Considérations préliminaires à l’étude de la gestion par les systèmes du pluralisme juridique en Afrique

Pour citer: J. Matringe, “Considérations préliminaires à l’étude de la gestion macro-juridique du pluralisme”, in Droits africains et pluralisme juridique en Afrique 3: La gestion du pluralisme juridique en Afrique”, https://droitsafricainsonline.com/themes/droits-africains-et-pluralisme-juridique-en-afrique/3-la-gestion-du-pluralisme-juridique-en-afrique/considerations-preliminaires-a-letude-de-la-gestion-macro-juridique-du-pluralisme/, consulté le 08/11/2023

Avant d’étudier plus avant les techniques d’articulation de ces différentes normativités et de leurs institutions, quelques considérations préliminaires sont nécessaires.

Plan

Considération 1. Le principe d’autodétermination de chaque droit pris comme système juridique

Caractère existentiel du principe

  1. Il existe un principe existentiel en vertu duquel un système juridique n’existe en tant que tel, c’est-à-dire de manière autonome, que sur le fondement d’un principe d’auto-détermination[1]. Ce principe selon lequel chacun a son propre fondement de validité est tellement inhérent à l’existence même d’un système qu’il est rarement exprimé de manière expresse. On le trouve toutefois exprimé dans la plupart des constitutions africaines où il est affirmé que celle-ci est la norme fondamentale de l’ordre juridique et brise toute autre[2]. Peut-être peut-on trouver un équivalent dans la formule d’introduction aux sourates coraniques : « De par le nom de Dieu […] »[3].
  2. En conséquence, tout système juridique est maître des rapports qu’il entretient avec les autres ; c’est en vertu de ses propres mécanismes qu’il reconnaît un autre ou certains de ses éléments.
  • Ainsi, comme les autres Etats, les Etats africains n’empruntent au droit international public que par réception de celui-ci par leurs propres mécanismes et ne se fondent que sur leur propre ordre interne pour assurer la mise en œuvre en leur sein des éléments du droit international. En ce sens, aucun droit étatique africain ne considère relever du même ordre juridique que le droit international — n’est donc purement « moniste » — même s’il peut vouloir accueillir en son sein des éléments de celui-ci et faciliter la participation de ses organes à leur mise en œuvre[4].
  • Dans la même veine, si les Etats acceptent de reconnaître des normes, situations et relations produites en vertu d’un autre système étatique, c’est sur le fondement d’une branche particulière de leur droit, le droit international privé.
  • Il en est encore ainsi s’agissant de la question de leurs rapports avec les droits exoétatiques[5]. Dans ce cadre, le droit étatique peut procéder de différentes manières. D’une part, un texte de droit étatique peut porter spécialement sur la question des droits exoétatiques et l’articulation de ceux-ci avec le droit étatique, en lien avec des règles de fond ou avec des règles régissant l’architecture des modes de réalisation du droit[6]. D’autre part, la question des rapports entre droits peut n’être abordée qu’au détour de prescriptions du droit étatique dont l’objet principal est une question de fond. Quelle que soit l’hypothèse, il entend être maître de ces relations dans son ordre propre. Le droit étatique peut par exemple reconnaître expressément des éléments particuliers d’un ordre exo-étatique, par exemple le mariage religieux dont les conditions de formation et de dissolution ainsi que le régime sont régis par les normes de cet autre ordre. Cependant, l’ordre juridique soumettra cette reconnaissance à ses propres conditions de validité. Il peut également reconnaître des institutions exo-étatiques, mais en réservant une pleine reconnaissance seulement aux institutions nées sous son empire[7].

[1] En ce sens également O. Pfersmann, « Le droit comparé comme interprétation et comme théorie du droit », Revue internationale de droit comparé, Vol. 53, No. 2, 2001, pp. 275-288, 277-278 : « Cela tient à l’ontologie des systèmes juridiques. Ils sont formellement fermés et matériellement ouverts. Toute norme juridiquement valide appartient au système considéré parce qu’une autre norme du même ordre lui attribue cette propriété ; et uniquement les normes produites selon les formes prévues appartiennent à un ordre juridique donné. […] mais chaque ordre juridique peut intégrer des contenus valides dans des ordres différents : si un système intègre telle ou telle donnée d’un autre, celle-ci sera valide dans le système qui l’intègre, en tant que règle de ce système, en raison des règles de ce système qui ont permis cette opération et non en raison de la nature intrinsèque de la règle intégrée ou en vertu des règles du système dont elle provient. Les règles d’intégration peuvent présenter un degré très élevé de complexité, surtout par l’institution de nouvelles procédures permettant de produire de telles règles, mais cela ne change rien à la clôture des systèmes ».

[2] Voir également CJCEMAC, 31 mars 2011, Banque Atlantique du Cameroun, Autorité Monétaire du Cameroun c. arrêt n° 010/CJ/CEMAC/CJ/09 du 13 novembre 2009 et la Compagnie d’Assurance C.P.A, arrêt n° 012/2011 : « Attendu que la primauté évoquée est « une condition existentielle » du droit communautaire qui, « en raison de sa nature spécifique originale, ne peut se voir opposer un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la communauté elle-même ».

[3] In Cheikh Si Hamza Boubakeur, Le Coran, Paris, Fayard, 1979

[4] Voir notamment J. Matringe, « Le traitement du droit international par les droits étatiques africains », in M. Kamto & J. Matringe (dir.), Droit constitutionnel africain comparé, à paraître, Paris, Pedone, 2024, p. 954.

[5] Voir par exemple Constitution of the Republic of Mozambique, 2004, art. 118 – Traditional Authority: « 1. The State shall recognise and esteem traditional authority that is legitimate according to the people and to customary law. 2. The Sate shall define the relationship between traditional authority and other institutions and the part that traditional authority should play in the economic, social and cultural affairs of the country, in accordance with the law ».

[6] Voir ainsi, Burkina Faso, Loi n° 034-2009/AN du 16 juin 2009 portant régime foncier rural, JO n° 4, 6 août 2009, art. 4 : « l’Etat en tant que garant de l’intérêt général […] organise la reconnaissance juridique effective des droits fonciers locaux légitimes des populations rurales ». Voir également •Gabon, Ordonnance n° 007/PR/2017 du 27 février 2007 portant modification et suppression de certaines dispositions de la loi n° 003/2007 du 27 août 2007 relative aux parcs nationaux L’article 1er introduit un nouvel art. 9 nouveau qui dispose, notamment : « Toute activité de quelque nature que ce soit, non conforme aux dispositions de la présente ordonnance, est interdite sur toute l’étendue d’un parc national », puis prévoit que l’organisme de gestion pourra autoriser certaines activités et termine par « L’organisme de gestion peut également autoriser les droits d’usage coutumier des populations vivant traditionnellement à l’intérieur d’un parc national, conformément aux dispositions des textes en vigueur ».

[7] Voir par exemple South Africa, Constitutional Court, 7 June 2000, Rahim Dawood and Another v Minister of Home Affairs and Others; Nazila Shalabi and Another v Minister of Home Affairs and Others; Maureen Shaila Thomas and Another v Minister of Home Affairs and Others (CCT35/99) [2000] ZACC 8; 2000 (3) SA 936; 2000 (8) BCLR 837, § 32: “South African families are diverse in character and marriage can be contracted under several different legal regimes including African customary law, Islamic personal law and the civil or common law. However, full legal recognition has historically been afforded only to civil or common law marriages”.

Corollaire 1 : L’affirmation de principe par chaque droit de son insubordination aux autres

  1. En vertu de ce principe d’autodétermination, chaque système ne peut existentiellement se concevoir et s’affirmer que comme insubordonné aux autres. Prenons l’exemple de la position des droits étatiques africains à l’égard du droit international qui, derrière l’affirmation générale de leur volonté de respecter leurs engagements internationaux, assurent la supériorité dans leur ordre de leur constitution.
  2. L’affirmation générale du respect du droit international. Un nombre significatif de constitutions africaines déclarent expressément, sous des formes variées, dans le corps même du texte ou plus généralement dans le préambule, que l’Etat souscrit ou adhère à quelques instruments internationaux – principalement la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples – et respecte le droit international de manière générale ou certains textes internationaux particuliers[1]. Il est même parfois précisé que l’Etat doit édicter et mettre en œuvre des normes internes pour respecter ses obligations internationales.

[1] Par exemple : Constitution de la République algérienne démocratique et populaire, JO n° 76 du 8 décembre 1996, modifiée par Loi n° 02-03 du 10 avril 2002 – JO n° 25 du 14 avril 2002 ; Loi n° 08-19 du 15 novembre 2008 – JO n° 63 du 16 novembre 2008 et Loi n° 16-01 du 6 mars 2016 – Journal officiel n° 14 du 7 mars 2016, nouvel art. 27 : « L’Etat œuvre à la protection des droits et des intérêts des citoyens à l’étranger dans le respect du droit international, des conventions conclues avec les pays d’accueil et de la législation nationale et de celles des pays de résidence […] » ; Constitution de la République algérienne démocratique et populaire, JORADP N° 76 du 8 décembre 1996 modifiée par la Loi n° 02-03 du 10 avril 2002, JORADP N° 25 du 14 avril 2002 et la Loi n° 08-19 du 15 novembre 2008, JORADP N° 63 du 16 novembre 2008, article 28 al. 2 devenu art. 31 dans la version de 2016 : « [L’Algérie] souscrit aux principes et objectifs de la Charte des Nations Unies » ; Constitution du Burkina Faso du 11 juin 1991, modifiée le 12 novembre 2013, préambule : « Souscrivant à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 et aux instruments internationaux traitant des problèmes économiques, politiques, sociaux et culturels ; Réaffirmant solennellement notre engagement vis-vis de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 » ; Loi n° 1/010 du 18 mars 2005 portant promulgation de la Constitution de la République du Burundi : « Nous, peuple burundais [… ] Réaffirmant notre foi dans l’idéal de paix, de réconciliation et d’unité nationale conformément à l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi du 28 août 2000 et aux Accords de cessez-le-feu » ; « Proclamant notre attachement au respect des droits fondamentaux de la personne humaine tels qu’ils résultent notamment de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, des Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme du 16 décembre 1966 et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 18 juin 1981 » ; « Considérant que les relations entre les peuples doivent être caractérisées par la paix, l’amitié et a coopération conformément à la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 » ; « Réaffirmant notre attachement à la cause de l’unité africaine conformément à l’Acte constitutif de l’Union africaine du 25 mai 2002 » ; Constitution du Cameroun de 1996, préambule : « Le Peuple camerounais […] Affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte des Nations Unies, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées […] », étant précisé à l’article 65 que le préambule fait partie intégrante de la Constitution ; Constitution de l’Union des Comores, 23 décembre 2001, mise à jour par référendum en 2009, préambule : « Le peuple comorien, affirme solennellement sa volonté de : […] marquer son attachement aux principes et droits fondamentaux tels qu’ils sont définis par la Charte des Nations Unies, celle de l’Organisation de l’Unité Africaine, le Pacte de la Ligue des Etats Arabes, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies et la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, ainsi que les conventions internationales notamment celles relatives aux droits de l’enfant et de la femme » ; Constitution de la République de Côte d’Ivoire du 23 juillet 2000, préambule : Loi n° 2016-886 portant Constitution de la République de Côte d’Ivoire, Journal officiel de la République de Côte d’Ivoire, numéro spécial, 58e année, n° 16, mercredi 9 novembre 2016, préambule : « Réaffirmons notre détermination à bâtir un Etat de droit dans lequel les droits de l’homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine, la justice et la bonne gouvernance tels que définis dans les instruments juridiques internationaux auxquels la Côte d’Ivoire est partie, notamment la Charte des Nations Unies de 1945 , la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 et ses protocoles additionnels, l’Acte constitutif de l’Union africaine de 2001, sont promus, protégés et garantis » ; Constitution of the Federal Democratic Republic of Ethiopia, 8 December 1994, Article 86 – Principles for External Relations: “4. To observe international agreements which ensure respect for Ethiopia’s sovereignty and are not contrary to the interests of its peoples” ; Constitution of the Republic of the Gambia, 1997, reprinted 2002, Section 216(3): “The State, in pursuing policies under subsection (2), shall be bound by the fundamental rights and freedoms in the Constitution and shall be guided by international human rights instruments to which The Gambia is a signatory and which recognise and apply particular categories of basic human rights to development processes » ; The Constitution of Kenya, 2010, Article 21(4) : “The State shall enact and implement legislation to fulfil its international obligations in respect of human rights and fundamental freedoms” ; Madagascar, Constitution de la IIIe République, 19 août 1992 (version de 2007), préambule : « Considérant sa situation géopolitique dans la région et sa participation engagée dans le concert des Nations et faisant siennes : – la Charte internationale des droits de l’homme ; – la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ; – les conventions relatives aux droits de la femme et de l’enfant : qui sont, toutes, considérées comme partie intégrante de son droit positif » ; Constitution de la République du Mali, adoptée par référendum du 12 janvier 1992 et promulguée par décret n° 92-073 P-CTSP du 25 février 1992, préambule : « Le Peuple Souverain du Mali […] souscrit à la Déclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 et à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981 » ; Constitution of the Republic of Namibia, 2010, Chapter 11 – Principles of State Policy, article 95 – Promotion of the Welfare of the People: “The State shall actively promote and maintain the welfare of the people by adopting, inter alia, policies aimed at the following: […]/ (d) membership of the International Labour Organisation and, where possible, adherence to and action in accordance with the international Conventions and Recommendations of the ILO”, article 96 – Foreign Relations: “The State shall endeavour to ensure that in its international relations it: […] (d) fosters respect for international law and treaty obligations; (e) encourages the settlement of international disputes by peaceful means”, étant précisé à l’article 101 – Application of the Principles contained in this Chapter: “The principles of State policy contained in this Chapter shall not of and by themselves be legally enforceable by any Court, but shall nevertheless guide the Government in making and applying laws to give effect to the fundamental objectives of the said principles. The Courts are entitled to have regard to the said principles in interpreting any laws based on them”.

