cass, 1955 ; rééd. London and New York, Routledge, Coll. Routledge Library Editions: Islam, Vol. 12, 2008, 424 p.