  1. La garantie de la primauté du droit étatique. Toutefois, quand bien même les normes internationales seraient intégrées dans l’ordre juridique étatique, reste le problème de savoir si elles priment en cas de contrariété avec les énoncés étatiques. Car les normes étatiques ne sont pas forcément compatibles avec les engagements internationaux des Etats[1].

[1] Voir ainsi E. Arzt, « The Application of International Human Rights Law in Islamic States », Human Rights Quarterly, Vol. 12, No. 2, 1990, pp. 202-230, 206-207.

  1. Le problème est rendu plus compliqué lorsque la constitution renvoie au droit international de la personne humaine, mais proclame également reconnaître des normes non étatiques contraires. Ainsi, la Section 27 de la Constitution de la Sierra Leone interdit à la loi d’être discriminatoire mais pose des exceptions dont certaines nous intéressent : les lois qui concernent l’adoption, le mariage, le divorce, l’enterrement, la dévolution des biens au décès ou d’autres intérêts de caractère personnel et celles qui prévoient l’application du droit coutumier aux membres d’une race ou tribu particulières[1].

[1] Voir également, au sujet de l’Egypte avec l’Islam et la Shari’a E. Arzt, “The Application of International Human Rights Law in Islamic States”, Human Rights Quarterly, Vol. 12, No. 2, 1990, pp. 202-230, 223-224: « the principles of religious freedom and non-discrimination against religious minorities are now constitutionally protected in the majority of Islamic States. […]. Article 40 of Egypt’s constitution provides: « All citizens are equal before the law. They have equal public rights and duties without discrimination between them due to race, ethnic origin, language, religion or creed ». […]. A number of Egyptian penal laws criminalize discrimination or instigation of hatred on grounds of race, origin, or religion [footnote omitted]. However, some such provisions are in conflict with other constitutional sections that establish Islam as the official state religion or Shari’a as a principle source of legislation. Such provisions are found in […] Article 2 of Egypt’s constitution, which was amended in 1981 from « a principal source » to « the principal source » ».

  1. On distinguera la position des droits étatiques selon que le conflit à régler est entre un engagement international et la constitution ou entre un tel engagement et une norme infra-constitutionnelle. Comme dans les droits étatiques non africains, la solution est identique pour tous les Etats africains s’agissant de la première hypothèse ; elle est plus variée concernant la seconde.
  2. Tout d’abord, si le droit international dit primer sur les droits étatiques, ceux-ci, de leur côté, déclarent que leur constitution ne saurait plier devant le droit international, de sorte qu’en cas de conflit entre la constitution et le droit international, ils appliqueront la première et non le second.
  1. Un certain nombre de constitutions l’affirment expressément, se disant être la norme suprême et précisant parfois que toute norme leur est subordonnée[1]. Certaines dispositions sont plus précises pour ce qui nous concerne. Certaines, de type « dualiste », affirment que les traités internationaux incorporés – parfois les normes coutumières internationales[2] – ne font partie du droit de l’Etat que pour autant qu’ils sont conformes à la constitution[3] ou sont infra-constitutionnels[4]. Les constitutions des Etats dits monistes ne disent en revanche rien sur la place des normes internationales par rapport à la constitution. Cela dit, certaines constitutions, telles que celles du Bénin, incorporent en leur sein certains instruments internationaux[5].

[1] Par exemple : Constitution Afrique du Sud de 1996 tel qu’amendée en 2017, art. 2 intitulé « Supremacy of Constitution » : « This Constitution is the supreme law of the Republic ; law or conduct inconsistent with it is invalid, and the obligations imposed by it must fulfilled » ; Algérie, Constitution du 28 novembre 1996, version consolidée en 2008 et version de 2016, préambule : « La Constitution est au-dessus de tous, elle est la loi fondamentale […] » ; Constitution de la République d’Angola du 21 janvier 2010, préambule : « Nous approuvons la présente Constitution comme Loi Suprême et Fondamentale de la République d’Angola » et art. 6 : « 1. La Constitution est la loi suprême de la République d’Angola. […]. 3. La validité des lois, de traités et de tous les actes accomplis par l’Etat, le pouvoir local ou toute autre personne de droit public, de pend de leur conformité à la Constitution ». ;  Constitution of the Republic of Ghana, 1992 as amended by the Constitution of the Republic of Ghana (Amendmen) Act, 1996, art. 2 : « This Constitution shall be the supreme law of Ghana and any other law found to be inconsistent with any provision of this Constitution shall, to the extent of the inconsistency, be void » ; The Constitution of Kenya, 2010, Article 2 : « (1) This Constitution is the supreme law of the Republic and binds all persons and all State organs at both levels of government. […]. (4). Any law, including customary law, that is inconsistent with this Constitution is void to the extent of the inconsistency, and any act or omission in contravention of ths Constitution is invalid. […]. (6) Any treaty or convention ratified by Kenya shall form part of the law of Kenya under this Constitution”; Constitution of the Republic of Mozambique, 1990, art. 2 : « 4. Constitutional rules shall prevail over all other rules of the legal order »; The Constitution of the Republic of Namibia, 2010, article 1(6): “This Constitution shall be the Supreme Law of Nambia”.; Constitution of the Federal Republic of Nigeria, 1999, Section 1 : « (1) This Constitution is supreme and its provisions shall have binding force on the authorities and persons throughout the Federal Republic of Nigeria. […]. (3) If any other law is inconsistent with the provisions of this Constitution, this Constitution shall prevail, an that other law shall, to the extent of the inconsistency, be void » ; An Act to amend the Constitution of Zambia, Act No. 2 of 2016, 5th January 2016, Part I – Supremacy of Constitution, Section 1. Voir Zimbabwe, High Court, 29 January 2010, Gramara (Private) Limites and others v. Government of Zimbabwe and Attonrney-General of Zimbabwe, Decision on the registration of an international Judgment, HH 169/2009, ILDC 1746 (ZW 2010), in Oxford Reports on International Law in Domestic Courts, Oxford Public International Law où la Cour se fonde notamment sur une telle clause de suprématie pour refuser de donner effet au jugement du tribunal de la SADC condamnant la réforme agraire établie dans la Constitution et reconnue constitutionnelle par la Cour constitutionnelle.

[2] Voir Constitution Afrique du Sud de 1996 tel qu’amendée en 2017, Chapter 14 – General Provisions. International law, section 232. Customary international law : Customary international law is law in the Republic unless it is inconsistent with the Constitution or an Act of Parliament” et •South Africa, Constitutional Court, 4 August 2004, Samuel Kaunda and others v President of the Republic of South Africa and others, Case CCT 23/04,  2004 (10) BCLR 1009 (CC), 2005 (4) SA 235 (CC), Ngcobo J. at 151: “It is true that customary international law is part of our law, but it can be altered by our law and, in particular, by our Constitution”. Voir aussi •Constitution of Zimbabwe Amendment (No. 20) Act, 2013, Secttion 326 – Customary international law: “(1) Customary international law is part of the law of Zimbabwe, unless it is inconsistent with this Constitution or an Act of Parliament”.

[3] Pour une application d’une telle norme, entre autres, •South Africa, Constitutional Court, 25 July 1996, Azanian Peoples Organization (AZAPO) and Others v President of the Republic of South Africa and Others (CCT 17/96) [1996] ZACC 16; 1996 (8) BCLR 1015; 1996 (4) SA 672, IDLC 648 (ZA 1996). Le juge nigérian, après avoir hésité sur la portée à donner à la clause de suprématie de la section 12(1) de la Constitution (voir sur cette jurisprudence E. Egede, “The New Territorial Waters (Amendment) Act 1998 – Comments on the Impact of International Law on Nigeria Law”, African Journal of International and Comparative Law, Vol. 12, No. 1, 2000, pp. 84-104.), a décidé que les traités internationaux ratifiés par le Nigeria et incorporés n’avaient pas une force supérieure à la Constitution (pour la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples) in the Supreme Court of Nigeria, April 28, 2000, General Sami Abacha and Others v. Chief Justice Fawehimmi, S.C. 45/1997, 4 FWLR 533, [2000] 4 SCNJ 400). Voir aussi, sous une autre formulation : The Constitution of the Republic of Namibia, 2010, art. 144 : « Unless otherwise provided by this Constitution or Act of Parliament, the general rules of public international law and international agreements binding upon Namibia under this Constitution shall form part of the law of Namibia ».

[4] •Constitution of the Republic of Mozambique, 2004, art. 18 – International Law: “2. Norms of international law shall have the same force in the Mozambican legal order as have infra-constitutional legislative acts of the Assembly of the Republic and the Government, according to the respective manner in which they are received”.

[5] Bénin, Constitution du 11 décembre 1990, préambule : « Réaffirmons notre attachement aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations Unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’unité africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne » et art. 7 : « Les droits et les devoirs proclamés et garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’unité africaine et ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois ». Ainsi comprend-on sa jurisprudence constitutionnelle consistant à répondre à des allégations de violations de traités internationaux, en particulier la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, en concluant sur le respect ou non de la Constitution selon que ladite Charte a été respectée ou non. Voir Cour constitutionnelle, 21 juin 2011, Décision DCC 11-042, Décret n° 2011-335 du 29 avril 2011 portant institution d’un coefficient de revalorisation des traitements indiciaires des agents de l’Etat du ministère de l’économie et des finances, in Annuaire béninois de justice constitutionnelle – Dossier spécial : 21 ans de jurisprudence de la Cour constitutionnelle du Bénin (1991-2012), I-2013, Association béninoise de droit constitutionnel, Centre de droit constitutionnel, Université d’Abomey-Calavi (Bénin), Presses Universitaires du Bénin, 2014, p. 455, observations J.-L. Atangana-Amougou. Voir aussi Loi n° 1/010 du 18 mars 2005 portant promulgation de la Constitution de la République du Burundi, art. 19 : « Les droits et devoirs proclamés et garantis, entre autres, par la Déclaration universelle des droits de l’homme, les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la Convention relative aux droits de l’enfant font partie intégrante de la Constitution de la République du Burundi. / Ces droits fondamentaux ne font l’objet d’aucune restriction ou dérogation, sauf dans certaines circonstances justifiables par l’intérêt général ou la protection d’un droit fondamental » ; Constitution de la République du Congo, 20 janvier 2002, préambule : « Déclarons partie intégrante de la présente Constitution les principes fondamentaux proclamés et garantis par : la charte des Nations Unies du 24 octobre 1945 ; la Déclaration Universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ; la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples du 26 juin 1981 ; tous les textes internationaux pertinents dûment ratifiés relatifs aux droits humains ; la Charte de l’Unité nationale et la Charte des droits et libertés adoptées par la Conférence nationale souveraine le 29 mai 1991 ».

  1. En tout état de cause, les juges étatiques africains se rejoignent pour refuser que la norme d’origine internationale, tant conventionnelle que coutumière, prime sur la norme constitutionnelle[1], y compris dans le silence de la constitution en la matière[2].

[1] Voir Zimbabwe, High Court, 29 January 2010, Gramara (Private) Limites and others v. Government of Zimbabwe and Attorney-General of Zimbabwe, Decision on the registration of an international Judgment, HH 169/2009, ILDC 1746 (ZW 2010), in Oxford Reports on International Law in Domestic Courts, Oxford Public International Law où la Cour se fonde notamment sur une telle clause de suprématie pour refuser de donner effet au jugement du tribunal de la SADC condamnant la réforme agraire établie dans la Constitution et reconnue constitutionnelle par la Cour constitutionnelle.

[2] Voir par exemple South Africa, Supreme Court, Cape Provincial Division. 29 September 1970, South Atlantic Islands Development Corporation Ltd. V Buchan, 1971 (1) SA 234 (C), at 238C-E; High Court of Botswana, 12 October 2003, Angola v Springbok Investments (Pty) Ltd, Application for Review, MISCA No 4/2002, in Oxford Reports on International Law in Domestic Courts, Oxford Public International Law, Report by Magnus Killander.

  1. D’un niveau inférieur et moins faciles à connaître, les lois et les normes émanant d’autorités administratives sont plus facilement incompatibles avec les prescriptions internationales. Ces normes de niveau étatique peuvent conforter les prescriptions des droits exoétatiques incompatibles avec les normes internationales comme elles peuvent les combattre sur le fondement du droit international ou encore y être indifférentes. La position des droits étatiques sur la force des normes internationales à l’égard de ces normes est moins homogène que s’agissant de la constitution. Elle dépend d’abord du type de norme internationale en jeu (norme conventionnelle, norme coutumière, acte unilatéral d’une organisation internationale, décision d’une juridiction internationale). Elle dépend également de la norme interne en cause. Disons que tous les Etats acceptent que les normes internationales conventionnelles et coutumières priment les normes internes infra-législatives (nous ne connaissons pas de jurisprudence en la matière s’agissant des actes unilatéraux des organisations internationales et des décisions des juridictions internationales). La question concerne essentiellement la loi.
  1. Les constitutions des Etats dits monistes reconnaissent très régulièrement aux normes conventionnelles internationales une autorité supérieure à celles des lois[1], ne disant rien des normes coutumières. De leur côté, les constitutions qui s’inspirent du modèle anglais les subordonnent toutes à la loi selon des modalités différentes, soit que la constitution dispose expressément que les normes internationales – conventionnelles et/ou coutumières – ne font partie du droit de l’Etat que pour autant qu’elles sont conformes aux actes du Parlement[2], soit qu’elle exige – pour la norme conventionnelle – qu’elle soit reçue par une loi dont elle prend alors la force juridique[3], ses dispositions étant en conséquence à la merci d’une loi ultérieure contraire[4] ou retirant la loi d’incorporation[5]. Toutefois, la loi peut énoncer expressément elle-même plier devant une norme conventionnelle[6] (comme elle peut énoncer le contraire[7]). La Constitution égyptienne est particulière en ce qu’elle s’inscrit globalement dans le système dit moniste s’agissant de l’introduction des engagements internationaux dans l’ordre interne mais s’inscrit dans l’autre branche quant à leur force juridique puisqu’elle n’est que celle de la loi[8].

[1] Voir par exemple Algérie, Constitution du 28 novembre 1996, version consolidée en 2008, art. 132 devenu 150 dans la version de 2016 : « Les traités ratifiés par le président de la République, dans les conditions prévues par la Constitution, sont supérieurs à la loi ». ; Constitution du Bénin du 11 décembre 1990, préambule : « Réaffirmons notre attachement aux principes de la démocratie et des droits de l’homme tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations Unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’unité africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne ». Cette Constitution va même plus loin en conférant valeur constitutionnelle à la Charte africaine à son art. 7: « Les droits et les devoirs proclamés et garantis par la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’unité africaine et ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986 font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois ». Voir encore l’art. 147: « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie » ; Constitution du Burkina Faso du 11 juin 1991, modifiée le 12 novembre 2013, art. 151 ; Constitution du Cameroun de 1996, Titre VI – Des traités et accords internationaux, art. 45 ; Constitution du Cap Vert – Titre II Relations internationales et droit international, art. 11 § 4 : « Les règles et les principes du droit international général ou commun et du droit international conventionnel dûment approuvés ou ratifiés prévalent après leur entrée en vigueur dans l’ordre juridique international et interne sur tous les actes législatifs et réglementaires internes soumis aux principes de la Constitution à compter de leur entrée en vigueur dans l’ordonnancement juridique international et interne » ; Constitution de la République de Côte d’Ivoire du 23 juillet 2000, art. 87 ; Loi n° 2016-886 portant Constitution de la République de Côte d’Ivoire, Journal officiel de la République de Côte d’Ivoire, numéro spécial, 58e année, n° 16, mercredi 9 novembre 2016, art. 123 ; Madagascar, Constitution de la IIIe République, 19 août 1992 (version de 2007), Titre IV – Des traités et accords internationaux, art. 132 ; Constitution de la République du Mali, adoptée par référendum du 12 janvier 1992 et promulguée par décret n° 92-073 P-CTSP du 25 février 1992, art. 116 ; Constitution de la République du Niger, adoptée le 18 juillet 1999 et promulguée par le décret n° 99-320/PCRN du 9 août 1999 (Constitution à jour au 22 septembre 2004 avec intégration de la révision opérée par la Loi n° 2004-15 du 13 mai 2004, JORN, spécial n° 7 du 14 mai 2004, art. 132 ; Constitution de la République du Rwanda du 4 juin 2003, révision n° 01 de décembre 2003 (JO n° spécial du 2 décembre 2003, 2003, p. 11), révision n° 02 du 8 décembre 2005 (JO, n° spécial du 8 décembre 2005), révision du 13 août 2008 (JO n° spécial du 13 août 2008), article 190 ; Constitution de la République du Sénégal du 22 janvier 2001 telle que modifiée par la Loi n° 2003-15 du 19 juin 2003 portant révision de la Constitution et instituant u Conseil de la République pour les Affaires économiques et sociales, la Loi n° 2006-37 du 15 novembre 2006 modifiant l’article 33 de la Constitution, la Loi constitutionnelle n° 2007-19 du 19 février 2007 modifiant l’article 34 de la Constitution, la Loi constitutionnelle n° 2007-06 du 12 février 2007 créant un Sénat, la Loi constitutionnelle n° 2007-26 du 25 mai 2007 relative au Sénat, art. 98 ; Togo, Constitution de la IVe République, adoptée par référendum le 27 septembre 1992, promulguée le 14 octobre 1992, révisée par la loi n° 2002-029 du 31 décembre 2002, Titre XI – Des traités et accords internationaux, article 140. En revanche, l’article 151 de la Constitution égyptienne ne reconnaît que la force législative aux accords régulièrement formés et publiés. Voir également Constitution de la République du Rwanda du 4 juin 2003, révision n° 01 de décembre 2003 (JO n° spécial du 2 décembre 2003, 2003, p. 11), révision n° 02 du 8 décembre 2005 (JO, n° spécial du 8 décembre 2005), révision du 13 août 2008 (JO n° spécial du 13 août 2008), article 190 : « Les traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication au journal officiel, une autorité supérieure à celle des lois organiques et des lois ordinaires, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie » ; Togo, Cour d’appel de Lomé, 24 septembre 2009, MATHEY-ADELY Mathéky Michel et autres c. Veuve MATHEY-ADELY Dédévi Virginie née BOCCOVI, arrêt n° 140/2009 : «  La Cour : «  Attendu que dans la hiérarchie des normes, les traités ou accords internationaux, les conventions internationales, ont primauté sur les lois internes des États, en conséquence, lorsque les dispositions d’une loi nationale sont contraires à celle d’une convention internationale régulièrement ratifiée, le juge, en attendant leur dérogation ou notification par l’organe qui les a édictées, les écarte en faveur de la convention internationale ; Attendu que la CEDEF a été régulièrement ratifiée par le Togo suivant la loi n° 93-15 du 20 juin 1983 ; qu’en son article 16, elle invite les Etats membres à adopter toutes les mesures pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les prestations sociales ; Attendu que l’article 391 du CTPF, en ce qu’il conduit à l’exclusion de la veuve de la succession de son défunt mari, lorsque celui-ci n’avait pas renoncé à son statut coutumier en matière successorale, est contraire à cette convention ; Attendu que par conséquent et en attendant son abrogation ou sa modification par l’organe compétent, il y a lieu tout simplement de l’écarter ».

[2] Voir ainsi Constitution Afrique du Sud de 1996 tel qu’amendée en 2017, Chapter 14 – General Provisions. International law, section 232. Customary international law: “Customary international law is law in the Republic unless it is inconsistent with the Constitution or an Act of Parliament”.

[3] En ce sens:  South Africa, Constitutional Court, 17 March 2011, Hugh Glenister v President of the Republic of South Africa and others (CCT 48/10) [2011] ZACC 6 ; 2011 (3) SA 347 (CC) ; 2011 (7) BCLR 651 (CC), IDLC 1712 (ZA 2011) (Glenister II), Ngcobo CJ, at 100 : “It is implicit, if not explicit, from the scheme of section 231, that an international agreement that becomes law in our country enjoys the same status as any other legislation. This is so because it is enacted into law by national legislation, and can only be elevated to a status superior to that of other national legislation if Parliament expressly indicates its intent that the enacting legislation should have such status”; 101: “upon incorporation under section 231(4), an international agreement assumes the status of ordinary legislation in our law. […] if there is a conflict between an international agreement that has been incorporated into our law and another piece of legislation, that conflict must be resolved by the application of the principles relating to statutory interpretation and superseding legislation”

[4] Par exemple: Constitutional Court of South Africa, 21st January 2009, President of the Republic of South Africa and Others v Quagliani, President of the Republic of South Africa and Others v Van Rooyen and Another, Goodwin v Director-General, Department of Justice and Constitutional Development and Others (CCT 24/08, CCT 52/08) [2009] ZACC 1; 2009 (4) BCLR 345 (CC), ILDC 1254 (ZA 2009), in ORIL, OPIL, Report A. Ferreira-Snyman;, at 50 ss. In the Supreme Court of Nigeria, April 28, 2000, General Sami Abacha and Others v. Chief Justice Fawehimmi, S.C. 45/1997, 4 FWLR 533, [2000] 4 SCNJ 400, Ogundare, JSC. Comme le droit international coutumier plie devant la loi et la jurisprudence in Lord Denning in Trendtex Trading Corporation v Central Bank of Nigeria [1977] QB 529 (Court of Appeal

[5] En ce sens : In the Supreme Court of Nigeria, April 28, 2000, General Sami Abacha and Others v. Chief Justice Fawehimmi, S.C. 45/1997, 4 FWLR 533, [2000] 4 SCNJ 400, Ogundare, JSC.

[6] Voir ainsi la loi n° 08-11 du 21 Joumada Ethania 1429 correspondant au 25 juin 2008 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie, Journal officiel de la République algérienne, n° 36, 28 Joumada Ethania 1429 / 2 juillet 2008, article 1er : « La présente loi a pour objet de définir les conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en territoire algérien, sous réserve de conventions internationales ou d’accords de réciprocité » ; Maroc, Dahir n° 1-03-196 du 16 ramadan 1424 (11 novembre 2003) portant promulgation de la loi n° 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières, Bulletin officiel n° 5162 du 20 novembre 2003, article 1§ 1: « Sous réserve de l’effet des conventions internationales dûment publiées, l’entrée et le séjour des étrangers au Royaume du Maroc sont régis par les dispositions de la présente loi ».

[7] Par exemple, Kenya, The Refugees Act, 2006, Kenya Gazette Supplement No. 97 (Acts No. 13), 2nd January 2007, section 16 : « (1) Subject to this Act, every recognized refugee and every member of his family in Kenya – (a) shall be entitled to the rights and be subject to the obligations contained in the international conventions to which Kenya is party ».

[8] Constitution de la République arabe d’Egypte (dernière modification : référendum du 25 mai 2005), art. 151 : « Le Président de la République conclut les traités et les communique à l’Assemblée du Peuple accompagnés d’un exposé adéquat. Ils auront force de loi après leur conclusion, leur ratification et leur publication, conformément aux conditions en vigueur. / Cependant, les traités de paix, d’alliance, de commerce, de navigation et tous les traités qui entraînent une modification du territoire de l’État ou ceux relatifs aux droits de souveraineté, ou ceux qui chargent le trésor de l’État de quelque dépende non inscrite au budget, doivent recevoir l’approbation de l’Assemblée du peuple ».

  1. S’agissant des normes conventionnelles, les juges des Etats dits monistes appliquent généralement la constitution pour reconnaître à ces normes une autorité supérieure à celle des normes législatives. Les juges des Etats dits dualistes adoptent à l’opposé une position constante consistant à faire prévaloir la loi sur la norme conventionnelle. Cette solution est conforme aux dispositions constitutionnelles précitées, lesquelles reprennent une ancienne solution de common law appliquée y compris dans le silence de la constitution[1]. Cependant, on y reviendra, le jeu – généralement jurisprudentiel – de l’interprétation « conforme » dont découle notamment l’affirmation selon laquelle le législateur est présumé ne pas vouloir violer une obligation internationale de l’Etat conduit à nuancer cette « primauté » de la norme législative.

[1] Voir, par exemple, South Africa, Supreme Court, Cape Provincial Division. 29 September 1970, South Atlantic Islands Development Corporation Ltd. V Buchan, 1971 (1) SA 234 (C), at 238C-E.

  1. S’agissant des règles coutumières, une approche générale semble se dessiner qui soumet celles-ci à la loi. Cela peut être énoncé dans la constitution, comme on l’a vu, ou dans la jurisprudence qui perpétue la règle ancienne du common law en vertu de laquelle si les normes coutumières font partie du droit de l’Etat sans besoin de réception, leur existence est conditionnée à leur conformité à la Constitution et aux actes du parlement[1]. Ainsi, le juge refuse d’appliquer une norme coutumière internationale si elle est incompatible avec une loi interne[2].

[1] Voir en ce sens South Africa, Supreme Court, Cape Provincial Division. 29 September 1970, South Atlantic Islands Development Corporation Ltd. V Buchan, 1971 (1) SA 234 (C), at 238C-E; South Africa, Supreme Court, Transvaal Provincial Division, 18 December 1979, Inter-Science Research and Development Services (Pty) Ltd v República Popular de Moçambique [1980] 2 SA 111 (T), 124H: “International law is part of the law of South Africa, save in so far as it conflicts with South African legislation or common law”, citant Lord Denning in Trendtex Trading Corporation v Central Bank of Nigeria [1977] QB 529 (Court of Appeal; South Africa Constitutional Court, 30 October 2014, National Commissioner of the South African Police Service v Southern African Human Rights Litigation Centre & Another (CCT 02/14) [2014] ZACC 30; 2015 (1) SA 315 (CC), Majiedt AJ, para 24: “The Constitution provides that (a) customary international law is part of our domestic law insofar as it is not inconsistent with the Constitution or an Act of Parliament”; High Court of Botswana, 12 October 2003, Angola v Springbok Investments (Pty) Ltd, Application for Review, MISCA No 4/2002, in Oxford Reports on International Law in Domestic Courts, Oxford Public International Law, Report by Magnus Killander. Sur ces questions, voir P. H. G. Vrancken, « La jurisprudence sud-africaine quant à la place du droit international dans l’ordre juridique sud-africain », RADIC, Vol. 5, 1993, pp. 297-309, 304 ss.

[2] The Supreme Court of Appeal of South Africa, 15 March 2016, Minister of Justice and Constitutional Development & others v Southern Africa Litigation Centre & others (867/15) [2016] ZASCA 17; 2016 (3) SA 317 (SCA), para 62: “The Constitution makes international customary law part of the law of South Africa, but it may be amended by legislation (Section 232 of the Constitution)”.

  1. Les autres types de normes internationales comme les – rares – décisions des organisations internationales et juridictions internationales ne sont pas visées par les constitutions et ici les décisions des juges internes sont rares et peu homogènes.

Corollaire 2 : La liberté de chaque droit de déterminer ses rapports avec les autres

  1. Il ne peut également que se considérer libre de se positionner à leur égard et de déterminer les modalités de ce positionnement[1].

[1] En ce sens H. Rabault, « Le droit au-delà de l’Etat. Sens du droit religieux », Droit et Société, no 97, 2017/3, pp. 643-651, 649 : « « Quelles que soient les différences entre le droit talmudique et le droit canonique, il semble donc que ces droits partagent avec le droit étatique la qualité d’ordres juridiques irréductibles. Le droit canonique dispose de la structure sophistiquée du droit étatique moderne : droit constitutionnel, droit administratif, droit des relations entre l’Eglise et les Etats, droit des personnes, de la famille, des choses, droit judiciaire et de la procédure (Voir, par exemple, Jean DES GRAVIERS, Le droit canonique, Paris, PUF, 1981, p. 71 et suiv.). L’étude des droits « religieux » montre que ceux-ci ne sont nullement subordonnés ou inférieurs au droit étatique. De même que les ordres juridiques étatiques ne sont pas subordonnés entre eux, de même que l’ordre juridique interne et l’ordre juridique international ne sont pas pleinement hiérarchisés, il faut considérer les droits dits religieux, dans leur complexité, comme coexistant avec les droits étatiques » et 651 : « Chaque ordre juridique apparaît comme un système clos, qui examine les autres ordres juridiques au moyen de ses propres catégories ».

  1. Ceci peut prendre la forme d’un rejet par un droit des autres droits de son univers. Ceci peut sinon prendre la forme d’une reconnaissance des éléments d’un autre, mais qui est toujours conditionnée au respect de ce qu’il pose. Les énoncés portant cette affirmation sont très divers et s’inscrivent dans des logiques différentes qu’on verra.
  2. De manière générale, cela peut prendre également la forme de l’affirmation de la supériorité de ses normes sur toute autre, quelle qu’elle soit, étant parfois précisé que toute norme contraire est nulle[1]. On peut également trouver le vocabulaire de l’interdiction, le droit prohibant des comportements, relations, situations ou institutions formées sur le fondement d’un autre droit.

[1] Par exemple Constitution of Eritrea, 23 May 1997, Article 2: Supremacy of the Constitution: “1. This Constitution is the legal expression of the sovereignty of the Eritrean people. 2. This Constitution enunciates the principles on which the State is based and by which it shall be guided and determines the organization and operation of government. It is the source of government legitimacy and the basis for the protection of the rights, freedoms and dignity of citizens and of just administration. 3. This Constitution is the supreme law of the country and the source of all laws of the State, and all laws, orders and acts contrary to its letter and spirit shall be null and void. 4. All organs of the State, all public and private associations and institutions and all citizens shall be bound by and remain loyal to the Constitution and shall ensure its observance. 5. This Constitution shall serve as a basis for instilling constitutional culture and for enlightening citizens to respect fundamental human rights and duties” ; The Constitution of the Kingdom of Swaziland Act 2005, Section 2 – The Constitution: “1. This Constitution is the supreme law of Swaziland and if any other law is inconsistent with this Constitution that other law shall, to the extent of the inconsistency, be void. 2. The King and iNgwenyama and all the citizens of Swaziland have the right and duty at all times to uphold and defend this Constitution 3. Any person who – a. by himself or in concert with others by any violent or other unlawful means suspends or overthrows or abrogates this Constitution or any part of it, or attempts to do any such act; or b. aids and abets in any manner any person referred to in paragraph (a); commits the offence of treason”.

Corollaire 3 : L’impossibilité du monisme juridique et les aménagements nécessaires

  1. Toutefois, à supposer qu’un droit puisse anéantir en son sein tout élément exogène, son pouvoir s’arrête aux frontières de son monde, laissant subsister les autres droits dans leurs univers respectifs. Ainsi, l’interdiction de la polygamie par un droit étatique ne fera pas disparaître la validité de celle-ci du droit traditionnel ou du droit musulman. Dit autrement, aucun droit pris comme système ne peut mettre fin au pluralisme juridique dans la mesure où celui-ci découle précisément de l’existence simultanée, mais autonome, de plusieurs fondements de validité juridique.
  2. Des normes d’origines diverses peuvent donc s’appliquer simultanément sur des fondements distincts, parfois de manière complémentaire, parfois de manière conflictuelle. En effet, il peut exister des tensions entre les normes juridiques étatiques et internationales ainsi qu’entre celles-ci et certaines prescriptions religieuses ou coutumes, tout comme il peut exister des tensions au sein d’un même univers normatif comme, par exemple, entre des droits exo-étatiques. Ainsi, on le sait, les tentatives d’imposition du droit musulman, du droit colonial et du droit « moderne » des Etats nouvellement indépendants dont on a vu qu’ils étaient parfois très différents des droits exoétatiques ne se sont pas faites sans interrogations, incompréhensions et, finalement, résistances avec lesquelles il fallut composer dans une certaine mesure.
  3. Dans de telles situations, se pose, pour chaque système, la question de savoir s’il faut mettre fin à ce pluralisme dans son univers en y éradiquant ces autres normativités ou au contraire l’accepter et gérer ses manifestations en reconnaissant à ces normativités une place à déterminer, voire en les intégrant, plus ou moins intégralement, dans son propre corpus juridique. Il ne peut en tout cas, on l’a dit, s’agir de s’y soumettre sauf à interpréter en ce sens les dispositions constitutionnelles faisant de la Shari’a la loi suprême de l’Etat ou déclarant puiser à cette source ou s’en inspirer[1].

[1] Voir notamment Constitution de l’Union des Comores, 23 décembre 2001, mise à jour par référendum en 2009, préambule : « Le peuple comorien, affirme solennellement sa volonté de : puiser dans l’Islam, religion d’Etat, l’inspiration permanente des principes et règles qui régissent l’Union » ; Constitution de la République arabe d’Egypte (dernière modification : référendum du 25 mai 2005), préambule : « Nous, les masses de ce peuple [d’Egypte] qui croyons profondément en notre patrimoine spirituel, qui sommes fortement attachées à notre Foi et qui tenons fièrement à l’honneur de l’Homme et du genre humain ; […]. Nous, les masses de ce peuple d’Egypte, prenons devant Dieu et avec son Appui, sans conditions ni réserves, l’engagement de déployer tous nos efforts pour assurer : […]. Nous, les masses du peuple d’Egypte, avec toute la détermination, la certitude et la foi qui nous animent, pleinement conscientes de nos responsabilités à l’égard de notre patrie, de notre nation et du monde entier, reconnaissant le droit de Dieu et de Ses Révélations, déclarons, en ce jour du 11 septembre 1971, devant Dieu et par sa Grâce, accepter cette Constitution que nous nous sommes octroyés et ce, au nom des droits de la patrie, de la Nation, ainsi qu’au nom des principes humains et de nos responsabilités à leur égard, et affirmons notre détermination à la défendre, à la protéger et à en assurer le respect » et art. 2 : « L’Islam est la religion de l’Etat dont la langue officielle est l’arabe ; les principes de la loi islamique constituent la source principale de législation ».

  1. En réalité, un système juridique est toujours contraint dans une certaine mesure de composer avec les autres systèmes applicables à ses sujets, au moins à titre provisoire, avant qu’il ne réussisse à ranger les autres droits sous lui-même si tel est son dessein. Ces contraintes sont toujours factuelles, résultant d’un rapport de forces, faute de quoi il n’y aurait pas pluralisme juridique, un système juridique dominant à tel point l’autre qu’il le ferait disparaître.
  2. Or, on observe sans surprise que tous utilisent, peu ou prou, les mêmes techniques d’articulation avec une tendance à vouloir ignorer les droits allogènes ou, quand ils les reconnaissent, à établir une hiérarchie au profit de leurs normes et institutions. Toutefois, au-delà de cette affirmation de principe par chacun de sa liberté de se situer à l’égard des autres, tous sont conduits à concéder en son sein une place aux autres pour qu’ils régissent en partie ses sujets et à se mouvoir selon des schémas hybrides, faits de soumission, de rejet et d’hybridation/perversion.
  3. C’est dans ce cadre que les individus vont se mouvoir, tentant d’arbitrer entre ces systèmes qui leur sont simultanément applicables ou de construire un droit ad hoc qui emprunte à plusieurs systèmes. En cas de différends au sujet de ces stratégies, le mécanisme privilégié est celui de la négociation, du compromis et de l’hybridation.

Considération 2. Entre gestion territoriale et gestion personnelle

  1. Parfois, un système est à ce point dominé par un autre, sans pour autant disparaître, qu’il est contraint de le reconnaître — dans son ensemble ou en partie —, fût-ce au prix de renoncer à sa propre applicabilité ou application. On peut songer aux accords entre les « chefs » africains et les Etats européens, aux traités de protectorat ou aux accords de capitulation à l’occasion de la colonisation[1]. Cependant, Le principe d’autodétermination est si important que tout système s’attache à proclamer sa liberté quand bien même il est soumis à des contraintes extérieures, parfois à un point tel que cette liberté est purement nominale.

[1] Sur ces « traités », voir, entre autres, J. Westlake, Chapters on the Principles of International Law, London, C. J. Clay & Sons, Cambridge University Press and Stevens and Sons, Limited, 1894, Chapter IX. Territorial Sovereignty, especially with relation to uncivilised regions, p. 149: “We have here a clear apprehension of the principle that an uncivilised tribe can grant by treaty such rights as it understands and exercises, but nothing more”. Voir également J. Gathii, “Imperialism, Colonialism and International Law”, Buffalo Law Review, Vol. 54, 2007, pp. 1013-1066 ; M. Kamto, « Le statut juridique des traités signés entre les représentants des puissances coloniales et les monarques indigènes africains en droit international », in Droit du pouvoir, pouvoir du droit. Mélanges offerts à Jean Salmon, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 435-480, 462 ; rééd. in Objectivisme et volonté(s), Paris, Pedone, 2021, pp. 57-78. ; M. Hébié, Souveraineté territoriale par traité: une étude des accords entre puissances coloniales et entités politiques locales, Paris, PUF, coll. Publications de l’IUHEI, 2015, 708 p. ; M. Hébié, « Les accords conclus entre puissances coloniales et entités politiques locales: quelques éléments pour reconsidérer l’affaire de la Frontière terrestre et maritime (Cameroun c. Nigéria; Guinée équatoriale (intervenant)) », African Yearbook of International Law, Vol. 20, 2013-2014, pp. 97-120. ; M. Hébié, The Role of Agreements concluded with Local Political Entities during the Course of French Colonial Expansion in West Africa, British Yearbook of International Law, Vol. 85, No. 1, 2015, pp. 21-89.

  1. Même non dominé, un système juridique compose toujours avec les autres systèmes. Il peut en avoir décidé ainsi, librement ou sous pression, comme les droits étatiques à l’égard du droit international conventionnel ou le droit musulman à l’égard de coutumes préislamiques. Il peut également devoir tenir compte des résistances d’un autre système qu’il a voulu, sans succès, subjuguer ou avec lesquels il est contraint de composer, comme les droits coloniaux à l’égard des droits africains, les droits des Etats africains à l’égard des droits exoétatiques ou le droit musulman à l’égard de certains droits étatiques. L’élément commun consiste dans la nécessité de prévenir d’éventuels conflits difficiles à gérer avec un système étranger en le reconnaissant dans une plus ou moins grande mesure au sein du for.
  2. La gestion par un système juridique des individus dont il veut gouverner les actions, situations et relations exige de trancher entre plusieurs façons de contempler les personnes.
  • Il peut s’agir, d’abord, comme cela fut pendant très longtemps pratiqué partout dans le monde, d’appréhender la personne en tant que telle. Il s’agit alors de déterminer le champ d’application de la règle selon certaines caractéristiques des personnes ou de moduler le contenu de la règle selon les personnes considérées, quel que soit l’endroit où elles se trouvent. C’est ainsi que l’Etat colonial a pu distinguer, aux fins de détermination de l’applicabilité de son droit ou du droit local, selon que les relations contemplées étaient entre « indigènes », entre ceux-ci et nationaux de l’Etat colonial ou entre ces derniers. De même, le droit musulman ne s’applique qu’aux musulmans et aux relations impliquant un musulman, un statut particulier étant réservé, parmi les non musulmans, aux membres des religions révélées[1], le droit musulman acceptant que les juifs et les chrétiens soient soumis à leurs propres règles et tribunaux.

En principe, le droit des droits de l’homme obéit à ce schéma personnel même s’il énonce s’appliquer à tout individu, quelles que soient ses caractéristiques, sur le seul fondement que c’est une personne humaine. Toutefois, la partition du monde en Etats grève cette approche d’une approche territoriale malgré l’extension de la notion de « juridiction » de l’Etat.


[1] Sur ce second point C. Cardahi, « Conflict of Law”, in M. Khadduri & Herbert J. Liebesny (eds.), Law in the Middle East. Vol. I: Origin and Development of Islamic Law, Washington D.C., The Middle East Institute, 1955, pp. 334 ss., 335 et s.

  • Il peut sinon s’agir de s’intéresser aux personnes à raison de leur seule localisation spatiale, modèle qui a permis l’avènement de l’Etat moderne en Occident et qui fut diffusé par celui-ci à l’occasion des colonisations.
  • Il peut encore s’agir – et il s’agit le plus souvent – de jouer sur les deux plans. Ainsi, parfois, le colonisateur a pu se fonder sur ces deux types de ressort simultanément[1].

[1] Voir ainsi L. Manière, « Deux conceptions de l’action judiciaire aux colonies. Magistrats et administrateurs en Afrique occidentale française (1887-1912) », ClioThémis, 4, 2011, pp. 1-34. DOI : 10.35562/cliothemis.1390, p. 18 : « l’Algérie où le régime de l’indigénat n’était appliqué aux indigènes que dans le territoire dépendant de la Commune mixte ou de la Commune indigène à laquelle ils appartenaient. Lorsqu’ils quittaient leur résidence habituelle et se trouvaient dans une commune de plein exercice, ils étaient soumis à la loi commune. Les municipalités se trouvaient dans le même cas de figure suite au décret du 10 novembre 1903. Les dispositions de cet acte étaient en effet formelles en ce qui concerne la compétence des tribunaux de 1ère instance en matière correctionnelle et de simple police : ces juridictions connaissaient de tous les délits et de toutes les contraventions commis dans l’étendue de leur ressort. Aucune distinction n’était établie entre les délinquants qui étaient tous justiciables des tribunaux français, quelle que soit leur origine et quel que soit leur statut. Dans la conception des magistrats, l’indigénat était conçu comme un dispositif exceptionnel et transitoire qui devait cesser d’exister lors de l’application du droit commun ».

  1. Toutefois, si cela permet à un système de se situer par rapport à d’autres, cela n’enlève rien à la situation de pluralisme appréhendée du point de vue des individus qui peuvent être régis par plusieurs systèmes ou normes simultanément. Ainsi, quand un Etat accorde des privilèges à des ressortissants d’un autre Etat sur son territoire, il n’empêche pas le fait que sont applicables à ceux-ci à la fois le droit de l’Etat sur le territoire duquel il se trouve — à raison de la compétence territoriale de celui-ci — et le droit de l’Etat dont ils ont la nationalité — à raison de la compétence personnelle de celui-ci —. De la même manière, les privilèges accordés par le droit musulman aux croyants des autres religions du Livre n’empêchent pas l’applicabilité à ces personnes du premier simultanément aux autres droits religieux. En somme, si le droit qui procède ainsi peut éventuellement mettre fin au pluralisme dans son univers grâce à un système de dualité ou pluralité de normes, il n’aura pas mis fin au pluralisme.
  2. Une des erreurs commises par les Etats coloniaux puis par les Etats africains fut de croire possible, voire d’essayer d’imposer, une conception essentiellement territoriale des allégeances juridiques sur des populations qui connaissaient des allégeances de type essentiellement personnel, religieux ou encore linguistique. Or, ce faisant, ils s’interdisaient de bien gouverner les situations de pluralisme, se contentant de juxtaposer une logique du droit à une autre sans mettre fin à cette dernière.
  • D’une part, la vision fondamentalement occidentale du territoire comme support de l’Etat et de son droit dont il détermine plus que toute autre considération le champ d’application n’a jamais permis l’intelligence d’autres types d’institutions entre entités politiques organisées, y compris des Etats (on songe notamment aux royaumes et empires précoloniaux de l’Afrique de l’Ouest), qui étaient fondés sur des rattachements plus personnels que territoriaux[1] et ne se sont adaptées que très difficilement à l’imposition de celles-ci par l’Occident[2].

[1] A. Mbembe, Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte, 2013,p. 148 : « Historiquement, l’attache au territoire et au sol en Afrique fut toute contextuelle. Dans certains cas, les entités politiques étaient délimitées non par des frontières au sens classique du terme, mais par une imbrication d’espaces multiples, constamment faits, défaits et refaits aussi bien par les guerres et les conquêtes que par la mobilité des biens et des personnes ». Il précise qu’« il en résultait souvent une extraordinaire superposition de droits et un enchevêtrement de liens sociaux […]. Ces droits et ses liens se combinaient avec les figures de la localité, mais les transcendaient tout à la fois. Divers centres de pouvoir pouvaient peser sur un même lieu qui, lui-même, pouvait dépendre d’un autre lieu proche, lointain, voire imaginaire. / Qu’elle fût d’Etat ou autre, la frontière n’avait de sens que dans les rapports qu’elle entretenait avec les autres formes de différence et de discrimination sociale, juridictionnelle et culturelle, les formes de contacts et d’entremêlement à l’œuvre dans un espace donné » (Ibid, p. 148-149).

[2] Voir, de manière générale, B. Badie, La fin des territoires. Essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect, CNRS Éditions, coll. Biblis, 2013, 273 p. Concernant plus particulièrement l’Afrique, voir, entre autres, G. Abraham, “”Lines upon Maps”: Africa and the Sanctity of African Boundaries”, African Journal of International & Comparative Law, Vol. 15, 2007, pp. 61-84, 72.; A. Diagana, « Territoires, souverainetés et frontières », Hommes et migrations [En ligne], 1304 | 2013, mis en ligne le 1 janvier 2017. URL : http://hommesmigrations.revues.org/2653

  • D’autre part, la juxtaposition ne pouvait être qu’imparfaite, les droits qui obéissent à une logique personnelle se jouant des frontières territoriales[1].

[1] Sur les frontières, voir, notamment J. Matringe, « Les frontières, entre logique territoriale et logique personnelle », in Etat(s) des Frontières,Paris, Pedone, 2017, pp. 187-199.

  • Enfin, ces droits ne sont pas sans ambiguïtés, n’hésitant pas à moduler le champ de certaines de leurs règles à des parties seulement de leur territoire, créant ainsi différents statuts et régimes juridiques dans le chef des personnes qui se trouvent sur celui-ci. Parallèlement, sur un même territoire des personnes sont soumises à des règles différentes, à raison notamment de leur personne (leur nationalité, leur religion, leur appartenance à un « groupe »). De cela résulte l’existence d’une pluralité d’ordres normatifs d’origine étatique qui ne coïncident pas avec le territoire étatique et donc un affaiblissement de la portée du principe de territorialité.
  1. Cela dit, on connaît suffisamment de mésaventures de chefs d’Etats africains qui ont tenté de faire primer les allégeances personnelles sur fond de cultes de la personnalité pour croire que jouer sur le seul registre personnel aurait fonctionné.

Considération 3. Entre gestion directe et gestion indirecte

Généralement, lorsqu’un droit considéré comme système contemple un autre, il entend lui-même régir directement ses rapports avec celui-ci. Il existe toutefois d’autres configurations qui font intervenir un tiers droit.

3.1. La gestion par un tiers droit des rapports entre deux autres droits

  1. Ce type de situation trouve sa manifestation la plus spectaculaire dans l’intervention du droit international dans les rapports entre les droits étatiques et exoétatiques. Cette hypothèse retiendra spécifiquement notre attention ailleurs (« Le jeu possible du droit international public dans la gestion du pluralisme juridique en Afrique »).
  2. On précisera que le droit étatique peut également édicter une règle de conflit de lois en cas de contrariété entre normes exoétatiques[1].

[1] Voir ainsi République démocratique du Congo, Loi n° 87-010 du 1er août 1987 portant Code de la famille (modifié en 2016), art. 340 : « La forme des fiançailles est réglée par la coutume des fiancés. En cas de conflit des coutumes, la coutume de la fiancée sera d’application » ; art. 369 : « La célébration du mariage en famille se déroule conformément aux coutumes des parties pour autant que ces coutumes soient conformes à l’ordre public. / En cas de conflit des coutumes, la coutume de la femme sera d’application ». Voir également Botswana, Customary Law Act (Chapter 16:01), Act 51 – An Act to provide for the application of customary law in certain actions before the courts of Botswana, to facilitate the ascertainment of customary law and to provide for matters ancillary thereto, 22 August 1969 (date of consolidation/reprint 31 December 2008), Section 10. Conflict of customary laws : “(1) In any case where customary law is applicable and the question arises as to which system of customary law is applicable – (a) in land matters the applicable customary law shall be the customary law of the place where the land is situate; (b) in cases and proceedings arising from inheritance the appropriate customary law shall, subject to the provisions of paragraph (a), be the customary law applying to the deceased; (c) subject to the provisions of paragraphs (a) and (b) the court shall apply the customary law which the parties intended or may reasonably be deemed to have intended should regulate their obligations in the matter or, in the absence of such actual or deemed intention, the customary law of the place where the action arose”.

3.2. L’invocation de la substance d’un tiers droit

  1. Ici, un droit, sans renoncer à régir directement son articulation avec un autre, s’appuiera pour ce faire sur un tiers droit. En effet et par exemple, pour des raisons stratégiques, les deux droits étatiques et exoétatiques concernés peuvent en appeler au droit international pour qu’il tranche en leur faveur.
  2. D’un côté, les droits étatiques africains invoqueront celui-ci pour justifier la non-reconnaissance, invalidation ou modification d’un droit exoétatique. D’un autre côté, des individus peuvent avoir recours aux mécanismes du droit international pour faire sanctionner une norme étatique ou amener à une modification de celui-ci. On reviendra sur ces pratiques en temps voulu.

Considération 4. Les attitudes possibles

4.1. Entre acceptation et rejet

  1. Tout système de droit peut théoriquement adopter trois grands types d’attitude à l’égard des autres normativités : l’indifférence, le rejet ou l’acception (conditionnée ou non). Il ne s’agit bien sûr que de modèles. En tout état de cause, aucun n’adopte une seule position, mais combine simultanément les trois attitudes au gré des normes en jeu, de l’influence des personnes et autorités concernées ainsi que des circonstances, des rapports de force, voire du « bon plaisir » de telle ou telle autorité[1]. Qui plus est, l’acceptation de l’application par un système d’une norme d’un autre système peut signifier simultanément l’exclusion d’une autre.

[1] Sur le « bon plaisir » de l’administrateur colonial, E. Pollet, « Du pluralisme dans le droit colonial. Etude d’un cas en République du Mali », in J. Gilissen (dir.), Le pluralisme juridique, Bruxelles, Ed. de l’Université de Bruxelles, 1972, pp. 273-288, 277-278 : “En effet, 1° quant au droit français, si la législation coloniale prévoyait que le régime juridique d’une terre devait suivre celui de son « propriétaire », les règles posées par les autorités métropolitaines s’appliquant aux citoyens français et le droit coutumier aux indigènes, en pratique, les administrateurs s’en tenaient à une manière tout empirique de rendre la justice, maintenant à leur gré tel principe coutumier ou islamique, ou préférant au contraire faire valoir un article du Code civil ; 2° quant au droit islamique, la situation était moins claire encore, car son application était soumise à une double alternative : savoir d’abord si l’on appliquerait ou non le droit français ; décider ensuite, dans la négative, si l’islam devait ou non l’emporter sur les principes coutumiers proprement dits. Sur ces points non plus, aucune règle fixe ne déterminait le choix que le bon plaisir de l’administrateur-président du tribunal », 287 : « Le droit changeait selon les circonstances et avec les administrateurs successifs. Un même administrateur jouait parfois de deux systèmes incompatibles, adoptant ou refusant de façon arbitraire telle règle d’un droit donné pour en refuser une autre du même droit ».

  • On pense notamment à la situation où le droit étatique s’attaque à la pluralité de normes exoétatiques existant sur son territoire et pose des règles de conflit destinées à déterminer laquelle sera applicable à une institution, situation ou relation, et donc laquelle sera rejetée[1].

[1] Voir notamment : Botswana, Customary Law Act (Chapter 16:01), Act 51 – An Act to provide for the application of customary law in certain actions before the courts of Botswana, to facilitate the ascertainment of customary law and to provide for matters ancillary thereto, 22 August 1969 (date of consolidation/reprint 31 December 2008), Section 10. Conflict of customary laws: “(1) In any case where customary law is applicable and the question arises as to which system of customary law is applicable- (a) in land matters the applicable customary law shall be the customary law of the place where the land is situate; (b) in cases and proceedings arising from inheritance the appropriate customary law shall, subject to the provisions of paragraph (a), be the customary law applying to the deceased; (c) subject to the provisions of paragraphs (a) and (b) the court shall apply the customary law which the parties intended or may reasonably be deemed to have intended should regulate their obligations in the matter or, in the absence of such actual or deemed intention, the customary law of the place where the action arose. (2) If the system of customary law cannot be ascertained in accordance with subsection (1) or if the customary law is not ascertainable, the court shall determine the matter in accordance with the principles of justice, equity and good conscience”.

  • Il en est de même, quand un système, généralement étatique, déclarer accepter certains éléments de droits allogènes à certaines conditions. En effet, ce faisant, il rejette simultanément les éléments qui ne remplissent pas ces dernières.
  1. En réalité, l’hypothèse de l’indifférence est difficilement tenable dans le temps. En effet, si la constitution et les lois peuvent ne pas interdire ou reconnaître des droits exoétatiques, il arrive toujours un moment où ces droits, même non pris en considération par la constitution ou la loi, arriveront au prétoire du juge étatique (ou devant une autorité administrative ou de police) qui ne pourra pas, lui, être indifférent et devra décider de leur donner effet ou non et régler un éventuel conflit de normes entre ces droits et le droit étatique, voire le droit international. Il en est de même, réciproquement, de la part des autres droits à l’égard du droit étatique et entre eux. Certes, il existe certainement un phénomène général d’indifférence des droits exo-étatiques à l’égard du droit étatique en ce qu’ils ne reçoivent pas celui-ci en leur sein ni ne le rejettent expressément[1]. Toutefois, là encore, il nous semble que la rencontre des systèmes est inévitable quand la mise en œuvre de la norme exo-étatique rencontre des contraintes étatiques. Dans ces cas, quand bien même cela se fera généralement de manière informelle, les autorités exo-étatiques et les individus auront à trancher entre l’application de leur droit et celle du droit étatique ou à inventer une solution qui satisfasse les deux. En somme, tout comme le droit étatique ne peut pas rester indéfiniment indifférent aux droits exoétatiques, ceux-ci ne peuvent ignorer celui-là, ne pouvant échapper à sa rencontre.

[1] Sur la non-réception du droit étatique par les systèmes exo-étatiques, voir notamment Gordon R. Woodman, “A Survey of Customary Laws in Africa in Search of Lessons for the Future”, in J. Fenrich, P. Galizzi & Tracy E. Higgins (eds.), The Future of African Customary Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 11. ; G. Otis & S. Thériault, “Les procédés de gestion du pluralisme juridique », in G. Otis, J. Leclair & S. Thériault (dir.), La vie du pluralisme juridique, Paris, LGDJ, coll. Droit et société, Recherches et travaux, n° 36, 2022, pp. 31-69, spéc. 48-51.

  1. Ainsi, on l’a dit, comme le fit ultérieurement le droit colonial européen, le droit islamique en construction a composé avec les droits antérieurs et étrangers, acceptant certains éléments et adaptant ou rejetant d’autres pendant qu’il produisait des normes originales[1]. La manière de considérer les droits traditionnels ne fut pas uniforme en Afrique et dépendait de plusieurs facteurs. Cependant, il toléra expressément et accepta le maintien des pratiques coutumières et institutions préexistantes compatibles avec la Shari’a et ne bouleversa pas de manière systématique le droit antérieur.

[1] Voir notamment J. Schacht, “Foreign Elements in Ancient Islamic Law”, Journal of Comparative Legislation and International Law, Vol. 32, 1950, pp. 9-17, spec. pp. 13 et s.

  1. Ces normes et institutions ont même eu une influence sur la formation d’institutions musulmanes qui les ont si bien assimilées qu’on ne peut plus toujours faire le départ entre ce qui est proprement musulman et ce qui l’est devenu[1]. D’autant que les les droits traditionnels ont également changé au contact du droit musulman et que les populations locales mêlaient anciennes croyances et nouvelle foi avec le cortège de pratiques qui allaient avec, les populations locales étant tiraillées entre l’attirance pour le nouveau système et l’attachement aux règles ancestrales[2]. Cependant, il toléra expressément et accepta le maintien des pratiques coutumières et institutions préexistantes compatibles avec la Shari’a et ne bouleversa pas de manière systématique le droit antérieur.

[1] En ce sens, entre autres, G.-H. Bousquet, Le droit musulman, Paris, Armand Colin, 1963, 206 p., 47. Sur cette question, J. Schacht, “Foreign Elements in Ancient Islamic Law”, Journal of Comparative Legislation and International Law, Vol. 32, No. 3/4, 1950, pp. 9-17, 10.

[2] L. Milliot, F.-P. Blanc, Introduction à l’étude du droit musulman, 2e éd., Paris, Sirey, 1987, 669 p., § 173.

  1. De même, après le premier mouvement des indépendances, comme le firent naguère les Etats européens (voir « L’arrivée des droits des Etats européens en Afrique »), les nouveaux droits étatiques durent assez vite, à des rythmes variés, se résoudre à laisser une place aux droits traditionnels et religieux, essentiellement en matière de droit des personnes et de droit foncier[1].

[1] Voir par exemple The Constitution of the Kingdom of Swaziland Act 2005, Preamble: “Whereas it is necessary to blend the good institutions of traditional Law and custom with those of an open and democratic society so as to promote transparency and the social, economic and cultural development of our Nation”. Lire M. Alliot, « Ce que repenser les droits africains veut dire », in C. Kuyu (dir.), Repenser les droits africains pour le XXIe siècle, Yaoundé, Menaibuc, 2001, pp. 51-64, rééd. in Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie, Paris, Karthala, 2003, 400 p., 95-102, 100 : « Dans la dynamique de l’indépendance des nouveaux Etats africains, les années 1960 avaient vu paraître des centaines de codes civils, pénaux, de procédures … et s’affirmer un droit du développement dont on attendait un grand succès économique et social. Parfois les deux se combinaient : les grandes lois ivoiriennes de 1964 visaient à introduire en Côte d’Ivoire les règles françaises du mariage et des successions pour unifier le droit des sociétés ivoiriennes et briser des structures traditionnelles considérées comme des entraves au développement. Mais la confiance retombait rapidement. Dès la décennie suivante, les codes civils du Togo et du Congo légalisaient respectivement le mariage traditionnel de successions et le rôle des lignages dans les alliances matrimoniales. / La désillusion, au Nord comme au Sud, s’accompagnait moins d’un désir de rejeter le droit que d’une volonté de le contrôler et le maîtriser ». V. Kangulumba Mbambi, Les droits originellement Africains dans les récents mouvements de codification : le cas des pays d’Afrique francophone subsaharienne, Les Cahiers de droit, Vol. 46, No. 1-2, 2005, pp. 315-358, 319 : « c’est seulement vers le début des années 70 que bon nombre d’Etats africains ont commencé le mouvement de remise en question des textes de la loi d’inspiration ou d’origine coloniale par des réformes ou des adaptations substantielles de certaines matières à très forte connotation culturelle : le droit des personnes, des biens, des sociétés, des obligations ou le droit pénal ».

Ce mouvement s’inscrivait ou était parallèle à un mouvement de contestation du droit hérité du colonisateur et de retour aux tradition et pratiques africaines, les populations se référant très largement aux autres droits que le droit étatique. Ainsi les Etats africains ont-ils en partie réformé leur droit pour prendre en considération ces droits exoétatiques. Cette acceptation des droits et institutions traditionnels et/ou religieux devait toutefois être seulement temporaire, en attendant le succès du droit « moderne »… Le mouvement s’est ensuite développé, surtout dans les Etats d’héritage anglophone, indépendamment de contexte contestataire.

L’expérience coloniale puis postérieure ont montré que le rejet ne conduit pas forcément à la réalisation de l’objectif poursuivi, l’unification du droit entre les mains de l’Etat. Il peut au contraire exacerber l’inapplicabilité du droit étatique. En effet, les individus qui ne rentreraient pas dans le champ d’application de la loi étatique auront d’autant moins d’intérêt à saisir ses autorités[1].


[1] Voir en ce sens, notamment, E. Alber & J. Sommer, « Quand l’application du droit national est déterminée par la demande locale », Cahiers d’études africaines, Vol. 44, Cahier 175, 2004, pp. 659-680, 677.

  1. Cependant, l’acceptation et le rejet de droits exogène ne sont jamais totaux ; aucun droit n’exclut ou ne reconnaît entièrement un droit exogène pris comme système, mais s’intéresse plutôt à des éléments de celui-ci. Ainsi peut-il rejeter certains éléments en en reconnaissant d’autres, ces positions pouvant elles-mêmes épouser des modalités différentes et obéir à des conditions distinctes. On songe notamment à la position des droits étatiques et du droit international public à l’égard des normes exoétatiques[1].

[1] Voir ainsi G.H. Bousquet, “Islamic Law and Customary Law in French North Africa”, Journal of Comparative Legislation and International Law, Vol. 32, 1950, pp. 57-65, 62-64 au sujet de l’Algérie sous colonization française : “local law is here an exception. It exists only in the application of Muhammadan law and Kabyle custom in matters which concern the “statut personnel,” succession and immovable property for those immovables which have not been brought within the purview of French law. For all the rest, French law applies equally to all the inhabitants. The same codes, civil, criminal, penal and procedure, etc. are applicable in the remotest village in the Algerian mountains, just as they are in Paris. What remains then of local law? We must distinguish here between Muhammadan law and the customs of Grande Kabylie (In theory, with the exception of Grande Kabylie, which is very mountainous and was the last part of the country to be conquered in 1850, the Algerian people are subject to Muhammadan law; for the French in North Africa made the same mistake at the outset as the English did in India and the Dutch in Indonesia). / Because the people were Muslims, the French a century ago supposed that they were subject to Muhammadan law. It was only later that the persistence of local custom was recognized. In Algeria, there are still some 30 per cent of Berber-speaking peoples, particularly round the mountain range of the Auras and the two Kabylies. Nevertheless the French have installed qadhis almost everywhere, even in territories of customary law (contrary to what they did later in the light of experience in Berber Morocco). Accordingly today in the Auras the whole population lives under the rule of these ancient customs, except when there is litigation which comes before the Muslim religious judge. This was a regrettable mistake. Only in Grande Kabylie has a customary law been recognized. […]. As regards statute law, the French have interfered very little with Muhammadan family law, except for one decree promulgated in 1936 which reorganized the law of guardian and ward and created a Conseil de famille, borrowed from the French Civil Code [note omitted].  On the other hand, h’abous have been almost completely abolished in Algeria for nearly a century. […]. Let me mention very summarily some indication of the nature of French judicial influence: (a) It systematically rejects the Maliki law, when the rules of the Hanafi rite more nearly resemble those of French law; for instance in the case of the consent of a young girl to her marriage. (b) The rules of Muhammadan law regarding the guardianship of infants have been relegated to an altogether subordinate position. The principle is that the interest of the infant is in all cases the governing consideration. (c) French justice often, prefers written evidence to the evidence of witnesses – quite contrary to Muhammadan law. (d) The French Government has also intervened indirectly. For instance, marriage today must be embodied in a formal document drawn up by the qadhi (a rule, however, which is often evaded), but the qadhis have received an order by the Procureur-Général to refuse such documents if the bride is less than 15 years of age. (e) Muhammadan presumptions of evidence which are contrary to modern scientific knowledge, as for instance that an infant may remain for many years in its mother’s womb, are of course rejected”.

  1. En outre, parce que les droits évoluent (voir « Introduction au pluralisme juridique en Afrique »), un droit pris comme système peut modifier les règles d’articulation de ses normes à l’égard des autres. En ce sens, la Constitution ougandaise de 2006 a supprimé le § 6 de la section 33 de la version de1995 qui disposait : « Laws, cultures, customs or traditions which are against the dignity, welfare or interest of women or which undermines their status, are prohibited by this Constitution ».
  2. De manière générale, donc, comme on va le voir, souvent, droit et acceptation sont concomitants et sont le fait des mêmes techniques. Ainsi, la clause de primauté présuppose une acceptation du droit inférieur, celui-ci étant toutefois exclu dans la mesure de sa non-conformité au droit qui se dit supérieur. On verra que les concessions sont généralement non explicites et relèvent souvent de la « transaction », de l’« arrangement » et de l’hybridation.

4.2. La question de la « codification »

4.2.1. Sous la colonisation

  1. On en a déjà un peu parlé (« Les droits « originellement » africains »), faute de pouvoir substituer le droit colonial aux droits traditionnels et religieux, les Etats européens décidèrent au moins de connaître ceux-ci, de les contrôler et de les rendre compatibles avec les principes de leur droit en les « codifiant ». Pour ce faire, ils ont fait un effort de recensement de règles de ces droits, qu’ils appelèrent « coutumes », pour élaborer un « droit coutumier » qu’il s’agissait d’articuler avec leur droit[1]. Ainsi les autorités coloniales rédigèrent-elles, çà et là en Afrique, des recueils de « droit coutumier », certains existant déjà dans certains endroits comme au Maroc.

[1] Voir toutefois pour une utilisation du concept de coutume avant l’arrivée des Etats européens, entre autres, M. Alliot, « Les résistances traditionnelles au droit moderne dans les Etats d’Afrique francophone et à Madagascar », in J. Poirier (dir.), Etudes de droit africain et de droit malgache, Paris, Editions Cujas, 1965, pp. 235-256, rééd. in Le droit et le service public au miroir de l’anthropologie, Paris, Karthala, 2003, 400 p., 169-192, 169 : « Les droits pré-coloniaux « reposent principalement sur des coutumes étroitement liées soit à des mythes authentiquement africains (note omise), soit à des religions comme le Christianisme et l’Islam, dont l’implantation en Afrique remonte au premier millénaire (A la fin du premier millénaire, le christianisme avait déjà fortement marqué l’Ethiopie dont le Droit devait être dominé jusqu’en 1960 par le Fetha Negast (Justice des rois), ensemble de préceptes attribués aux Pères du Concile de Nicée (325) et recueillis par un chrétien d’Egypte au XIIIe siècle. Quant à l’Islam, à la fin du premier millénaire, il avait submergé l’ensemble de l’Afrique blanche jusqu’au Sud du Sahara) ».

  1. Cela ne pouvait pas aller sans difficulté[1].

[1] S. Mancuso, « L’Afrique, ses constitutions et le droit comparé », in M. Kamto & J. Matringe (dir.), Droit constitutionnel africain, à paraître, Paris, Pedone, 2024, pp. 85-86 : « Le comparatiste peut demander l’aide de l’anthropologue pour une recherche interdisciplinaire. Il est bien connu en effet que l’écriture en soi modifie la nature des droits originellement africains, qui sont constitués par une règle juridique spontanée dont la validité est dans la factualité (elle existe car elle est appliquée) et non dans son écriture dans le papier. Le problème se pose lorsque l’autorité est donnée au texte où la « coutume » a été écrite sans tenir compte de toutes les circonstances extérieures qui sont pourtant importantes pour l’élaboration de chaque règle, donnant ainsi la valeur au texte et privant la « coutume » elle-même de l’adaptabilité et de la flexibilité susmentionnées (R. Sacco, Il diritto africano, Turin, UTET, 1995 ; L. P. Vorster, « Indigenous Law and Development », Development Southern Africa, vol. 2, No. 1, 1985, pp. 38-43 ; Thomas W. Bennett and T. Vermeulen, « Codification of Customary Law », op. cit. Contra, voir H. Levy-Bruhl, Introduction, op. cit., at 74 ; William L. Twining, The Place of Customary Law in the National Legal Systems of East Africa, Chicago, University of Chicago Law School, 1964). Le droit spontané n’est, par sa nature, pas lié à quelque chose de fixé, il est informel et peut changer chaque fois que les circonstances le rendent nécessaire, tandis que le droit écrit, par sa nature, ne peut pas changer jusqu’à ce qu’il soit réécrit ».

  • D’une part, la codification de ces règles en altérait la profonde signification qui est d’être le produit du groupe et non d’une volonté extérieure[1].

[1] J. John-Nambo, « Quelques héritages de la justice coloniale en Afrique noire », Droit et société, 2002/2, n° 51-52, pp. 325-344, 327 : « L’univers traditionnel est un univers où l’avenir est créé par la société elle-même. L’univers colonial, moderne, est un univers où c’est l’État qui crée par la loi et les codes. La préoccupation de l’institution judiciaire dans l’univers traditionnel, c’est d’éviter les déchirures sociales, tandis que celle de la justice inspirée de la France, c’est d’écraser ceux qui vont contre l’intérêt général, même si ça provoque des déchirures puisque c’est l’État qui assure l’avenir. Dans l’univers traditionnel, quand survient un problème, il est d’abord débattu au sein des instances parentales (village, lignage, clan et éventuellement tribu) et, finalement, on prend la solution qu’on estime la meilleure pour la cohésion et l’avenir du groupe, c’est la coutume. / Dans le système moderne, l’État a déjà pris des décisions, ce sont les codes, et c’est en fonction de la décision passée qu’on va régler les problèmes du présent. On a un problème d’accident, on le règle en fonction du code civil qui ne l’avait pas prévu, on ne part pas du concret. Dans le contexte colonial, on est dans un système tout à fait abstrait qui rattache le présent au passé, tandis que dans le cadre traditionnel, le présent engendre l’avenir. Que se passe-t-il alors quand on essaie d’introduire la coutume dans les codes ? Elle devient loi et cela supprime la responsabilité du groupe face aux problèmes de société qu’il réglait en son sein. On devra demander à un technicien (le juriste spécialisé) quelle loi s’applique. En établissant son emprise sur l’appareil judiciaire, l’État colonial a déresponsabilisé le groupe et c’est d’ailleurs là que se situe l’opposition fondamentale entre la coutume et la loi. / Lorsque les Européens sont arrivés, ils n’ont pas vu tout cela et ils ont cru que la coutume n’était que des lois un peu avortées. Ils se sont dit qu’ils allaient rédiger par écrit les coutumes pour leur donner plus de force et consigner par écrit l’institution judiciaire chargée de rendre la justice. Ils n’avaient pas compris que la force est plutôt dans les individus ; que les déresponsabiliser en mettant par écrit ce qu’ils ont à faire, donnerait moins d’efficacité à l’action judiciaire, ce qui est une évidence ».

  • En outre, ce furent les Etats qui décidèrent ce qui pouvait constituer une coutume ou non, décidant ainsi, à l’aide de leurs propres outils, du mode de formation d’un droit allogène[1]. Ils appelèrent ainsi « coutumes » des énoncés qui n’en étaient peut-être pas pour les Africains et rejetèrent des règles considérées comme non juridique alors que les Africains pouvaient y voir des règles juridiques. C’est donc non seulement le fond du droit qui était ainsi « construit », mais également son mode de production et donc son champ de validité.

[1]  Voir ainsi F. Okafor, “From Praxis to Theory: A Discourse on the Philosophy of African Law”, Cambrian Law Review, Vol. 37, 2006, pp. 37-48, 40: “Section 2 (or 12) of the Customary Court Law, 1956, of the Eastern Region of Nigeria [no internet 07/09/2023] defines customary law as follows: In this law … Customary Law means a rule or body of rules regulating rights and imposing correlative duties, being a rule or body of rules which obtains and is fortified by established usage and which is appropriate and applicable to any particular matter, dispute, issue or question”.

  • D’autre part, prétendant décrire les droits tels qu’ils existaient, ils les remanièrent dans une certaine mesure, devant les interpréter « de l’étranger », voire en inventèrent, phénomène commun à toute entreprise de codification[1].

[1] Voir ainsi M. Morand, « Les coutumes des Berbères marocains » [1927], in Etudes de droit musulman et de droit coutumier berbère, Alger, Ancienne maison Bastide-Jourdan, Jules Carbonnel, Imprimeur de l’Université, 1931, 316 p., 293 ss., 297 : « il n’est pas douteux que les membres des Assemblées délibérantes qui ont élaboré ces recueils dits Azref, ont entendu, non point faire œuvre de rédacteurs de coutumes, mais bien de législateurs. […]. Il est, en outre, incontestable que souvent, aussi, les décisions prises par ces Assemblées délibérantes sont destinées, non pas à enregistrer des règles traditionnelles, mais à les abroger, à les modifier, à innover » ; S. Mancuso, « L’Afrique, ses constitutions et le droit comparé », in M. Kamto & J. Matringe (dir.), Droit constitutionnel africain, à paraître, Paris, Pedone, 2024, p. 86 : « Il convient également de prendre en considération que toute initiative de verbalisation de la règle originellement africaine se fera avec l’utilisation d’une langue dont la terminologie implique des concepts juridiques dans la plupart des cas étrangers aux langues et aux cultures juridiques africaines autochtones. Ce faisant, on risque de mal comprendre sa signification, car la règle traditionnelle africaine donne une importance à des éléments et des facteurs qu’un juriste occidental ne considérera probablement pas comme juridiquement pertinents. Ainsi, la société africaine se caractérise par une vision de la vie où tout est lié : la vie et le surnaturel, les comportements humains et les phénomènes naturels, le droit, le pouvoir et ce qui est sacré. Traditionnellement, l’application de la règle n’est pas directement destinée à punir les coupables, mais à consolider la cohésion et à rétablir la paix au sein du groupe ».

  • Enfin, cette codification permettait de faire, volontairement, le tri entre les normes locales, de supprimer celles non voulues ou de les modifier et assurer ainsi la primauté du droit colonial. En ce sens, de manière explicite, le Statut politique, civil et pénal des peuples indigènes d’Angola et du Mozambique, approuvé par le décret nº 12533 du 23 octobre 1926, prévoyait, dans son article 2, que « la codification des us et coutumes indigènes sera faite par les districts ou régions administratives, selon les circonstances, et y seront acceptés tous les us et coutumes de la vie sociale indigène qui [ne] portent pas atteinte aux droits de souveraineté ou ne répudient pas les principes d’humanité »[1].

[1] F. Loureiro Bastos, « Customary Law in Lusophone Africa (Angola, Guinea-Bissau and Mozambique”, in M. Kamto et J. Matringe (dir.), Droit constitutionnel africain comparé, à paraître, Paris, Pedone, 2024.

Il en a résulté une différence entre les coutumes appliquées par les populations et les droits coutumiers codifiés[1].


[1] W. Lehnert, “The Role of the Courts in the Conflict Between African Customary Law and Human Rights”, South African Journal on Human Rights, 2005, pp. 241-277, 246-247: “Customary law is an ambiguous term which can refer to different concepts. One of the key distinctions is the dichotomy between the official customary law, that is, customary law that is contained in legislation and precedents, and the living customary law – the law that is actually observed by communities (on the dichotomy between official and living customary law see AJGM Sanders, “How Customary is African Customary Law?”, CILSA, Vol. 20, 1987, pp. 405-410; T.W. Bennett, Human Rights and African Customary Law Under the South African Constitution, 1999, with addendum) 60-64 ; C. Himonga & C. Bosch, “The Application of African Customary Law Under the Constitution of South Africa: Problems Solved or Just Beginning?”, SALJ, Vol. 117, 2000, pp. 306- ss., 319-331; see also Bhe v Magistrate, Khayelitsha 2005 (1) SA 850 (CC), paras 87, 89). The dichotomy between the different versions of customary law gives rise to the question of which law the courts are constitutionally obliged to apply. / It is widely acknowledged that official customary law reflects only to a very limited extent the rules that are actually observed by communities (There are two main reasons for this. Firstly, the extent to which customary law is accurately reflected in legislation and precedents depends largely on the general conceptions of the legislator, judge or researcher (see Bennett (note 2 above) 63-64). Thus, much of the customary law still applicable in legislation and precedents has been influenced and severely distorted by colonialism and apartheid. Secondly, official customary law may be out of date because living customary law has undergone considerable modification in recent decades in response to profound changes in socio-economic circumstances). Thus, the recognition of the official customary law, as laid down and applied by the state courts and the legislature, would only mean recognising a right to a ‘state culture’, that is, a culture that is imposed by state institutions. Conversely, a right to apply the living law gives expression to the objective of the right to culture by recognising a culture that is rooted in the community and generated by the people. The close connection of s 211 to the right to culture means that the courts’ obligation to apply customary law must refer to the living law because the distorted official customary law cannot be regarded as an expression of the culture of black South Africans (C. Himonga & C. Bosch, “The Application of African Customary Law Under the Constitution of South Africa: Problems Solved or Just Beginning?”, SALJ, Vol. 117, 2000, pp. 306- ss., 319-331; see also M Pieterse ‘It’s a ‘Black Thing’: Upholding Culture and Customary Law in a Society Founded on Non-racialism’ (2001) 17 SAJHR 364, 396)”.

Or, cette codification semblait constituer une condition d’invocabilité desdites coutumes, ce qui ne va pas sans poser de problème pour le juge[1].


[1] Voir ainsi Constitutional Court of South Africa, 15 October 2004, Bhe and Others v Khayelitsha Magistrate and Others (CCT 49/03) [2004] ZACC 17; 2005 (1) SA 580 (CC); 2005 (1) BCLR 1 (CC), § 87: “The official rules of customary law are sometimes contrasted with what is referred to as “living customary law,” which is an acknowledgement of the rules that are adapted to fit in with changed circumstances. The problem with the adaptations is that they are ad hoc and not uniform. However, magistrates and the courts responsible for the administration of intestate estates continue to adhere to the rules of official customary law, with the consequent anomalies and hardships as a result of changes which have occurred in society. […] ».

Sur un autre plan, il suffisait au juge d’« interpréter les coutumes » pour leur faire produire l’effet désiré par le colonisateur.

4.2.2. Dans les Etats africains indépendants

  1. Afin de contrôler le phénomène normatif, les nouveaux Etats africains ont renoué avec une pratique qui existait déjà à l’époque coloniale, celle de la codification de ces droits traditionnels. Il s’agissait non seulement de connaître ces droits, mais également de les unifier afin de mieux les contrôler.
  2. Certes, il est possible de codifier, au risque de geler l’évolution des droits coutumiers. Encore faut-il pour cela réussir à imposer ce droit gelé et en partie recréé pour éviter que les coutumes s’émancipent de la loi et continuent de s’appliquer. De même, une codification trop proche de la législation première et éloignée des coutumes africaines risque de ne porter aucun fruit pour l’Etat. Or, toutes les codifications n’ont pas évité ces biais[1].

[1] « D’emblée, il nous semble. Que, faute d’imagination et de confiance en eux-mêmes, les législateurs africains n’ont pu trouver mieux que de singer simplement la législation des anciennes puissances coloniales : par paresse, condescendance, complexe ou inconscience ? / Dans tous les cas, comme l’énonce un proverbe, « chassez le naturel, il revient au galop ». Le temps du mimétisme juridique et institutionnel a eu ses jours d’or au point que la plupart des lois calquées sur celles de l’Occident ne se sont jamais adaptées à la mentalité juridique africaine. En effet, elles ne partagent pas les mêmes valeurs ou aspirations avec la population destinataire, d’où le problème de l’inadaptation et de l’inefficacité de ce droit importé et imposé. Le constat est patent, notamment en matière de droit privé », V. Kangulumba Mbambi, Les droits originellement africains dans les récents mouvements de codification : le cas des pays d’Afrique francophone subsaharienne, Les Cahiers de droit, Vol. 46, No. 1-2, 2005, pp. 315-358, 326 ; « Nous pourrions ajouter des exemples d’incohérence ou de contradictions entre les principes véhiculés par les textes de réforme ou les récentes « codifications » pour démontrer comme le fait de ne pas prendre en considération mes ressources ou les ressorts profonds d’un peuple peut ruiner toute œuvre de codification et conduire à la résistance et à l’inapplication du droit ainsi projeté [note : par exemple, en droit de procédure, avec le principe de « nul ne plaide par procureur », la famille, le clan, le village, entités pourtant reconnues (ayant « la personnalité juridique coutumière »), sont exclus du prétoire alors qu’ils agissent souvent au nom d’un membre du groupe, dont ils répondent par ailleurs en cas de condamnation aux dommages-intérêts. […]] », V. Kangulumba Mbambi, Les droits originellement Africains dans les récents mouvements de codification : le cas des pays d’Afrique francophone subsaharienne, Les Cahiers de droit, Vol. 46, No. 1-2, 2005, pp. 315-358, 336.

  1. En tout état de cause, les Etats n’ont jamais réussi à être assez forts pour imposer leur volonté unificatrice, de sorte que la codification n’a jamais réussi à dompter le phénomène coutumier qui continue à jouer en parallèle du droit étatique.